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Date : 20200122


Dossier : IMM‑6003‑18

Référence : 2020 CF 88

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

FATIMA QURESHI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse est une citoyenne du Pakistan, où elle est née en 1943. Elle a vécu aux États‑Unis de 1998 à 2009, mais elle vit au Canada depuis février 2009.

[2]  En août 2009, elle a présenté au Canada une demande d’asile. Cette demande a toutefois été rejetée en mars 2012, car comme elle était visée par la section E de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés, la demanderesse a été exclue de la protection offerte aux réfugiés. Sa demande de résidence permanente au Canada fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (CH) et présentée au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), et sa demande d’examen des risques avant renvoi fondée sur l’article 112 de la Loi, ont été refusées en mars 2014.

[3]  En août 2017, la demanderesse a de nouveau présenté depuis le Canada une demande de résidence permanente où elle invoquait des motifs CH. Dans une décision datée du 16 novembre 2018, un agent d’immigration supérieur a refusé la demande. La demanderesse sollicite à présent le contrôle judiciaire de cette décision en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR. Elle affirme que la décision est déraisonnable, car l’agent a évalué sa demande en présumant à tort qu’elle était résidente permanente des États‑Unis.

[4]  Comme je l’expliquerai dans les motifs qui suivent, je ne suis pas d’accord. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[5]  Il est bien établi en droit que la décision de l’agent doit être examinée au fond selon la norme de la décision raisonnable : voir Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS 909, au par. 44 [Kanthasamy]; Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, au par. 18 [Kisana]; et Taylor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 21, au par. 16.

[6]  Le caractère approprié de cette norme a récemment été confirmé par l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], dans lequel la majorité de la Cour suprême du Canada a énoncé un cadre d’analyse révisé pour ce qui est de la détermination de la norme de contrôle applicable à l’égard du fond d’une décision administrative (au par. 10). Suivant l’arrêt Vavilov, rien ne justifie de déroger à la présomption selon laquelle la norme du caractère raisonnable est celle qui trouve à s’appliquer à la décision de l’agent.

[7]  La majorité des juges, dans l’arrêt Vavilov, s’est également efforcée de préciser les modalités d’application de la norme du caractère raisonnable (au par. 143). Les principes qu’elle a soulignés proviennent dans une large mesure de la jurisprudence antérieure, en particulier de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]. Bien que la présente demande ait été débattue avant que l’arrêt Vavilov ne soit rendu, le fondement juridique sur lequel les parties ont fait valoir leurs positions respectives quant au caractère raisonnable de la décision de l’agent est conforme au cadre de cet arrêt. C’est aussi ce cadre que j’ai appliqué pour arriver à la conclusion que la décision de l’agent est raisonnable; cela dit, l’issue aurait été la même suivant le cadre défini dans Dunsmuir.

[8]  Conformément à l’analyse effectuée dans l’arrêt Vavilov, l’exercice de tout pouvoir public « doit être justifié, intelligible et transparent, non pas dans l’abstrait, mais pour l’individu qui en fait l’objet » (Vavilov, au par. 95). Par conséquent, le décideur administratif est tenu « de justifier, de manière transparente et intelligible pour la personne visée, le fondement pour lequel il est parvenu à une conclusion donnée » (Vavilov, au par. 96). Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au par. 85). L’évaluation du caractère raisonnable d’une décision se doit d’être sensible et respectueuse, mais aussi rigoureuse (Vavilov, aux par. 12 et 13). En l’espèce, il incombe à la demanderesse de démontrer que la décision de l’agent est déraisonnable. Avant qu’elle ne puisse être infirmée pour ce motif, je dois être convaincu que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au par. 100).

[9]  Aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR, le ministre peut accorder une dispense à l’étranger qui souhaite obtenir le statut de résident permanent et qui est interdit de territoire ou ne remplit pas autrement les exigences de la Loi. Le ministre peut accorder le statut de résident permanent à l’étranger, ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables au titre de la Loi. Les mesures de cette nature ne seront accordées que si le ministre « estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient ». Ces considérations s’entendent notamment des droits, des besoins et des intérêts supérieurs des enfants, ainsi que du maintien des liens entre les membres d’une famille et du fait d’éviter de renvoyer des gens à des endroits où ils n’ont plus d’attaches (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 RCS 559, au par. 41). La question fondamentale qui se pose est celle de savoir si, dans un cas donné, une exception doit être faite à l’application usuelle de la loi (voir Damian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1158, aux par. 16 à 22). Lorsque le cas s’y prête, le pouvoir discrétionnaire d’accorder une exception assure la souplesse voulue pour mitiger les effets découlant d’une application rigide de la Loi (Kanthasamy, au par. 19).

[10]  L’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés, « mais cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire suivant le par. 25(1) » (Kanthasamy, au par. 23). Ce qui justifie une dispense variera en fonction des faits et du contexte de l’affaire (Kanthasamy, au par. 25). Au reste, les mesures CH sont exceptionnelles et très discrétionnaires (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Legault, 2002 CAF 125, au par. 15; Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1303, au par. 4). Il incombe aux demandeurs de présenter suffisamment d’éléments de preuve pour justifier que ce pouvoir discrétionnaire soit exercé en leur faveur (Kisana, au par. 45; Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, au par. 5; Ahmad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 646, au par. 31; Zlotosz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 724, au par. 22).

[11]  En l’espèce, l’agent a tiré les conclusions suivantes lorsqu’il a refusé la demande de mesures CH :

  • L’intégration de la demanderesse au sein de sa collectivité locale ou de la société canadienne plus large n’a pas atteint un degré important.

  • La demanderesse est une résidente permanente des États‑Unis et [traduction] « a présenté peu d’éléments de preuve, si ce n’est aucun, qui tendraient à démontrer qu’elle ne serait pas en mesure de retourner [là-bas] ».

  • Trois des enfants adultes de la demanderesse vivent au Canada, mais [traduction] « ses antécédents indiquent qu’elle voyage entre les États‑Unis, son pays de résidence permanente, et le Canada pour [leur] rendre visite ». Si elle quittait le Canada pour les États‑Unis, la demanderesse pourrait continuer à rendre visite à ses enfants au Canada, comme elle le faisait avant février 2009. Ils pourraient également rester en contact par d’autres moyens. En outre, [traduction] « à son retour aux États‑Unis, la demanderesse retrouvera[it] son fils aîné […], qui réside actuellement dans ce pays ».

  • S’il est vrai que la demanderesse entretient des liens négligeables, voire inexistants, avec le Pakistan, elle aura la possibilité de retourner aux États‑Unis.

  • La demanderesse a [traduction] « présenté des éléments de preuve négligeables pour démontrer que le système de soins de santé aux États‑Unis ne serait pas à même de répondre à ses besoins et de lui fournir les traitements nécessaires si elle devait en avoir besoin à l’avenir ».

[12]  Après avoir soupesé toutes ces considérations ainsi que la preuve fournie, l’agent n’était pas convaincu que les circonstances de la demanderesse justifiaient de consentir, au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR, une exception aux exigences habituelles de la loi.

[13]  Il est manifeste que, pour l’agent, le statut de la demanderesse aux États‑Unis était une considération importante. La demanderesse fait valoir qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de trancher la demande en se fondant sur son statut de résidente permanente là-bas. Je ne suis pas du même avis.

[14]  La demanderesse a déclaré, dans sa demande, qu’elle avait vécu aux États‑Unis comme résidente permanente de 1998 à février 2009, et que sa demande d’asile au Canada avait été refusée parce qu’elle détenait une carte verte américaine. L’on ne peut guère reprocher à l’agent de s’être appuyé sur des renseignements fournis par la demanderesse elle-même.

[15]  Si entre-temps, comme elle le prétend maintenant, la demanderesse peut avoir perdu son statut de résidente permanente aux États‑Unis, les éléments de preuve à cet effet auraient dû être présentés à l’agent dans le cadre de la demande de mesures CH. Mais ils ne peuvent être utilisés à ce stade-ci, dans la présente demande de contrôle judiciaire, pour contester la décision de l’agent (voir : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, aux par. 17 à 20, et Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, aux par. 13 à 28).

[16]  Compte tenu de la preuve et des renseignements dont disposait l’agent, la décision est tout à fait raisonnable.

[17]  Il va sans dire qu’il est toujours loisible à la demanderesse de soumettre une autre demande de mesures CH, qu’elle étayera cette fois par des renseignements à jour concernant son statut (ou son absence de statut) aux États‑Unis.

[18]  Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale pour fins de certification au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens qu’aucune ne se pose.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑6003‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 4e jour de février 2020.

Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6003‑18

 

INTITULÉ :

FATIMA QURESHI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 AOÛT 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 22 JANVIER 2020

 

COMPARUTIONS :

Ronald Poulton

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Catherine Vasilaros

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

D. Clifford Luyt

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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