Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 2019 07 22


Dossier : IMM-57-19

Référence : 2019 CF 883

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 juillet 2019

En présence de madame la juge McVeigh

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

CHAMANPREET KAUR KALER

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS  

VU la demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada;

ET APRÈS avoir examiné la décision faisant l’objet du contrôle, dans laquelle la SAR a annulé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) rejetant la demande d’asile de la défenderesse, mais a omis d’examiner la conclusion de la SPR selon laquelle la défenderesse n’était pas exclue en application de la section E de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés;

ET APRÈS avoir constaté que le ministre était intervenu devant la SPR et que la SPR avait rendu une décision détaillée distincte au sujet de l’exclusion en application de la section E de l’article premier avant la seconde audience sur le fond de la demande d’asile;

ET APRÈS avoir lu les documents présentés à la Cour et avoir entendu les observations des parties;

 

ET APRÈS avoir conclu que la présente demande devrait être accueillie pour les motifs qui suivent :

[1]  Le 2 août 2016, la SPR a tenu une audience pour entendre la demande d’asile de la défenderesse. La commissaire a alors décidé d’examiner la question de l’exclusion en premier lieu, étant donné que, si le ministre avait eu gain de cause, l’exclusion aurait été déterminante pour la demande d’asile, et il aurait été alors inutile d’instruire l’affaire. Puisque la présentation des arguments se rapportant à l’exclusion a pris tout le temps prévu pour l’audience, la commissaire a décidé de tenir une autre audience pour l’examen du fond de la demande d’asile à une date ultérieure dans l’éventualité où elle concluait que madame Kaler n’était pas exclue.

[2]  La SPR a rendu sa décision et ses motifs rejetant la demande d’exclusion du ministre (la décision quant à l’exclusion) le 1er novembre 2016.

[3]  Une seconde audience a été tenue le 20 février 2017 pour l’examen du fond de la demande d’asile. Dans ses motifs en date du 27 mars 2017, la même commissaire a rejeté la demande d’asile de la défenderesse, principalement en raison de conclusions quant à la crédibilité se rapportant à la crainte subjective, au retard à demander l’asile et au fait de s’être réclamée à nouveau de la protection du pays (la décision quant au fond).

[4]  Dans les motifs de la décision quant au fond, la SPR a souligné ce qui suit :

[traduction]

La demandeure d’asile était visée par une demande d’exclusion présentée par le conseil du ministre. La demande d’exclusion a été rejetée par ce tribunal, qui a ensuite poursuivi la procédure et a examiné et tranché la demande d’inclusion.

[5]  La défenderesse a interjeté appel auprès de la SAR. Dans une décision en date du 12 décembre 2018, la SAR a accueilli l’appel, annulé la décision de la SPR et accordé l’asile à la défenderesse.

[6]  En accueillant l’appel, la SAR s’est limitée à formuler les commentaires qui suivent au sujet de la demande d’exclusion présentée par le ministre :

[17] Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) est intervenu auprès de la SPR en présentant des observations et des documents concernant une demande visant à faire déclarer l’appelante inadmissible à présenter une demande d’asile en raison de son statut de résident permanent. Le ministre a en outre participé à l’audience de la SPR sur la question de la crédibilité, mais il n’est pas intervenu dans le cadre du présent appel.

[18] La SPR a rejeté la demande visant à faire déclarer l’appelante inadmissible à présenter une demande d’asile. Elle a par la suite examiné la demande d’asile et a rendu une décision à l’égard de la question de l’inclusion, décision qui fait l’objet du présent appel.

[7]  La défenderesse soutient que le ministre aurait dû interjeter appel à l’égard de la décision d’exclusion conformément aux Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257, avant que ne soit examiné le fond de la demande d’asile; ou que le ministre aurait dû intervenir devant la SAR et présenter son argument relatif à l’exclusion en application de la section E de l’article premier. Elle affirme que, autrement, la décision quant à l’exclusion n’était pas une question visée par l’appel devant la SAR, et qu’il n’y avait par conséquent aucune raison pour que la SAR rende sa propre décision au sujet de l’exclusion en application de la section E de l’article premier. 

[8]  La question se pose maintenant parce que la SAR a traité la décision quant à l’exclusion et la décision quant au fond comme deux questions différentes. Un examen de la liste de contrôle des questions que doit trancher le commissaire de la SAR dans chaque dossier appelée Relevé de décision de la SAR (DCT aux pages 582 et 583) permet de constater qu’elle ne comporte aucune inscription dans la partie concernant l’exclusion. Cela se comprend étant donné que la demande d’exclusion et le fond de la demande d’asile ont été abordés dans deux séries de motifs distinctes. 

[9]  La SAR a restreint son examen au fond de la demande d’asile et n’a pas analysé la façon dont la SPR avait traité la demande d’exclusion du ministre : « [l]a SPR a rejeté la demande visant à faire déclarer l’appelante inadmissible à présenter une demande d’asile. Elle a par la suite examiné la demande d’asile et a rendu une décision à l’égard de la question de l’inclusion, décision qui fait l’objet du présent appel » (par. 18 des motifs de la décision quant au fond, non souligné dans l’original).

[10]  La difficulté en l’espèce tient à l’antinomie entre l’obligation de la SAR d’effectuer « sa propre analyse » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au par. 103 (Huruglica)) et l’alinéa 3(3)g), qui limite la portée d’un appel interjeté devant la SAR aux questions qui sont soulevées dans le mémoire de l’appelant. En l’espèce, c’est ce qui a entraîné le problème puisque Mme Kaler a eu gain de cause devant la SPR quant à l’exclusion de sorte que, et c’est compréhensible, elle n’a pas soulevé la question en appel.  

[11]  Il est reconnu que la SAR, quand elle examine une décision de la SPR, procède à un appel hybride : « après examen attentif de la décision de la SPR, la SAR doit effectuer sa propre analyse du dossier afin de décider si la SPR a bel et bien commis l’erreur alléguée par l’appelant » : Huruglica, au par. 103 (non souligné dans l’original). Ce faisant, dans la plupart des cas, la SAR examine la décision selon la norme de la décision correcte. Lorsqu’elle décide d’annuler la décision de la SPR, la SAR tranche l’affaire « en […] substituant sa propre décision sur le fond de la demande d’asile » : Ibid, sauf si elle conclut qu’elle ne peut rendre une décision définitive sans entendre des témoignages de vive voix (non souligné dans l’original).

[12]  Des juges de la Cour ont souligné que la SAR n’était pas tenue d’examiner des erreurs possibles que l’appelant n’avait pas relevées : Dhillon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 321 aux par. 18 à 20; Ilias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 661 au par. 39.

[13]  À cet égard, l’alinéa 3(3)g) des Règles de la SAR prévoit qu’il « incombe à l’appelant » de recenser les questions qu’il estime que la SAR devrait examiner, et les appelants qui négligent de le faire « le font à leurs risques et périls » : Ghauri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 548 aux par. 31 et 34. Dans la décision Broni c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 365 au par. 15, la juge McDonald a souligné cet élément en ces termes :

Bien que je souscrive à l’argument du demandeur voulant que la SAR a l’obligation de procéder à une évaluation indépendante de la preuve ainsi que de la décision de la SPR, cette obligation de la SAR s’inscrit dans les paramètres de l’alinéa 3(3)g) des Règles. Cet alinéa énonce clairement qu’il appartient au demandeur, et non à la SAR, de relever les erreurs commises par la SPR et de formuler des observations en conséquence. Il n’est ni logique ni raisonnable de s’attendre à ce que la SAR examine le dossier et trouve des éléments favorables au demandeur. En fait, cette approche a été précisément dénoncée dans la décision de principe Dhillon.

[14]  La décision du juge en chef dans l’affaire Dahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1102, est aussi utile, même si ces directives sont données dans un contexte où la Cour devait décider si elle pouvait entendre une question en contrôle judiciaire qui n’avait pas été soulevée dans l’avis d’appel de l’appelant devant la SAR :

[30] […]À mon avis, il ne fait aucun doute à la lumière de [l’alinéa 3(3)g)] que la SAR est tenue de se pencher précisément sur les erreurs qui auraient été commises par la SPR selon les allégations de l’appelant.

[31] En effet, cette position concorde avec le principe selon lequel la SAR doive effectuer « sa propre analyse du dossier afin de décider si la SPR a bel et bien commis l’erreur alléguée par l’appelant » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 103 [« Huruglica »], je souligne).

[32] Quoi qu’il en soit, la SAR est compétente pour trancher la question de savoir si d’autres erreurs ont été commises par la SPR. […]

[33] Une évaluation par la SAR en vue d’établir si une telle autre erreur aurait été commise concorderait avec les antécédents législatifs à l’origine de la création de la SAR, lesquels laissent croire que la SAR a été créée pour « servir de filet de sécurité puisqu’elle devait rattraper les erreurs de droit ou de fait de la SPR » (Huruglica, précité, au paragraphe 98).

[15]  Enfin, même lorsque la SPR commet une ou plusieurs erreurs dans sa décision, selon la jurisprudence, la SAR peut quand même confirmer la décision de la SPR, mais sur un autre fondement. Toutefois, avant de ce faire, la SAR doit donner aux parties un avis suffisant pour qu’elles puissent formuler des observations. Il va de soi que la SAR n’est pas tenue de donner un avis si le fondement sur lequel elle confirme la décision « peut raisonnablement être considéré comme découlant des questions en litige formulées par les parties »: Xu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 639 au par. 33.

[16]  Les principes qui s’appliquent selon la jurisprudence sont résumés en ces termes :

  • Lorsqu’une question est soulevée par l’appelant en vertu de l’alinéa 3(3)g) des Règles de la SAR, la SAR est tenue d’examiner le motif d’appel.

  • Lorsqu’une question n’est pas soulevée par l’appelant, la SAR peut quand même l’examiner si le commissaire estime qu’il est nécessaire de le faire. La SAR respecte l’équité procédurale si elle n’examine pas une question qui n’a pas été soulevée par l’appelant. De même, elle respecte l’équité procédurale si elle examine une question qui n’a pas été soulevée par l’appelant, tant que les parties reçoivent un avis à cet égard ou auraient dû savoir que la question pouvait être visée par l’appel.

  • Cependant, dans les cas où la SAR accorde l’asile après avoir effectué sa propre analyse, elle doit procéder à une analyse complète et exhaustive de toutes les questions pertinentes, exactement comme si la SPR avait effectué l’analyse d’une demande d’asile. Autrement dit, lorsque la SAR substitue sa propre décision quant au fond de la demande d’asile, elle doit procéder à sa propre appréciation afin d’établir si le demandeur d’asile a qualité de réfugié au sens de la Convention en vertu de l’art. 96 ou celle de personne à protéger en vertu de l’art. 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[17]  En appliquant les principes aux faits en l’espèce, même si la question de l’exclusion en application de la section E de l’article premier n’a pas été soulevée dans le mémoire présenté par Mme Kaler devant la SAR, la commissaire, avant d’accorder l’asile, était tenue d’examiner la question de savoir si l’exclusion s’appliquait. En fait, la SAR a accordé l’asile à la défenderesse sans examiner la question de savoir si celle-ci était exclue en application de la section E de l’article premier, même si la SPR avait rendu une décision à cet égard. Une telle décision ne peut pas être considérée comme appartenant aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au par. 47.

[18]  Cette conclusion n’impose pas un lourd fardeau aux commissaires de la SAR. Il était peut-être loisible à la SAR de n’examiner que brièvement la question de l’exclusion. Cependant, il était inadmissible qu’elle exclue la décision initiale de la SPR quant à l’exclusion de la portée de l’appel.

[19]  Il était déraisonnable et contraire aux directives données par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Huruglica que la SAR substitue à la décision de la SPR « sa propre décision sur le fond de la demande d’asile ». Selon les faits propres à chaque affaire, la SAR doit examiner les questions comme les exclusions en application de la section E de l’article premier, les possibilités de refuge intérieur, et la disponibilité de la protection de l’État avant de décider d’accorder l’asile.  

[20]  En ce qui concerne la réparation, le fait de donner à la même commissaire de la SAR la possibilité d’examiner la question de l’exclusion semble constituer une utilisation plus judicieuse des ressources, au lieu de renvoyer l’affaire à un tribunal différemment constitué pour qu’elle soit examinée à nouveau dans son ensemble, sauf, bien entendu, si, pour des raisons propres à l’institution, cette solution s’avérait impossible.  

[21]  Les parties conviennent que, dans cette situation particulière, cette réparation est celle qui convient le mieux.  

[22]  J’accueille la présente demande, et je renvoie l’affaire au même décideur pour qu’il inclue une décision en ce qui concerne la décision de la SPR quant à l’exclusion en application de la section E de l’article premier.

[23]  Aucune question n’a été présentée pour certification.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est accueillie, et la décision est renvoyée au même décideur, sauf si, pour des raisons propres à l’institution, cela s’avérait impossible, pour qu’il rende une décision concernant la décision de la SPR quant à l’exclusion en application de la section E de l’article premier

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Glennys McVeigh 

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 30e jour de janvier 2020.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-57-19

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c CHAMANPREET KAUR KALER

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (ColOmbie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 24 juin 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge MCVEIGH

DATE DES MOTIFS :

le 22 juillet  2019

COMPARUTIONS :

Brett J. Nash

POUR LE DEMANDEUR

Baldev S. Sandhu

pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique

POUR LE DEMANDEUR

Sandhu Law Office

Surrey (Colombie-Britannique)

 

pour la défenderesse

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.