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Date : 20190704


Dossier : IMM‑5124‑18

Référence : 2019 CF 889

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2019

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

KANWALJIT KAUR SANDHU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant la décision datée du 31 juillet 2018 par laquelle la Section d’appel de l’immigration [la SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté l’appel d’une décision dans laquelle la Section de l’immigration [la SI] a conclu que la demanderesse était interdite de territoire au Canada pour fausse déclaration au sens de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC (2001), c 27 [la LIPR].

Contexte

[2]  La demanderesse, Kanwaljit Kaur Sandhu, est citoyenne de l’Inde. Le 19 février 2006, elle a épousé dans ce pays Malkit Singh Sandhu, qui est résident permanent du Canada. Celui-ci a ensuite parrainé la demanderesse, en sa qualité d’épouse, dans le cadre de la demande de cette dernière pour devenir résidente permanente du Canada. Elle s’est vu accorder ce statut à son arrivée au Canada, à l’aéroport international Pearson, le 30 décembre 2007. La demanderesse et Malkit Sandhu ont divorcé le 26 juin 2011.

[3]  Le 14 mars 2012, la demanderesse s’est remariée avec M. Gurpreet Sandhu [l’époux]. Le mariage a eu lieu en Inde, où son époux réside toujours, et ils ont eu deux enfants ensemble. La demanderesse a présenté une demande pour parrainer son époux afin qu’il vienne au Canada. Dans sa demande, elle a indiqué comme date de sa séparation d’avec Malkit Sandhu le 30 décembre 2007, soit la même date à laquelle elle a obtenu le statut de résidente permanente au Canada.

[4]  Par la suite, un rapport d’interdiction de territoire concernant la demanderesse a été établi, en date du 17 juillet 2014 [le rapport fondé sur l’article 44]. Ce rapport a été transmis à la SI, qui a procédé à une enquête. La demanderesse, de même que sa sœur, Mme Paramjit Brar, et son amie, Mme Paramjit Benipal, ont témoigné à cette enquête. Dans sa décision du 23 janvier 2017, la SI a conclu que la demanderesse était interdite de territoire pour fausse déclaration au sens de l’alinéa 41(1)a) de la LIPR et elle a prononcé une mesure d’exclusion à son endroit.

Décision de la SI

[5]  Dans une longue décision, la SI a conclu que la demanderesse s’était présentée sous un faux jour, car le mariage entre elle et Malkit Sandhu n’était pas authentique et avait été principalement contracté pour qu’elle puisse obtenir le statut de résidente permanente. La SI a fondé sa conclusion sur un certain nombre de facteurs, dont l’absence des dispositifs de protection habituellement appliqués pour assurer le succès d’un mariage arrangé.

[6]  La SI a également analysé le manque de concordance entre la description du comportement de Malkit Sandhu avant et après l’arrivée de la demanderesse au Canada. Cette dernière a indiqué qu’après le mariage Malkit Sandhu et elle ont vécu ensemble en Inde pendant un mois. Malkit Sandhu est ensuite retourné à Montréal, où il vivait. Pendant le traitement de la demande de parrainage, ils se sont parlés deux ou trois fois par semaine et étaient heureux. Ils se sont parlés aussi quand la demanderesse a reçu son visa, de même que la veille de son départ pour le Canada, quand il lui a dit de se rendre par avion à Toronto parce qu’il allait quitter Montréal pour s’y installer et qu’ils vivraient là, mais de ne pas en parler à sa mère et à sa sœur, car ce serait une surprise. Cependant, il n’était pas à l’aéroport pour la rencontrer et, après quelques heures, elle a été contrainte de téléphoner à sa sœur pour qu’elle vienne la chercher. Les jours suivants, les efforts faits pour joindre Malkit Sandhu par téléphone ont eu peu de succès. La SI a conclu que ce comportement, passant d’une relation heureuse un jour à un abandon présumé le lendemain, n’avait pas été expliqué, et ce fait l’a amenée à conclure que le mariage avait été contracté en vue d’obtenir un avantage sur le plan de l’immigration, ce qui a été le cas quand la demanderesse s’était vu accorder le statut de résidente permanente.

[7]  La SI a également signalé que Malkit Sandhu n’est pas retourné en Inde pendant que la demande de parrainage était en traitement et que jamais les deux membres du couple n’ont vécu ensemble au Canada. La première et la dernière fois où la demanderesse a vu Malkit Sandhu au Canada c’était lors d’une visite au domicile de sa sœur, en avril 2008, quand il s’y était présenté dans l’après‑midi et était parti le lendemain matin. La SI a conclu que le but de cette visite n’était pas clair. De plus, la demanderesse a soutenu qu’au cours de la visite Malkit Sandhu lui aurait réclamé de l’argent, à elle et à sa famille, afin qu’il puisse faire venir son frère au Canada. La demanderesse a ajouté qu’elle ne comprenait pas la raison de cette demande, parce qu’il n’y avait eu aucune entente préalable au sujet du paiement d’une somme d’argent quelconque et que, quand la demande lui a été refusée, Malkit Sandhu s’est mis en colère et est parti. La SI a estimé que les demandes de cette nature, faites à des personnes arrivées avec succès au Canada sur le fondement d’une demande de parrainage, concordent habituellement avec des mariages contractés à des fins d’immigration. Elle a conclu que les deux membres du couple n’avaient pas vraiment cohabité en tant qu’époux et que la preuve n’étayait pas les conditions de vie réelles de conjoints authentiques.

[8]  La SI a porté une attention particulière au fait que la confirmation de résidence permanente de la demanderesse, remplie au point d’entrée le jour de son arrivée, comportait une adresse à Montréal biffée, de même que l’adresse de la sœur de la demanderesse inscrite à la main. Cette adresse devait avoir été inscrite par la demanderesse elle‑même, mais celle‑ci a soutenu qu’elle ignorait l’adresse à laquelle elle se rendait à Toronto. La SI a conclu que la demanderesse n’avait pas pu expliquer de manière crédible pourquoi cette adresse apparaissait sur son document et qu’elle prétendait ne pas se souvenir avoir fait part de cette adresse à l’agent d’immigration. La SI a conclu qu’il s’agissait là d’une preuve que, avant d’arriver au Canada, la demanderesse savait qu’elle se rendait au domicile de sa sœur.

[9]  La SI a également pris en compte trois documents qui, à son avis, confirmaient que le mariage de la demanderesse n’était pas authentique et qu’il avait été contracté principalement dans le but d’obtenir un statut au Canada. Dans sa demande de parrainage de son époux, en réponse à la question sur le « Type de relation » qu’elle entretenait avec Malkit Sandhu, elle a seulement inscrit que la relation avait duré du 19 février 2006 (la date du mariage) au 20 décembre 2007 (la date de son arrivée au Canada et de l’obtention du statut de résidente permanente). La même date de séparation a été réinscrite dans le questionnaire de parrainage, où il était indiqué que la relation avait duré du 19 février 2006 au 19 mars 2006, et que la date de séparation était le 30 décembre 2007. Enfin, dans un document intitulé [traduction« Date à laquelle la relation conjugale a pris fin », qu’il était nécessaire de présenter en lien avec son divorce et le partage de la pension, elle a une fois de plus inscrit le 30 décembre 2007 comme date de fin de la cohabitation. La SI n’a pas souscrit à l’explication de la demanderesse selon laquelle elle avait demandé l’aide de Mme Benipal pour remplir les formulaires et qu’elle n’était pas présente quand cela avait été fait, que Mme Benipal ne lui avait posé aucune question sur les formulaires, qu’elle n’avait fourni aucune information et qu’elle ignorait ce qu’elle signait. La SI a fait remarquer qu’une bonne part de ce témoignage ne concordait pas avec celui de Mme Benipal ou le contredisait, et elle a conclu que la demanderesse était fort probablement présente quand les formulaires avaient été remplis et qu’elle aurait forcément dû répondre de manière précise aux questions qu’ils contenaient. La SI a jugé que la demanderesse était responsable du contenu de sa demande.

[10]  La SI a conclu que ces documents prouvaient de manière claire et incontestable que, même aux yeux de la demanderesse, la relation entre Malkit Sandhu et elle avait pris fin au moment où elle s’était présentée au point d’entrée et avait obtenu le statut de résidente permanente. Si c’était le cas, elle n’appartenait donc plus à la catégorie du regroupement familial et, en poursuivant ses démarches et en faisant traiter sa demande de résidence permanente, elle avait fait une fausse déclaration.

[11]  La SI a aussi fait remarquer que, même si la demanderesse était une victime innocente, coincée par des faits causés par Malkit Sandhu, elle serait quand même responsable de la fausse déclaration ou d’une réticence sur des faits importants. Il y avait toutefois plus de chances que la fausse déclaration soit le fait des actions et des motivations personnelles de la demanderesse. Cette dernière n’a pas révélé que la relation était frauduleuse et qu’elle avait pour but d’obtenir un avantage en matière d’immigration. La fausse déclaration était également importante et pertinente. En se faisant passer pour une membre véritable de la catégorie du regroupement familial, en présentant son mariage comme authentique et en donnant la fausse impression que ce mariage n’avait pas été contracté principalement dans le but d’acquérir un statut, la demanderesse s’est présentée sous un faux jour en donnant des informations qui étaient inexactes ou mensongères.

[12]  La demanderesse a porté en appel la décision de la SI devant la SAI, qui a rejeté son appel le 31 juillet 2018. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

Décision faisant l’objet du présent contrôle

[13]  En appel devant la SAI, deux questions ont été soulevées : si la décision de la SI était valide en droit et, dans l’affirmative, s’il y avait suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier la prise de mesures spéciales à l’égard de la demanderesse. Dans une décision longue et détaillée, la SAI a conclu que la décision de la SI était valide en droit et qu’il n’y avait pas assez de motifs d’ordre humanitaire pour justifier la prise de mesures spéciales.

[14]  À l’audience devant la SAI, la demanderesse a fait valoir que la SI avait outrepassé sa compétence en se lançant à la recherche de l’authenticité du mariage plutôt que de se concentrer sur le fait de savoir s’il y avait eu une fausse déclaration sur un fait important. La SAI a toutefois conclu que la SI avait directement traité de la question de la fausse déclaration exposée dans le rapport fondé sur l’article 44 en concluant que les documents de divorce et de pension constituaient une preuve claire et incontestable que la relation entre la demanderesse et Malkit Sandhu avait pris fin au moment où elle s’était présentée au point d’entrée et avait obtenu la résidence permanente. Elle n’était donc pas membre de la catégorie du regroupement familial et, en poursuivant ses démarches et en faisant traiter sa demande de résidente permanente, elle avait fait une fausse déclaration.

[15]  La SAI a déclaré que la SI était allée plus loin et avait procédé à une analyse détaillée de la preuve, mais en expliquant pourquoi au début de ses motifs :

[23] Étant donné que les fausses déclarations présumées auraient été faites dans le cadre de l’obtention du statut de résident permanent par Mme Sandhu à titre de personne appartenant à la catégorie du regroupement familial en qualité d’épouse autorisée à être parrainée pour venir au Canada, l’analyse doit permettre de déterminer si le mariage qui l’autorisait à se réclamer de la catégorie du regroupement familial était authentique ou s’il visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi aux termes du paragraphe 4(1) du RIPR.

[24] Par ailleurs, il n’y a pas lieu d’écarter d’autres considérations, comme les motifs, les actions, ainsi que les événements relatifs à la dissolution du mariage et ceux survenus après ladite dissolution, qui offriraient une autre perspective ou des explications concernant un mariage, non terni à d’autres égards. Le premier critère consiste à déterminer si la personne en cause, Mme Sandhu, a fait de fausses déclarations sur un fait important au moment de présenter sa demande de résidence permanente et d’obtenir ce statut en qualité d’épouse de M. Sandhu.

[16]  La SAI a fait remarquer que la SI avait invoqué la décision Ramkissoon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 15534 (CF) [Ramkissoon], à l’appui de cette démarche et que le conseil n’avait produit aucune preuve ou observation quant à la raison pour laquelle cette démarche était inexacte. La SI, a conclu la SAI, n’avait pas outrepassé sa compétence.

[17]  La SAI a également déclaré qu’après avoir examiné en détail la décision de la SI elle avait trouvé que celle-ci était convaincante et qu’elle contenait des constatations raisonnables au sujet de la preuve et de la crédibilité de la demanderesse. La SAI a résumé dans ses motifs ces constatations ainsi que les conclusions de la SI et, essentiellement, elle les a faites siennes. Elle a également estimé qu’on lui avait soumis peu d’éléments de preuve nouveaux ou dignes de foi pour contrer le raisonnement de la SI mais que, dans le cadre de sa propre analyse, elle avait relevé plusieurs préoccupations nouvelles.

[18]  Elle a aussi conclu que le témoignage de la demanderesse et de ses témoins soulevait de sérieux doutes quant à la crédibilité. Ces doutes avaient trait aux incohérences relevées dans le témoignage de la demanderesse à propos de ce qu’elle savait au sujet de Malkit Sandhu avant le mariage, à la conduite de Malkit Sandhu et de la demanderesse après l’arrivée de cette dernière, à la date à laquelle le mariage avait pris fin, laquelle, a conclu la SAI, concordait avec celle où la demanderesse avait obtenu le droit d’établissement, de même qu’à la crédibilité des témoins de la demanderesse, dont sa sœur et une amie qui auraient rempli les formulaires pour son compte. La SAI a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse avait indiqué faussement que son mariage était authentique dans le but d’obtenir un statut au Canada, qu’elle était au courant du mariage frauduleux et qu’elle y avait pris part de son plein gré, et elle a convenu avec la SI que la demanderesse avait fait directement une fausse déclaration qui avait causé une erreur dans l’application de la LIPR.

[19]  Devant la SAI, la demanderesse a également fait valoir que la décision de la SI n’était pas valide en droit, car celle-ci n’avait pas examiné si la demanderesse était en mesure d’établir l’existence d’une exception rare à une conclusion de fausse déclaration, une exception qui survient dans les cas où un demandeur peut montrer qu’il croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas preuve de réticence au sujet de renseignements importants (Medel c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 CF 345 (CA) [Medel]). La SAI a conclu que la situation factuelle dont elle était saisie ne répondait pas au critère établi dans l’arrêt Medel, lequel aurait permis que l’exception fondée sur l’« erreur de bonne foi » s’applique. La SAI a ajouté que cette exception est d’une portée restreinte et que, comme elle a conclu que la demanderesse était tout aussi coupable que Malkit Sandhu de la perpétuation de la fraude, elle ne pouvait pas s’en prévaloir. La SAI a donc rejeté cet argument.

[20]  La SAI a ensuite examiné s’il y avait suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour faire droit à l’appel, en soupesant les facteurs énoncés dans la décision Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] DSAI no 4 (QL) [Ribic], et adaptés à une fausse déclaration. Quant à la gravité de la fausse déclaration, la SAI a fait remarquer qu’elle était d’avis que la demanderesse avait contracté sciemment un mariage de convenance dans le but d’immigrer au Canada et qu’une telle conduite portait directement atteinte au système d’immigration canadien, qui repose dans une large mesure sur la franchise et l’honnêteté des demandeurs. D’après la SAI, la conduite de la demanderesse était délibérée, inacceptable et continue (Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 998, aux para 36 à 39) et cette dernière ne s’était fait prendre qu’au moment où elle avait voulu parrainer son époux. Il lui fallait donc de nombreux motifs d’ordre humanitaire pour surmonter la gravité de sa fausse déclaration directe. L’affirmation de la demanderesse selon laquelle le mariage était authentique et son refus d’admettre qu’elle était responsable de la fausse déclaration, malgré une preuve contraire accablante, dénotaient un manque de remords. Quant à la question des difficultés en cas de retour, la SAI a fait remarquer que la demanderesse vivait et travaillait auparavant en Inde et qu’elle parle le pendjabi. Et même si elle disait qu’il lui serait difficile de vivre en Inde en tant que femme divorcée, elle s’était remariée et son époux se trouvait dans ce pays et pourrait subvenir à ses besoins à son retour. Elle avait également fait de nombreux voyages en Inde, pendant de nombreux mois dans plusieurs cas. La SAI a jugé que, même si la demanderesse se heurtait à des difficultés en cas de retour, celles-ci ne seraient pas graves et qu’il ne s’agissait pas là d’un facteur d’ordre humanitaire défavorable.

[21]  Pour la demanderesse, les facteurs favorables étaient le soutien de sa famille au Canada et l’effet qu’aurait sur cette dernière son retour en Inde. La SAI a fait remarquer que la demanderesse vit chez sa sœur depuis son arrivée au Canada en 2007 et qu’elle contribue au coût du loyer et des provisions alimentaires. La famille de sa sœur, la famille de la demanderesse et la mère de la demanderesse sont très proches, et sa propre mère prend soin de ses filles mineures quand elle travaille. Cependant, la dévastation que subirait la famille en cas de renvoi de la demanderesse était quelque peu atténuée par le fait que sa mère retourne en Inde chaque année, où elle passe la moitié de son temps. Le soutien de la collectivité au Canada et le degré d’établissement de la demanderesse étaient eux aussi des facteurs favorables, mais ce dernier facteur était quelque peu minimisé, car il était le fruit de sa fausse déclaration.

[22]  La SAI a également pris en compte l’intérêt supérieur des enfants mineures, qui sont citoyennes canadiennes, dont leur âge, quatre et cinq ans, la disponibilité de leur grand‑mère et de leur famille élargie au Canada, l’argument de la demanderesse selon lequel les filles ne bénéficieraient pas en Inde des mêmes activités, de la même nourriture et des mêmes possibilités d’instruction, et, dans ce dernier cas, parce qu’elles étudieraient en pendjabi. La demanderesse a déclaré que les filles ne parlent que quelques mots de pendjabi, mais la SAI a rejeté cet argument, qu’elle a considéré comme faux. La SAI a également pris en compte la disponibilité d’écoles privées en Inde et le fait que leur grand‑mère se rend dans ce pays chaque année. Elle a conclu que l’intérêt supérieur des enfants mineures ne militait pas en faveur de la prise de mesures spéciales à l’égard de la demanderesse.

[23]  La SAI a conclu que la gravité de la fausse déclaration de la demanderesse, son manque de remords ainsi que le manque de difficultés en cas de retour en Inde l’emportaient nettement sur les facteurs favorables. De plus, dans le cadre de l’appel, l’intérêt supérieur des enfants mineures ne favorisait pas la prise de mesures spéciales. L’appel a été rejeté.

Questions en litige et norme de contrôle applicable

[24]  La demanderesse soulève de nombreuses questions en litige, mais, à mon avis, il est possible de les résumer comme suit :

  • i) La décision de la SAI est‑elle raisonnable?

  • ii) La SAI a‑t‑elle manqué à l’obligation d’équité procédurale envers la demanderesse?

[25]  La décision de la SAI, à savoir que la demanderesse est interdite de territoire pour fausse déclaration et qu’il n’y a pas assez de motifs pour justifier l’octroi de mesures spéciales pour motifs d’ordre humanitaire, est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 942, au para 19; Uddin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 314, au para 19). Les questions d’équité procédurale sont contrôlées en fonction de la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au para 59 [Khosa]). La Cour d’appel fédérale a récemment déclaré que certaines questions de nature procédurale ne se prêtent aucunement à une analyse de la norme de contrôle applicable, comme dans les cas d’allégation de partialité. La question ultime consiste plutôt à savoir si la demanderesse connaissait la preuve qu’elle devait réfuter et si on lui a accordé la possibilité pleine et entière d’être entendue (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, aux para 55 et 56).

Question en litige no 1: La décision de la SAI est‑elle raisonnable?

Compétence – le dépassement de la portée du rapport fondé sur l’article 44

[26]  La demanderesse soutient que la SAI a commis une erreur en concluant que la SI n’avait pas outrepassé sa compétence en allant au-delà de la portée des allégations énoncées dans le rapport fondé sur l’article 44 et en analysant l’authenticité du mariage. Selon elle, la SAI aurait peut‑être pu évaluer l’authenticité de la relation, mais la SI n’a pas la même compétence. Elle soutient que la décision Ramkissoon, qu’invoquent la SAI et le défendeur, n’est pas utile, car elle traite de la compétence de la SAI sans faire référence aux paramètres de la compétence de la SI.

[27]  À l’inverse, le défendeur soutient qu’il était loisible à la SAI d’évaluer l’authenticité du mariage et le fait de savoir si la demanderesse l’avait contracté dans le but de résider avec le répondant. Même si la question dont la SI était saisie consistait à savoir si la demanderesse avait fait une fausse déclaration importante, la nature de cette dernière comportait indirectement une évaluation de l’authenticité du mariage. La question de la fausse déclaration et celle de l’authenticité du mariage sont étroitement liées. Il n’y avait rien de déraisonnable à ce que la SI examine en profondeur l’authenticité du mariage et conclue que la preuve d’un manque d’authenticité était liée à la fausse déclaration faite par la demanderesse à propos de son mariage quand elle est entrée au Canada en 2007 (Ramkissoon, au para 8). La demanderesse n’a pas non plus souligné un élément jurisprudentiel ou de preuve qui indiquait que la SI avait outrepassé sa compétence. Quoi qu’il en soit, il était loisible à la SAI d’examiner l’affaire à nouveau, ce qui incluait la preuve relative à l’authenticité du mariage, pour décider si la demanderesse avait fait une fausse déclaration importante au moment de demander et d’obtenir le statut de résidente permanente en la qualité d’épouse de son répondant, Malkit Sandhu.

[28]  Je conviens avec le défendeur qu’en l’espèce il y a un lien étroit entre la question de l’authenticité du premier mariage de la demanderesse et celle de savoir si celle-ci était séparée à la date d’obtention de son droit d’établissement. La SI a expliqué cela et a évalué ces deux questions en tant que telles. Le libellé du paragraphe 44(2) ne donne pas non plus à penser qu’il n’était pas loisible à la SI d’analyser une fausse déclaration découlant de la même situation factuelle que celle qui était alléguée dans le rapport fondé sur l’article 44. Il se peut qu’il survienne des questions d’équité procédurale si la SI va au-delà de la portée de la fausse déclaration qui est alléguée, mais ce n’est pas le cas en l’espèce. Dans la présente affaire, le rapport fondé sur l’article 44 énonce les renseignements sur lesquels il repose, notamment, que la demanderesse n’a pas informé les agents d’immigration avant qu’elle demande le statut d’immigrante, ou à ce moment‑là, qu’elle et son répondant étaient séparés et qu’elle a fait preuve de réticence sur un fait important, c’est‑à‑dire qu’elle n’entretenait plus de relation avec son répondant. C’est donc dire, à mon avis, que la SI évaluait en fait le doute même qui était soulevé dans le rapport fondé sur l’article 44.

[29]  Quant à la décision Ramkissoon, la Cour examinait dans cette dernière une décision par laquelle la SAI avait conclu que, dans cette affaire, la demanderesse avait obtenu le droit d’établissement au Canada à la suite d’une fausse déclaration sur un fait important, soit le fait d’avoir contracté un mariage dans le but d’obtenir son admission au Canada à titre de résidente permanente et non pas dans l’intention de vivre avec son répondant en qualité d’épouse. En analysant une allégation selon laquelle la SAI avait appliqué le mauvais critère au moment d’évaluer des éléments de preuve contradictoires, la Cour a écrit :

[8] De plus, le critère qu’a appliqué la SAI et qu’elle devait appliquer n’était pas celui qui a été formulé dans la décision Horbas. La SAI n’examinait pas l’authenticité d’une demande de parrainage d’un conjoint. La question à laquelle la SAI devait répondre était celle de savoir si la demanderesse avait donné une fausse indication sur un fait important lorsqu’elle a demandé le droit d’établissement à titre d’épouse de M. Pasad. Cela exige, indirectement bien sûr, une évaluation de l’authenticité du mariage et de la question de savoir si la demanderesse s’est mariée dans l’intention de vivre en permanence avec M. Pasad en qualité d’épouse. Par ailleurs, l’analyse de la preuve est différente et la SAI peut tenir compte, comme elle doit le faire, d’événements postérieurs à ceux qui ont été examinés par l’agent des visas à Port of Spain lorsque la demande d’établissement de la demanderesse parrainée par M. Pasad a été approuvée.

(Voir aussi la décision Dhaliwal c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 157, aux para 39 à 42)

[30]  C’est précisément la démarche qu’a suivie la SI en l’espèce. Je ne suis pas convaincue non plus que seule la SAI pouvait le faire, et non la SI. À l’appui de cette position, la demanderesse invoque l’article 67 de la LIPR, où il est indiqué que, pour pouvoir faire droit à un appel, la SAI doit être persuadée que la décision portée en appel est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait (al. 67(1)a)) ou que, compte tenu de l’intérêt supérieur d’un enfant directement touché par la décision, des motifs d’ordre humanitaire justifient, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales (al. 67(1)c)). Elle fait valoir, essentiellement, que les mots « les autres circonstances » attribuent à la SAI une compétence générale pour aller au‑delà du rapport fondé sur l’article 44. Cependant, même si c’était le cas, et je ne suis pas convaincue que oui, l’alinéa 67(1)c) n’étendrait la compétence de la SAI que dans le contexte de son analyse des motifs d’ordre humanitaire. Il ne le ferait pas dans le contexte de ses conclusions relatives à la fausse déclaration. La demanderesse ne relève rien d’autre dans la LIPR qui étayerait son opinion selon laquelle la SAI a une compétence plus large que celle de la SI pour ce qui est d’évaluer les circonstances étroitement liées qui sous‑tendent le rapport fondé sur l’article 44. Par ailleurs, la décision Ramkissoon a confirmé une conclusion de fausse déclaration et elle n’a pas déterminé que cette conclusion avait été tirée sans la compétence voulue (voir aussi Bolanos Blanco c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 280, aux para 26 et 28, et Julien c Canada (Sécurité publique et Protection civile, 2015 CF 150, qui confirment la compétence dont jouit la SI pour ce qui est d’examiner des questions qui se rapportent à la teneur d’un rapport fondé sur l’article 44).

[31]  Quoi qu’il en soit, la SI a clairement conclu que la demanderesse croyait que le mariage avait pris fin avant la date de son entrée au Canada. La SAI a confirmé ce fait et est arrivée à la même conclusion, disant que le mariage, tel qu’il existait, avait pris fin avant même qu’il commence ici au Canada. Selon moi, il était raisonnablement loisible à la SAI d’arriver à cette conclusion en se basant sur les éléments de preuve qu’elle avait en main. C’est donc dire que, indépendamment de la question de la compétence, la SAI a tenu une nouvelle audience et a rendu une décision raisonnable sur le fond.

Conclusions de crédibilité et conclusions de fait

[32]  La demanderesse fait valoir que les conclusions que la SAI a tirées en matière de crédibilité sont déraisonnables et elle les rattache à son argument selon lequel la SAI avait l’esprit fermé.

[33]  Je signale que, pour ce qui est de contrôler des conclusions relatives à la crédibilité, le rôle que joue la Cour est limité. La SAI a en effet l’avantage d’entendre les témoins s’exprimer et elle jouit, en la matière, d’une expertise que n’a pas la Cour, ce qui fait que la SAI est mieux placée pour tirer ce genre de conclusions (Ma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 838, au para 20; Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319; Aguebor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 160 NR 315, [1993] ACF no 732, au para 4 (QL) (CA). Il convient également de faire preuve d’une grande retenue à l’égard des conclusions que tire la SAI en matière de crédibilité (Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1052, au para 13, [2008] ACF n1329 (QL); Fatih c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 857, au para 65; Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, au para 7, 228 FTR 43) et un lourd fardeau incombe aux demandeurs qui cherchent à réfuter une conclusion selon laquelle ils manquent de crédibilité (Sanchez Jimenez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1098, au para 12 [Jimenez]). Le décideur est donc en droit de tirer des conclusions raisonnables en se fondant sur des invraisemblances, sur le bon sens et sur la raison (Jimenez, au para 12).

[34]  À mon avis, la demanderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau. Les conclusions que la SAI a tirées au sujet de la crédibilité étaient claires, multiples et fondées sur la totalité des éléments de preuve qu’elle avait en main. La SAI a conclu que les éléments de preuve que la demanderesse et ses témoins avaient fournis soulevaient de sérieux doutes quant à la crédibilité, des doutes dont elle a traité dans ses motifs.

[35]  Cependant, la demanderesse soutient que la SAI, malgré que celle-ci n’ait pas conclu qu’elle avait témoigné de manière vague, trompeuse ou exagérée, a refusé de considérer son témoignage comme véridique. Je signale qu’à divers endroits dans ses motifs la SAI a bel et bien estimé que le témoignage de la demanderesse était vague, évasif et incohérent. Et, même si ce n’était pas le cas, il n’est pas nécessaire que la SAI tire une conclusion explicite à cet égard pour rejeter la crédibilité du récit de la demanderesse. En l’espèce, la SAI a exposé et reconnu les doutes qu’avait la SI en matière de crédibilité et elle y a ajouté ceux qu’elle avait elle‑même, lesquels découlaient de l’audience qui avait eu lieu devant elle, dont des contradictions entre le témoignage fait par la demanderesse devant la SI et la SAI et des conclusions d’invraisemblance. Par exemple, devant la SI, quand on lui a demandé où vivait Malkit Sandhu, la demanderesse a répondu qu’un intermédiaire avait dit à la famille qu’il vivait au Québec. Devant la SAI, elle a déclaré que ce n’était qu’après le mariage qu’elle avait su qu’il vivait au Canada. De plus, devant la SI, elle a affirmé qu’elle savait avant de se marier que Malkit Sandhu était camionneur de métier, tandis que, devant la SAI, elle a indiqué qu’elle ne l’avait pas su avant qu’ils se marient et qu’il soit rentré au Canada.

[36]  La demanderesse soutient également que la SAI a analysé son témoignage de manière exagérément microscopique. Je ne suis pas d’accord. En fait, si on lit la décision de la SAI dans son ensemble, il est très clair que son analyse ne repose pas sur une évaluation microscopique de questions accessoires ou peu pertinentes. Elle souligne deux conclusions qui appuient sa position mais, même s’il fallait que je sois d’accord avec elle, ce qui n’est pas le cas, ces conclusions s’ajoutent à un certain nombre d’autres conclusions défavorables et importantes quant à la crédibilité qui montrent que la SAI a pris en considération la totalité du récit de la demanderesse ainsi que les éléments de preuve qui lui étaient soumis.

[37]  De plus, la demanderesse affirme que nulle part dans la décision il a été question des réalités culturelles de sa situation, un fait qui est particulièrement préoccupant au vu d’articles déposés en preuve qui portaient sur la stigmatisation rattachée au divorce dans les collectivités indienne et sikhe ainsi que sur le degré de sévices que les épouses doivent endurer pour éviter cette stigmatisation. Plus précisément, elle soutient que la SAI n’a pas tenu compte du fait qu’elle était une victime innocente qui suivait les instructions de Malkit Sandhu. La SAI a toutefois conclu que la demanderesse était tout aussi coupable que Malkit Sandhu de la perpétration de la fraude. La décision de contracter un mariage non authentique a donc été prise avant que la demanderesse puisse être victime de la stigmatisation que pouvait causer un divorce, et indépendamment de cette possibilité. Il y a aussi présomption que le décideur a pris en considération la totalité des éléments de preuve (Kumbanda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1267, au para 50), mais il n’est pas nécessaire qu’il fasse explicitement référence à chacun des éléments de preuve documentaire qui lui sont soumis. De plus, dans son analyse des motifs d’ordre humanitaire, la SAI a pris acte du témoignage de la demanderesse, à savoir qu’en tant que divorcée, elle aurait de la difficulté à vivre en Inde, mais la SAI a conclu que le statut de divorcée ne semblait pas avoir eu d’incidence sur la capacité de la demanderesse à marier son époux très peu de temps après son divorce d’avec Malkit Sandhu, c’est‑à‑dire que la demanderesse est aujourd’hui mariée et que son époux réside en Inde.

[38]  La demanderesse soutient également que la SAI a tiré plusieurs conclusions qui n’étaient pas fondées sur le dossier. Après avoir passé en revue ses observations et le dossier, je suis d’avis que dans tous les cas, sauf un, la SAI avait un fondement probant suffisant pour arriver aux conclusions qu’elle a tirées et que, dans le seul cas où elle n’en avait pas, ce fait n’avait eu aucune incidence sur sa décision.

[39]  En résumé, je ne suis pas convaincue que les conclusions de la SAI en matière de crédibilité que la demanderesse a contestées sont déraisonnables. La SAI n’a pas non plus tiré des conclusions de fait non fondées sur le dossier qui justifieraient que la Cour intervienne. Par ailleurs, il est important de signaler que la SAI a fondé sa décision sur la totalité de la preuve ainsi que sur les incohérences, contradictions et invraisemblances nombreuses et cumulatives qu’elle a relevées à cet égard.

Facteurs énoncés dans la décision Ribic – l’intérêt supérieur de l’enfant

[40]  Comme il est indiqué dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Li, 2017 CF 805 [Li] :

[22]  Les facteurs qui doivent être pris en compte dans les cas concernant des fausses déclarations sont établis dans Wang c Canada (MPSEP), 2016 CF 705, au paragraphe 8 :

8  Tout d’abord, la SAI, évoquant la décision de notre Cour dans Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059 [Wang], a conclu que les facteurs à prendre en considération dans les cas impliquant de fausses déclarations comprenaient : (i) la gravité des fausses déclarations, (ii) les remords exprimés, (iii) le temps passé au Canada par l’appelant et son degré d’enracinement, (iv) la présence de membres de la famille de l’appelant au Canada et les conséquences que le renvoi aurait pour la famille, (v) l’importance des épreuves que subirait l’appelant s’il était renvoyé du Canada, y compris la situation dans le pays où il serait probablement renvoyé.

[41]  En appliquant les facteurs énoncés dans la décision Ribic selon l’alinéa 67(1)c) de la LIPR, la SAI doit être convaincue, en tenant compte de l’intérêt supérieur d’un enfant directement touché par la décision, que, à la lumière de l’ensemble des circonstances de l’affaire, il y a suffisamment de facteurs d’ordre humanitaire qui justifient la prise de mesures spéciales. Une fausse déclaration qui est grave et qui est susceptible de militer contre l’octroi de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire doit être compensée par des facteurs favorables de poids égal ou supérieur selon la rubrique de la décision Ribic qui est prise en compte par la SAI de manière à ce qu’elle puisse conclure de manière raisonnable que la mesure envisagée est justifiée (Li, aux para 29 et 31).

[42]  Comme il a été mentionné plus tôt, la SAI a pris en considération chacun des facteurs énoncés dans la décision Ribic. La demanderesse n’a contesté aucune des conclusions de la SAI ni la manière dont ces facteurs ont été évalués, à part celui de l’intérêt supérieur de l’enfant.

[43]  En ce qui concerne l’intérêt supérieur des deux enfants mineures, la SAI a pris acte de l’analyse qu’exige l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy]. Elle a fait état de la citoyenneté canadienne des enfants, de leurs âges respectifs et de leurs activités, et du fait qu’elles appréciaient vivre dans un cadre familial où elles étaient entourées d’une famille élargie, dont une grand‑mère qui prenait soin d’elles. La SAI a noté que la demanderesse a déclaré qu’en Inde les enfants seraient instruites en pendjabi, qu’il y a dans ce pays des genres d’activités différents et que la nourriture n’est pas la même. La SAI a également signalé qu’il ressortait de la preuve que la demanderesse avait emmené ses enfants dans le cadre de nombreux voyages en Inde, d’une durée de plusieurs mois à la fois, afin qu’elles passent du temps en compagnie de leur père dans un contexte familial.

[44]  La SAI a pris acte du témoignage de la demanderesse selon laquelle son époux est agriculteur et ses revenus sont restreints. La demanderesse a affirmé que son époux possède un petit lopin de terre où il cultive du blé et du riz, que sa maison est située sur ce lopin de terre et qu’elle n’est pas au courant de la valeur de ce bien. Elle a également précisé que ses enfants ont une excellente relation avec leur père.

[45]  La SAI a indiqué que, même si la demanderesse a affirmé que ses filles ne parlent que deux ou trois mots de pendjabi, il a été établi que cela était faux à la suite de questions posées par le conseil du ministre. Plus précisément, quand les enfants parlent à leur père en anglais, celui‑ci répond qu’il ne les comprend pas et elles s’expriment alors en pendjabi. De plus, la demanderesse a affirmé que sa mère et sa sœur parlent toutes deux le pendjabi à la maison et que sa mère, qui prend soin des enfants, ne connaît que quelques mots en anglais. La SAI a conclu que l’affirmation de la demanderesse selon laquelle les enfants ne parlent pas le pendjabi était fausse et avait pour but de renforcer son appel et qu’il était plus probable que les enfants avaient l’avantage de pouvoir s’exprimer couramment dans les deux langues.

[46]  La SAI a signalé que, même si le conseil avait produit des preuves relatives à la situation du système d’éducation en Inde, lesquelles indiquaient que dans ce pays le système des écoles publiques n’est pas très avancé, la demanderesse s’était efforcée de faire des économies et bénéficiait d’un bon coussin de sécurité dont elle pourrait se servir pour inscrire ses filles dans une école privée en Inde si elle décidait de le faire. Il semblait de plus que les enfants auraient accès à des cours en anglais.

[47]  La SAI a également tenu compte du fait que la grand‑mère des enfants, dont celles‑ci étaient très proches, se rendait en Inde chaque année, et elle a déclaré que si la relation était aussi étroite que la demanderesse voulait que la SAI le croie, il paraissait évident que la grand‑mère des filles ferait des efforts concertés pour passer avec elles un temps considérable en Inde. La SAI a fait remarquer que les filles sont citoyennes canadiennes et que s’il semblait, à un moment quelconque au cours de la période d’exclusion de cinq ans, que le système indien ne faisait pas l’affaire, la demanderesse aurait le choix de les renvoyer au Canada pour qu’elles reprennent leurs études tout en vivant dans le domicile familial (celui de la sœur de la demanderesse). En fin de compte, toutefois, il est toujours préférable pour les enfants, notamment quand ils sont jeunes, d’avoir dans toute la mesure du possible un accès physique et facile aux deux parents.

[48]  Après avoir soupesé l’ensemble des facteurs touchant les enfants mineures dans cet appel, la SAI a conclu que l’intérêt supérieur de ces enfants ne militait pas en faveur de la prise de mesures spéciales à l’égard de la demanderesse.

[49]  La demanderesse soutient que l’analyse de la SAI est insuffisante et que cette dernière a appliqué un critère des difficultés. À cet égard, son analyse lacunaire est semblable à celle dont il était question dans la décision soumise à un contrôle judiciaire dans l’affaire Bautista c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1008 [Bautista]. De plus, la SAI a minimisé les effets d’un déménagement en Inde, et il était déraisonnable de sa part de conclure que les enfants de la demanderesse parlent le pendjabi, car cela était contraire au témoignage de la demanderesse et de ses témoins. La demanderesse soutient par ailleurs que la SAI n’a pas traité d’éléments de preuve tels que son témoignage selon lequel les revenus que gagne son époux sont insuffisants pour subvenir aux besoins de la famille.

[50]  Le défendeur est d’avis que la SAI a soupesé de manière appropriée la totalité des facteurs pertinents dans le cadre de son évaluation des motifs d’ordre humanitaire qui étaient invoqués dans les circonstances. La SAI a analysé de manière raisonnable l’intérêt supérieur des enfants. Elle n’a pas appliqué un critère plus strict. Toutes les circonstances ont été prises en compte : leur âge, leurs aptitudes linguistiques, leur degré d’instruction, leurs liens étroits avec la famille au Canada et leur relation avec leur père. Après avoir soupesé tous les facteurs, la SAI a conclu que la gravité de la fausse déclaration et l’absence de remords l’emportaient sur n’importe quel facteur qui faisait pencher la balance en faveur de la demanderesse. Un contrôle judiciaire n’a pas pour rôle de soupeser à nouveau ces facteurs.

[51]  Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a examiné l’obligation, énoncée au paragraphe 25(1) de la LIPR, de prendre en compte l’intérêt supérieur d’un enfant directement touché et elle a déclaré que le principe de l’intérêt supérieur est de nature hautement contextuelle en raison de la multitude de facteurs qui peuvent avoir une incidence sur cet intérêt. Il convient donc d’appliquer ce facteur d’une manière sensible à l’âge, à la capacité, aux besoins et au degré de maturité de chaque enfant. Le décideur se doit de considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable et y être réceptif, attentif et sensible (Kanthasamy, au para 38, faisant référence à l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux para 74 et 75).

[52]  Une décision rendue en vertu du paragraphe 25(1) est déraisonnable si l’intérêt des enfants qu’elle touche n’est pas suffisamment pris en compte. Il faut donc que les décideurs fassent plus que mentionner simplement qu’ils ont pris en compte l’intérêt d’un enfant; il faut que cet intérêt soit bien identifié et défini et qu’il soit examiné avec beaucoup d’attention, eu égard à l’ensemble de la preuve. De plus, quand la loi prescrit expressément qu’il faut prendre en considération l’intérêt supérieur d’un enfant directement touché, cet intérêt représente une considération singulièrement importante (Kanthasamy, aux para 23 à 25, 35, 38 et 41).

[53]  En conséquence, et même si la décision a été rendue en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR et non de l’article 25, la SAI se devait d’être réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants, d’accorder à cet intérêt un poids considérable, de l’examiner avec soin et attention au regard de la totalité de la preuve et de prendre en compte la situation personnelle des enfants.

[54]  Quant au fait que la demanderesse invoque la décision Bautista, je signale que cette affaire a été tranchée avant Kanthasamy. Il ressort de la jurisprudence ultérieure qu’aucune formule précise ou aucun critère strict n’est prescrit ou requis pour ce qui est d’analyser la question de l’intérêt supérieur, ou pour démontrer que la SAI ou un agent d’immigration a été réceptif, attentif et sensible à cet intérêt (voir, par exemple, Semana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1082 [Semana]; Boukhanfra c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 4).

[55]  De plus, en tenant compte des motifs de la SAI et des exigences de l’arrêt Kanthasamy, je ne suis pas d’accord que la SAI a appliqué un critère des difficultés ou n’a pas suffisamment tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants mineures.

[56]  La demanderesse insiste également beaucoup sur la conclusion de la SAI selon laquelle il est probable que les enfants mineures parlent couramment le pendjabi et l’anglais et cette conclusion, indique-t-elle, n’est pas fondée sur la preuve qu’elle a fournie. Elle a effectivement affirmé que ses enfants ne parlent que deux ou trois mois de pendjabi, mais elle a aussi dit que sa mère prend soin des enfants et que cette dernière ne connaît que quelques mots d’anglais. Quand on lui a demandé quelle était la langue parlée à la maison, elle a répondu que sa mère et sa sœur parlent le pendjabi. Quand on lui a demandé ce que parlent les enfants, sa réponse a été vague, mais elle a finalement déclaré que [traduction« ici ses enfants parlent l’anglais et cela aide leurs parents à améliorer leur anglais ». Elle a également dit que quand les enfants parlent à leur père au téléphone elles ne connaissent que trois mots en pendjabi : [traduction« as‑tu mangé du roti », et que son époux ne connaît pas beaucoup l’anglais. Mais elle a aussi fait savoir que les enfants et elle sont allées plusieurs fois en Inde, qu’elles ont vécu avec son époux en tant que famille et que les enfants ont une bonne relation avec leur père. À mon avis, compte tenu de son témoignage et de la conclusion antérieure de la SAI selon laquelle la demanderesse n’est pas digne de foi, il lui était loisible de ne pas croire que les enfants ne connaissaient que trois mots en pendjabi. Par ailleurs, même si la SAI s’est trompée et que les enfants ne sont pas bilingues, vu leur jeune âge et le fait qu’il ne s’agit là que de l’un des facteurs dont elle a tenu compte, l’erreur n’est pas fatale.

[57]  La demanderesse a déclaré que son époux gagne un faible revenu, mais je signale qu’elle a eu les moyens de lui rendre visite et de vivre avec lui à de nombreuses reprises pendant un temps prolongé et qu’elle n’a fourni aucune preuve que, lors de ces visites, les enfants et elle avaient eu des difficultés financières. La SAI a également conclu que la demanderesse n’était pas digne de foi. De plus, elle a bel et bien pris acte du témoignage de la demanderesse au sujet du revenu que gagne son époux, mais un changement de niveau de vie, à lui seul, ne suffit pas pour justifier la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire en se fondant sur l’intérêt supérieur des enfants.

[58]  En conclusion, la SAI a pris en considération l’ensemble des facteurs énoncés dans la décision Ribic, y compris l’intérêt supérieur des enfants. Je ne relève aucune erreur dans l’analyse qu’elle fait de ce facteur, et il n’appartient pas à la Cour de soupeser de nouveau la preuve.

Question en litige no 2: La SAI a‑t‑elle manqué à l’obligation d’équité procédurale envers la demanderesse?

[59]  La demanderesse fait valoir que les erreurs qu’aurait commises la SAI montrent que celle-ci a tranché son appel en ayant l’esprit fermé. Comme preuve de cette fermeture d’esprit, elle souligne aussi certaines de ses déclarations, comme : « Il n’est pas logique que l’appelante languisse à Brampton en attendant l’arrivée de Malkit pour finalement commencer leur vie matrimoniale, alors qu’elle ne l’avait pas vu en personne depuis avril 2008. » La demanderesse souligne également la conclusion de la SAI selon laquelle l’exception établie dans la décision Medel ne s’appliquerait pas à elle parce qu’elle était une participante consentante et qu’elle était tout aussi coupable que Malkit Sandhu de la perpétration de cette fraude. Cette conclusion, soutient-elle, montre là encore que la commissaire de la SAI avait l’esprit fermé.

[60]  Le défendeur soutient que la demanderesse n’a fourni aucune preuve à l’appui de l’affirmation selon laquelle la commissaire de la SAI avait l’esprit fermé lorsqu’elle a tiré ses conclusions. Le seuil à atteindre pour conclure à une fermeture d’esprit réelle ou perçue est très élevé. La SAI était en droit de tirer des conclusions au sujet de la crédibilité de la demanderesse en se fondant sur la preuve. Une conclusion défavorable quant à la crédibilité ou un résultat défavorable ne sont pas, en l’absence d’autres éléments, une preuve de fermeture d’esprit. De plus, la SAI n’a pas refusé de prendre en considération l’exception établie dans la décision Medel. Elle a simplement conclu qu’elle ne s’appliquait pas. Vu ses conclusions, il était raisonnable de conclure que la demanderesse ne pouvait pas prétendre qu’elle croyait honnêtement ou raisonnablement ne pas avoir faire preuve de réticence à l’égard de renseignements importants. Cette exception est étroite et elle ne s’appliquait pas en l’espèce.

[61]  La demanderesse structure cet argument sous l’angle de la « fermeture d’esprit », mais cette allégation s’articule en fait autour d’une affirmation tacite de partialité. Le critère relatif à une crainte raisonnable de partialité est le suivant : à quelle conclusion arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique? Cette personne penserait‑elle probablement que le décideur, de manière consciente ou inconsciente, ne rendrait pas une décision juste? (Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c Yukon (Procureur général), 2015 CSC 25). Il y a également présomption que, en l’absence d’une preuve contraire, les membres d’un tribunal administratif agissent de manière équitable et impartiale (Zündel c Citron, [2000] 4 CF 225, au para 36 (CA) [Zündel]; R c S (R.D.), [1997] 3 RCS 484). Le seuil à franchir pour conclure à une partialité réelle ou apparente est élevé; il faut démontrer l’existence d’une réelle probabilité de partialité, et un simple soupçon ne suffit pas (Zündel, au para 36). La charge d’établir la partialité incombe à la personne qui en allègue l’existence (Zündel, au para 36).

[62]  En tenant compte de la norme élevée en matière de partialité, je ne puis conclure que la demanderesse s’est acquittée de son fardeau de preuve. Comme l’a fait remarquer le défendeur, un grand nombre des arguments de la demanderesse confondent une conclusion relative à la crédibilité qui lui est défavorable et le rejet de ses arguments avec une preuve de partialité. Et même si la SAI avait commis toutes les erreurs que la demanderesse allègue, ce qui, ai‑je conclu, n’est pas le cas, il faudrait quelque chose de plus qu’une erreur, une conclusion déraisonnable quant à la crédibilité ou une décision déraisonnable pour démontrer qu’il y a eu partialité ou fermeture d’esprit.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5124‑18

LA COUR DÉCLARE QUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’a été proposé ou il ne se pose aucune question de portée générale à certifier.

  3. Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5124‑18

INTITULÉ :

KANWALJIT KAUR SANDHU c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 MAI 2019

JUGeMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

DATE DES MOTIFS :

LE 4 JUILLET 2019

COMPARUTIONS :

Tamara Thomas

POUR LA DEMANDERESSE

Kevin Doyle

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bellissimo Law Group

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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