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Date : 20200123


Dossier : IMM‑2071‑19

Référence : 2020 CF 114

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

NEGASI ELIAS ZEWELDI,

AZIEB BIDEMARIAM HABTE,

YUEL NEGASI ELIAS ET

NATNAEL NEGASI ELIAS

(REPRÉSENTÉS PAR LEUR TUTEUR À L’INSTANCE NEGASI ELIAS ZEWELDI)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], visant la décision en date du 7 février 2019 [la décision] par laquelle une agente de l’immigration [l’agente] a rejeté la demande de visa de résidents permanents au Canada des demandeurs à titre de réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ou de personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières.

II.  CONTEXTE

[2]  Les demandeurs sont des citoyens de l’Érythrée vivant actuellement au Soudan. Ils ont présenté une demande de résidents permanents au Canada à titre de réfugiés bénéficiant du parrainage privé d’un groupe de cinq personnes au Canada. Les demandeurs affirment qu’ils risquent d’être persécutés par le gouvernement érythréen pour diverses raisons.

[3]  M. Zeweldi est un prêtre orthodoxe d’Érythrée. Les demandeurs font valoir que M. Zeweldi a fui le Soudan en 2009 avec l’aide d’un passeur après avoir été interrogé et emprisonné pendant un mois pour avoir prononcé des sermons [traduction« subversifs » sur l’injustice. M. Zeweldi a été reconnu en tant que réfugié au Soudan et a obtenu une carte du Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [le HCR], qui avait expiré au moment où a été rendue la décision. M. Zeweldi a été rejoint au Soudan par Mme Habte et leurs deux enfants en 2016; ceux‑ci affirment avoir quitté l’Érythrée avec l’aide de passeurs pour fuir le harcèlement des autorités érythréennes et éviter que les fils de la famille aient à faire leur service militaire obligatoire imminent. Les demandeurs craignent aussi d’être victimes de préjudices et d’être emprisonnés s’ils retournent en Érythrée parce qu’ils ont quitté le pays illégalement.

[4]  Les demandeurs ont présenté leur demande le 28 août 2017. En novembre 2017, leur groupe de parrainage privé a été approuvé. Dans leur demande, ils ont mentionné, à l’annexe A, que M. Zeweldi avait présenté au moins une demande d’asile au Canada dans le passé et qu’il s’était rendu à Addis Abeba, en Éthiopie, pendant trois mois en 2015 pour présenter une demande de visa canadien. À l’annexe 2, les demandeurs ont mentionné que M. Zeweldi a aussi présenté une demande de réinstallation dans le cadre du Programme de réinstallation des réfugiés et des personnes protégées à titre humanitaire du Canada en septembre 2015 et que ses répondants avaient depuis changé.

[5]  Cependant, les demandeurs ont coché « non » à l’annexe A en réponse à la question de savoir si M. Zeweldi [traduction] « s’était vu refuser le statut de réfugié, un visa d’immigrant ou de résident permanent [...] ou un visa de visiteur ou de résident temporaire au Canada ou dans un autre pays ».

[6]  Le 26 septembre 2018, l’agente a indiqué qu’elle estimait, après examen du dossier des demandeurs, qu’il fallait tenir une entrevue parce que M. Zeweldi :

[traduction] n’a eu aucun problème à se rendre à Addis Abeba pour présenter une demande de visa en 2015. Il est resté à Addis pendant trois mois. De plus, il semble qu’il n’ait eu aucun problème à retourner au Soudan, où il affirme être reconnu en tant que réfugié. Il n’a pas déclaré le rejet de demande de visa de résident temporaire de 2015.

[7]  Le 23 janvier 2019, l’agente, assistée d’un interprète anglais‑tigrigna, a reçu en entrevue M. Zeweldi et Mme Habte à Khartoum, au Soudan. Après avoir informé les demandeurs de l’objectif et du processus de l’entrevue et avoir examiné les documents apportés par les demandeurs, l’agente a commencé à poser des questions au sujet de leur admissibilité. Les questions concernaient principalement les déplacements de M. Zeweldi à Addis Abeba pour présenter une demande de visa canadien en 2015 ainsi que sa capacité d’obtenir un passeport érythréen pendant son séjour au Soudan en 2013.

[8]  Pour commencer, les notes de l’agente mentionnent qu’elle a demandé à M. Zeweldi s’il était déjà retourné en Érythrée ou en Éthiopie, ce à quoi M. Zeweldi a répondu [traduction« non ». Lorsque l’agente lui a rappelé qu’il s’était en fait rendu à Addis Abeba pour présenter une demande de visa de résident temporaire à l’ambassade du Canada, M. Zeweldi a déclaré qu’il n’avait pas compris la question. Il a confirmé s’être rendu à Addis Abeba en 2015 parce qu’il avait été invité par une église pour venir prêcher au Canada. Les notes de l’agente précisent qu’elle a confirmé auprès de l’interprète que la question avait été fidèlement traduite à M. Zeweldi. Puis, elle a continué à demander à M. Zeweldi les raisons pour lesquelles il avait [traduction« menti » ainsi que les raisons pour lesquelles il n’avait pas déclaré le rejet de sa demande de visa de 2015 dans sa demande. M. Zeweldi a maintenu qu’il s’agissait d’un malentendu.

[9]  Selon les notes de l’agente, M. Zeweldi a répondu avoir obtenu en 2013 un passeport érythréen valide, qui a expiré en 2018. Les notes révèlent aussi que M. Zeweldi a déclaré avoir obtenu le passeport des autorités érythréennes au Soudan et n’avoir payé personne pour l’aider à l’obtenir. M. Zeweldi a mentionné qu’il avait son passeport chez lui et qu’il allait le fournir à l’agente le lendemain.

[10]  Le lendemain, M. Zeweldi est revenu et a dit qu’il s’était trompé et qu’il n’avait plus le passeport en sa possession. Les notes de l’agente mentionnent que M. Zeweldi [TRADUCTION] « s’est excusé d’avoir menti au sujet du rejet de la demande de visa et du fait qu’il s’était rendu à Addis », ce à quoi l’agente a répondu que c’était trop tard et qu’elle ne croyait plus son histoire.

[11]  Le 7 février 2019, les demandeurs ont reçu une lettre les informant que leur demande de résidence permanente était rejetée.

III.  LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[12]  L’agente a rejeté la demande de résidence permanente des demandeurs parce qu’elle n’était pas convaincue que ces derniers respectaient les exigences de la LIPR et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR]. Plus précisément, l’agente a conclu que M. Zeweldi ne répondait pas à la définition de réfugié au sens de la Convention parce qu’il n’était pas crédible. Elle a fondé sa conclusion sur la crédibilité sur le fait que M. Zeweldi avait nié s’être rendu en Éthiopie en 2015 et avoir obtenu un passeport érythréen en 2013, ainsi que sur le fait qu’il avait lui‑même reconnu avoir menti.

[13]  L’agente a souligné que M. Zeweldi a nié tout déplacement subséquent à la suite de son arrivée au Soudan en 2009, mais qu’il a ensuite admis, après rappel de l’agente, s’être rendu en Éthiopie en 2015 pour présenter une demande de visa de résident temporaire au Canada. L’agente a ajouté qu’il est improbable que M. Zeweldi n’ait pas compris la question puisqu’elle lui a été posée et répétée au moins trois fois.

[14]  L’agente a déclaré qu’il était aussi peu probable que les autorités érythréennes aient délivré un passeport à M. Zeweldi après que ce dernier eut quitté le pays illégalement et dans des circonstances où les forces de sécurité le recherchaient. Elle a conclu que M. Zeweldi était probablement en possession d’un titre de voyage valide lui ayant permis de se déplacer librement vers les pays voisins.

[15]  Vu ces préoccupations en matière de crédibilité, l’agente a conclu qu’elle ne pouvait pas déterminer si les demandeurs étaient interdits de territoire ou s’ils respectaient les exigences juridiques applicables conformément au paragraphe 11(1) de la LIPR.

[16]  L’agente a noté qu’elle ne savait pas, à cause de ces problèmes de crédibilité, quelle partie du récit des demandeurs elle devait croire, à part le fait que M. Zeweldi est chrétien et qu’il ne peut pas prêcher en Érythrée. De plus, outre les préoccupations susmentionnées, l’agente a mentionné que M. Zeweldi avait initialement présenté une demande de résidence permanente en 2012. Cependant, la demande avait été annulée parce que les exigences financières n’étaient pas respectées ou que des renseignements n’avaient pas été fournis par ses répondants. L’agente a précisé que M. Zeweldi avait présenté à nouveau une demande en 2016, mais que celle-ci avait été rejetée parce que les répondants n’avaient pas prouvé selon la prépondérance des probabilités qu’ils respectaient les exigences financières.

IV.  LES QUESTIONS EN LITIGE

[17]  Les questions en litige soulevées en l’espèce sont les suivantes :

1.  L’agente a‑t‑elle violé le droit des demandeurs à l’équité procédurale?

2.  L’agente a‑t‑elle commis une erreur en ne procédant pas à une évaluation de la crédibilité?

3.  L’agente a‑t‑elle commis une erreur en n’évaluant pas les allégations de persécution des demandeurs?

V.  LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[18]  La présente demande a été plaidée avant les récents arrêts de la Cour suprême du Canada Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] et Bell Canada c Canada (Procureur général), 2019 CSC 66. La décision de la Cour a été mise en délibéré. Les observations des parties relativement à la norme de contrôle s’appuyaient par conséquent sur le cadre établi dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir). Cependant, vu les circonstances de l’affaire et les directives de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 144, la Cour a conclu qu’il n’était pas nécessaire de demander aux parties de présenter des observations supplémentaires sur la norme de contrôle. J’ai examiné la demande en appliquant le cadre établi dans l’arrêt Vavilov, et cela n’a modifié ni les normes de contrôle applicables en l’espèce ni mes conclusions.

[19]  Dans l’arrêt Vavilov, aux paragraphes 23 à 32, les juges majoritaires ont tenté de simplifier la façon dont les cours choisissent la norme de contrôle applicable aux questions dont elles sont saisies. Les juges majoritaires ont abandonné l’approche fondée sur le contexte et les catégories de l’arrêt Dunsmuir au profit d’une présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique. Cependant, les juges majoritaires ont souligné que cette présomption peut être écartée 1) en cas d’intention claire du législateur sur l’application d’une norme de contrôle différente (Vavilov, par. 33 à 52) et 2) dans certains scénarios où la primauté du droit exige d’appliquer la norme de la décision correcte, comme dans le cas de questions constitutionnelles, de questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et de questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs (Vavilov, par. 53 à 64).

[20]  Les demandeurs ont fait valoir que la norme de contrôle applicable à la question de l’équité procédurale était la norme de la décision correcte, tandis que la norme de contrôle applicable à l’évaluation qu’a faite l’agente de la crédibilité et de l’allégation de persécution des demandeurs était celle de la décision raisonnable. Le défendeur a quant à lui soutenu que les questions en litige devaient faire l’objet d’un contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable puisqu’il n’y a pas de question liée à l’équité procédurale en l’espèce.

[21]  Certains tribunaux ont conclu que la norme de contrôle applicable à une allégation de manquement à l’équité procédurale est celle de la « décision correcte » (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, par. 79, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, par. 59 et 61 [Khosa]). L’arrêt Vavilov de la Cour suprême du Canada ne traite pas de la question de la norme de contrôle applicable aux questions liées à l’équité procédurale (Vavilov, par. 23). Cependant, il serait plus juste sur le plan doctrinal de dire qu’aucune norme de contrôle n’est applicable à ces questions. Dans l’arrêt Moreau‑Bérubé c Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit au sujet de l’équité procédurale :

[Elle] n’exige pas qu’on détermine la norme de révision judiciaire applicable. Pour vérifier si un tribunal administratif a respecté l’équité procédurale ou l’obligation d’équité, il faut établir quelles sont les procédures et les garanties requises dans un cas particulier (Moreau‑Bérubé, par. 74).

[22]  Pour ce qui est de la norme de contrôle applicable aux conclusions de l’agente sur la crédibilité ainsi que du contrôle par la Cour de l’évaluation qu’a faite l’agente de l’allégation de persécution des demandeurs, rien ne vient réfuter la présomption d’application en l’espèce de la norme de la décision raisonnable. L’application de la norme de la décision raisonnable à ces questions est aussi conforme à la jurisprudence antérieure à l’arrêt Vavilov de la Cour suprême du Canada (voir Alkhairat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 285, par. 8, concernant le contrôle d’une conclusion d’un agent quant à la crédibilité, et Sadeq Samandar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1117, par. 14 [Sadeq Samandar], concernant le contrôle de l’évaluation par un agent d’une allégation de persécution).

[23]  Au moment de procéder au contrôle d’une décision en fonction de la norme de la décision raisonnable, la cour doit tenter dans son analyse de déterminer si la décision « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99). Le caractère raisonnable est une norme de contrôle unique qui « s’adapte au contexte » (Vavilov, par. 89, citant l’arrêt Khosa, précité, par. 59). Ces contraintes contextuelles « cernent les limites et les contours de l’espace à l’intérieur duquel le décideur peut agir, ainsi que les types de solution qu’il peut retenir » (Vavilov, par. 90). Autrement dit, la Cour devrait seulement intervenir lorsque la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, par. 100). La Cour suprême du Canada dresse deux types de lacunes fondamentales rendant une décision déraisonnable : 1) le manque de logique interne du raisonnement du décideur; 2) le fait qu’une décision est indéfendable « sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision » (Vavilov, par. 101).

VI.  LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[24]  Les dispositions suivantes de la LIPR sont pertinentes pour la présente demande de contrôle judiciaire :

Visa et documents

Application before entering Canada

11 (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11 (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

Parrainage de l’étranger

Sponsorship of foreign nationals

13 (1) Tout citoyen canadien, résident permanent ou groupe de citoyens canadiens ou de résidents permanents ou toute personne morale ou association de régime fédéral ou provincial — ou tout groupe de telles de ces personnes ou associations — peut, sous réserve des règlements, parrainer un étranger.

13 (1) A Canadian citizen or permanent resident, or a group of Canadian citizens or permanent residents, a corporation incorporated under a law of Canada or of a province or an unincorporated organization or association under federal or provincial law — or any combination of them — may sponsor a foreign national, subject to the regulations.

Définition de réfugié

Convention refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays ;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

[25]  Les dispositions suivantes du RIPR sont pertinentes pour la présente demande de contrôle judiciaire :

Exigences générales

General requirements

139 (1) Un visa de résident permanent est délivré à l’étranger qui a besoin de protection et aux membres de sa famille qui l’accompagnent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

139 (1) A permanent resident visa shall be issued to a foreign national in need of refugee protection, and their accompanying family members, if following an examination it is established that

e) il fait partie d’une catégorie établie dans la présente section;

(e) the foreign national is a member of one of the classes prescribed by this Division;

Catégorie

Convention refugees abroad class

144 La catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent obtenir un visa de résident permanent sur le fondement des exigences prévues à la présente section.

144 The Convention refugees abroad class is prescribed as a class of persons who may be issued a permanent resident visa on the basis of the requirements of this Division.

Qualité

Member of Convention refugees abroad class

145 Est un réfugié au sens de la Convention outre‑frontières et appartient à la catégorie des réfugiés au sens de cette convention l’étranger à qui un agent a reconnu la qualité de réfugié alors qu’il se trouvait hors du Canada.

145 A foreign national is a Convention refugee abroad and a member of the Convention refugees abroad class if the foreign national has been determined, outside Canada, by an officer to be a Convention refugee.

Personne dans une situation semblable à celle d’un réfugié au sens de la Convention

Person in similar circumstances to those of a Convention refugee

146 (1) Pour l’application du paragraphe 12(3) de la Loi, la personne dans une situation semblable à celle d’un réfugié au sens de la Convention appartient à la catégorie de personnes de pays d’accueil.

146 (1) For the purposes of subsection 12(3) of the Act, a person in similar circumstances to those of a Convention refugee is a member of the country of asylum class.

Personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières

Humanitarian‑protected persons abroad

146 (2) La catégorie de personnes de pays d’accueil est une catégorie réglementaire de personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières qui peuvent obtenir un visa de résident permanent sur le fondement des exigences prévues à la présente section.

146 (2) The country of asylum class is prescribed as a humanitarian‑protected persons abroad class of persons who may be issued permanent resident visas on the basis of the requirements of this Division.

Catégorie de personnes de pays d’accueil

Member of country of asylum class

147 Appartient à la catégorie de personnes de pays d’accueil l’étranger considéré par un agent comme ayant besoin de se réinstaller en raison des circonstances suivantes :

147 A foreign national is a member of the country of asylum class if they have been determined by an officer to be in need of resettlement because

a) il se trouve hors de tout pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

(a) they are outside all of their countries of nationality and habitual residence; and

b) une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne dans chacun des pays en cause ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour lui.

(b) they have been, and continue to be, seriously and personally affected by civil war, armed conflict or massive violation of human rights in each of those countries.

VII.  ARGUMENTS

A.  Demandeurs

[26]  Les demandeurs affirment que l’agente : 1) a enfreint leur droit à l’équité procédurale en ne les informant pas de ses préoccupations précises et en fournissant des motifs inadéquats à l’appui de sa décision; 2) a fondé ses conclusions en matière de crédibilité sur une compréhension erronée de la preuve; 3) n’a pas tenu compte de l’allégation de persécution des demandeurs et des conditions en Érythrée. Pour ces motifs, les demandeurs demandent à la Cour d’accueillir la demande de contrôle judiciaire, d’annuler la décision, de renvoyer la demande à un décideur différent et de leur adjuger les dépens, vu les importantes erreurs commises.

1)  Équité procédurale

[27]  Les demandeurs soutiennent que l’agente a enfreint leur droit à l’équité procédurale en ne leur communiquant pas ses préoccupations précises et en ne fournissant pas des motifs adéquats susceptibles d’expliquer la raison pour laquelle elle était arrivée à sa décision.

[28]  Premièrement, les demandeurs font valoir que l’agente ne les a pas informés des raisons pour lesquelles elle estimait que le voyage de M. Zeweldi en Éthiopie ou le fait qu’il possédait des titres de voyage valides avait une incidence négative sur leur demande. Selon les demandeurs, l’agente a enfreint leur droit à l’équité procédurale en ne précisant pas les déficiences de leur demande et en ne leur fournissant pas une occasion adéquate de réagir à ces déficiences perçues.

[29]  Deuxièmement, les demandeurs affirment que les motifs de l’agente violent leur droit à l’équité procédurale puisqu’ils n’expliquent pas de façon adéquate la façon dont l’agente est arrivée à sa décision. Ils ajoutent que les motifs de l’agente ne contiennent aucune raison valide de rejeter la demande. En effet, les motifs consistent en un résumé des faits et un énoncé de conclusion sans analyse (voir Adu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 565, par. 20 à 22).

2)  Évaluation de la crédibilité

[30]  Les demandeurs affirment que l’agente a évalué de façon déraisonnable leur crédibilité en interprétant erronément les renseignements contenus dans leur demande et en adoptant une approche [traduction] « belliqueuse » lors de l’entrevue.

[31]  Premièrement, les demandeurs affirment que l’agente a mal interprété les éléments de preuve présentés dans leur demande puisqu’elle a conclu qu’ils avaient présenté de façon erronée les renseignements qu’ils avaient clairement exposés dans leur demande. En fait, les demandeurs expliquent qu’ils ont explicitement mentionné que M. Zeweldi s’était rendu à Addis Abeba en septembre pour une période de trois mois, qu’il avait présenté une demande de visa canadien pendant qu’il était là-bas et qu’il avait déjà présenté une demande d’asile au Canada. Ils soulignent que cette réalité contredit directement les notes de l’agente et tend à indiquer que M. Zeweldi a tout simplement mal compris la question que lui avait traduite l’interprète. Il est déraisonnable de conclure que M. Zeweldi aurait tenté de mentir au sujet de renseignements qu’il avait lui-même fournis dans sa demande. Selon les demandeurs, cette erreur est déterminante puisque la Cour a conclu ce qui suit dans Toth c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1133 :

Il est bien établi que si un tribunal tire une conclusion de fait en interprétant mal la preuve pertinente dont il dispose ou en n'en tenant pas compte et se fonde sur cette conclusion pour faire une analyse défavorable relativement à la crédibilité du revendicateur, la décision est déraisonnable et justifie [une] intervention […]

[32]  Deuxièmement, les demandeurs affirment que l’agente a interrogé M. Zeweldi de façon [traduction] « belliqueuse » au sujet d’une question secondaire, soit celle de savoir s’il s’était rendu en Éthiopie. Les demandeurs font valoir non seulement que cette question n’était pas pertinente quant à leur demande d’asile sous-jacente fondée sur leur crainte du gouvernement érythréen, mais aussi que l’approche accusatoire hostile de l’agente a poussé celle-ci à évaluer de façon déraisonnable leur crédibilité.

3)  Allégation de persécution

[33]  Les demandeurs soutiennent que l’agente a évalué de façon déraisonnable leur allégation de persécution en : 1) ne tenant pas compte du fait qu’il avait déjà été déterminé que M. Zeweldi était un réfugié au sens de la Convention dans le passé; 2) omettant d’examiner tous les motifs de persécution pertinents au regard de la situation dans le pays; 3) omettant d’examiner les allégations individuelles de chaque membre de la famille; 4) omettant d’examiner la demande au regard de la catégorie de personnes de pays d’accueil.

[34]  Premièrement, les demandeurs affirment que l’agente n’a pas tenu compte de façon appropriée du fait que M. Zeweldi avait déjà été officiellement reconnu en tant que réfugié par les autorités du Soudan. Même si les demandeurs ont admis que l’agente a rapidement pris acte de ce fait, ils font valoir qu’elle n’en a pas tenu compte. Ils affirment que cette erreur est suffisante pour justifier l’annulation de la décision (voir Ghirmatsion c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 519, par. 6 [Ghirmatsion]).

[35]  Deuxièmement, les demandeurs font valoir que l’agente a très peu analysé la situation des demandeurs en Érythrée, malgré la preuve documentaire volumineuse dans laquelle on expose de nombreux problèmes permanents liés aux droits de la personne dans ce pays. Ils soutiennent que l’agente était tenue de tenir compte de tous les motifs allégués (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, 103 DLR (4th) 1, par. 80) en plus d’afficher une connaissance suffisante de la situation dans le pays (Saifee c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 589, par. 30 à 32 [Saifee]). Les demandeurs soulignent que le fait que l’agente n’a pas analysé l’ensemble des motifs contenus dans leur demande — à la lumière de la situation dans le pays — constitue une erreur susceptible de contrôle conformément à la décision Ghirmatsion de la Cour, au paragraphe 69.

[36]  Troisièmement, les demandeurs affirment que l’agente a commis une erreur en ne tenant pas pleinement compte des allégations de persécution de Mme Habte et des deux fils de la famille et en choisissant plutôt de se concentrer presque exclusivement sur le cas de M. Zeweldi.

[37]  Quatrièmement, les demandeurs font valoir que l’agente n’a pas tenu compte de leur demande fondée sur la catégorie de personnes de pays d’accueil. Ils soulignent que l’agente n’a pas inclus d’analyse dans ses notes ni dans sa décision concernant la question de savoir si les demandeurs sont admissibles au titre de la catégorie de personnes de pays d’accueil, malgré l’accessibilité d’éléments de preuve concernant la situation en Érythrée. Cela rend, selon eux, la décision déraisonnable (voir Ghirmatsion, par. 63, et Saifee, par. 38 à 40).

B.  Défendeur

[38]  Le défendeur soutient que l’agente : 1) n’a pas violé le droit à l’équité procédurale des demandeurs puisqu’elle a fait part de ses préoccupations directement aux demandeurs durant l’entrevue et a fourni des motifs adéquats à l’appui de sa décision; 2) a évalué de façon raisonnable la crédibilité des demandeurs vu les nombreuses contradictions et invraisemblances dans les réponses de M. Zeweldi; 3) n’avait pas à tenir compte de l’allégation de persécution des demandeurs puisque sa conclusion sur la crédibilité était déterminante. Pour ces raisons, le défendeur affirme que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée et que, quoi qu’il en soit, aucuns dépens spéciaux ne sont justifiés vu l’absence de retard ou d’inconduite en l’espèce.

1)  Équité procédurale

[39]  Le défendeur fait valoir qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale en l’espèce puisque les préoccupations de l’agente ont été formulées directement aux demandeurs durant l’entrevue et que les motifs de l’agente décrivent clairement la raison pour laquelle la demande a été rejetée et les facteurs qui l’ont poussée à parvenir à sa conclusion.

[40]  Premièrement, le défendeur soutient que les demandeurs ont été clairement informés des préoccupations de l’agente liées à la crédibilité puisqu’elle leur en a fait part directement à l’entrevue et qu’elle a décrit les réponses au sujet du voyage de M. Zeweldi en Éthiopie, de sa demande de visa de 2015 et de la façon dont il a obtenu son passeport. Il n’était pas nécessaire que l’agente offre aux demandeurs une occasion supplémentaire de réagir à ces préoccupations. De plus, le défendeur souligne que les demandeurs ont eu l’occasion de fournir le passeport de M. Zeweldi le jour suivant afin de dissiper les préoccupations de l’agente.

[41]  Deuxièmement, le défendeur souligne que les motifs de l’agente étaient adéquats puisque la lettre de rejet ainsi que ses notes précisent qu’elle a tenu compte du comportement des demandeurs à l’entrevue ainsi que de leurs réponses et des éléments de preuve fournis. Il ajoute qu’après l’examen de tous ces éléments dans ses motifs, l’agente décrit clairement les raisons pour lesquelles elle rejette la demande et les facteurs qui ont mené aux conclusions tirées. Rien de plus n’était nécessaire.

2)  Évaluation de la crédibilité

[42]  Selon le défendeur, l’évaluation de la crédibilité des demandeurs faite par l’agente était raisonnable puisque ce qui était en cause en l’espèce n’était pas la question de savoir si l’histoire de M. Zeweldi était incohérente à la lumière des éléments de preuve fournis mais plutôt le fait que M. Zeweldi ne répondait pas avec franchise, qu’il était évasif et qu’il fournissait des réponses invraisemblables. Le défendeur affirme que, vu les réponses et les comportements de M. Zeweldi durant l’entrevue, l’agente pouvait très bien conclure qu’il manquait de crédibilité.

[43]  Les incohérences des demandeurs lors de l’entrevue ne sont pas simplement dissipées par le fait qu’ils ont inclus certains renseignements dans leur demande. Le manque de franchise et le caractère évasif affiché pendant l’entrevue étaient suffisants pour permettre à l’agente de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité. En effet, le défendeur souligne que M. Zeweldi s’est même excusé le jour suivant d’avoir menti. En outre, les demandeurs ont mentionné dans leur demande que M. Zeweldi ne s’était pas [traduction« vu refuser le statut de réfugié, un visa d’immigrant ou de résident permanent [...] ou un visa de visiteur ou de résident temporaire au Canada ou dans un autre pays ».

[44]  En outre, le défendeur affirme que l’agente n’a pas affiché un empressement indu à trouver des contradictions, mais qu’elle a plutôt tenté d’obtenir une réponse à ses questions afin de dissiper ses préoccupations grandissantes en matière de crédibilité.

3)  Allégations de persécution

[45]  Le défendeur fait valoir que l’agente n’avait pas à procéder à une évaluation de l’allégation de persécution des demandeurs parce que sa conclusion quant à la crédibilité était déterminante. En outre, l’agente n’a pas omis de prendre acte du statut de M. Zeweldi auprès du HCR.

[46]  Premièrement, le défendeur souligne que les demandeurs n’ont pas compris que des conclusions liées à la crédibilité peuvent être déterminantes. La Cour a conclu qu’un agent n’est pas obligé d’évaluer le reste d’une demande après avoir conclu qu’un demandeur ne peut tout simplement pas être cru (voir Sadeq Samandar, par. 22 à 24). Dans cette affaire, le défendeur a souligné que l’agent ne pouvait pas établir si les demandeurs étaient interdits de territoire en vertu du paragraphe 11(1) de la LIPR en raison d’un tel manque de crédibilité. Par conséquent, l’agente ne devait pas poursuivre le traitement de la demande (Ramalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 278, par. 36 et 37).

[47]  Deuxièmement, le défendeur reconnaît que la Cour a conclu que le fait de ne pas mentionner le statut accordé par le HCR à un demandeur d’asile est une erreur dans certains cas. Cependant, il souligne que l’agente a explicitement reconnu que M. Zeweldi possédait une carte expirée du HCR. En l’espèce, l’agente a tout simplement conclu que les demandeurs n’avaient pas établi de façon crédible les faits sur lesquels leur demande était fondée.

VIII.  ANALYSE

A.  Questions relatives à la preuve

[48]  L’affidavit de M. Zeweldi qui accompagnait la demande de contrôle judiciaire contient certains renseignements dont ne disposait pas l’agente. Les demandeurs ne peuvent pas compléter le dossier de la sorte.

[49]  S’appuyant sur les indications fournies par le juge Stratas dans l’arrêt Bernard c Canada (Agence du revenu), [2015] ACF no 1396, les demandeurs reconnaissent la règle générale selon laquelle ils ne peuvent pas maintenant présenter de nouveaux éléments de preuve qui n’ont pas été présentés à l’agente, mais ils font valoir que ces éléments s’inscrivent dans le cadre des trois exceptions exposées dans cette affaire, à savoir :

  • a) les renseignements généraux visant à faciliter la tâche de la Cour pour comprendre le dossier qui lui a été présenté;

  • b) les renseignements qui sont utiles parce que la décision est déraisonnable dans la mesure où elle repose sur une conclusion de fait en toute absence de preuve;

  • c) la preuve sur une question de justice naturelle ou d’équité procédurale.

[50]  Les demandeurs font valoir ce qui suit :

[traduction]

14.  L’une des questions essentielles en l’espèce consiste à savoir si Negasi mentait — comme l’agente l’a conclu — ou s’il s’agissait d’un malentendu. Nous faisons valoir que les éléments de preuve décrits dans l’affidavit de Negasi s’inscrivent dans le cadre des trois exceptions mentionnées par la Cour dans l’arrêt Bernard. Ils fournissent une explication utile à la Cour pour comprendre le dossier qui lui a été présenté, ils expliquent les raisons pour lesquelles les conclusions de l’agente étaient déraisonnables et exposent la preuve liée à la question de l’équité procédurale.

15.  Nous faisons aussi valoir que, dans des cas comme le nôtre, l’affidavit du demandeur est une occasion de réagir aux points soulevés dans les notes du Système mondial de gestion des cas rédigées par l’agent des visas selon son point de vue. La seule façon de donner suite à la description subjective d’une entrevue et des points soulevés par l’agent des visas est au moyen d’un affidavit du demandeur. Il n’y a pas de compte rendu indépendant des procédures pour évaluer exactement ce qui a été dit et ce dont il a été question. L’affidavit de Negasi est la première occasion de fournir une réponse à la description écrite (c.-à-d. les notes) que l’agente a faite de l’entrevue.

16.  Les demandeurs font aussi valoir que les questions sous‑jacentes liées aux éléments de preuve contenus dans l’affidavit soulèvent une autre question importante qui mérite d’être examinée et constituent une autre raison pour laquelle l’autorisation devrait être accordée.

[51]  De toute évidence, les demandeurs ne comprennent pas la portée étroite des exceptions. La Cour n’a pas besoin d’aide pour comprendre le dossier dont elle dispose, et la décision — qui est constituée par la lettre de rejet et les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC) — est claire, complète et éloquente. La Cour a un dossier précis de la procédure suivie à l’entrevue devant l’agente et de ce qui a été dit par les deux parties ainsi que des raisons pour lesquelles l’agente a conclu que, de façon générale, M. Zeweldi manquait de crédibilité, à un point tel qu’il n’était pas nécessaire de poursuivre le traitement de la demande. Les demandeurs n’ont pas à expliquer de quelle façon la décision est incomplète ou inexacte à l’égard de ce qui s’est passé durant la réunion. Les notes ont été rédigées par l’agente au moment de la réunion, et l’agente n’avait aucune raison de mentir.

[52]  Par exemple, en ce qui a trait aux excuses que M. Zeweldi a données à l’agente pour avoir menti la veille, les demandeurs affirment maintenant ce qui suit :

[traduction] Il s’est peut-être « excusé d’avoir menti » à son retour au bureau des visas (comme le défendeur le souligne dans son mémoire, au par. 19), mais, en fait, il s’agissait simplement d’une explication plausible. Il n’avait pas eu l’intention de mentir, parce qu’il croyait réellement que son passeport était chez lui.

[53]  Dans son affidavit joint à la demande, M. Zeweldi précise ce qui s’est produit à son retour sans passeport alors qu’il avait déclaré avoir le document chez lui :

[traduction] Lorsque je suis retourné voir l’agente des visas le lendemain de notre entrevue, je lui ai dit que je n’arrivais pas à le trouver. Si j’avais su qu’il était perdu, je l’aurais dit à l’agente à l’entrevue.

[54]  Par conséquent, même d’après son propre témoignage, tout ce que M. Zeweldi a dit à l’agente, c’est qu’il n’arrivait pas à trouver son passeport. Cependant, les notes de l’agente décrivent de façon précise ce que M. Zeweldi a dit :

[traduction] […] Notes ajoutées le jour suivant : le DP est venu me voir sans passeport. Il a affirmé avoir cru par erreur qu’il l’avait chez lui, mais qu’il ne l’a plus et qu’il ne sait pas où il se trouve. J’ai souligné qu’il m’avait dit deux fois la veille que le passeport était chez lui. Il a répondu en affirmant qu’il voulait s’excuser d’avoir menti au sujet du rejet de la demande de visa et du fait qu’il s’était rendu à Addis. Je lui ai dit qu’il était maintenant trop tard. Que je ne croyais pas son histoire. Il n’est pas crédible. Je ne sais plus ce que je peux croire dans son histoire, à part le fait qu’il est chrétien et qu’il ne peut pas prêcher en Érythrée. En outre, le DP a participé à deux processus de parrainage dans le passé. Un en 2012 pour lui seulement, un parrainage privé. Les exigences financières n’ont pas été respectées ou les répondants n’ont pas fourni les renseignements nécessaires, alors le dossier a été annulé. La deuxième demande de parrainage a été présentée en 2016 par le même groupe de cinq personnes et a été rejetée parce qu’il a été établi que, selon la prépondérance des probabilités, le parrainage ne respectait pas les exigences financières étant donné que ces personnes participaient toutes à plusieurs parrainages de G5 et de SEP. Tous les membres du groupe de cinq semblent être de nouvelles connaissances. Tous sauf un sont des Éthiopiens. Le DP n’a pas déclaré ces deux processus de parrainage antérieurs. Même si les demandes n’ont jamais été traitées, des dossiers ont été créés par le COR-O, et le demandeur devait savoir qu’il était parrainé. Demande rejetée. Le DP n’est pas crédible [...]

[55]  Par conséquent, de toute évidence, lorsque M. Zeweldi affirme dans son affidavit [traduction] « [s]i j’avais su qu’il était perdu, je l’aurais dit à l’agente à l’entrevue », il ne répète pas l’explication qu’il a fournie à l’agente. Il tente simplement de convaincre la Cour de lui donner le bénéfice du doute. Or, ce n’est pas le rôle de la Cour. Le caractère raisonnable d’une décision et l’équité procédurale sont évalués à la lumière de la preuve et des explications fournies à l’agente lorsqu’elle a rendu sa décision, pas à la lumière d’explications offertes à la Cour bien après la tenue de l’entrevue et à l’égard desquelles il n’y a aucun dossier contemporain fiable.

[56]  Ce qui est révélateur, cependant, c’est que, dans le même affidavit, M. Zeweldi affirme qu’il n’avait aucune raison de mentir et qu’en tant que prêtre il ne mentirait pas parce que [traduction« cela va à l’encontre de mes principes moraux et religieux ». M. Zeweldi ne conteste toutefois pas les déclarations de l’agente selon lesquelles il s’est excusé d’avoir menti. Par conséquent, la seule preuve dont je dispose, c’est qu’il s’est excusé d’avoir menti. Il n’est absolument pas logique qu’un homme qui ne ment pas pour des motifs moraux ou religieux s’excuse d’avoir menti.

[57]  En l’espèce, je n’ai pas tenu compte de l’affidavit de M. Zeweldi dans la mesure où il tente de présenter de nouveaux éléments de preuve et de nouvelles explications dont ne bénéficiait pas l’agente. Je n’ai pas non plus tenu compte des tentatives de M. Zeweldi de présenter un argumentaire dans son affidavit.

B.  La question en litige

[58]  Les demandeurs affirment que [traduction« [l]’une des questions essentielles en l’espèce consiste à savoir si Negasi mentait — comme l’agente l’a conclu — ou s’il s’agissait d’un malentendu ».

[59]  En fait, il s’agit de la principale question que je dois trancher. Cependant, malgré le fait que les demandeurs affirment qu’il s’agit d’une [traduction« question essentielle », ils affirment aussi qu’on [TRADUCTION] « pourrait soutenir que la conclusion de l’agente relativement à la crédibilité est un faux-fuyant » parce qu’elle est fondée sur des [TRADUCTION] « considérations non pertinentes et secondaires » :

[traduction] Deuxièmement, nous faisons valoir en réponse que l’évaluation de l’agente au sujet du voyage en Éthiopie mettait, en fait, l’accent sur des considérations non pertinentes et secondaires. La question de savoir s’il était allé en Éthiopie n’était pas pertinente dans le cadre du traitement de la demande d’asile sous-jacente contre l’Érythrée.

[60]  Les demandeurs semblent affirmer que la crédibilité générale de M. Zeweldi (c.-à-d. la question de savoir si on peut le croire ou non) n’est pas pertinente quant à leurs demandes d’asile. Ils n’expliquent pas de quelle façon l’agente peut évaluer la demande d’asile alors que M. Zeweldi ne peut pas être cru. La crédibilité générale est, en fait, une condition préalable à toute demande d’asile. Si un agent conclut de façon raisonnable qu’un demandeur d’asile ne peut pas être cru, la demande d’asile n’est pas fondée.

[61]  En l’espèce, M. Zeweldi a non seulement menti durant l’entrevue, et ce, sans explication, mais il s’est aussi excusé le lendemain d’avoir menti à l’entrevue. Les notes du SMGC révèlent aussi qu’il y avait d’autres incohérences liées aux processus de parrainage antérieurs.

[62]  Dans ses observations liées à la présente demande, M. Zeweldi affirme que la décision était déraisonnable parce que l’agente n’a pas tenu compte de renseignements qu’il avait mentionnés dans les documents de demande de visa ainsi que de renseignements qu’il lui avait fournis à l’entrevue.

[63]  En ce qui a trait à l’entrevue, M. Zeweldi affirme ce qui suit dans son affidavit :

[traduction] À l’entrevue, j’ai mentionné qu’il y avait certains malentendus au sujet d’une question de l’agente concernant un voyage en Éthiopie. Cela est mentionné dans les notes de l’agente. Je croyais qu’elle m’avait demandé si j’étais récemment revenu d’Éthiopie. C’est la raison pour laquelle j’ai répondu « non ». Je crois qu’il a dû y avoir un problème avec l’interprète, parce que j’avais mentionné dans nos formulaires de demande être allé en Éthiopie en 2015 (Annexe A). Je n’essayais pas de cacher cette information. En fait, je l’avais mentionnée dans notre demande. Je n’aurais pas menti à ce sujet, parce que le bureau des visas aurait su que je m’étais rendu à Addis pour présenter une demande de visa. Je n’aurais pas pu mentir à ce sujet alors que je me suis rendu à l’ambassade canadienne d’Addis. L’agente d’immigration avait accès à toute cette information.

[64]  Même si cette preuve était admise dans le cadre de la présente demande, elle n’expliquerait pas des facteurs cruciaux.

[65]  L’agente n’a pas rejeté la demande à l’entrevue ou après l’entrevue. En fait, les notes montrent clairement que l’agente était prête à donner à M. Zeweldi le bénéfice du doute. Elle a dit ce qui suit : [traduction] « je ne suis pas vraiment sûre que tout ça est logique » et elle a demandé à M. Zeweldi de fournir son passeport original. M. Zeweldi lui a dit qu’il pouvait le faire sans problème. Par conséquent, si M. Zeweldi avait fourni son passeport, les estampilles d’entrée et de sortie auraient pu clarifier la situation.

[66]  M. Zeweldi a dit à l’agente qu’il pouvait fournir le passeport sans problème, mais, à son retour le lendemain, il a dit deux choses concluantes qui ont forcé l’agente à trancher au sujet de sa crédibilité :

  • a) après avoir dit à l’agente la veille qu’il avait le passeport chez lui, il a affirmé ne plus l’avoir et ne pas savoir où il était;

  • b) lorsque l’agente lui a rappelé qu’il lui avait dit que le passeport était chez lui, il n’a pas expliqué pourquoi il avait dit une telle chose ou pourquoi il croyait qu’il y était, alors que ce n’était pas le cas. Il a répondu en affirmant qu’il voulait s’excuser d’avoir menti au sujet du visa refusé et du voyage à Addis Abeba.

[67]  C’est seulement à ce moment-là — et pas lors de l’entrevue de la veille — que l’agente a conclu qu’elle ne pouvait pas croire l’histoire de M. Zeweldi parce qu’il n’était pas crédible.

[68]  M. Zeweldi affirme maintenant ce qui suit :

  • a) il avait mentionné dans sa demande de visa qu’il s’était rendu à Addis Abeba pendant trois mois à la fin de 2014;

  • b) il avait aussi mentionné dans ses formulaires qu’il avait déjà présenté une demande de visa qui avait été rejetée;

  • c) il avait aussi déjà souligné avoir présenté une demande de parrainage à titre de réfugié.

[69]  Souligner ces points à la Cour maintenant n’est pas utile pour les demandeurs. Cela n’explique pas pourquoi M. Zeweldi a dit à l’agente qu’il avait menti. S’il n’avait aucune raison de mentir parce que les documents indiquaient autre chose, il n’était pas nécessaire de dire à l’agente qu’il avait menti. Même si elle disposait des documents, l’agente — qui n’avait pas obtenu d’explication quant à la raison pour laquelle M. Zeweldi avait menti — n’avait guère le choix que de conclure qu’il n’était pas crédible. La question n’est pas de savoir si M. Zeweldi s’est rendu en Éthiopie ou non ou s’il avait déjà présenté une demande de visa et une demande de parrainage. La question était la suivante : « Pourquoi l’agente pouvait-elle se fier à ce que le demandeur disait, ou disait avoir fait, alors qu’il avait avoué avoir menti sans expliquer à l’agente pourquoi il l’avait fait? » Les demandeurs n’ont pas traité de cette question dans leurs observations.

[70]  Le fait que M. Zeweldi a menti directement à l’agente, comme le mentionnent les notes du SMGC, ne peut pas être atténué par le fait qu’il avait effectivement mentionné ses demandes précédentes à l’annexe A de sa demande (mais pas tous ses antécédents en matière d’immigration) et qu’il avait aussi fait état de son déplacement à l’extérieur du Soudan.

[71]  Les notes du SMGC sont claires. L’agente était prête à donner le bénéfice du doute à M. Zeweldi à la fin de l’entrevue :

[traduction] […] Je ne suis pas vraiment sûre que tout ça est logique. Beaucoup de personnes traversent la frontière sans passeur. J’ai demandé au demandeur s’il était prêt à présenter son passeport original. Il pouvait venir me le montrer le lendemain. Je ne lui ai pas mentionné, mais je voulais voir où il avait été délivré et s’il y avait des estampilles d’entrée et de sortie. Le DP a répondu qu’il n’y avait pas de problème, qu’il avait le passeport chez lui et qu’il allait l’apporter le lendemain. Je crois que, s’il n’y a pas d’estampille d’entrée en Éthiopie et en Érythrée à part en 2015, cela pourrait jouer en sa faveur [...]

[Non souligné dans l’original.]

[72]  Ce qui a fait pencher la balance, c’est ce qui suit :

[traduction] […] Notes ajoutées le jour suivant : le DP est venu me voir sans passeport. Il a affirmé avoir cru par erreur qu’il l’avait chez lui, mais qu’il ne l’a plus et qu’il ne sait pas où il se trouve. J’ai souligné qu’il m’avait dit deux fois la veille que le passeport était chez lui. Il a répondu en affirmant qu’il voulait s’excuser d’avoir menti au sujet du rejet de la demande et du fait qu’il s’était rendu à Addis. Je lui ai dit qu’il était maintenant trop tard. Que je ne croyais pas son histoire. Il n’est pas crédible. Je ne sais plus ce que je peux croire dans son histoire, à part le fait qu’il est chrétien et qu’il ne peut pas prêcher en Érythrée […]

[73]  Par conséquent, à la lumière des éléments de preuve dont je suis saisi, M. Zeweldi a menti. Il a admis avoir menti et s’est excusé. Il n’a pas expliqué pourquoi il a menti ni pourquoi il ne pouvait pas produire le passeport alors qu’il avait dit pouvoir le faire sans problème, et l’agente a conclu qu’elle ne pouvait tout simplement pas croire son histoire : [traduction] « Il n’est pas crédible ». La question que la Cour doit trancher est de savoir s’il s’agissait d’une conclusion raisonnable.

[74]  La conclusion de l’agente selon laquelle M. Zeweldi n’était pas crédible est fondée sur ses impressions de première main des réponses qu’il a fournies aux questions posées lors de l’entrevue. La Cour n’en a pas été témoin et elle doit donc faire preuve d’une grande déférence à l’égard de la décision de l’agente (voir Kabran c Canada (Immigration, Refugiés et Citoyenneté), 2018 CF 115, par. 42).

[75]  Il peut y avoir de nombreuses raisons et explications relativement au comportement du demandeur à l’entrevue, mais il n’en a fourni aucune à l’agente et il ne peut pas m’en fournir maintenant et demander à la Cour de trancher. Étant donné que M. Zeweldi a lui-même dit à l’agente qu’il avait menti sans expliquer pourquoi il l’avait fait, je ne peux pas dire que les conclusions de l’agente sur sa crédibilité étaient déraisonnables. C’est en effet un cas étrange, et je ne sais vraiment pas ce qui a poussé M. Zeweldi à agir et parler de la sorte. Cependant, la question concerne ce qu’il a dit et fait devant l’agente et la question de savoir si les conclusions de cette dernière fondées sur la preuve étaient raisonnables. À la lumière du dossier dont disposait l’agente, je ne peux pas dire que les conclusions étaient déraisonnables.

[76]  L’approche de l’agente était aussi conforme au Guide des politiques OP 5 de Citoyenneté et Immigration Canada (section 3.2). M. Zeweldi s’est vu accorder le bénéfice du doute, et l’agente a cherché des façons d’expliquer les contradictions. Souligner que M. Zeweldi a avoué avoir menti et n’a pas expliqué pourquoi il l’a fait ne constitue pas une observation sur des points microscopiques. De plus, l’absence d’un conseil n’explique pas pourquoi M. Zeweldi a menti. Il n’a pas dit avoir fait une erreur. Il a dit avoir menti.

[77]  Les demandeurs n’ont pas traité de cet aspect central de la décision. Ils demandent plutôt à la Cour de tenir compte d’un ensemble de questions indirectes et secondaires qui n’ont pas d’incidence sur le caractère raisonnable de la conclusion de l’agente au sujet de leur crédibilité générale.

[78]  Les demandeurs affirment que l’agente n’a pas tenu compte du fait que M. Zeweldi avait été déclaré réfugié au sens de la Convention, qu’elle n’a pas examiné tous les motifs pertinents ainsi que des allégations individuelles de chaque membre de la famille, qu’elle n’a pas tenu compte de la preuve concernant la persécution en Érythrée et qu’elle n’a pas examiné leur demande au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention et de celle de personnes de pays d’accueil.

[79]  L’agente montre qu’elle est tout à fait au courant du statut de réfugié de M. Zeweldi : [traduction« l’épouse n’a pas de carte du HCR, mais le demandeur principal en a une qui n’est plus valide. Elle a expiré en 2013 ». Le fait que M. Zeweldi avait un statut auprès du HCR n’élimine pas l’obligation de l’agente d’évaluer les allégations des demandeurs conformément à la jurisprudence canadienne ni ne règle les préoccupations en matière de crédibilité sur lesquelles la décision est fondée. Comme la juge Gagné l’a souligné dans Gebrewldi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 621, au paragraphe 28 :

En ce qui concerne le statut reconnu aux demandeurs par le HCR, la Cour a mentionné que ce statut n’est pas déterminant et qu’en fait, un agent est tenu d’effectuer sa propre évaluation de l’admissibilité d’un demandeur au statut de réfugié, conformément au droit canadien (B231 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1218, au paragraphe 58; Ghirmatsion c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 519, au paragraphe 57; Pushparasa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 828, au paragraphe 27). Le Guide OP 5, « Réinstallation à partir de l’étranger » (lignes directrices), indique que les agents des visas devraient tenir compte de la désignation reconnue à un demandeur par le HCR au moment d’examiner sa demande de statut de réfugié au Canada (Pushparasa, précité, au paragraphe 26; Ghirmatsion, précité, au paragraphe 56). Toutefois, les « lignes directrices n’ont pas force de loi et ne constituent pas un code définitif ou rigide » (Pushparasa, précité, au paragraphe 27). Par conséquent, le statut reconnu à un demandeur par le HCR n’est pas un facteur déterminant dans le cadre d’une demande d’asile présentée au Canada.

[80]  Ce que les demandeurs affirment maintenant, c’est que, même si M. Zeweldi a dit à l’agente qu’il avait menti, sans donner d’explication, ce qui a permis à l’agente de conclure de façon raisonnable qu’il manquait de crédibilité et raison pour laquelle elle ne croyait pas son histoire, elle devrait tout de même évaluer leur statut et leur demande de visa de résident permanent.

[81]  Les demandeurs invoquent les lignes directrices du Guide OP 5 pour déterminer ce qui est raisonnable, et ces lignes directrices précisent de façon claire qu’il y a quatre étapes pour déterminer la recevabilité d’une demande. La première étape consiste à évaluer la « crédibilité ». Si un demandeur n’est pas crédible, l’agent n’a pas à passer aux autres étapes qui sont, dans un premier temps, la « solution durable », l’admissibilité, puis la question de savoir si le demandeur d’asile a la capacité de s’établir.

[82]  Comme le juge Brown l’a souligné dans Sadeq Samandar, aux paragraphes 22 à 24 :

[22] La conclusion défavorable quant à la crédibilité remet en question la véracité de l’ensemble des réponses du demandeur principal. Par conséquent, il n’était pas nécessaire d’analyser les allégations des demandeurs concernant leur risque en tant que membres de l’ethnie hazara chiite. Le juge Scott a abordé ce point précis dans Ramalingam, aux paragraphes 36 et 37 :

[36] Dans l’ensemble, l’interprétation que le défendeur fait du paragraphe 11(1) m’apparaît plus logique, compte tenu du libellé de cette disposition. Après avoir pris connaissance du jugement Manigat, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que rien ne permet de penser que la Cour entendait en limiter l’application aux motifs circonscrits évoqués par le demandeur.

[37] Vu la décision récente rendue dans l’affaire Kumarasekaram, je conclus que le demandeur a tort de prétendre que la jurisprudence n’appuie pas le rejet d’une demande fondée sur le paragraphe 11(1). Je suis persuadé qu’un agent peut rejeter une demande sans avoir à conclure expressément que le demandeur est interdit de territoire, au motif que, comme le demandeur n’a pas donné un portrait complet de ses antécédents, l’agent n’est pas en mesure de conclure que le demandeur n’est pas interdit de territoire.

[23] Je suis d’accord avec les conclusions tirées par mon collègue le juge Southcott dans la décision Noori, au paragraphe 22 :

[22] Les demandeurs ont raison d’indiquer que l’agente n’a pas effectué une analyse de ces affirmations ou une évaluation quant à savoir si elles étaient étayées par la preuve des conditions du pays. Toutefois, tel que cela a été analysé ci‑dessus, l’agente n’était pas en mesure de conclure que le demandeur n’était pas interdit de territoire au Canada, en raison de ses préoccupations quant à la véracité de son témoignage. Vu que les demandeurs n’ont pas obtenu gain de cause en ce qui concerne le caractère raisonnable de cette conclusion, ils ne peuvent pas être admissibles au statut de réfugié au sens de la Convention et je ne peux conclure que la décision était déraisonnable au motif que l’agente n’a pas analysé le risque de persécution invoqué fondé sur l’ethnicité et les croyances religieuses des demandeurs.

[24] En l’espèce, l’agent n’a pas été en mesure de rendre une décision sur l’interdiction de territoire. Je ne peux accepter l’argument des demandeurs selon lequel l’agent devait aller plus loin et analyser le risque de persécution allégué fondé sur l’origine ethnique, les croyances religieuses et les conditions dans le pays des demandeurs. Essentiellement, la demande des demandeurs consiste à rayer du processus décisionnel l’obligation que l’agent des visas a en vertu du paragraphe 11(1) de la LIPR de décider s’il est « convaincu que l’étranger n’est pas interdit de territoire ». On ne peut pas reprocher à l’agent d’avoir effectué cette analyse.

[83]  En l’espèce, les demandes de tous les demandeurs étaient tributaires de la preuve présentée par M. Zeweldi. Rien n’indiquait qu’ils voulaient, ou auraient pu être — évalués séparément, vu le fondement de la demande. Dans son formulaire de demande d’asile, l’épouse de M. Zeweldi affirme qu’elle et ses enfants ont fui parce que son époux avait quitté le pays illégalement en 2009 et que les autorités la menaçaient et lui réservaient un mauvais traitement parce qu’elles voulaient qu’il revienne. Si M. Zeweldi ne peut pas être cru, les autres demandeurs perdent le fondement principal de toute demande qu’ils pourraient présenter.

[84]  En outre, il n’y a aucun fondement aux affirmations des demandeurs selon lesquelles l’agente a manqué à l’équité procédurale et ses motifs étaient inadéquats. Les notes du SMGC révèlent que les préoccupations de l’agente ont effectivement été soulignées à M. Zeweldi, qu’il a eu droit au bénéfice du doute et qu’il a eu l’occasion de se racheter, mais qu’il n’a pas profité de l’occasion, affirmant simplement avoir menti, sans fournir d’explication.

[85]  Par ailleurs, je ne vois rien qui justifie l’affirmation selon laquelle l’agente a adopté un comportement belliqueux ou injustement conflictuel dans ses interactions avec M. Zeweldi. Elle lui a fait part fermement de sa préoccupation en matière de crédibilité et elle a cherché à obtenir une explication claire, ce que M. Zeweldi ne lui a jamais fourni, même après avoir bénéficié d’une pause après l’entrevue pour aller chercher son passeport.

[86]  Les demandeurs affirment que les contradictions dans la preuve quant à la question de savoir si M. Zeweldi s’était rendu en Éthiopie ne sont pas pertinentes pour leur demande d’asile et ne devraient pas fonder une conclusion défavorable quant à la crédibilité. La capacité de M. Zeweldi de quitter l’Éthiopie n’est pas non pertinente en ce qui concerne la demande d’asile, et il y a d’autres facteurs qui appuient une conclusion défavorable quant à la crédibilité, comme la raison pour laquelle M. Zeweldi avait quitté illégalement l’Érythrée et celle pour laquelle il avait pu obtenir un passeport érythréen en 2013. En outre, M. Zeweldi n’a pas déclaré s’être vu refuser un visa pour venir au Canada et, encore une fois, il n’a fourni aucune explication à cet égard. Les notes du SMGC révèlent l’échange suivant survenu durant l’entrevue :

[traduction] Vous avez fait une fausse déclaration au sujet du fait qu’un visa vous avait été refusé et vous m’avez menti au sujet de votre voyage à Addis. Que dois-je croire? Le DP ne répond pas. Je lui explique que sa crédibilité est en jeu.

[87]  Ma conclusion est qu’il est difficile de comprendre pourquoi M. Zeweldi a fait ce qu’il a fait en l’espèce. Les notes du SMGC montrent clairement que l’agente a pris les précautions appropriées pour s’assurer qu’il n’y avait aucun problème d’interprétation et que M. Zeweldi avait tout à fait compris ce qu’on lui demandait. Les questions étaient répétées, et rien n’explique pourquoi M. Zeweldi se serait excusé d’avoir menti s’il ne l’avait pas fait. Malgré l’absence d’explications complètes des gestes de M. Zeweldi, on ne peut pas dire que l’agente a manqué à l’équité procédurale ou qu’elle a tiré une conclusion déraisonnable au sujet de la crédibilité générale, conclusion qui est au cœur même de la décision. Il y avait peut-être une explication justifiant le comportement de M. Zeweldi, mais ce dernier n’en a pas fait part à l’agente.

[88]  Les demandeurs sollicitent des dépens dans le cadre de la présente demande, mais il n’y a aucune raison spéciale pour laquelle la Cour devrait envisager d’en adjuger. Le défendeur a agi de façon raisonnable, et il y a amplement de motifs à l’appui de la décision. Je ne vois aucun motif particulier qui justifierait d’adjuger des dépens en l’espèce.

[89]  Les avocats sont d’avis qu’il n’y a aucune question à certifier en l’espèce, et je suis d’accord avec eux.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑2071‑19

LA COUR STATUE que

  1. la demande est rejetée;

  2. il n’y a aucune question à certifier;

  3. aucuns dépens ne sont adjugés.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour de février 2020

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2071‑19

 

INTITULÉ :

NEGASI ELIAS ZEWELDI ET AUTRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 11 décembre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Russell

 

DATE DES MOTIFS :

le 23 janvier 2020

 

COMPARUTIONS :

Timothy Wichert

 

Pour les demandeurs

 

Gordon Lee

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Timothy Wichert

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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