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Date : 20200122


Dossier : IMM-515-19

Référence : 2020 CF 102

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Russel

ENTRE :

NIKOLETTA VARGA, ATTILA BALOGH ET ATTILA PATRIK BALOGH

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision, rendue le 4 janvier 2019 (la décision), par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) a refusé de reconnaître aux demandeurs la qualité de réfugiés ou celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

II.  CONTEXTE

[2]  Les demandeurs, Nikoletta Varga, Attila Balogh et leur fils, Attila Patrik Balogh, sont des citoyens roms de Hongrie. Madame Varga et son fils sont venus au Canada le 3 avril 2012, quelques mois après l’arrivée de M. Balogh, le 30 décembre 2011. Les demandeurs affirment avoir une crainte fondée de persécution en Hongrie en raison de leur origine ethnique rom.

A.  Nikoletta Varga

[3]  À son arrivée au Canada, Mme Varga a été détenue et interrogée au point d’entrée de Montréal par l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC). Selon les notes de l’agent chargé de l’entrevue, Mme Varga a affirmé qu’elle venait au Canada pour une période de 30 jours afin de rendre visite à un ami, Fauriss Kabeya, chez qui elle devait séjourner, et qu’elle n’avait pas peur de retourner en Hongrie parce qu’elle n’éprouvait aucun problème là-bas malgré son statut de Rom. Lorsqu’il a été contacté, Fauriss Kabeya a nié avoir invité Mme Varga à rester chez lui.

[4]  Quelques jours plus tard, le 13 avril 2012, Mme Varga a présenté une demande d’asile dans laquelle elle a indiqué, à la case 42, qu’elle avait peur de retourner dans son pays à cause des [traduction] « membres de la Garde hongroise et skinheads racistes ». À la case 43, elle a inscrit être venue au Canada parce que :

[traduction]

[...] J’étais persécutée. J’ai été maltraitée alors que j’étais enceinte de 17 semaines et j’ai fait une fausse couche. Je préférerais mourir plutôt que d’y retourner. Je crains pour la vie de mon enfant.

[5]  Dans sa demande d’asile, Mme Varga a également déclaré que son conjoint de fait, M. Attila Balogh, vivait actuellement au Canada.

[6]  Madame Varga a ensuite rempli son Formulaire de renseignements personnels (FRP) le 23 avril 2012. Elle y confirmait une fois de plus son identité rom et affirmait qu’elle demandait l’asile pour des raisons raciales, politiques et sociales. Un exposé circonstancié de deux pages était joint au FRP, dans lequel elle déclarait ce qui suit : (1) elle a généralement souffert de discrimination depuis l’enfance en raison de son origine ethnique; (2) elle a été agressée le 29 septembre 1998 par un groupe de nationalistes hongrois, qui l’a laissée inconsciente et lui a fait subir une fausse couche; et (3) elle a été agressée le 25 août 2009 par un groupe de la Garde hongroise à l’extérieur de l’immeuble où habitait son frère. Elle a par la suite modifié son FRP pour préciser qu’elle avait été violée pendant cette agression en 2009.

[7]  Premièrement, Mme Varga a allégué que, tout comme ses parents, elle avait été victime de discrimination toute sa vie. Elle a indiqué qu’enfant, elle avait été forcée de quitter l’école primaire parce qu’elle était ridiculisée par ses camarades de classe et ignorée par ses enseignants. Elle a affirmé qu’en tant qu’adulte, la discrimination faisait partie de sa vie quotidienne, puisqu’elle se voyait régulièrement refuser des emplois en raison de son origine ethnique et, si elle avait la chance d’obtenir un emploi, elle était forcée de travailler dans des conditions discriminatoires. Madame Varga a relevé, à titre d’exemple, que lorsqu’elle travaillait comme aide de cuisine, il lui était interdit d’entrer dans la zone où les aliments étaient préparés.

[8]  Deuxièmement, Mme Varga a affirmé avoir été agressée par un groupe de nationalistes hongrois le 29 septembre 1998, incident à la suite duquel elle avait fait une fausse couche alors qu’elle était enceinte de 17 semaines. Elle a fourni un rapport médical du service de gynécologie de l’hôpital Josa Andras, qui indiquait ce qui suit : (1) elle a affirmé qu’un agresseur inconnu s’en était pris à elle; (2) des signes visibles et des examens avaient confirmé cette affirmation; et (3) une fausse couche avait été provoquée. Le rapport indiquait que Mme Varga avait été admise à l’hôpital le 29 septembre 1998 (le jour même de l’incident présumé), et que la procédure chirurgicale avait eu lieu à cette date. Toutefois, il ne précisait pas quand Mme Varga avait obtenu son congé de l’hôpital. Le rapport mentionnait qu’il avait été transmis aux autorités policières compétentes.

[9]  Madame Varga a fourni un rapport médical supplémentaire du service de neurologie de l’hôpital Josa Andras détaillant son séjour de 4 jours à l’hôpital du 22 au 27 octobre 1998. Ce rapport réitérait la prétention de Mme Varga selon laquelle elle avait été agressée et avait fait une fausse couche en conséquence. Le rapport décrivait également les blessures à la tête subies par Mme Varga à cause de cette agression, et indiquait qu’elle était restée inconsciente pendant 10 secondes après celle-ci.

[10]  Bien que le rapport du 29 septembre 1998 ait été transmis aux autorités, la police n’a pas donné suite. Madame Varga a témoigné qu’elle s’était rendue à la police avec sa mère pour porter plainte après l’agression, mais qu’elle avait essuyé une rebuffade.

[11]  Troisièmement, Mme Varga a affirmé qu’elle avait été agressée et violée par des membres de la Garde hongroise le 25 août 2009, alors qu’elle sortait les ordures à l’appartement de son frère lors d’une fête. Madame Varga a affirmé que le temps était sombre et qu’elle avait dû attendre de 15 à 20 minutes avant que quelqu’un ne vienne à son secours. Elle a prétendu qu’elle avait d’abord crié à l’aide, mais que ses assaillants lui avaient aussitôt couvert la bouche. Après l’incident, son frère et M. Balogh l’avaient entendue crier, puis l’avaient trouvée en position fœtale. Madame Varga a affirmé n’avoir pas dit à M. Balogh qu’elle avait été violée. Elle a déclaré que sa mère était allée au poste de police pour signaler l’incident, mais que la police avait refusé d’agir.

[12]  Madame Varga a fourni cinq lettres rédigées par trois personnes à l’appui de son affirmation selon laquelle elle avait été agressée et violée en 2009. En particulier, la lettre d’Erzsbet Balogh, la belle‑sœur de Mme Varga, indiquait que cette dernière avait aperçu par la fenêtre de l’appartement cinq hommes attaquant une [traduction] « gitane ». En se portant au secours de la femme qui criait, on s’était rendu compte que c’était Mme Varga.

[13]  Madame Varga a affirmé qu’après l’agression de 2009, elle avait suivi un traitement psychiatrique en Hongrie jusqu’en 2012. Elle a fourni une lettre médicale signée par le Dr Alshahsoh Akeef en 2017 qui confirmait ce traitement et précisait que Mme Varga :

[traduction]

[S]ouffre d’anxiété, d’agitation, de trouble d’adaptation et de trouble de perte d’identité, en plus d’avoir subi une décompensation physique à la suite d’un viol par des skinheads hongrois en août 2009. Elle a reçu un traitement psychiatrique tant qu’elle est demeurée en Hongrie, c’est-à-dire jusqu’en mars 2012.

[14]  Madame Varga a affirmé avoir continué de suivre un traitement psychiatrique après son arrivée au Canada. Elle a fourni plusieurs rapports médicaux à l’appui de cette allégation, notamment :

  • une lettre de son médecin généraliste, le Dr Zaki, confirmant qu’elle était suivie par lui depuis cinq ans en raison d’une dépression sévère et d’un traumatisme, et qu’il [traduction] « sera[it] plus sûr et préférable pour le bien-être de [Mme Varga] qu’[elle] demeure au pays »;

  • un rapport de consultation de 2013, signé par le Dr Balci, du Centre de toxicomanie et de santé mentale, indiquant qu’elle présentait des symptômes de trouble de stress post‑traumatique (TSPT) et de trouble dépressif majeur;

  • un rapport de consultation de 2017 du Dr Abraham, du Centre de toxicomanie et de santé mentale, diagnostiquant chez elle un trouble dépressif majeur et un TSPT;

  • une lettre de 2018 signée par un conseiller du Centre canadien pour victimes de torture (CCVT) et confirmant que le centre avait aidé Mme Varga en lui offrant des services de counseling post‑traumatique à la suite des incidents survenus en Hongrie.

B.  Attila Balogh

[15]  Près d’un mois après son arrivée au Canada, soit le 28 janvier 2012, M. Balogh a déposé une demande d’asile. Dans cette demande, il indiquait, à la case 42, qu’il avait [traduction] « peur des membres de la Garde hongroise et des autres Hongrois qui haïssent les Tziganes ». Il déclarait également, à la case 43 :

[traduction]

J’ai fui la Hongrie après avoir été victime pendant des années de persécution en raison de ma race ou de mon appartenance à un groupe social en tant que tzigane. J’ai été physiquement maltraité par des membres de la Garde hongroise, menacé de mort par des gens qui m’ont envoyé des lettres anonymes et privé de travail, et j’ai redoublé à l’école. Tout cela parce que je suis un Tzigane. Ma femme s’est adressée à la police, une fois, mais on nous a ignorés. J’ai peur de la police, et elle ne nous aidera pas.

[16]  Monsieur Balogh a par la suite rempli son FRP le 2 février 2012. Il y confirmait, une fois de plus, qu’il était Rom et demandait l’asile pour des raisons raciales, nationales et sociales.

[17]  Lors de l’audience devant la SPR, M. Balogh a affirmé qu’il : (1) avait reçu plusieurs lettres de menaces à son endroit envoyées par des persécuteurs anonymes; (2) avait été agressé par un groupe de la Garde hongroise en 2010 alors qu’il rentrait chez lui à pied; et (3) avait été agressé par un groupe de la Garde hongroise à l’automne 2011, et ses agresseurs avaient aussi uriné sur lui. Il a en outre présenté un rapport de police relatant que la maison de sa sœur avait été vandalisée par un inconnu, qui avait peint une croix gammée sur son mur et écrit : [traduction] « Vous les Tziganes, vous allez mourir. »

[18]  En premier lieu, M. Balogh a affirmé avoir reçu entre 6 et 10 lettres anonymes qui lui étaient adressées, et dans lesquelles on menaçait de lui faire du mal, à lui et à sa famille, parce qu’ils étaient roms. Selon ses dires, à la suite de son départ pour le Canada, les lettres avaient été envoyées à la maison de sa mère jusqu’en 2016 environ.

[19]  En deuxième lieu, M. Balogh a affirmé qu’un groupe de la Garde hongroise l’avait agressé en 2010 tout en proférant des insultes raciales et en lui piétinant la main. Monsieur Balogh a témoigné qu’il n’avait pas porté plainte à la police, son médecin lui ayant conseillé de ne pas le faire parce que la police ne le croirait pas.

[20]  En troisième lieu, M. Balogh a déclaré, dans son témoignage, qu’il avait de nouveau été agressé par des membres de la Garde hongroise en 2011. Selon ses dires, ils l’avaient attrapé et jeté au sol et avaient commencé à le frapper. Il a indiqué qu’ils l’avaient par la suite fait se déshabiller, pour ensuite uriner sur lui. Monsieur Balogh a déclaré qu’il était allé voir la police avec Mme Varga pour porter plainte, mais qu’ils avaient été ridiculisés et rejetés par celle-ci.

[21]  En dernier lieu, M. Balogh a affirmé que les nationalistes hongrois étaient allés chez sa sœur, avaient jeté sa famille dehors et avaient vandalisé leur maison. Le graffiti comprenait une croix gammée ainsi que des écritures qui disaient : [traduction] « Vous les Tziganes, vous allez mourir. » Les demandeurs ont produit un rapport de police déposé par la sœur de M. Balogh, qui confirmait le graffiti et indiquait que le malfaiteur inconnu était entré illégalement dans la maison vide en forçant la porte. Dans ce rapport, il était également noté que l’enquête relative à une [traduction] « infraction contre la propriété » avait pris fin parce qu’on n’avait pas pu identifier l’auteur de celle-ci.

C.  Attila Patrik Balogh

[22]  Enfin, les demandeurs ont allégué que leur fils, Attila Patrik Balogh, avait été victime de persécution à l’école parce qu’il était rom. Ils ont affirmé qu’il avait pris du retard dans son cheminement scolaire, et qu’en en raison de son origine ethnique, on avait diagnostiqué à tort chez lui un [traduction] « niveau d’intelligence dans la zone de la déficience mentale légère ». Selon les demandeurs, ce n’était pas vrai, et leur fils n’était pas autorisé à participer en classe.

III.  DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[23]  Le 4 janvier 2019, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugiés ou de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR. La SPR a conclu que les demandeurs n’étaient pas parvenus à « établir de façon crédible […] leurs allégations de persécution et d’absence de protection de l’État » en Hongrie.

A.  Crédibilité et crainte fondée

[24]  La SPR a conclu que la grande majorité des allégations des demandeurs n’étaient pas crédibles.

[25]  Pour ce qui est des allégations de Mme Varga, la SPR a cru au fait qu’elle était rom et qu’elle avait généralement été victime de discrimination en Hongrie. Toutefois, la SPR a conclu qu’elle n’avait pas démontré de façon crédible que cette discrimination équivalait à de la persécution. Plus précisément, la SPR a estimé que les allégations de Mme Varga n’étaient pas dignes de foi pour les raisons suivantes : (1) les incohérences découlant de ses déclarations au point d’entrée; (2) l’insuffisance des rapports médicaux concernant sa santé mentale, le manque d’impartialité de ceux-ci et le hiatus dans le traitement de Mme Varga; (3) les omissions dans les rapports d’hôpital concernant l’incident de 1998 et l’absence de suivi de la part de la police à l’hôpital; et (4) les incohérences et les invraisemblances en ce qui a trait à l’incident de 2009.

[26]  Premièrement, la SPR a affirmé que Mme Varga avait déclaré, à la case 42 de sa demande d’asile : [traduction] « Je n’ai peur de personne, je veux simplement que vous sachiez qu’il n’y a pas de ressources pour vivre là-bas ». La SPR a fait remarquer qu’elle avait également indiqué, à la case 43 :

[traduction]

Comme il n’y a rien dans mon pays, pas de nourriture, pas d’emplois, je ne peux pas travailler. Comment puis-je nourrir ma famille? Je n’ai pas de quoi m’abriter, je n’ai pas de maison et je n’ai pas de nourriture. C’est pourquoi je suis ici. Je ne peux pas du tout subvenir aux besoins de ma famille.

[27]  La SPR a également relevé que Mme Varga avait déclaré à l’agent chargé de l’entrevue, au point d’entrée, qu’elle n’avait pas peur de retourner en Hongrie et qu’elle était au Canada pour rendre visite à un ami, Fauriss Kabeya, lequel a nié l’avoir invitée à rester chez lui.

[28]  La SPR a fait remarquer que ces déclarations étaient en contradiction directe avec son FRP, selon lequel elle demandait le statut de réfugiée ainsi que de personne à protéger en raison des actes de persécution dont elle était victime en Hongrie du fait de son origine ethnique, notamment les incidents violents de 1998 et 2009.

[29]  Puisque Mme Varga avait tout simplement nié avoir fait lesdites déclarations aux cases 42 et 43 de sa demande d’asile, et ajouté qu’elle ne se souvenait pas de ses réponses à l’entrevue au point d’entrée, la SPR a estimé que ses demandes de statut de réfugié et de personne à protéger n’étaient pas crédibles. La SPR a fait observer que l’agent chargé de l’entrevue n’aurait pas pu communiquer avec Fauriss Kabeya si Mme Varga n’avait pas fourni son nom et son numéro de téléphone. Elle a également déclaré qu’étant donné que Mme Varga se souvenait d’autres éléments de l’entrevue au point d’entrée, il était peu probable qu’elle ne se souvienne pas avoir fait ces déclarations. Par conséquent, la SPR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, Mme Varga n’avait pas de crainte fondée de persécution et qu’elle était plutôt venue au Canada pour des raisons économiques.

[30]  Deuxièmement, la SPR a soulevé plusieurs préoccupations quant à la suffisance et à la crédibilité des rapports médicaux fournis par les demandeurs, qui décrivaient l’état de santé mentale de Mme Varga depuis 2009. La SPR a conclu que la lettre du Dr Akeef qui, selon Mme Varga, aurait assuré son traitement psychologique en Hongrie, n’était pas fiable, car elle n’indiquait pas son domaine de pratique ni le nombre de fois où il avait vu Mme Varga. La SPR a également constaté que les rapports médicaux de Dr Balci et Dr Abraham, du Centre de toxicomanie et de santé mentale, n’étaient pas convaincants, car ces derniers n’avaient vu Mme Varga que deux fois, et le contenu des rapports était largement fondé sur l’information fournie par celle-ci. La SPR a également souligné que, dans sa lettre, le Dr Zaki, médecin généraliste de Mme Varga, avait franchi [traduction] « cette ligne intangible entre les soins médicaux et la défense des intérêts », vu son affirmation selon laquelle il serait préférable pour le bien-être de Mme Varga qu’elle reste au Canada.

[31]  Pour ces raisons, la SPR a déclaré qu’elle accordait moins de poids à la preuve médicale concernant la santé mentale de Mme Varga qu’elle ne l’aurait fait autrement. Cela étant, la SPR a conclu que les documents médicaux soumis ne permettaient pas d’établir que les incidents allégués avaient eu lieu. En outre, la SPR a fait remarquer que les trois années qu’il avait fallu à Mme Varga avant de s’adresser au CCVT pour obtenir de l’aide, après avoir été aiguillée par le Dr Balci en 2013, venaient miner ses allégations.

[32]  Troisièmement, la SPR a conclu que les omissions dans le rapport d’hôpital du 29 septembre 1998, ainsi que le témoignage de Mme Varga selon lequel la police ne s’était pas présentée à l’hôpital pour lui parler, minaient la crédibilité de son allégation selon laquelle elle avait été battue par des nationalistes hongrois et avait fait une fausse couche à la suite de cet incident. La SPR a déclaré qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que le rapport d’hôpital du 29 septembre 1998 mentionne que Mme Varga avait été transportée inconsciente en ambulance, et que, selon l’expertise spécialisée du tribunal, il était invraisemblable que la police ne soit pas allée à l’hôpital pour parler à Mme Varga.

[33]  Quatrièmement, la SPR a conclu que l’allégation de Mme Varga selon laquelle elle avait été agressée et violée par des membres de la Garde hongroise était incohérente et présentait des invraisemblances. À cet égard, la SPR a exprimé quatre grandes préoccupations. En premier lieu, elle a trouvé invraisemblable qu’il ait fallu 15 à 20 minutes pour que quelqu’un vienne à son aide, alors qu’elle se serait trouvée à proximité de l’immeuble de son frère. En deuxième lieu, la SPR a fait remarquer que Mme Varga avait présenté des versions contradictoires quant à savoir si elle avait demandé de l’aide durant l’incident. Bien qu’elle eut indiqué dans son FRP qu’elle avait crié à l’aide pendant l’agression, et qu’elle eut fourni plusieurs lettres de témoins l’ayant entendue crier, lorsqu’interrogée à l’audience à savoir pourquoi il avait fallu si longtemps avant que quelqu’un lui vienne en aide, elle a déclaré que sa bouche était couverte la majeure partie de l’incident. En troisième lieu, la SPR a fait état de plusieurs préoccupations concernant la lettre fournie par la sœur de Mme Varga, qui avait déclaré avoir entendu des cris et vu par la fenêtre cinq hommes agresser une [traduction] « gitane ». La SPR a jugé invraisemblable que sa sœur n’ait pas désigné Mme Varga par son nom, et estimé qu’elle aurait probablement reconnu la voix de Mme Varga en entendant ses appels à l’aide. De plus, étant donné le temps sombre qu’il faisait et les vêtements noirs portés par les assaillants, la sœur n’aurait probablement pas pu voir par la fenêtre cinq hommes agresser Mme Varga. Quatrièmement, en ce qui concerne l’allégation selon laquelle Mme Varga n’avait pas dit à M. Balogh qu’elle avait été violée, la SPR a conclu qu’il était « peu vraisemblable que [M. Balogh] se soit porté à son aide, l’ait découverte en posture fœtale et n’ait pas appris, si ce n’est immédiatement, qu’elle avait été violée ». Compte tenu de ces préoccupations, la SPR a rejeté l’allégation de Mme Varga selon laquelle elle avait été agressée et violée par des membres de la Garde hongroise.

[34]  En ce qui concerne les allégations de M. Balogh, la SPR a reconnu qu’il était rom et avait été généralement victime de discrimination en Hongrie. Toutefois, elle a conclu que trois des incidents allégués par M. Balogh n’étaient pas crédibles, et estimé que le quatrième, bien que crédible, n’équivalait pas à de la persécution.

[35]  Premièrement, la SPR a conclu que l’allégation de M. Balogh selon laquelle il avait reçu des lettres menaçantes en Hongrie, lettres désormais envoyées à sa mère à la suite de son déménagement au Canada, n’était pas crédible, puisque les lettres n’avaient été produites « que dans le but de soutenir la demande d’asile du demandeur d’asile ». Cette conclusion tenait à ce que M. Balogh avait déclaré ne pas savoir qui les avait écrites, malgré le fait que le ou les auteurs des lettres s’étaient adressés à lui par son nom et le connaissaient suffisamment bien pour envoyer des lettres à la maison de sa mère après son départ.

[36]  Deuxièmement, la SPR a jugé non crédible l’allégation de M. Balogh selon laquelle il avait été victime en 2010 d’une agression à caractère racial commise par des membres de la Garde hongroise. La SPR a conclu que, d’après son expertise spécialisée, il était peu probable que le médecin qui avait traité ses blessures lui ait conseillé de ne pas porter plainte à la police. La SPR a indiqué qu’au contraire, « le personnel médical a[vait] le devoir d’aviser la police » et que « [l]e signalement n’est habituellement pas laissé au patient ».

[37]  Troisièmement, la SPR n’a pas trouvé crédible l’allégation de M. Balogh selon laquelle sa sœur aurait été chassée de chez elle par des nationalistes hongrois, qui auraient ensuite vandalisé son domicile en peignant une croix gammée sur le mur. Bien que M. Balogh ait fourni un rapport de police accompagné de photos, la SPR a observé que ce rapport contredisait son récit, car il semblait que la maison était vide et verrouillée au moment du vandalisme.

[38]  Quatrièmement, la SPR a jugé crédible l’affirmation de M. Balogh selon laquelle, à l’automne 2011, il avait été agressé et s’était fait uriner dessus par un groupe d’hommes, puis avait été ridiculisé par la police lorsqu’il avait tenté de porter plainte. Toutefois, la SPR a conclu qu’elle n’était pas « convaincu[e] que le refus des policiers de recueillir la déclaration [de M. Balogh], bien que discriminatoire, fa[sse] en sorte que l’acte de discrimination en devienne un de persécution. ». En effet, selon la SPR, d’autres recours s’offraient à M. Balogh, notamment les nombreux organismes de surveillance chargés d’enquêter sur les plaintes contre la police.

[39]  Enfin, en ce qui concerne Attila Patrik Balogh, le fils de Mme Varga et M. Balogh, la SPR a estimé que trop peu d’éléments de preuve crédibles avaient été présentés pour établir que l’évaluation de ses capacités d’apprentissage faite par l’école avait un caractère raciste.

B.  Protection de l’État

[40]  La SPR a ensuite examiné l’argument des demandeurs selon lequel ils n’avaient pas bénéficié de la protection de l’État et n’en bénéficieraient pas non plus s’ils retournaient en Hongrie.

[41]  La SPR en est arrivée à la conclusion que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption selon laquelle ils bénéficiaient en Hongrie de la protection de l’État. En plus de juger non crédibles la grande majorité des allégations des demandeurs, la SPR a fondé cette conclusion sur le fait que M. Balogh n’avait pas épuisé les recours dont il disposait après que la police ait refusé de prendre sa déposition à la suite de l’incident de 2011, lequel, de l’avis de la SPR, avait été une agression aléatoire.

[42]  La SPR a fait remarquer que l’omission, par les autorités locales, d’assurer une protection ne voulait pas dire que l’État dans son ensemble n’était pas en mesure de protéger ses citoyens. De fait, la SPR a cité la décision rendue dans l’affaire Mudrak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 188 [Mudrak], où le juge Annis avait décrété qu’il y avait obligation de porter plainte auprès des organismes de surveillance compétents si la police ne fournissait pas une aide adéquate. Or en l’espèce, comme les demandeurs ne s’étaient pas prévalus de toutes les ressources dont ils disposaient dans leur pays, ils ne pouvaient obtenir la qualité de réfugiés.

[43]  La SPR a poursuivi en examinant la capacité générale de la Hongrie à protéger des personnes comme les demandeurs. Elle a fait remarquer que, pour l’application de l’article 96 de la LIPR, « il n’est pas nécessaire d’avoir personnellement été pris pour cible ou d’avoir fait l’objet de persécution dans le passé pour établir un risque. Il est possible d’établir la persécution en examinant la situation des personnes se trouvant dans une situation similaire » citant Balogh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 426, par. 19.

[44]  Au terme de son analyse de la protection offerte aux Roms en Hongrie, la SPR a conclu que « cette protection [était] suffisante sur le plan concret ». En citant un rapport de la BBC figurant dans le cartable national de documentation (le CND) dans lequel on reconnaissait que les Roms étaient toujours victimes de discrimination en Hongrie, et que certains policiers continuaient à se montrer hostiles envers les Roms, la SPR a estimé que la dissolution de la Garde hongroise en 2013, ainsi que le virage politique pris par le parti de droite Jobbik, avait considérablement réduit la menace qui pesait sur les Roms en Hongrie. Outre le cas de ces divers acteurs, la SPR a ensuite observé ce qui suit :

[…] le tribunal ne dispose d’aucun élément de preuve documentaire lui permettant de croire ou de conclure que d’autres groupes nationalistes ou de droite prennent aujourd’hui les Roms pour cible comme ils le faisaient au cours des années précédant le départ des demandeurs d’asile, ou que ces groupes sont appuyés par l’État.

[45]  La SPR s’est dite d’avis que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés du fardeau qui leur incombait de fournir des preuves claires et convaincantes de l’incapacité ou du refus de la Hongrie de les protéger, conformément aux principes qui sous-tendent la présomption de la protection de l’État ayant été reconnue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, p. 724-725. La SPR a en outre précisé, en citant la décision Camacho c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 830, par. 10, qu’un demandeur d’asile devait s’acquitter d’un lourd fardeau lorsque, comme en l’espèce, il alléguait une absence de protection de l’État dans une « démocratie fonctionnelle » comme la Hongrie.

IV.  QUESTIONS EN LITIGE

[46]  Les questions à trancher en l’espèce sont les suivantes :

  1. La SPR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité des allégations des demandeurs?

  2. La SPR a-t-elle commis une erreur dans son analyse du caractère adéquat de la protection de l’État offerte aux demandeurs en Hongrie?

V.  NORME DE CONTRÔLE

[47]  La présente demande a été débattue avant que la Cour suprême du Canada ne rende les récents arrêts Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] et Bell Canada c Canada (Procureur général), 2019 CSC 66. Le jugement de notre Cour a été mis en délibéré. Les observations des parties sur la norme de contrôle étaient donc fondées sur le cadre prévu par l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]. Cependant, compte tenu des circonstances de l’espèce et des directives énoncées par la Cour suprême du Canada au paragraphe 144 de l’arrêt Vavilov, notre Cour a conclu qu’il n’était pas nécessaire de demander aux parties de présenter des observations supplémentaires sur la norme de contrôle. En effet, j’ai appliqué le cadre établi par l’arrêt Vavilov à mon analyse de la demande, et ce cadre ne change rien à la norme de contrôle à employer, ni à mes conclusions.

[48]  Aux paragraphes 23 à 32 de l’arrêt Vavilov, les juges majoritaires ont tenté de simplifier la façon dont le tribunal détermine la norme de contrôle qui s’applique à l’égard des questions dont il est saisi. Les juges majoritaires se sont écartés de l’approche contextuelle et catégorielle adoptée dans l’arrêt Dunsmuir afin d’instituer une présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable est celle qui s’applique. Toutefois, ils ont signalé que cette présomption pouvait être réfutée : (1) dans le cas d’une intention claire du législateur de prescrire une autre norme de contrôle (Vavilov, aux paragraphes 33 à 52); et (2) dans certaines situations où la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte, par exemple dans le cas de questions constitutionnelles, de questions de droit générales d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et de questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs (Vavilov, aux paragraphes 53 à 64).

[49]  Les parties n’ont pas disconvenu que la norme de contrôle applicable en l’espèce était celle de la décision raisonnable.

[50]  Rien ne permet de réfuter la présomption suivant laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique en l’espèce. L’application de la norme de la décision raisonnable aux questions en litige est également conforme à la jurisprudence qui existait avant la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov. Voir Haastrup c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 711, par. 9, et Aissa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1156, par. 56, où il était question du contrôle des conclusions tirées par un décideur en matière de crédibilité; voir également Pava c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1239, par. 22; et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Neubauer, 2015 CF 260, par. 11, concernant le contrôle de l’évaluation, faite par un décideur, de la protection offerte par l’État.

[51]  Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse portera sur la question de savoir si la décision « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99). La norme de la décision raisonnable constitue une norme unique qui « s’adapte au contexte », lequel varie (Vavilov, par. 89, citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, par. 59). Ces contraintes d’ordre contextuel « cernent les limites et les contours de l’espace à l’intérieur duquel le décideur peut agir, ainsi que les types de solution qu’il peut retenir » (Vavilov, par. 90). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que lorsque la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, par. 100). La Cour suprême du Canada a mentionné deux catégories de lacunes fondamentales qui rendent une décision déraisonnable : (1) le manque de logique interne du raisonnement du décideur; et (2) le caractère indéfendable d’une décision « compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision » (Vavilov, par. 101).

VI.  DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[52]  Voici les dispositions de la LIPR applicables à la présente demande de contrôle judiciaire :

Définition de réfugié

Convention refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

VII.  ARGUMENTS

A.  Demandeurs

[53]  Les demandeurs soutiennent que la SPR a évalué de façon déraisonnable : (1) la crédibilité de leurs demandes en déformant et en ignorant des éléments de preuve essentiels; et (2) le caractère adéquat de la protection de l’État qui leur était offerte en Hongrie, non seulement en donnant préséance aux éléments de preuve généraux, au détriment des éléments de preuve précis présentés en l’espèce, mais aussi en concluant que la Hongrie est une démocratie pleinement fonctionnelle. Pour ces raisons, ils soutiennent que la Cour devrait accueillir le présent contrôle judiciaire et renvoyer leur affaire pour nouvel examen.

(1)  Crédibilité des demandes des demandeurs

[54]  Les demandeurs soutiennent que la SPR a évalué de façon déraisonnable les éléments de preuve dont elle était saisie dans son évaluation de la crédibilité de leurs demandes. Notamment, ils font valoir que la SPR : (1) a déformé les déclarations de Mme Varga aux cases 42 et 43 de sa demande d’asile; (2) a rejeté et ignoré indûment les éléments de preuve psychologiques dont elle était saisie; (3) a évalué de façon déraisonnable les rapports médicaux concernant l’incident de 1998; (4) a fondé de manière déraisonnable son rejet de l’incident de 2009 sur des conclusions périphériques et circonstancielles quant à la vraisemblance; et (5) n’a pas évalué pleinement la preuve concernant les motivations racistes à l’origine de l’acte de vandalisme commis à la maison de la sœur de M. Balogh.

[55]  Premièrement, les demandeurs soutiennent que la SPR a [traduction] « complètement déformé » les réponses de Mme Varga inscrites aux cases 42 et 43 de sa demande d’asile. En effet, la SPR a prétendu que Mme Varga avait déclaré, à la case 42 : [traduction] « Je n’ai peur de personne, je veux simplement que vous sachiez qu’il n’y a pas de ressources pour vivre là‑bas », et à la case 43, qu’elle se trouvait au Canada parce qu’il [traduction] « [...] n’y a[vait] rien dans [s]on pays, pas de nourriture, pas d’emplois […] », et qu’elle [traduction] « ne p[ouvait] pas travailler […] ». Les demandeurs soulignent que ces propos n’apparaissent nulle part dans la demande d’asile de Mme Varga. Ils ont fait remarquer qu’en réalité, à la case 42, Mme Varga disait avoir peur de retourner dans son pays à cause des [traduction] « membres de la Garde hongroise et skinheads racistes », tandis qu’à la case 43, elle déclarait ce qui suit au sujet des raisons de sa venue au Canada :

[traduction]

[...] J’étais persécutée. J’ai été maltraitée alors que j’étais enceinte de 17 semaines et j’ai fait une fausse couche. Je ne veux pas y retourner et préfère mourir. Je crains pour la vie de mon enfant.

[56]  Les demandeurs soutiennent que cette déformation des éléments de preuve justifie à elle seule de faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire, car cette incohérence perçue a joué un rôle fondamental dans la conclusion relative à la crédibilité des allégations des demandeurs. Les demandeurs invoquent, à l’appui de leur position, la décision de la Cour dans l’affaire Cuevas Cornejo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1184, par. 6.

[57]  Deuxièmement, les demandeurs soutiennent que la SPR a écarté et ignoré indûment les nombreux éléments de preuve psychologiques présentés en l’espèce. Ils affirment qu’il n’était pas approprié, pour la SPR, de fonder son rejet de la preuve psychologique en grande partie sur le fait que le récit du traumatisme avait été fait par Mme Varga elle-même, dans la mesure où cela va à l’encontre la jurisprudence de la Cour. Voir BC c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 826, par. 19. En outre, les demandeurs avancent que la SPR a commis une erreur en écartant des éléments de preuve psychologiques principalement pour des raisons de forme, par exemple le rapport du Dr Akeef, dont la SPR n’a pas tenu compte parce qu’il n’indiquait pas clairement son domaine de pratique. Les demandeurs affirment qu’il va de soi que le Dr Akeef a administré le traitement psychiatrique indiqué dans son rapport. Enfin, les demandeurs soutiennent que les nombreux éléments de preuve psychologiques démontrent de façon convaincante que Mme Varga souffre de TSPT et d’une grave dépression en conséquence de la persécution qu’elle aurait subie en Hongrie.

[58]  Troisièmement, les demandeurs soutiennent que la SPR a conclu de façon déraisonnable que les allégations des demandeurs concernant l’agression violente commise contre Mme Varga en 1998 étaient invraisemblables, parce qu’elle s’est concentrée sur ce qui ne se trouvait pas dans les rapports plutôt que sur ce qui y figurait. Ils soutiennent qu’il était déraisonnable de la part de la SPR d’ignorer complètement le fait que les rapports confirment le récit de Mme Varga sur l’incident de 1998, en se concentrant plutôt arbitrairement sur le fait que les rapports ne mentionnent pas l’état inconscient de Mme Varga et son transport en ambulance. Les demandeurs affirment que ce défaut de tenir compte des éléments de preuve corroborant leurs allégations est déraisonnable. Ils font valoir que la Cour a déjà statué que le défaut de reconnaître des éléments de preuve essentiels et importants constituait une erreur susceptible de révision, en citant à cet effet la décision Johal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF no 1760, par. 10.

[59]  Quatrièmement, les demandeurs soutiennent que la SPR a déraisonnablement fondé son rejet de l’incident de 2009 sur des constatations accessoires et circonstancielles quant à la vraisemblance, notamment le temps qu’il avait fallu à quelqu’un pour venir en aide à Mme Varga et la question de savoir si elle avait ou non crié à l’aide. Les demandeurs soutiennent que les lettres fournies ne se sont pas vu accorder le poids qu’il convenait, étant donné qu’elles corroborent clairement le récit qu’a fait Mme Varga de l’incident de 2009.

[60]  Les demandeurs affirment également que la SPR n’a pas évalué pleinement la preuve concernant les motivations racistes derrière l’acte de vandalisme commis à la maison de la sœur de M. Balogh. Bien qu’il soit clair que l’acte de vandalisme constituait un crime haineux à caractère racial, compte tenu de la croix gammée et du texte disant [traduction] « Vous les Tziganes, vous allez mourir », la police l’a tout simplement classé dans son rapport comme étant une infraction contre les biens et a refusé d’enquêter plus avant. Les demandeurs soutiennent donc que la SPR a agi de façon déraisonnable en se concentrant sur la question de savoir si la maison était habitée ou non, plutôt que sur les motivations racistes à l’origine du crime et sur le fait que la police n’a pas poussé l’enquête plus loin. Cela rend déraisonnable la conclusion en matière de crédibilité tirée par la SPR à l’égard de l’incident de vandalisme.

(2)  Analyse de la protection de l’État

[61]  Les demandeurs soutiennent que l’analyse, par la SPR, du caractère adéquat de la protection de l’État qui leur est offerte était déraisonnable, compte tenu du défaut systématique de la police de les aider et de les protéger. La SPR s’est indûment concentrée sur des éléments de preuve généraux pour évaluer si la protection de l’État en Hongrie était suffisante pour protéger les demandeurs contre la persécution, tout en ignorant des éléments de preuve précis soumis en l’espèce qui contredisaient directement ses conclusions. En tout état de cause, les demandeurs avancent également que la SPR a fondé sa conclusion voulant qu’il existe une protection adéquate de l’État en Hongrie sur le fait que ce pays est une démocratie pleinement fonctionnelle, conclusion que les demandeurs affirment être déraisonnable, compte tenu de l’accablante preuve du contraire.

[62]  En premier lieu, les demandeurs affirment qu’ils ont cité plusieurs cas où la police avait refusé de les aider pour des motifs discriminatoires. Ils rappellent que la police a tourné M. Balogh en ridicule et refusé de l’aider à la suite de l’incident de 2011, au cours duquel il a été agressé et s’est fait uriner dessus par des membres de la Garde hongroise — récit qui a par ailleurs été reconnu comme crédible par la SPR. Ils ajoutent qu’il s’agit là d’éléments de preuve directs de l’insuffisance de la protection de l’État qui leur est offerte en Hongrie, et que la Cour a déjà clairement établi que les efforts déployés par l’État pour lutter contre la discrimination, notamment sous forme d’organismes de surveillance, ne suffisent pas à établir la possibilité de se prévaloir d’une protection de l’État lorsque les éléments de preuve font état de problèmes ou d’un manque de volonté de l’État pour ce qui est d’offrir une protection. Voir Elcock (Milkson) c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 175 FTR 116, par. 15.

[63]  Qui plus est, les demandeurs avancent que le rapport de police sur l’acte de vandalisme commis à la maison de la sœur de M. Balogh — dans lequel la police qualifiait l’acte en question d’infraction contre les biens plutôt que de crime haineux et indiquait refuser d’enquêter plus avant —est une preuve supplémentaire de l’insuffisance de la protection de l’État en Hongrie. En fait, les demandeurs affirment que cet élément de preuve concorde parfaitement avec le point 4.3 du CND, qui reconnaît que les crimes haineux contre les Roms font rarement l’objet de poursuites.

[64]  Par conséquent, les demandeurs affirment que l’évaluation par la SPR de la protection de l’État qui leur est offerte est déraisonnable, car elle ne tient pas dûment compte des éléments de preuve précis et essentiels dont cette dernière était saisie, et qui contredisent les conclusions tirées par la SPR sur la base d’éléments de preuve plus généraux concernant la situation en Hongrie.

[65]  Enfin, les demandeurs font valoir que la conclusion de la SPR, selon laquelle une protection adéquate de l’État leur est offerte en Hongrie parce que ce pays est une démocratie pleinement fonctionnelle, est erronée. Les demandeurs soutiennent que les éléments de preuve figurant dans le CND, lorsque sont considérés dans leur ensemble, démontrent clairement que les normes démocratiques et la primauté du droit ne sont pas rigoureusement appliquées en Hongrie. Ils rappellent que l’Union européenne a sanctionné la Hongrie pour une régression de la primauté du droit, l’absence d’élections libres et équitables, la restriction par l’État de la libre expression politique et médiatique et son inefficacité à protéger les Roms et à favoriser leur épanouissement. En outre, les demandeurs invoquent les conclusions de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Commission de Venise selon lesquelles le degré d’inobservation par la Hongrie des obligations que lui impose le droit international s’est considérablement accru ces dernières années.

B.  Défendeur

[66]  Le défendeur soutient que les conclusions de la SPR concernant la crédibilité des allégations des demandeurs et le caractère adéquat de la protection de l’État en Hongrie sont raisonnables et appellent une retenue considérable de la part de la Cour.

(1)  Crédibilité des demandes des demandeurs

[67]  Le défendeur fait remarquer que la preuve médicale du traitement psychologique suivi par Mme Varga ne peut permettre de surmonter les incohérences et les invraisemblances dans les allégations des demandeurs. Essentiellement, le défendeur soutient que, une fois les principaux incidents allégués par les demandeurs jugés non crédibles, il ne restait rien pour appuyer le diagnostic psychologique de Mme Varga.

[68]  Bien que le défendeur reconnaisse qu’il y a une certaine confusion dans la décision concernant les déclarations de Mme Varga aux cases 42 et 43 de sa demande d’asile, il fait remarquer qu’il subsiste des preuves évidentes des incohérences entre les déclarations de Mme Varga au point d’entrée, son FRP et sa demande d’asile. En fait, le défendeur fait remarquer que, peu importe le contenu de ses déclarations aux cases 42 et 43 de sa demande d’asile, il demeure évident que Mme Varga a déclaré qu’elle venait au Canada pour rendre visite à un ami du nom de Fauriss Kabeya, et qu’elle n’avait aucune crainte de retourner en Hongrie parce qu’elle n’éprouvait aucun problème là-bas malgré son identité rom. Ces incohérences manifestes dans le récit des demandeurs minent la crédibilité de leurs allégations.

[69]  Le défendeur affirme également qu’il incombe aux demandeurs de démontrer que certains effets sont causés par la persécution présumée. Mais ils ne l’ont pas fait en l’espèce. Le défendeur ajoute que la preuve médicale ne démontre pas la cause du traumatisme invoqué. Parallèlement, il affirme que les rapports médicaux concernant la fausse couche présumée de Mme Varga en 1998 ne permettent pas d’établir qu’elle a été causée par un groupe de nationalistes hongrois.

(2)  Analyse de la protection de l’État

[70]  Le défendeur soutient qu’étant donné que la SPR avait conclu que la plupart des allégations des demandeurs et les éléments de preuve précis s’y rattachant n’étaient pas crédibles, elle devait s’appuyer principalement sur des éléments de preuve relatifs à la situation générale des Roms en Hongrie.

[71]  Le défendeur fait remarquer qu’il incombe aux demandeurs de démontrer qu’ils ont épuisé tous les recours dont ils pouvaient raisonnablement se prévaloir pour être protégés dans leur pays, et que la protection de l’État s’est par la suite avérée inadéquate. Le défendeur souligne qu’il s’agit là d’un lourd fardeau de preuve, surtout dans le cas de pays démocratiques comme la Hongrie. Par conséquent, étant donné que les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils avaient épuisé tous les recours dont ils pouvaient raisonnablement se prévaloir pour obtenir une protection de l’État, la conclusion de la SPR était raisonnable.

[72]  De surcroît, le défendeur souligne que la SPR a fondé sa décision concernant le caractère adéquat de la protection de l’État en Hongrie sur la jurisprudence de la Cour. Il cite notamment les décisions Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004; Mudrak, précitée; Balogh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 426; et Venter c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 674.

[73]  En résumé, compte tenu des graves incohérences et invraisemblances dans les allégations des demandeurs, de leur incapacité à démontrer qu’ils avaient épuisé tous les recours dont ils pouvaient raisonnablement se prévaloir pour obtenir la protection de l’État en Hongrie, et de l’abondante jurisprudence reconnaissant le caractère adéquat de la protection de l’État en Hongrie pour les Roms, le défendeur soutient que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

VIII.  ANALYSE

[74]  Les affaires mettant en cause des Roms continuent inévitablement de poser des difficultés pour la SPR et la Cour. Il est admis que les Roms sont victimes de discrimination générale en Hongrie. Toutefois, la discrimination générale ne suffit pas à établir le besoin de protection au Canada au sens des articles 96 et 97 de la LIPR. En l’espèce, la SPR a clairement indiqué que :

[L]e fait que les Roms fassent l’objet de discrimination en Hongrie n’est pas contesté. La question à trancher en l’espèce était toutefois celle de savoir si les demandeurs d’asile pouvaient établir de façon crédible […] leurs allégations de persécution et d’absence de protection de l’État.

[75]  Dans le cas de Mme Varga, la SPR a conclu qu’elle n’avait pas été en mesure d’établir que l’incident au centre de sa demande s’était produit :

[61]  Par conséquent, compte tenu de sa conclusion quant à la crédibilité, selon laquelle le témoignage était incohérent, contradictoire et invraisemblable, le tribunal estime que la crédibilité de l’allégation de la demandeure d’asile principale, selon laquelle elle a été victime d’un viol par des membres de la Garde hongroise le 25 août 2009, est gravement minée. Le tribunal est donc d’avis qu’il y a des motifs valables de douter de l’allégation de la demandeure d’asile principale selon laquelle, le 25 août 2009, des membres de la Garde hongroise l’ont agressée à l’extérieur de l’immeuble où vivaient son frère et sa belle sœur et de rejeter cette allégation. De même, le tribunal doute de l’allégation de la demandeure d’asile principale selon laquelle un ou plusieurs membres de la Garde hongroise l’ont violée pendant l’agression et rejette cette allégation.

[76]  En outre, la SPR a estimé que Mme Varga n’était pas parvenue à établir que d’autres incidents qu’elle avait vécus équivalaient à de la persécution :

[64]  Le tribunal ne doute pas que la demandeure d’asile principale ait subi ce genre de discrimination et ait probablement été victime de harcèlement qui, selon la preuve documentaire, est le lot de bon nombre de Roms. Elle a elle même déclaré que la discrimination qu’elle avait subie était celle à laquelle les Roms sont exposés en général. Le tribunal n’est pas convaincu que la demandeure d’asile principale ait présenté suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour établir que les incidents discriminatoires qu’elle a vécus équivalent à de la persécution.

[77]  Par ailleurs, dans le cas de M. Balogh, la SPR a conclu qu’il avait été en mesure d’établir la crédibilité d’une agression survenue à l’automne 2011 :

[70]  Le demandeur d’asile adulte a déclaré que, la deuxième fois où il a été agressé, il s’est rendu au poste de police, mais que les policiers ont ri de lui et qu’ils ont refusé de rédiger un rapport.  Lors de cet incident, les agresseurs avaient uriné sur lui.  La conseil des demandeurs d’asile a affirmé que celui-ci était émotif à juste titre au moment de raconter son expérience. Il a mentionné que la réaction cavalière des policiers lui avait causé une telle détresse qu’il avait pleuré pendant deux jours. Cet événement a marqué un tournant dans sa vie et est à l’origine de sa décision de venir au Canada. Le tribunal reconnaît que, si les faits sont vrais, il s’agirait d’un incident manifeste de discrimination, car la police l’aurait traité différemment en raison de son origine ethnique. Il s’agit probablement là, de l’avis du tribunal, du seul incident crédible parmi les incidents allégués par le demandeur d’asile adulte.

[78]  En dépit de ces constatations, la SPR a conclu que ni Mme Varga, ni M. Balogh n’avaient réfuté la présomption de l’existence d’une protection adéquate de l’État :

[111]  C’est dans le contexte de ces opinions divergentes sur la protection de l’État que le tribunal doit essayer de trancher la question de savoir si les demandeurs d’asile ont réfuté la présomption de protection de l’État. En l’espèce, le tribunal estime que, selon la prépondérance des probabilités, les demandeurs d’asile n’ont pas établi de façon crédible qu’ils s’étaient acquittés du fardeau de la preuve qui leur incombait pour ce qui est de leurs tentatives d’obtenir la protection de l’État.  La demandeure d’asile principale a prétendu qu’elle s’était rendue au poste de police pour signaler l’agression à la suite de laquelle elle a fait une fausse couche, mais qu’elle avait essuyé une rebuffade.  Elle a allégué que sa mère avait tenté de signaler l’incident du 25 août 2009, mais qu’elle avait également essuyé une rebuffade.  Compte tenu de la conclusion du tribunal au sujet du premier rapport de police et de ses conclusions quant à la crédibilité en ce qui concerne le viol, le tribunal est d’avis qu’il dispose de peu d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour soutenir une conclusion selon laquelle la demandeure d’asile principale a tenté d’obtenir la protection de l’État, mais en vain.

[112]  Bien que le tribunal admette que le demandeur d’asile adulte a probablement cherché à obtenir la protection de l’État après la deuxième agression, il est également évident qu’il n’a rien tenté de plus pour faire respecter ses droits. Il n’a porté plainte à aucun des organismes institués à cette fin.  Il a simplement décidé de venir au Canada, ce qu’il a fait.

[113]  Dans le cas de la demandeure d’asile principale, il n’est cependant pas clair aux yeux du tribunal qu’elle ait tenté de quelque manière d’obtenir la protection de l’État.  Par conséquent, elle ne satisfait pas à la condition énoncée dans la décision Ruszo, à savoir qu’un demandeur d’asile doit prendre des mesures raisonnables pour épuiser toutes les avenues raisonnablement existantes dans l’État d’origine avant de demander l’asile à l’extérieur.

[114]  En ce qui concerne le demandeur d’asile adulte, la question est celle de savoir si le refus des policiers d’enquêter sur l’incident où des gens avaient uriné sur lui constitue un défaut de protection de l’État, de sorte qu’il soit possible d’affirmer qu’il n’aurait aucune chance d’obtenir la protection de l’État dans l’avenir.

[…]

[117]  Après avoir examiné attentivement tous les éléments de preuve, le tribunal conclut que les demandeurs d’asile n’ont pas réfuté la présomption de protection de l’État.  En fait, la demandeure d’asile principale n’a pas établi de façon fiable avoir fait des efforts pour l’obtenir, et le demandeur d’asile adulte ne s’est pas adressé aux organismes de surveillance policière en place pour mener sa plainte à bon port. Il lui était loisible de déposer sa plainte devant l’un des organes existants, mais il ne l’a pas fait.

[Renvois omis.]

[79]  En ce qui concerne le demandeur mineur, les demandeurs principaux n’ont pas été en mesure d’établir l’un ou l’autre des risques visés aux articles 96 et 97 :

[73]  Il est possible que les demandeurs d’asile aient raison. Il semble toutefois que, d’après le rapport, il y ait eu une évaluation exhaustive des aptitudes de Patrick dans un éventail de tâches. Cette évaluation révèle que celui-ci fonctionnait comme il se doit dans certaines tâches et moins bien dans de nombreux domaines cognitifs. Il semble aussi que l’âge ait constitué un facteur aggravant, car il semblait plus âgé et plus grand que les élèves de sa classe.

[74]  Quelles que soient les opinions des demandeurs d’asile, le tribunal n’est pas prêt, faute d’une évaluation comparative, à conclure que l’évaluation hongroise démontre le racisme foncier des Hongrois envers les enfants roms, et Patrick en particulier.

A.  Nikoletta Varga

[80]  Les conclusions tirées par la SPR en matière de crédibilité à l’égard de Mme Varga sont déraisonnables, notamment pour les raisons ci-après.

(1)  Déformation du témoignage aux cases 42 et 43

[81]  La SPR a déformé le témoignage consigné par Mme Varga aux cases 42 et 43 de son formulaire de demande d’asile. Madame Varga n’a pas allégué qu’elle ne craignait pas la persécution en Hongrie ni qu’elle n’avait pas peur d’y retourner. Elle a plutôt indiqué clairement dans ses réponses, aux cases 42 et 43, qu’elle avait peur des [traduction] « membres de la Garde hongroises et skinheads racistes » et qu’elle était venue au Canada [traduction] « parce [qu’elle était] persécutée », qu’elle avait été [traduction] « maltraitée » alors qu’elle était [traduction] « enceinte de 17 semaines et [qu’elle a fait] une fausse couche ». Elle a aussi dit qu’elle préférait mourir que d’y retourner.

[82]  À mon avis, le fait que la SPR ait sérieusement déformé un témoignage sur une question essentielle à sa décision vicie l’intégralité de sa conclusion quant à la crédibilité de Mme Varga, parce qu’elle imprègne tout le reste de la décision. Le fait que l’agent de l’ASFC au point d’entrée ait noté que Mme Varga avait dit n’éprouver aucun problème en Hongrie et n’avoir pas peur d’y retourner ne remédie pas au fait que la SPR s’est appuyée largement sur les réponses contenues dans les cases 42 et 43, réponses toutefois déformées et qui n’avaient pas été données par Mme Varga. Cette note ne fournit pas non plus un contexte suffisant pour permettre à la Cour de déterminer si Mme Varga comprenait vraiment ce que l’agent lui demandait.

[83]  Quoi qu’il en soit, la SPR ne se penche pas sur cet écart marqué entre les notes de l’agent et les réponses de Mme Varga aux cases 43 et 43. En outre, la Cour n’a aucun moyen de savoir si les conclusions générales de la SPR quant à la crédibilité de Mme Varga auraient été les mêmes si elle n’avait pas déformé les réponses de Mme Varga données aux cases 42 et 43 de son formulaire de demande d’asile.

(2)  Application des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe

[84]  Madame Varga n’a pas divulgué d’emblée son viol à l’ASFC, ni dans son premier FRP. Cependant, elle a modifié son exposé circonstancié, et des éléments de preuve indiquent qu’elle a discuté avec les professionnels de la santé qui la suivaient des violences sexuelles subies. La réticence initiale de Mme Varga et son défaut de révéler son viol, au point d’entrée ou autrement, n’ont pas été traités de manière raisonnable, conformément aux Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe, publiées le 13 novembre 1996 [les Directives] et à la jurisprudence de la Cour. Voir la décision Lumaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 763, par. 65-66 :

[65]   Deuxièmement, la SPR n’a pas tenu suffisamment compte du témoignage de la demanderesse principale suivant lequel, en Albanie, le viol est honteux et est perçu comme un déshonneur pour la famille de la victime [...] À mon avis, la SPR n’a tenu compte que pour la forme des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, qui prévoient expressément ce qui suit :

Les femmes provenant de sociétés où la préservation de la virginité ou la dignité de l’épouse constitue la norme culturelle peuvent être réticentes à parler de la violence sexuelle dont elles ont été victimes afin de garder leur sentiment de « honte » pour elles-mêmes et de ne pas déshonorer leur famille.

[66]  Il ne s’ensuit pas pour autant que la SPR ne pouvait conclure que le récit du viol n’était pas crédible. Elle était toutefois obligée d’examiner les explications de la demanderesse de façon plus approfondie et de le faire en renvoyant aux Directives concernant la persécution fondée sur le sexe (décision Khon, précitée, au paragraphe 20).

(3)  Omission d’examiner les éléments de preuve relatifs aux services de counseling et à l’aide médicale

[85]  La SPR a blâmé Mme Varga pour ne pas avoir cherché à obtenir de traitement psychiatrique auprès du Centre canadien pour victimes de torture après avoir été informée de l’existence de celui-ci lors de son évaluation psychiatrique, en 2013. Elle a tiré une conclusion défavorable de cette omission. Néanmoins, la SPR n’a pas tenu compte comme il se devait des services de counseling et des soins médicaux que Mme Varga a demandés et obtenus auprès d’autres organisations entre 2013 et 2017.

(4)  Analyse de la lettre du Dr Akeef

[86]  La SPR a déraisonnablement écarté la lettre du Dr Akeef (le médecin hongrois de Mme Varga) au motif qu’elle ne précisait ni comment Mme Varga avait été dirigée vers lui, ni son domaine de spécialité. Ce faisant, elle a n’a pas tenu compte du fait que la lettre confirme clairement le viol survenu en 2009.

(5)  Omission de mentionner le rapport médical de 2017 du Centre de toxicomanie et de santé mentale

[87]  La SPR a écarté l’évaluation du Centre de toxicomanie et de santé mentale de 2013 parce qu’elle ne contenait pas de preuve d’un examen clinique ni d’une méthodologie de diagnostic, et que Mme Varga n’avait pas révélé son viol lors de sa première rencontre avec un professionnel de la santé au Canada. Ce faisant, la SPR n’a pas mentionné le rapport de 2017 qui répondait à ses préoccupations.

(6)  Analyse de l’omission de divulguer le viol

[88]  La SPR a rejeté de manière générale les rapports et les diagnostics sur la santé mentale parce qu’ils n’indiquaient pas les raisons pour lesquelles Mme Varga n’avait pas révélé qu’elle avait été violée à l’agent de l’ASFC au point d’entrée. Or Mme Varga a dit clairement qu’elle avait eu de la difficulté à révéler son viol à quiconque, à l’exception de sa mère. En fait, les diagnostics médicaux confirment que Mme Varga souffre de TSPT et de dépression depuis qu’elle a été agressée en Hongrie en 2009, mais aussi qu’elle a demandé de l’aide psychiatrique en Hongrie et au Canada et qu’elle prend des médicaments d’ordonnance pour soigner ses troubles.

(7)  Rapports médicaux relatifs à l’incident de 1998

[89]  La SPR a fait abstraction des éléments de preuve fournis par des spécialistes en soins médicaux hongrois qui l’ont examinée physiquement au lendemain de l’agression de 1998 (ainsi que quelques semaines plus tard). Cette preuve confirme qu’elle a été battue et frappée à la tête.

(8)  Évaluation de l’incident de viol

[90]  L’évaluation faite par la SPR de l’incident de viol au cœur de la demande est fondée sur des invraisemblances circonstancielles qui ne trouvent aucun fondement dans la preuve ni autrement, et qui ne tiennent pas compte des éléments de preuve contenus dans les rapports venant étayer la demande d’asile de Mme Varga.

B.  Attila Balogh

[91]  Monsieur Balogh a fondé sa demande d’asile sur une série de lettres qui le menaçaient de préjudices physiques ainsi que sur deux incidents violents, l’un survenu en août 2010, lorsque cinq hommes habillés en noir l’ont battu, et l’autre à l’automne 2011, lorsque plusieurs hommes en voiture l’ont harcelé et frappé.

[92]  La SPR a conclu que le témoignage de M. Balogh au sujet des lettres « était alambiqué et invraisemblable et n’était pas conforme à ce à quoi il serait raisonnable de s’attendre dans les circonstances ». Au paragraphe 67, la SPR fait remarquer ce qui suit :

Le tribunal a évalué le caractère vraisemblable du témoignage du demandeur d’asile adulte et de son explication au sujet des lettres. Pour les motifs qui suivent, le tribunal estime que le témoignage n’est pas vraisemblable. Le demandeur d’asile adulte a déclaré avoir vécu en dernier avec sa mère à un certain moment avant 2011. Il demeurait à une heure de route avec sa famille, sa sœur et sa famille à elle. Il a affirmé que sa mère avait commencé à recevoir des lettres qui lui étaient adressées après son départ pour le Canada et qu’elle avait continué à en recevoir pendant cinq ans. Comme le demandeur d’asile était déjà au Canada lorsque sa mère a commencé à recevoir des lettres, le tribunal estime peu plausible que le ou les auteurs de ces lettres s’adressent à lui nommément. Le tribunal en déduit que, si le ou les auteurs le connaissaient au point de connaître son nom, ils savaient aussi probablement qu’il avait quitté la Hongrie, d’où l’improbabilité qu’ils aient commencé à envoyer au domicile de sa mère des lettres qui lui étaient adressées. Le tribunal conclut que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur d’asile adulte et sa mère n’ont pas reçu de lettres de harcèlement et que les lettres n’ont été produites que dans le but de soutenir la demande d’asile du demandeur d’asile.

[93]  En ce qui concerne l’attaque violente de 2010, M. Balogh a déclaré dans son témoignage qu’il n’avait pas signalé l’incident à la police parce que son médecin lui avait conseillé de ne pas le faire. La SPR a trouvé cette explication invraisemblable :

[68]  Le demandeur d’asile adulte a décrit deux incidents violents qui auraient eu lieu selon lui en août 2010 et à l’automne de 2011. Lors du premier incident, il se rendait à pied à la maison. Il a alors aperçu quatre ou cinq personnes vêtues de noir. Espérant les éviter, il a traversé la rue, mais ils ont fait de même. Un des agresseurs lui a piétiné la main, lui causant ainsi une lésion à un doigt.  Les assaillants ont proféré des insultes raciales pendant qu’ils le battaient. Il a déclaré ne pas avoir signalé l’incident à la police, parce que le médecin qui l’avait soigné le lui avait déconseillé. Il a précisé que, lorsqu’il avait raconté au médecin ce qui lui était arrivé, celui-ci lui avait dit que la police ne le croirait pas. Il était donc retourné chez lui sans qu’un rapport de police soit déposé

[69]  Le tribunal a tenu compte du témoignage du demandeur d’asile adulte à la lumière des connaissances spécialisées qu’il a acquises en instruisant des demandes d’asile à l’égard de la Hongrie. Le tribunal sait que, en cas d’agression physique contre des patients, le personnel médical a le devoir d’aviser la police. Le signalement n’est habituellement pas laissé au patient. Que la police y donne suite ou non (il semblerait qu’elle a l’habitude de le faire) ou prenne d’autres mesures est une autre affaire.  À la lumière de sa compréhension de ce que fait un praticien dans les circonstances que le demandeur d’asile a décrites, le tribunal conclut que, bien qu’il soit possible que le médecin ait tenté de dissuader le demandeur d’asile adulte de déposer un rapport de police, il est peu probable qu’il l’ait fait. Le tribunal estime donc que la crédibilité du demandeur d’asile adulte est minée par son allégation selon laquelle le médecin lui a dit de ne pas porter plainte à la police.

[94]  En ce qui concerne l’agression de 2011, cependant, la SPR a reconnu que cet incident avait été établi, mais a rejeté le fait qu’il équivalait à de la persécution, pour les motifs suivants :

[70]  Le demandeur d’asile adulte a déclaré que, la deuxième fois où il a été agressé, il s’est rendu au poste de police, mais que les policiers ont ri de lui et qu’ils ont refusé de rédiger un rapport.  Lors de cet incident, les agresseurs avaient uriné sur lui.  La conseil des demandeurs d’asile a affirmé que celui-ci était émotif à juste titre au moment de raconter son expérience. Il a mentionné que la réaction cavalière des policiers lui avait causé une telle détresse qu’il avait pleuré pendant deux jours. Cet événement a marqué un tournant dans sa vie et est à l’origine de sa décision de venir au Canada. Le tribunal reconnaît que, si les faits sont vrais, il s’agirait d’un incident manifeste de discrimination, car la police l’aurait traité différemment en raison de son origine ethnique. Il s’agit probablement là, de l’avis du tribunal, du seul incident crédible parmi les incidents allégués par le demandeur d’asile adulte.

[71]  Le tribunal sait qu’un seul incident peut fort bien donner lieu à de la persécution. Il n’est toutefois pas convaincu que le refus des policiers de recueillir la déclaration du demandeur d’asile adulte, bien que discriminatoire, fait en sorte que l’acte de discrimination en devienne un de persécution. Le demandeur d’asile adulte habitait à Budapest et d’autres recours s’offraient à lui, qu’il s’agisse de la Commission indépendante chargée de traiter les plaintes concernant la police (Independent Police Complaints Board), du Bureau des commissaires parlementaires (Parliamentary Commissioners’ Office), de l’Autorité pour l’égalité de traitement (Equal Treatment Authority), de l’Association des agents de police roms (Roma Police Association) ou du Bureau des plaintes au Bureau de la Police nationale (Complaints Office at the National Police Headquarters), autant d’organismes chargés de faire enquête sur les plaintes contre la police qui ne semblent pas avoir été prises en considération.

[95]  En ce qui concerne la première agression violente en 2010, la logique de la SPR semble être que, parce que les médecins sont censés aviser la police, il était improbable que celui ayant traité M. Balogh l’ait dissuadé d’aller voir la police parce qu’elle ne le croirait pas. Je ne vois aucun lien — ni même aucune contradiction —, entre le fait qu’un médecin dise à un patient rom qu’il ne sert à rien pour lui de faire une déposition, parce que la police ne le croira pas, et le fait que le médecin lui-même soit tenu de déposer un rapport de police. De fait, le point de vue du médecin a été confirmé par le deuxième incident, lorsque M. Balogh s’est adressé à la police, a essuyé une rebuffade et a été ridiculisé, un incident que la SPR a jugé crédible. À mon avis, il ne s’agit pas là d’un motif raisonnable de remettre en question le récit de M. Balogh sur l’incident de 2010. Notons que la SPR n’a pas abordé ni analysé le récit fait par M. Balogh de l’incident lui‑même; elle a plutôt choisi de le mettre en doute pour le motif qu’un médecin avait signalé à M. Balogh que la police ne prêterait pas foi à ses dires. Ce qui, compte tenu des autres éléments de preuve produits par M. Balogh quant à la réaction de la police au deuxième incident, est une hypothèse raisonnable.

[96]  Cette approche, qui n’a aucun sens à mes yeux, constitue une conclusion d’invraisemblance fondée sur un raisonnement spécieux. Voir Shabab c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 872, par. 41; et Saeedi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 146, par. 30. Si les deux événements violents avaient été reconnus, une conclusion différente sur la persécution aurait pu être tirée.

C.  Protection de l’État

[97]  En ce qui concerne Mme Varga et M. Balogh, la SPR a conclu qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption d’une protection de l’État en Hongrie.

[98]  On peut trouver à redire à plus d’un aspect de l’analyse de la protection de l’État faite par la SPR, mais il m’appert que les éléments suivants constituent les préoccupations les plus graves soulevées en l’espèce.

(1)  Preuve attestant l’inaction de la police en l’espèce

[99]  Rien n’indique en l’espèce que les demandeurs n’ont pas fait appel à la police en Hongrie pour obtenir de l’aide. Les éléments de preuve démontrent clairement que, lorsqu’ils l’ont fait, la police n’est pas intervenue en menant les enquêtes appropriées sur ce qui était manifestement des crimes haineux à caractère raciste commis contre les demandeurs. Dans le cas de M. Balogh, la police s’est contentée de rire de lui lorsqu’il a signalé une agression violente à caractère raciste.

(2)  Corroboration des allégations par les éléments de preuve issus du CND

[100]  Les rapports figurant dans le CND dont était saisie la SPR montrent que la police hongroise ignore régulièrement les crimes haineux et les agressions commises par des skinheads à l’endroit des Roms. Le point 4.3 du CND précise ce qui suit :

[traduction]

Bien que les droits civils soient protégés et réglementés par la loi, l’application de ces dispositions pose problème. Les auteurs de crimes haineux commis contre des groupes vulnérables (principalement les Roms, la communauté LGBTQ, les réfugiés, les immigrants et les Juifs) ne sont souvent pas poursuivis, ou sont condamnés pour des crimes de moindre importance. En revanche, les auteurs d’actes criminels d’origine rom sont souvent accusés d’avoir commis un crime haineux contre les Hongrois. Ces actions en justice sont intentées et conclues avec une efficacité remarquable par rapport aux procédures concernant un crime raciste commis contre les Roms.

[101]  Ces renseignements confirment le témoignage des demandeurs au sujet de leur expérience auprès de la police. Le point 2.7 du CND — les observations du Comité du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) — confirme également ce portrait, à l’instar du dernier rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance. La SPR a tout bonnement ignoré les éléments de preuve qui contredisaient ses propres conclusions. Voir Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 157 FTR 35, par. 14-17.

(3)  Existence d’organismes de surveillance

[102]  La SPR s’est fortement appuyée sur l’existence d’organismes de surveillance, ce que la Cour a déjà refusé d’accepter par le passé. En effet, la SPR a conclu ce qui suit aux paragraphes 71 et 117 :

[71]  [...] Le demandeur d’asile adulte habitait à Budapest et d’autres recours s’offraient à lui, qu’il s’agisse de la Commission indépendante chargée de traiter les plaintes concernant la police (Independent Police Complaints Board), du Bureau des commissaires parlementaires (Parliamentary Commissioners’ Office), de l’Autorité pour l’égalité de traitement (Equal Treatment Authority), de l’Association des agents de police roms (Roma Police Association) ou du Bureau des plaintes au Bureau de la Police nationale (Complaints Office at the National Police Headquarters), autant d’organismes chargés de faire enquête sur les plaintes contre la police qui ne semblent pas avoir été prises en considération.

[…]

[117]  Après avoir examiné attentivement tous les éléments de preuve, le tribunal conclut que les demandeurs d’asile n’ont pas réfuté la présomption de protection de l’État.  En fait, [...] le demandeur d’asile adulte ne s’est pas adressé aux organismes de surveillance policière en place pour mener sa plainte à bon port. Il lui était loisible de déposer sa plainte devant l’un des organes existants, mais il ne l’a pas fait.

[103]  Ce type de recours aux organismes de surveillance a été régulièrement rejeté par la Cour. Voir, par exemple, les décisions Majoros c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 667, par. 76-79; Csoka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1220, par. 18-21; et Katinszki c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1326, par. 14-15.

(4)  Institutions démocratiques en Hongrie et présomption de la protection de l’État

[104]  En concluant que la Hongrie est une démocratie pleinement fonctionnelle — de sorte que la présomption d’une protection adéquate de l’État s’applique en l’espèce —, la SPR a fait fi de toutes les preuves récentes selon lesquelles la Hongrie n’en est pas vraiment une, comme l’indique clairement son propre CND. Le point 4.3 de celui-ci mentionne ce qui suit :

[traduction]

Bien que les dirigeants des régimes hybrides ne visent pas nécessairement à démanteler le cadre des institutions démocratiques de leur pays, ils cherchent néanmoins à imposer des contraintes à la démocratie libérale. Visant à dépeindre leur ordre public et les institutions qui le servent comme des démocraties fonctionnelles, ils ne font en réalité que maintenir le spectacle d’une concurrence pluraliste. Le cas de la Hongrie où, sous la gouverne de Viktor Orbán, les freins et contrepoids sont menacés tout comme la responsabilité horizontale, est représentatif de ce phénomène. Le clientélisme rampant, les sentiments anti‑occidentaux grandissants et l’assaut continu de la société civile sont aussi caractéristiques de la tendance à l’antilibéralisme.

Sous la gouverne antilibérale du premier ministre Orbán, les déficits démocratiques de la Hongrie se sont creusés davantage au cours de la période visée. En 2014, la réorganisation de l’ordre constitutionnel du pays était achevée et les postes clés dans toutes les institutions gouvernementales étaient occupés par des partisans d’Orbán. Le gouvernement a affaibli et, dans certains cas, détruit l’autonomie du pouvoir judiciaire, de la Cour constitutionnelle, du Bureau du Procureur général, de la Banque nationale de Hongrie et des administrations autonomes locales. L’accroissement de l’influence du gouvernement sur les médias s’est aussi transformé en un mouvement de protestation. Les élections sont libres, mais pas équitables. Après sa victoire écrasante aux élections de 2010, le Fidesz a introduit un nouveau système électoral et depuis lors, les élections sont libres, mais pas équitables.

[105]  En outre, le point 2.2 du CND, intitulé Freedom House, Nations in Transit Report, indique clairement la situation dont rendent compte ainsi la Cour européenne des droits de l’homme et la Commission de Venise :

[traduction]

Le non-respect par la Hongrie des obligations que lui impose le droit international s’est considérablement accru au cours des dernières années, et la mise en œuvre de plusieurs décisions importantes de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) se fait toujours attendre.

[…]

Des événements récents confirment l’existence d’une « prise de l’État inversée » en Hongrie, où des politiciens et un État fort mettent en place des réseaux de corruption et utilisent le pouvoir et les ressources publics pour récompenser les oligarques amis. Bien qu’en 2017, plusieurs décisions judiciaires aient contribué à instaurer une plus grande transparence à l’égard des allégations de corruption, la corruption à un haut niveau n’a fait l’objet d’aucune enquête et reste impunie en raison du contrôle politique exercé sur le Bureau du Procureur de l’État.

[…]

Avec la domination croissante exercée sur les médias par les partis au pouvoir, les règles du jeu politiques de plus en plus inéquitables et l’utilisation abusive des ressources publiques à des fins politiques et privées, le système politique hongrois s’éloigne d’une démocratie constitutionnelle et libérale pour se rapprocher davantage des régimes hybrides de la région.

[Renvois omis.]

[106]  Dans son analyse de la protection de l’État, la SPR n’a tenu aucun compte de ces questions très pertinentes et importantes, qui contredisent ses conclusions sur le sujet. Cette analyse, de même que les conclusions de la SPR, est déraisonnable.

IX.  CERTIFICATION

[107]  Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier, et la Cour est du même avis.


JUGEMENT dans le dossier IMM-515-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour qu’il procède à un nouvel examen.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 25e jour de février 2020.

Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-515-19

 

INTITULÉ :

NIKOLETTA VARGA ET AL c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 novembre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Russell

 

DATE DES MOTIFS :

Le 22 janvier 2020

 

COMPARUTIONS :

James Gildiner

 

Pour les demandeurs

 

Sally Thomas

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

James Gildiner

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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