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Date : 20200122


Dossier : IMM-2638-19

Référence : 2020 CF 105

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

ONOME FREDDALINE EKAMA

demanderesse

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) et visant la décision du 23 avril 2019 (la décision) par laquelle un agent d’immigration (l’agent) a refusé d’accorder à la demanderesse le statut de résidente permanente au Canada à titre de travailleuse qualifiée (fédéral) (TQF).

II.  CONTEXTE

[2]  La demanderesse est une citoyenne du Nigéria. Comptable agréée, elle est membre de l’Association of Chartered Certified Accountants. Elle détient un baccalauréat de l’Université du Bénin dans le domaine bancaire et financier et a occupé, à partir d’août 2014, différents postes de comptable au Nigéria.

[3]  En juin 2018, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) l’a invitée, sur la base de son profil dans le système Entrée express, à présenter une demande de résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Le 31 août suivant, elle a soumis sa demande, dans laquelle elle sollicitait la résidence permanente pour elle, son conjoint et sa fille.

[4]  La demanderesse a présenté plusieurs documents à l’appui de sa demande, notamment des lettres de recommandation de ses employeurs, ancien et actuel, des contrats d’emploi, son curriculum vitae et les résultats d’évaluation de ses diplômes d’études.

III.  DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[5]  Le 23 avril 2019, l’agent a refusé la demande de résidence permanente au Canada que la demanderesse avait présentée à titre de TQF.

[6]  D’après cette décision, la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle remplissait les exigences énoncées au paragraphe 75(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement). En particulier, l’agent n’était pas convaincu, après avoir examiné les documents et renseignements fournis, que la demanderesse possédait l’expérience requise selon la catégorie 1111 de la Classification nationale des professions (CNP) ni qu’elle avait exercé des tâches compatibles avec celle-ci.

[7]  L’agent a donc refusé la demande de la demanderesse en vertu du paragraphe 75(3) du Règlement.

IV.  QUESTIONS À TRANCHER

[8]  Les questions à trancher dans le cadre de la présente demande sont les suivantes :

  1. L’agent a‑t‑il porté atteinte au droit de la demanderesse à l’équité procédurale en ne lui donnant pas la possibilité de dissiper ses préoccupations en matière de crédibilité?
  2. L’agent a‑t‑il porté atteinte au droit de la demanderesse à l’équité procédurale en suscitant une crainte raisonnable de partialité?
  3. L’agent a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a déterminé que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle possédait l’expérience nécessaire aux fins de la catégorie 1111 de la CNP ni qu’elle avait exercé des tâches compatibles avec cette catégorie?

V.  NORME DE CONTRÔLE

[9]  La présente demande a été débattue avant que la Cour suprême du Canada ne rende les récents arrêts Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] et Bell Canada c Canada (Procureur général), 2019 CSC 66. Le jugement de notre Cour a été mis en délibéré. Les observations des parties sur la norme de contrôle étaient donc fondées sur le cadre prévu par l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]. Cependant, compte tenu des circonstances de l’espèce et des directives énoncées par la Cour suprême du Canada au paragraphe 144 de l’arrêt Vavilov, notre Cour a conclu qu’il n’était pas nécessaire de demander aux parties de présenter des observations supplémentaires sur la norme de contrôle. En effet, j’ai appliqué le cadre établi par l’arrêt Vavilov à mon analyse de la présente demande, et ce cadre ne change rien à la norme de contrôle à employer, ni à mes conclusions.

[10]  Aux paragraphes 23 à 32 de l’arrêt Vavilov, la majorité s’est efforcée de simplifier la démarche que doit entreprendre une cour de justice pour sélectionner la norme de contrôle applicable aux questions dont elle est saisie. La majorité a éliminé l’approche contextuelle et catégorielle adoptée dans l’arrêt Dunsmuir à la faveur d’une présomption d’application de la norme du caractère raisonnable. Cependant, la majorité a fait remarquer que cette présomption pouvait être écartée : (1) dans le cas d’une intention claire du législateur de prescrire une autre norme de contrôle, et (2) dans certaines situations où la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte, par exemple dans le cas de questions constitutionnelles, de questions de droit générales d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et de questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs (Vavilov, aux par. 53 à 64).

[11]  Pour la demanderesse, l’évaluation par l’agent de la preuve en l’espèce est soumise à la norme du caractère raisonnable, tandis que son interprétation et son application du droit de même que les questions d’équité procédurale appellent la norme de la décision correcte. Le défendeur soutient que seule la norme du caractère raisonnable trouve à s’appliquer en l’espèce.

[12]  Certains tribunaux ont récemment conclu que la norme de contrôle applicable à une allégation de manquement à l’équité procédurale est celle de la « décision correcte » (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61 [Khosa]). L’arrêt Vavilov de la Cour suprême du Canada ne traite pas de la norme de contrôle qui s’applique aux questions d’équité procédurale (Vavilov, paragraphe 23). Cependant, une approche plus judicieuse sur le plan doctrinal veut qu’aucune norme de contrôle ne s’applique à la question de l’équité procédurale. Voici comment la Cour suprême du Canada s’est exprimée à ce sujet dans l’arrêt Moreau‑Bérubé c Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11 :

[L’équité procédurale] n’exige pas qu’on détermine la norme de révision judiciaire applicable. Pour vérifier si un tribunal administratif a respecté l’équité procédurale ou l’obligation d’équité, il faut établir quelles sont les procédures et les garanties requises dans un cas particulier.

[13]  La question de savoir si une décision est entachée par une crainte raisonnable de partialité renvoie également à l’équité procédurale. Il est donc possible de s’appuyer sur la jurisprudence récente de notre Cour suivant laquelle la norme de la décision correcte s’applique à la question de la crainte raisonnable de partialité (Zhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1139, au par. 38). Ainsi que je le mentionnais plus haut, il ne s’agit pas d’une approche judicieuse au plan doctrinal. Comme le déclarait le juge Teitelbaum, « [l]’équité procédurale exige que les décisions soient rendues par un décideur impartial, sans crainte raisonnable de partialité » (Gagliano c Canada (Commission d’enquête sur le Programme de commandites et les activités publicitaires), 2008 CF 981, au par. 59). Si une décision suscite une crainte raisonnable de partialité, les parties visées se sont vu priver de l’équité procédurale. La décision en cause sera donc infirmée.

[14]  S’agissant de la norme de contrôle applicable à l’évaluation par l’agent de la question de savoir si la preuve soumise établissait que la demanderesse remplissait les exigences applicables en l’espèce, rien ne permet de réfuter la présomption d’application de la norme du caractère raisonnable. L’application de ladite norme à cette question concorde également avec la jurisprudence antérieure à l’arrêt Vavilov de Cour suprême du Canada. Voir Kapasi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1070, au paragraphe 15 et Zhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 155, au paragraphe 23.

[15]  Au moment de contrôler une décision selon la norme du caractère raisonnable, l’analyse consistera à déterminer si la décision « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au par. 99). La norme du caractère raisonnable est une norme unique qui est modulable, et qui « s’adapte au contexte » (Vavilov, au par. 89 citant Khosa, au par. 59). Ces contraintes d’ordre contextuel « cernent les limites et les contours de l’espace à l’intérieur duquel le décideur peut agir, ainsi que les types de solution qu’il peut retenir » (Vavilov, au par. 90). En d’autres termes, la Cour ne doit intervenir que si la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au par. 100). La Cour suprême du Canada énumère deux types de lacunes fondamentales qui rendent une décision déraisonnable, savoir : (1) le manque de logique interne dans le raisonnement du décideur; et (2) le caractère indéfendable d’une décision « compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur [elle] » (Vavilov, au par. 101).

VI.  ARGUMENTS

A.  Demanderesse

[16]  La demanderesse soutient que, au vu de la preuve convaincante soumise, l’agent a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale en la privant de la possibilité de dissiper les préoccupations en matière de crédibilité qu’il entretenait quant à la preuve concernant son expérience et les fonctions qu’elle avait exercées. La demanderesse fait aussi remarquer que l’agent a violé son droit à l’équité procédurale en faisant preuve de partialité tout au long de la décision.

[17]  La demanderesse prétend également que, en tout état de cause, la décision est déraisonnable car elle : (1) ne peut résister à un examen raisonnable; (2) fait abstraction de la preuve pertinente; et (3) rend compte du défaut de l’agent d’accorder le poids nécessaire à des éléments de preuve essentiels. Par conséquent, selon elle, il doit être fait droit à la présente demande de contrôle judiciaire, et la demande doit être renvoyée à un autre décideur.

(1)  Défaut d’accorder la possibilité de dissiper les préoccupations

[18]  La demanderesse soutient que la preuve abondante soumise démontre clairement qu’elle possède l’expérience requise, qu’elle a exercé les fonctions énoncées à la catégorie 1111 de la CNP et qu’elle satisfait ainsi aux exigences du paragraphe 75(2) du Règlement. À ce titre, elle affirme que le rejet de sa demande au motif qu’elle n’avait pas établi l’expérience requise peut seulement s’expliquer par le fait qu’une conclusion déguisée sur la crédibilité a été tirée à l’égard de la preuve soumise.

[19]  D’après la demanderesse, il est bien établi en droit que le défaut d’accorder à un demandeur la possibilité de dissiper les préoccupations du décideur en matière de crédibilité constitue une atteinte à l’équité procédurale. Elle cite en particulier les décisions rendues par notre Cour dans les affaires Hernandez Bonilla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 20, au par. 25, et Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283, au par. 24.

(2)  Crainte raisonnable de partialité

[20]  La demanderesse affirme que l’agent a certainement été partial, étant donné qu’il n’a pas motivé sa décision. Elle fait valoir ce qui suit : [traduction] « Il semble que cet agent ait passé une sale journée, et qu’il ait laissé déteindre son humeur sur la décision inhumaine rendue dans le cas présent ».

(3)  Caractère raisonnable de la décision

[21]  Si la Cour devait conclure à l’absence d’atteinte à l’équité procédurale, la demanderesse soutient que la décision est déraisonnable, car elle ne peut résister à un examen raisonnable. En outre, poursuit-elle, il est évident que l’agent a effectué une évaluation déraisonnable de la preuve en ignorant des éléments pertinents et en n’accordant pas le poids voulu à des éléments de preuve essentiels.

[22]  Premièrement, la demanderesse affirme que la décision elle‑même est déraisonnable, car elle n’explique pas comment l’agent est parvenu à une conclusion défavorable; elle cite à l’appui de son argument la décision rendue par notre Cour dans l’affaire Asong Alem c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 148, aux paragraphes 17 et 18.

[23]  Deuxièmement, la demanderesse soutient que l’agent a ignoré de manière déraisonnable les éléments de preuve essentiels qui attestaient une expérience suffisante, de même que l’exécution de tâches compatibles avec la catégorie 1111 de la CNP. Elle affirme avoir fourni des lettres de recommandation de ses employeurs, ancien et actuel, ainsi qu’une copie de son curriculum vitae, qui décrit les fonctions dont elle s’est acquittée par le passé. D’après elle, cette preuve était plus que suffisante, surtout à la lumière du contexte; elle note d’ailleurs que Mazars Coker and Co., où elle travaillait, est un cabinet international qui se spécialise dans les services juridiques et de vérification, de comptabilité, de consultation et de fiscalité, tandis que l’adhésion à l’Association of Chartered Certified Accountants est réservée aux experts comptables agréés ayant un certain niveau d’expérience professionnelle. À ce titre, selon la demanderesse, la preuve suffisait clairement en l’espèce pour satisfaire aux exigences de la catégorie 1111 de la CNP. Pour la demanderesse, il est évident que l’agent n’a pas tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve. Cette erreur rend donc la décision déraisonnable. Voir Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2002 FCT 146, aux paragraphes 28 et 29.

[24]  Troisièmement, la demanderesse soutient que l’agent a déraisonnablement omis d’attribuer la pertinence et le poids requis à la plupart des documents produits, et qu’il a clairement omis de prendre les mesures nécessaires pour dissiper les doutes qu’il entretenait quant à la valeur probante de la preuve documentaire. IRCC exige que les lettres de recommandation contiennent les coordonnées complètes de l’employeur en cas de préoccupations quant à la valeur probante de la preuve soumise. Par conséquent, la demanderesse affirme que l’agent était tenu de solliciter davantage de renseignements supplémentaires auprès de ses employeurs s’il croyait que les lettres de recommandation soumises n’étaient pas suffisamment probantes.

B.  Défendeur

[25]  Le défendeur avance que l’agent a effectué une analyse raisonnable, à l’issue de laquelle il a conclu que la demanderesse n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve de ses employeurs pour démontrer qu’elle avait exercé les fonctions décrites à la catégorie 1111 de la CNP. Comme il s’agit d’une question touchant au caractère suffisant de la preuve soumise, et non à la crédibilité de la demanderesse, le défendeur fait donc valoir que l’agent n’a pas enfreint le droit de la demanderesse à l’équité procédurale et qu’à ce titre, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

(1)  Défaut d’accorder la possibilité de dissiper les préoccupations

[26]  Le défendeur fait valoir pour sa part que l’agent n’était pas tenu d’informer la demanderesse de ses préoccupations liées à la preuve, ni de lui donner la possibilité de dissiper lesdites préoccupations. Cela s’explique par le fait que la décision repose non pas sur une conclusion liée à la « crédibilité », mais sur le défaut de la demanderesse de fournir une preuve « suffisante » de nature à démontrer qu’elle satisfaisait aux exigences énoncées dans le Règlement. Le défendeur cite, à l’appui de cet argument, les décisions rendues par notre Cour dans les affaires Sharma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 786, au paragraphe 8 [Sharma] et Ayyalasomayajula c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 248, au paragraphe 18 [Ayyalasomayajula].

(2)  Crainte raisonnable de partialité

[27]  Le défendeur soutient que rien n’indique que l’agent ait ignoré le moindre élément de preuve ni qu’il ait fait preuve de partialité.

(3)  Caractère raisonnable de la décision

[28]  Le défendeur soutient que la décision était raisonnable, attendu qu’il incombait à la demanderesse de convaincre l’agent qu’elle remplissait toutes les exigences prévues par la loi en ce qui a trait à l’obtention d’un visa (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 526, au par. 52 [Singh]). La demanderesse ne s’est tout simplement pas acquittée de ce fardeau de preuve.

[29]  Le défendeur relève que la preuve corroborante d’une tierce partie, y compris des lettres d’emploi décrivant en détail les fonctions, les responsabilités et les tâches du demandeur, est obligatoire. En l’espèce, l’agent ne pouvait raisonnablement inférer les fonctions et responsabilités de la demanderesse à partir de ses lettres de recommandation, car les fonctions qu’elle avait exercées ne pouvaient tout simplement être déduites des titres de poste figurant dans les lettres en question, ni de la référence générale à la [traduction] « fiscalité ». Pour le défendeur, la situation en l’espèce ressemble à celle dont était saisie notre Cour dans l’affaire Ismaili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 351 [Ismaili], où il avait été déterminé que le titre de « pilote » n’était pas suffisant pour établir les fonctions réellement exercées par le demandeur.

[30]  D’après le défendeur, il ne s’agit pas de savoir de quelle manière l’agent a pondéré la preuve dont il était saisi; la demande de la demanderesse a plutôt été refusée parce que cette dernière n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve objectifs requis. Le défendeur soutient que le fardeau de fournir la preuve nécessaire incombe seulement à la demanderesse, et que l’agent n’était donc absolument pas tenu de lui réclamer, à elle ou à ses employeurs, d’autres éclaircissements (Sharma, au par. 8).

VII.  ANALYSE

[31]  J’aimerais préciser d’emblée que j’ai beaucoup de sympathie pour la demanderesse en l’espèce, car les documents donnent à penser qu’elle est une personne extrêmement accomplie et qualifiée dans son domaine. Cependant, il ne s’agit pas de la question dont je suis saisi. Il s’agit en l’espèce de savoir si, dans sa demande de résidence permanente, la demanderesse a fourni les renseignements requis par le Règlement et par les instructions, faute de quoi l’agent n’avait d’autre choix que de refuser la demande.

[32]  Nonobstant ses observations écrites, l’avocate a demandé à la Cour, durant sa plaidoirie, de se concentrer sur deux questions principales. La première est de savoir si, au regard des antécédents professionnels de la demanderesse décrits en détail dans son curriculum vitae, l’agent disposait des renseignements nécessaires pour rendre une décision favorable, même si les renseignements en question ne provenaient pas des employeurs de la demanderesse. La deuxième question est celle de savoir si, compte tenu de ces antécédents professionnels, l’agent était tenu, au titre de l’équité procédurale, de contacter la demanderesse ou ses employeurs pour confirmer auprès d’eux qu’elle possédait les qualifications et l’expérience voulues pour satisfaire aux exigences de la catégorie 1111 de la CNP.

[33]  Les arguments de la demanderesse reposent sur ce qui, à ses yeux, aurait été raisonnable au regard des faits de la présente affaire. Dans ses observations écrites, l’avocate avance les arguments suivants, cruciaux pour la demande :

[traduction]

 26.  D’après la preuve au dossier, la demanderesse a fourni des lettres de recommandation de ses employeurs (ancien et actuel); elle a soumis ces documents conformément aux exigences d’IRCC en matière de lettres de recommandation ou d’attestation de l’expérience, qui prévoient : « Une lettre de recommandation ou lettre d’attestation de l’expérience de l’employeur[; il] devrait s’agir d’un document officiel imprimé sur papier à en‑tête de l’entreprise (doit comporter le nom du demandeur, les coordonnées de l’entreprise [adresse, numéro de téléphone, adresse courriel], ainsi que le nom, le titre et la signature du supérieur immédiat ou du représentant des ressources humaines de l’entreprise) ». La question se pose donc de savoir pourquoi l’agent d’immigration a refusé la demande de la demanderesse sans chercher à confirmer qu’elle avait exercé les fonctions énoncées à la catégorie 1111 de la CNP et décrites dans son CV. Rien non plus dans le dossier n’indique que l’agent d’immigration a contacté l’ancien employeur de la demanderesse ou son employeur actuel, même s’il disposait de ressources qui lui auraient aisément permis de le faire. On sait que, par le passé, des agents d’immigration ont contacté les employeurs des demandeurs pour obtenir des précisions sur leur emploi; la question se pose alors de savoir pourquoi l’agent d’immigration ne l’a pas fait dans le cas présent. La demanderesse a produit de nombreux documents pour prouver qu’elle était comptable et vérificatrice et qu’elle avait exercé la plupart des fonctions énoncées à la catégorie 1111 de la CNP. Mais l’agent d’immigration avait malgré tout des doutes sur le sujet, et il a refusé d’emblée de demander les éclaircissements qu’il lui fallait pour dissiper ces doutes.

[Souligné dans l’original.]

[34]  La demanderesse affirme également :

[traduction]

 8.  Dans ses arguments, le défendeur semble insister sur le fait que la demanderesse n’a pas fourni les documents à même de confirmer qu’elle a exercé les fonctions énoncées à la catégorie 1111 de la CNP. Au paragraphe 25 de ses arguments, il affirme en outre que l’agent ne pouvait inférer, à partir du seul titre professionnel de « comptable », les fonctions et responsabilités dont s’acquittait la demanderesse. De même, la référence très générale à la fiscalité ne suffisait pas non plus selon lui à attester la conformité à la catégorie 1111 de la CNP.

9.  Il est clair que le défendeur a interprété hors contexte les différentes déclarations figurant dans les lettres d’emploi de la demanderesse, car un examen approfondi de ces lettres établit clairement qu’elles avaient vocation à confirmer que la demanderesse avait exercé les fonctions d’une comptable et qu’elle devait notamment, dans le cadre de son travail, s’occuper de questions liées à la fiscalité. Outre le fait que ses lettres d’emploi confirmaient qu’elle était comptable, le défendeur n’a pas non plus reconnu que l’un de ses supérieurs chez Mazars and Co., qui avait rédigé la lettre de recommandation, affirmait clairement que la demanderesse avait pris part à plusieurs missions de vérification. Tout ce qui précède tend à indiquer que la demanderesse accomplissait bel et bien les fonctions énoncées à la catégorie 1111 de la CNP, sur laquelle elle a fondé sa demande.

[35]  Suivant ses arguments, la demanderesse estime qu’elle a bel et bien fourni suffisamment de documents (dont son curriculum vitae) pour permettre à l’agent de constater qu’elle avait exercé les fonctions énoncées à la catégorie 1111 de la CNP.

[36]  Comme l’indique clairement la décision, la demande a été refusée car l’agent estimait que la demanderesse n’avait pas rempli les exigences prévues par la Loi de manière à ce qu’une décision favorable lui reconnaissant le statut de TQF soit rendue, étant donné qu’elle n’avait pas fourni d’éléments de preuve de ses employeurs démontrant qu’elle avait réellement exercé les fonctions précisées dans la catégorie 1111 de la CNP.

[37]  Le problème tenait aux documents qu’elle avait soumis :

[traduction]

 Compte tenu des documents et des renseignements que vous avez fournis, je ne suis pas convaincu que vous remplissiez ces exigences, que vous possédiez l’expérience voulue et que vous remplissiez les fonctions décrites dans la catégorie 1111 de la CNP sur laquelle vous avez fondé votre demande.

[38]  Lu dans son intégralité, le dossier atteste que les lettres provenant des employeurs de la demanderesse ne fournissaient aucun renseignement quant à ses fonctions et responsabilités professionnelles, si bien qu’elles ne satisfaisaient pas aux conditions énoncées à l’article 75 du Règlement :

Travailleurs qualifiés (fédéral)

Federal Skilled Worker Class

Catégorie

Class

75 (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada, qui sont des travailleurs qualifiés et qui cherchent à s’établir dans une province autre que le Québec.

75 (1) For the purposes of subsection 12(2) of the Act, the federal skilled worker class is hereby prescribed as a class of persons who are skilled workers and who may become permanent residents on the basis of their ability to become economically established in Canada and who intend to reside in a province other than the Province of Quebec.

Qualité

Skilled workers

75 (2) Est un travailleur qualifié l’étranger qui satisfait aux exigences suivantes :

75 (2) A foreign national is a skilled worker if

a) il a accumulé, de façon continue, au moins une année d’expérience de travail à temps plein ou l’équivalent temps plein pour un travail à temps partiel, au cours des dix années qui ont précédé la date de présentation de sa demande de visa de résident permanent, dans la profession principale visée par sa demande appartenant au genre de compétence 0 Gestion ou aux niveaux de compétence A ou B de la matrice de la Classification nationale des professions, exception faite des professions d’accès limité;

(a) within the 10 years before the date on which their application for a permanent resident visa is made, they have accumulated, over a continuous period, at least one year of full-time work experience, or the equivalent in part-time work, in the occupation identified by the foreign national in their application as their primary occupation, other than a restricted occupation, that is listed in Skill Type 0 Management Occupations or Skill Level A or B of the National Occupational Classification matrix;

b) pendant cette période d’emploi, il a accompli l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal établi pour la profession dans les descriptions des professions de cette classification;

(b) during that period of employment they performed the actions described in the lead statement for the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification;

c) pendant cette période d’emploi, il a exercé une partie appréciable des fonctions principales de la profession figurant dans les descriptions des professions de cette classification, notamment toutes les fonctions essentielles;

(c) during that period of employment they performed a substantial number of the main duties of the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification, including all of the essential duties;

d) il a fourni les résultats — datant de moins de deux ans au moment où la demande est faite— d’un test d’évaluation linguistique approuvé en vertu du paragraphe 74(3) provenant d’une institution ou d’une organisation désignée en vertu de ce paragraphe qui indiquent qu’il a obtenu, en français ou en anglais et pour chacune des quatre habiletés langagières, au moins le niveau de compétence établi par le ministre en application du paragraphe 74(1);

(d) they have submitted the results of a language test that is approved under subsection 74(3), which results must be provided by an organization or institution that is designated under that subsection, must be less than two years old on the date on which their application for a permanent resident visa is made and must indicate that they have met or exceeded the applicable language proficiency threshold in either English or French that is fixed by the Minister under subsection 74(1) for each of the four language skill areas; and

e) il a soumis l’un des documents suivants :

(e) they have submitted one of the following :

(i) son diplôme canadien,

(i) their Canadian educational credential, or

(ii) son diplôme, certificat ou attestation étranger ainsi que l’attestation d’équivalence, datant de moins de cinq ans au moment où la demande est faite.

(ii) their foreign diploma, certificate or credential and the equivalency assessment, which assessment must be less than five years old on the date on which their application is made.

Exigences

Minimal requirements

75 (3) Si l’étranger ne satisfait pas aux exigences prévues au paragraphe (2), l’agent met fin à l’examen de la demande de visa de résident permanent et la refuse.

75 (3) If the foreign national fails to meet the requirements of subsection (2), the application for a permanent resident visa shall be refused and no further assessment is required.

[39]  Ces documents obligatoires sont précisés dans le cadre de la vérification de la conformité du programme Entrée express — suivant les instructions et lignes directrices opérationnelles applicables aux demandes présentées dans le cadre de ce programme —, de telle sorte que la demanderesse et ses conseillers ne pouvaient avoir aucun doute sur ce qui constituait une lettre acceptable d’attestation de l’expérience provenant de l’employeur. La demanderesse a soumis sa demande en ligne par le biais du portail Entrée express, qui indiquait clairement ce qui suit :

Les documents suivants sont obligatoires pour chaque expérience de travail déclarée :

  lettre de recommandation ou lettre d’attestation de l’expérience de l’employeur, qui :

  doit être un document officiel imprimé sur papier à en‑tête de l’entreprise (doit comporter le nom du demandeur, les coordonnées de l’entreprise [adresse, numéro de téléphone, adresse courriel], ainsi que le nom, le titre et la signature du supérieur immédiat ou du représentant des ressources humaines de l’entreprise),

  doit indiquer tous les postes occupés par le demandeur alors qu’il était au service de l’entreprise et comprendre les renseignements suivants : titre de poste, fonctions et responsabilités, situation d’emploi (s’il s’agit de l’emploi actuel), période d’emploi, nombre d’heures de travail par semaine, ainsi que salaire annuel et avantages sociaux;

  si le demandeur est travailleur autonome, statuts constitutifs ou autre preuve de la propriété de l’entreprise, preuve d’un revenu de travail autonome et documents provenant de tiers indiquant les services fournis, ainsi que les détails relatifs aux paiements (une déclaration personnelle des fonctions principales ou des déclarations sous serment ne constituent pas des preuves acceptables d’une expérience de travail autonome).

Si l’expérience de travail a été acquise au Canada, les documents suivants pourront servir de preuve : copie des feuillets de renseignements fiscaux T4 et des avis de cotisation de l’Agence du revenu du Canada (la période couverte par ces documents doit refléter la période indiquée pour l’expérience de travail [p. ex., une expérience de travail de 2006 à 2008 ne requiert que des documents couvrant ces années civiles]).

Personnes tenues de soumettre cette documentation

  Le demandeur principal

  Son époux ou conjoint de fait (s’il s’agit d’une expérience de travail canadienne)

[Non souligné dans l’original; caractères gras dans l’original.]

[40]  En l’espèce, les lettres provenant des employeurs ne fournissaient pas les détails obligatoires relatifs aux fonctions et aux responsabilités exercées par la demanderesse. Par conséquent, l’agent était tenu de refuser la demande de résidence permanente au titre de la catégorie des TQF.

[41]  Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse a tenté de contourner cette lacune dans sa demande au titre de la catégorie des TQF. Elle reproche à l’agent :

  • a) de n’avoir pas cherché à obtenir confirmation de son emploi auprès de son ancien employeur et de son employeur actuel;

  • b) d’avoir porté atteinte à son droit à l’équité procédurale en ne lui donnant pas la possibilité de soumettre des lettres d’emploi mises à jour;

  • c) d’avoir généralement violé son droit à l’équité procédurale;

  • d) d’avoir fait preuve de partialité.

[42]  Ces motifs invoqués ne sont aucunement étayés, et à l’audition de la présente affaire, qui s’est déroulée à Calgary le 18 novembre 2019, la demanderesse a judicieusement retiré l’allégation de partialité. Elle n’a tout simplement pas soumis tous les renseignements relatifs à l’emploi qui étaient exigés par le Règlement et les instructions du programme Entrée express, et qui devaient provenir de ses employeurs. L’agent n’avait d’autre choix que de refuser sa demande de résidence permanente à titre de TQF.

[43]  Il ressort clairement de la jurisprudence de notre Cour que, d’une part, il incombait à la demanderesse de convaincre l’agent qu’elle remplissait les exigences (voir par exemple Singh, au par. 52), et que, d’autre part, ce dernier n’était nullement tenu de demander des précisions (Sharma, au par. 8). Un titre de poste ne suffit pas (Ismaili), et l’agent n’était pas obligé de demander des éclaircissements à la demanderesse ou à ses employeurs. Voir Sharma, au paragraphe 8; Madan c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1999] 172 FTR 262; et Ayyalasomayajula, au paragraphe 18.

[44]  Il n’y a pas eu d’atteinte à l’équité procédurale, car la crédibilité de la demanderesse n’était pas en cause. C’est le manque de renseignements à caractère obligatoire qui était en jeu. Voir Lal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 717, aux paragraphes 22 et 23. Les renseignements ne pouvaient provenir de la demanderesse elle‑même, puisque le Règlement exige qu’elle ait exercé une partie appréciable des fonctions principales énoncées dans la CNP pertinente, tandis que les instructions et lignes directrices opérationnelles se rapportant au programme Entrée express précisent que cette preuve « doit » provenir de ses employeurs. Voir Gugliotti c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 71, aux paragraphes 30 à 32. Les raisons de cette exigence sont évidentes. Ce n’est pas que la demanderesse n’a pas été crue; l’agent avait tout simplement besoin de vérifier la fiabilité des renseignements, lesquels pouvaient uniquement provenir d’un employeur.

[45]  Le refus d’une demande au titre de la catégorie des TQF fondé sur un défaut de fournir les renseignements requis est loin de donner à croire qu’il pourrait exister une crainte raisonnable de partialité ou une partialité réelle.

[46]  Lorsque j’examine la demande de résidence permanente de la demanderesse dans son intégralité, il me semble qu’elle pourrait bien être admissible au statut de résidente permanente en tant que TQF. Mais la décision ne comporte aucune erreur susceptible de contrôle.

[47]  Les avocats conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier, et la Cour est d’accord.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2638-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de février 2020.

Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2638-19

 

INTITULÉ :

ONOME FREDDALINE EKAMA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 18 novembre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge Russell

 

DATE DES MOTIFS :

xxxx

 

COMPARUTIONS :

Edomwonyi Omorotionmwan

 

pour le demandeur

 

Galina M. Bining

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Edomwonyi Omorotionmwan

Avocat

Calgary (Alberta)

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

pour le défendeur

 

 

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