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Date : 20200121


Dossier : IMM-2894-19

Référence : 2020 CF 89

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Winnipeg (Manitoba), le 21 janvier 2020

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

ABOLFAZL EBRAHIMSHANI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un agent des visas de la Section des visas de l’ambassade du Canada à Varsovie, en Pologne, a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur au titre de la catégorie des travailleurs autonomes, en vertu du paragraphe 100(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR).

Contexte

[2]  Le demandeur, Abolfazl Ebrahimshani, est un citoyen de l’Iran. Il a présenté une demande de résidence permanente au Canada en novembre 2017, dans la catégorie économique à titre de travailleur autonome. Dans sa demande, il se décrit comme étant un artiste indépendant depuis décembre 2014. Ses activités artistiques comprennent la sculpture, la fabrication de tapis et la conception de couvertures de livres et de CD. Auparavant, il était gestionnaire de projet pour la restauration d’une propriété historique. La profession dans laquelle il a l’intention d’être travailleur autonome consiste à établir une galerie d’art où il peut concevoir des tapis et des sculptures destinés à la vente et organiser des ateliers. En plus de sa demande, le demandeur a également présenté un plan d’affaires. L’agent des visas a rejeté la demande au motif que le demandeur n’avait pas réussi à établir qu’il avait satisfait à la définition de travailleur autonome ou qu’il pouvait la satisfaire, laquelle est énoncée au paragraphe 88(1) du RIPR. Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.

Décision faisant l’objet du contrôle

[3]  Dans la lettre de décision du 7 mars 2019, l’agent des visas a précisé que, conformément au paragraphe 12(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), un étranger peut être choisi comme membre de la catégorie économique en fonction de sa capacité à réussir son établissement économique au Canada. En outre, pour l’application du paragraphe 12(2) de la LIPR, le paragraphe 100(2) du RIPR énonce que la catégorie des travailleurs autonomes est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada et qui sont des travailleurs autonomes au sens du paragraphe 88(1). Ce paragraphe définit le travailleur autonome comme étant un étranger qui a l’expérience utile et qui a l’intention et est en mesure de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada. En vertu du paragraphe 100(2) du RIPR, si ces demandeurs ne sont pas des travailleurs autonomes au sens du paragraphe 88(1), l’agent met fin à l’examen de la demande et la rejette.

[4]  L’agent des visas n’était pas convaincu que le demandeur répondait à la définition d’un travailleur autonome parce que, d’après la preuve présentée, il n’avait pas démontré qu’il avait la capacité et l’intention de devenir un travailleur autonome au Canada. Par conséquent, le demandeur n’était pas admissible à recevoir un visa de résident permanent au titre de la catégorie des travailleurs autonomes.

[5]  Les notes versées dans le Système mondial de gestion des cas (les notes du SMGC) font partie des motifs de la décision (De Hoedt Daniel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1391, au paragraphe 51; Afridi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 193, au paragraphe 20; Muthui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 105, au paragraphe 3). Ces notes indiquent que le demandeur a soutenu qu’il est un sculpteur indépendant en Iran et qu’il aimerait établir sa propre galerie au Canada où il concevrait des tapis et des sculptures destinés à la vente, et tiendrait des ateliers. Dans le SMGC, les notes de l’agent des visas indiquent que les observations du demandeur à l’appui de la demande ont été examinées, y compris son plan d’affaires. En outre, ces renseignements sur le travail autonome que le demandeur entend réaliser au Canada se reflètent dans la demande et le plan d’affaires. Toutefois, le demandeur n’a présenté qu’une brève description du travail autonome qu’il entend réaliser. Le plan d’affaires fournit des renseignements généraux sur les activités dans le domaine concerné au Canada. Il est également indiqué que le demandeur aimerait ouvrir une galerie d’art au Canada où il pourrait concevoir et exposer ses propres œuvres, et organiser certains événements, y compris des ateliers. Le plan d’affaires présente des projections financières, toutefois, le fondement de ces données n’est pas clair. Le plan d’affaires comprend également des renseignements généraux, de source ouverte et de haut niveau sur l’industrie dans son ensemble au Canada, et ne présente qu’une petite quantité de renseignements sur Toronto et la région environnante où le demandeur a l’intention de s’établir. L’agent des visas a souligné qu’il n’y avait pas suffisamment d’information indiquant que le demandeur a effectivement établi des contacts au Canada afin d’étudier la faisabilité de l’entreprise proposée ni aucune preuve d’une visite de prospection. L’agent des visas a conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’il avait effectué des recherches approfondies sur le marché canadien, plus particulièrement sur la ville de destination, dans le domaine d’activité commerciale qu’il se proposait d’exercer, et que son plan était raisonnablement susceptible de mener à un emploi autonome et à la pénétration du marché dans le domaine de travail autonome visé. L’agent des visas n’était pas convaincu que le demandeur avait la capacité et l’intention de devenir un travailleur autonome au Canada.

Questions en litige

[6]  Le demandeur soutient que l’agent des visas a conclu de façon déraisonnable que son plan d’affaires était trop général et qu’il a manqué à l’équité procédurale en omettant de lui donner la possibilité de répondre à ses préoccupations. Le défendeur soutient que la seule question soumise à la procédure de contrôle judiciaire consiste à déterminer s’il était raisonnable pour l’agent des visas de conclure que le demandeur n’avait pas démontré qu’il avait l’intention ou la capacité de devenir un travailleur autonome au Canada.

[7]  Je reformulerais ainsi les questions :

  1. L’agent des visas a-t-il violé le droit du demandeur à l’équité procédurale?

  2. La décision de l’agent des visas était-elle raisonnable?

Norme de contrôle

[8]  Dans ses observations écrites, le demandeur n’a présenté aucune observation précise concernant la norme de contrôle. Le défendeur a soutenu que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, étant donné que les décisions des agents des visas concernant la résidence permanente comportent des questions de fait et que les agents des visas ont une expertise reconnue.

[9]  Après que les parties eurent déposé leurs observations écrites, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov), dans lequel la Cour réexamine la norme de contrôle applicable aux décisions administratives. Par conséquent, lors de l’audience de la présente demande de contrôle judiciaire, j’ai demandé si les parties souhaitaient présenter des observations supplémentaires découlant de l’arrêt Vavilov et concernant la norme de contrôle applicable en l’espèce.

[10]  Les avocats ont convenu que la norme de la décision raisonnable demeure la norme de contrôle appropriée pour évaluer le bien-fondé de la décision de l’agent des visas. Le demandeur a soutenu que la norme de la décision correcte est celle qui s’applique à la question de l’équité procédurale.

Équité procédurale

[11]  Dans les arrêts Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, la Cour suprême a conclu que les questions d’équité procédurale sont examinées selon la norme de la décision correcte. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour ne précise pas explicitement si les questions d’équité procédurale continueront d’être examinées selon la norme de la décision correcte. Toutefois, en établissant la raisonnabilité comme la norme de contrôle présumée s’appliquer à la plupart des questions soumises au contrôle judiciaire, le cadre établi par la Cour suprême est utilisé « en cas de contestation qui porte sur le fond d’une décision administrative » (Vavilov, au paragraphe 16). Au paragraphe 23, la Cour a en outre précisé qu’une contestation qui porte sur le fond n’a pas trait à la justice naturelle ou à l’équité procédurale :

Lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond (c.-à-d. le contrôle judiciaire d’une mesure administrative qui ne comporte pas d’examen d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale), la norme de contrôle qu’elle applique doit refléter l’intention du législateur sur le rôle de la cour de révision, sauf dans les cas où la primauté du droit empêche de donner effet à cette intention.  L’analyse a donc comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable.

[12]  Sur cette base, à mon avis, la jurisprudence antérieure qui établit la norme de la décision correcte comme norme de contrôle pour les questions liées à l’équité procédurale fait toujours autorité.

[13]  Je ne suis pas d’accord avec les observations présentées de vive voix par l’avocat du demandeur qui soutient, si j’ai bien compris, que le paragraphe 58 de l’arrêt Vavilov commande l’application de la norme de la décision correcte à la question de l’équité procédurale soulevée par le demandeur, puisqu’il s’agit d’une question de droit générale qui est d’importance fondamentale pour le système juridique dans son ensemble. Ce n’est pas ce qu’indique le paragraphe 58. Toutefois, pour les motifs exposés ci-dessus, je conviens que la norme de la décision correcte demeure applicable aux questions d’équité procédurale, et je n’ai donc pas besoin d’examiner cette observation plus en détail.

Bien-fondé

[14]  En ce qui concerne le bien-fondé de la décision, l’arrêt Vavilov a établi une présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable est la norme applicable chaque fois qu’une cour contrôle une décision administrative (Vavilov, aux paragraphes 16, 23 et 25). Cette présomption peut être réfutée dans deux types de situations. La première est celle où le législateur a prescrit expressément la norme de contrôle applicable ou a prévu un mécanisme d’appel d’une décision administrative devant une cour. La deuxième est celle où la primauté commande l’application de la norme de la décision correcte. C’est le cas pour certaines catégories de questions, soit les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs, ou toute autre catégorie qui pourrait être reconnue par la suite comme exceptionnelle et qui nécessiterait également un contrôle selon la norme de la décision correcte (Vavilov, aux paragraphes 17 et 69). 

[15]  Dans l’arrêt Vavilov, les juges majoritaires ont estimé que « c’est le fait même que le législateur choisit de déléguer le pouvoir décisionnel qui justifie l’application par défaut de la norme de la décision raisonnable » (Vavilov, au paragraphe 30, italique dans l’original). En l’espèce, la norme de la décision raisonnable présumée s’applique parce que l’agent des visas a le pouvoir délégué de rendre la décision faisant l’objet du contrôle et parce qu’il n’existe aucune circonstance qui pourrait réfuter cette présomption.

[16]  Dans Vavilov, la Cour suprême s’est également penchée sur la manière dont une cour de révision doit procéder à un contrôle fondé sur la norme de la décision raisonnable (aux paragraphes 73-145). À cet égard, elle a soutenu qu’« [a]fin de remplir la promesse formulée dans l’arrêt Dunsmuir d’assurer “la légalité, la rationalité et l’équité du processus administratif et de la décision rendue”, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation sensible et respectueuse, mais aussi rigoureuse, des décisions administratives : au paragraphe 28 » (Vavilov, au paragraphe 12). La cour de révision doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous-jacent à celle-ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au paragraphe 15).

Question préliminaire – Absence d’affidavit personnel

[17]  À l’étape de l’autorisation, le défendeur a présenté des observations concernant le fait que le demandeur n’a pas déposé d’affidavit personnel à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, y compris le fait que cette irrégularité était à elle seule un fondement suffisant pour que la Cour puisse rejeter la demande. Lors de sa comparution devant moi, le défendeur n’a pas abordé cet aspect de ses observations, mais a soutenu que, même si l’absence d’un affidavit personnel n’était pas fatale, lorsqu’aucune preuve fondée sur la connaissance personnelle n’est produite au soutien d’une demande de contrôle judiciaire, toute erreur alléguée par le demandeur doit être manifeste au vu du dossier. Le défendeur soutient que le demandeur ne l’a pas fait.

[18]  Le demandeur soutient qu’une demande de contrôle judiciaire n’a pas à être rejetée pour le motif qu’aucun affidavit approprié n’a été déposé lorsque l’affidavit suffit à établir l’existence de la demande ainsi que son rejet (Zheng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2002 CFPI 1152, au paragraphe 5; Turcinovica c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2002 CFPI 164, aux paragraphes 11-14 (Turcinovica)).

[19]  En l’espèce, le seul affidavit déposé était celui de Mme Helia Hazaei, qui affirme qu’elle est adjointe au bureau de l’ancien avocat du demandeur qui a aidé le demandeur dans ses affaires d’immigration. Par conséquent, elle connaît personnellement les faits qui y sont exposés. Toutefois, l’affidavit ne présente aucun fait, sauf qu’il indique que la pièce A qui y est jointe est une copie de la demande de résidence permanente qui a été présentée par son bureau au nom du demandeur. 

[20]  Un affidavit produit à l’appui d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision en matière d’immigration est l’une des principales sources d’information à partir de laquelle la Cour saisit les préoccupations du demandeur à l’égard du processus décisionnel (Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 491, au paragraphe 14 (Zhang 2017)). Lorsqu’un demandeur ne présente pas d’affidavit, la demande de contrôle judiciaire est incomplète et la Cour peut rejeter la demande pour ce motif (Dhillon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 614, au paragraphe 9). Lorsqu’un affidavit, comme c’est le cas en l’espèce, n’est pas fourni par un demandeur, mais par un adjoint juridique et confirme simplement qu’une demande de résidence permanente a été déposée, la Cour peut ne lui accorder aucune valeur probante ou aucun poids (Dhillon, au paragraphe 10; Zhang 2017, au paragraphe 14). En outre, lorsqu’aucune preuve fondée sur la connaissance personnelle n’est produite au soutien d’une demande de contrôle judiciaire, toute erreur alléguée par le demandeur doit être manifeste au vu du dossier (Turcinovica, au paragraphe 14).

[21]  En l’espèce, l’affidavit de Hazaei sert simplement à confirmer qu’une demande de résidence permanente a été présentée au nom du demandeur. Le dossier du demandeur a fourni la décision rejetant la demande. Dans ces circonstances, je ne rejetterai pas la demande de contrôle judiciaire simplement au motif qu’aucun affidavit personnel du demandeur n’a été présenté. Toutefois, je constate que l’affidavit de Hazaei pose problème pour d’autres raisons. Premièrement, la demande d’immigration jointe a en fait été déposée par Masoud Feiz de World Wide Immigration Services Inc., qui semble être un consultant en immigration, et non un avocat, comme l’affirme Mme Hazaei dans son affidavit. Plus important encore, et comme l’a souligné le défendeur, une partie du plan d’affaires joint à l’affidavit diffère du plan d’affaires figurant dans le dossier certifié du tribunal (DCT). Rien n’explique cette divergence. Cela remet en question la connaissance personnelle de Mme Hazaei du contenu de la demande d’immigration qui a été présentée par son bureau au nom du demandeur.

[22]  Dans ces circonstances, l’affidavit sert uniquement à établir que la demande de résidence permanente a été déposée. Autrement, je n’accorderai pas de valeur probante à l’affidavit et à son contenu et je n’utiliserai que le DCT. En outre, les erreurs alléguées par le demandeur doivent être manifestes au vu de ce dossier. 

Première question en litige : L’agent des visas a-t-il violé le droit du demandeur à l’équité procédurale?

Position du demandeur

[23]  Les observations du demandeur sont contradictoires à certains égards, mais elles se résument à la position selon laquelle le défaut de donner à un demandeur la possibilité de répondre aux préoccupations d’un agent des visas constitue un manquement à l’équité procédurale, particulièrement lorsque les préoccupations d’un agent ont trait à la crédibilité, à l’exactitude ou à l’authenticité des renseignements présentés par le demandeur (Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283), au paragraphe 24 (Hassani).

[24]  Le demandeur soutient que les conclusions de l’agent des visas ne sont pas liées à la suffisance de la preuve, ce qui ne donnerait pas au demandeur la possibilité de répondre à ses préoccupations. Il soutient que la preuve existait, mais l’agent a conclu qu’elle était trop générale; il avait des doutes quant à sa source et il n’était pas convaincu que le demandeur avait la capacité et l’intention d’être un travailleur autonome au Canada. Selon le demandeur, les préoccupations de l’agent des visas n’auraient pas pu être anticipées et on aurait dû lui permettre de les dissiper.

[25]  En outre, le fait de mettre en doute la source de la preuve équivaut à remettre en question sa crédibilité, et l’équité procédurale exigeait que le demandeur ait eu l’occasion de dissiper les préoccupations de l’agent des visas.

Position du défendeur

[26]  Le défendeur soutient que l’obligation d’équité procédurale dont doit s’acquitter l’agent des visas se trouve à l’extrémité inférieure du spectre, et qu’il n’est pas tenu d’aviser un demandeur des lacunes relevées dans les documents fournis à l’appui de la demande, ou de donner la chance au demandeur de répondre à ses préoccupations (Tollerene c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 538 (Tollerene)). En outre, il incombe aux demandeurs de fournir des preuves suffisantes à l’appui de leur demande afin d’établir qu’ils ont satisfait aux exigences en matière de visa (LIPR, au paragraphe 22(1); Guryeva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1103, au paragraphe 5; Kameli c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 772, au paragraphe 17). Plus précisément, les demandeurs qui demandent la résidence permanente dans la catégorie des travailleurs autonomes doivent démontrer leur capacité et leur intention de réussir leur établissement économique au Canada (par. 88(1), 100(1) et 100(2) du RIPR; Pourkazemi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 1998 CanLII 8830, au paragraphe16). Le demandeur ne s’est tout simplement pas acquitté de son fardeau.

Analyse

[27]  Dans Hamza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 264 (Hamza), la juge Bédard a présenté un résumé utile du droit qui s’applique en l’espèce :

[22]  Premièrement, il incombe clairement au demandeur ou à la demanderesse d’établir qu’il ou qu’elle répond aux exigences du Règlement en fournissant des éléments de preuve suffisants à l’appui de sa demande (El Sherbiny c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 69, au paragraphe 6 (disponible sur CanLII) [El Sherbiny]; Enriquez, précitée, au paragraphe 8; Torres, précitée, aux paragraphes 37 à 40; Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 758, au paragraphe 30 (disponible sur CanLII) [Kaur]; Oladipo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 366, au paragraphe 24, 166 ACWS (3d) 355; Ismaili, précitée, au paragraphe 18.

[23]  Deuxièmement, l’obligation d’équité procédurale dont doivent s’acquitter les agents des visas se trouve à l’extrémité inférieure du spectre (Farooq c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 164, au paragraphe 10 (disponible sur CanLII) [Farooq]; Sandhu, précitée, au paragraphe 25; Trivedi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 422, au paragraphe 39 (disponible sur CanLII) [Trivedi]; Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 345, aux paragraphes 30 à 32, [2002] 2 CF 413; Patel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 55, au paragraphe 10, 288 NR 48; Chiau c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 2000 CanLII 16793 (CAF), [2001] 2 CF 297, au paragraphe 41 (disponible sur CanLII) (CA), autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 28418 (16 août 2001).

[24]  Troisièmement, un agent des visas est ni tenu d’aviser un demandeur ou une demanderesse des lacunes relevées dans sa demande, ni dans les documents fournis à l’appui de la demande. En outre, un agent des visas n’est pas tenu de demander des précisions ou des documents supplémentaires, ou de donner l’occasion au demandeur ou à la demanderesse de dissiper ses préoccupations, lorsque les documents présentés à l’appui d’une demande sont obscurs, incomplets ou insuffisants pour permettre de convaincre l’agent que le demandeur ou la demanderesse se conforme à toutes les exigences qui découlent du Règlement (Hassani, précitée, aux paragraphes 23 et 24; Patel, précitée, au paragraphe 21; El Sherbiny, précitée, au paragraphe 6; Sandhu, précitée, au paragraphe 25; Luongo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 618, au paragraphe 18 (disponible sur CanLII); Ismaili, précitée, au paragraphe 18; Triveldi, précitée, au paragraphe 42; Singh, précitée, au paragraphe 40; Sharma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 786, au paragraphe 8, 179 ACWS (3d) 912 [Sharma]).   

[25]  Néanmoins, l’agent peut être tenu de donner la chance au demandeur de répondre à ses préoccupations lorsqu’il s’agit de préoccupations liées à la crédibilité, à la véracité ou à l’authenticité des documents présentés par le demandeur et non de préoccupations liées au caractère suffisant de la preuve qui a été présentée.

Ce dernier point provient de Hassani, où le juge Mosley a déclaré ce qui suit :

24  Il ressort clairement […] que, lorsque les réserves découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, l’agent des visas n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre. Lorsque, par contre, des réserves surgissent dans un autre contexte, une telle obligation peut exister. C’est souvent le cas lorsque l’agent des visas a des doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur au soutien de sa demande, comme dans Rukmangathan, ainsi que dans John et Cornea, deux décisions citées par la Cour dans Rukmangathan, précitée.

[28]  Plus récemment, dans Lv c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 935, le juge Gascon a également présenté un résumé des principes d’équité procédurale dans le contexte des décisions rendues par les agents des visas :

[22]  Il est un fait établi que l’obligation d’un agent d’immigration chargé d’examiner une demande de résidence permanente au titre d’une catégorie particulière (comme la demande présentée par M. Lv au titre de la catégorie des travailleurs autonomes) est souple. Comme l’a indiqué à juste titre le ministre, le devoir d’équité procédurale auquel est astreint un agent chargé d’examiner une demande de visa de résidence permanente se situe généralement à l’extrémité inférieure du registre (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Patel, 2002 CAF 55, au para 10; Kamchibekov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1411, au para 23). Plus précisément, dans le contexte d’une décision rendue par un agent des visas relativement à une demande de résidence permanente, le devoir d’agir équitablement est relativement peu rigoureux « en l’absence d’un droit à la résidence permanente reconnu par la loi, du fait qu’il revient à la demanderesse d’établir son admissibilité et du fait des conséquences moins graves sur celle-ci que n’a en général la décision, en comparaison de la suppression d’un avantage et de la nécessité pour l’État de maîtriser les coûts de l’administration » (Fargoodarz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 90, au para 12).  Il incombe aux demandeurs de visa de présenter des demandes convaincantes, d’anticiper les inférences défavorables contenues dans les éléments de preuve et d’y répondre, ainsi que de démontrer qu’ils ont le droit d’entrer au Canada (Hassani, aux para 21 et 26).  La question de l’équité procédurale ne se pose pas nécessairement à toutes les fois qu’un agent a des préoccupations que le demandeur ne pouvait pas raisonnablement prévoir (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 526, au para 52).

[23]  Dans le contexte des demandes de résidence permanente, l’agent d’immigration n’est nullement tenu de demander des précisions au sujet d’une demande incomplète, de chercher à établir le bien-fondé de la demande, d’informer le demandeur de ses préoccupations concernant le respect des exigences de la loi, de fournir au demandeur un résultat provisoire à chaque étape du processus de demande ou de lui offrir d’autres possibilités de répondre à des doutes ou de corriger des lacunes persistantes (Bhatti c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 186, au para 46; Sharma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 786, au para 8; Mazumder c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 444, au para 14; Kumari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1424, au para 7; Fernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 994 (QL), au para 13; Dhillon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 574 (QL), aux para 3 et 4). Imposer une telle obligation à un agent des visas reviendrait à donner un préavis d’une décision défavorable, une obligation qui a été explicitement rejetée par notre Cour à maintes occasions (Penez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1001, au para 37; Tofangchi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 427, au para 45; Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1997] ACF no 940 (QL), au para 8).

(Voir également Jafari c Canada (Citoyenneté et Immigration), IMM-6099-19, au paragraphe 14 [Décision rendue de vive voix, non publiée et datée du 24 juillet 2019] (Jafari); Tollerene, au paragraphe 15).

[29]  Je ne suis pas convaincue par l’argument du demandeur selon lequel l’agent des visas a soulevé des préoccupations qui ne découlaient pas du RIPR ou qu’il a formulé des commentaires équivalant à remettre en question la crédibilité de ses observations. Les préoccupations de l’agent des visas ne sont pas non plus celles que le demandeur n’aurait pas raisonnablement pu prévoir.

[30]  Premièrement, il incombait au demandeur de démontrer qu’il se conformait à toutes les exigences d’admissibilité applicables afin d’obtenir un visa de résident permanent (aux paragraphes 88(1), 100(1) et 100(2) du RIPR et au paragraphe 12(2) de la LIPR). La décision de l’agent des visas portait expressément sur la question de savoir si le demandeur a fourni suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer sa capacité et son intention d’être un travailleur autonome au Canada. Les paragraphes 88(1) et 100(1) du RIPR prévoient que le demandeur doit avoir la capacité et l’intention d’être un travailleur autonome au Canada. Les préoccupations découlent donc des règlements applicables.

[31]  En outre, dans les notes du SMGC, l’agent des visas a déclaré craindre que la preuve fournie par le demandeur soit insuffisante parce qu’elle était brève, générale ou dépourvue de justification. À mon avis, les commentaires concernant la brièveté ou la généralité de la preuve sont des commentaires concernant la suffisance de la preuve, et ne constituent pas des évaluations de la crédibilité déguisées. Je conviens avec le défendeur que la décision de l’agent des visas reposait sur la suffisance de la preuve et n’a pas donné lieu à une obligation d’équité procédurale de donner au demandeur la possibilité de répondre.

[32]  En ce qui concerne l’argument du demandeur selon lequel mettre en doute la source de la preuve du demandeur équivalait à remettre en question sa crédibilité, créant ainsi l’obligation de donner au demandeur la possibilité de répondre à cette préoccupation, je ne suis pas d’accord. L’agent des visas a fait référence à la source des renseignements du demandeur dans le contexte de la conclusion selon laquelle les observations du demandeur contenaient [traduction] « des renseignements de haut niveau et de source ouverte ». Rien dans les motifs de l’agent des visas n’indique que ce dernier était d’avis que les renseignements de source ouverte sont peu fiables ou non crédibles. L’examen de l’ensemble des motifs démontre clairement que l’agent a formulé des commentaires sur la suffisance des renseignements fournis par le demandeur dans le but de démontrer qu’il avait la capacité et l’intention de devenir un travailleur autonome au Canada, et que les renseignements généraux de source ouverte étaient insuffisants pour appuyer le plan d’affaires du demandeur. La préoccupation de l’agent des visas n’était pas liée à la crédibilité des sources, qui comprenaient les sites Web du ministère de la Justice et de Statistique Canada, et l’agent n’était pas tenu de donner au demandeur l’occasion de répondre à ses préoccupations quant à la suffisance de la preuve qu’il a fournie.

[33]  De plus, les préoccupations de l’agent des visas concernaient la portée générale du plan d’affaires. Comme le montre l’analyse ci-après, il s’agissait notamment du fondement nébuleux des données financières fournies et d’un manque d’information et de recherches sur le marché se rapportant au lieu où le demandeur avait l’intention d’établir son entreprise. À mon avis, il aurait été raisonnable de s’attendre à ce que l’absence de ces renseignements et le fait de s’appuyer sur des renseignements généraux provenant de sources ouvertes soient considérés comme insuffisants pour établir que le demandeur avait la capacité et l’intention d’être un travailleur autonome au Canada.

[34]  Bref, il incombait au demandeur de produire suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer sa demande. L’agent n’était pas tenu d’aviser le demandeur de l’insuffisance des documents présentés dans le cadre de sa demande. Les conclusions de l’agent des visas étaient liées à la suffisance de la preuve fournie par le demandeur et découlaient du RIPR. L’agent des visas n’a pas violé le droit du demandeur à l’équité procédurale en omettant de donner à ce dernier la possibilité de répondre à ses préoccupations concernant la suffisance de la preuve. 

Deuxième question à trancher : La décision de l’agent des visas était-elle raisonnable?

Position du demandeur

[35]  Le demandeur fait valoir que son plan d’affaires décrivait la nature de l’entreprise indépendante proposée; analysait le marché particulier que le demandeur cherche à pénétrer; expliquait comment ses compétences personnelles – qui sont bien documentées dans son curriculum vitae et les documents d’information – font de lui un bon candidat pour diriger une entreprise rentable sur ledit marché; détaillait la concurrence potentielle et les concurrents possibles à proximité de son entreprise; et énumérait les événements auxquels il pourrait assister pour promouvoir son entreprise, en particulier à Richmond Hill. Le plan d’affaires fournissait également des renseignements sur les effectifs prévus, l’emplacement précis et le coût prévu pour la location d’un espace dans la région; ainsi que les coûts prévus et détaillés sur quatre ans. En outre, le formulaire Annexe 6A du demandeur démontrait que ce dernier possède un total de 774 238 $ en actifs, dont 290 159 $ en liquidités, et qu’il disposerait de 300 000 $ pour démarrer son entreprise. Compte tenu de ce qui précède, le demandeur soutient que le rejet de sa demande, au motif que l’agent des visas croyait que le plan d’affaires était trop général et qu’il n’était pas suffisamment détaillé, n’était pas raisonnable.

[36]  Le demandeur soutient également que les renseignements de source ouverte n’avaient rien d’inapproprié et qu’il est difficile de comprendre en quoi s’appuyer sur des sources générales en ligne pose problème. Le demandeur conteste également le fait que le défendeur s’est appuyé sur la jurisprudence, soutenant que les demandeurs dans ces affaires n’avaient pas fait les recherches nécessaires pour démontrer la viabilité de leur entreprise, et que lui les avait faites.

[37]  En outre, le demandeur soutient que l’agent a désigné par erreur Toronto, au lieu de Richmond Hill, comme étant le lieu d’affaires prévu.

Position du défendeur

[38]  Le défendeur soutient qu’avant qu’un demandeur de visa puisse immigrer au Canada dans la catégorie des travailleurs autonomes, le paragraphe 88(1) du RIPR exige qu’il démontre qu’il a satisfait à trois exigences précises, à savoir qu’il possède l’expérience utile, l’intention et la capacité d’être un travailleur autonome au Canada, ainsi que l’intention et la capacité de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada.

[39]  La conclusion de l’agent des visas selon laquelle le plan d’affaires du demandeur faisait mention de renseignements de source ouverte de haut niveau était raisonnable parce que la section [traduction« Références » du plan d’affaires confirme que l’information provenait de sources générales en ligne. De plus, l’agent a conclu à juste titre que le demandeur n’a fourni aucun fondement pour les données chiffrées présentées dans son plan d’affaires.

[40]  En outre, il est clairement établi dans la jurisprudence qu’il était loisible à l’agent des visas de conclure qu’un manque de recherche de la part du demandeur pour démontrer la viabilité de l’activité de travail autonome proposée pouvait raisonnablement mener au rejet de la demande. Par conséquent, il était raisonnable pour l’agent de conclure que la brève description de l’entreprise proposée, combinée à un plan d’affaires général, n’appuyait pas une intention et une capacité d’être travailleur autonome au Canada.

Analyse

[41]  L’agent a constaté que le plan d’affaires contenait des données et des projections financières. Toutefois, la façon dont ces données avaient été établies était nébuleuse. Un examen du plan d’affaires qui figurait au dossier dont l’agent des visas était saisi confirme cette conclusion. Par exemple, sous la rubrique [traduction« coûts du projet, financement et données financières », le demandeur affirme que le démarrage de son entreprise coûtera environ 250 000 $, mais n’explique pas comment il est arrivé à ce montant et ne fournit pas non plus de données expliquant ce coût de démarrage. On y trouve également un tableau, qui présente une [traduction« analyse de rentabilité » sur quatre ans, mais il n’y a aucun renseignement à l’appui du tableau. Le demandeur a également présenté des tableaux à la suite de son plan d’affaires présentant des ventilations plus détaillées des coûts, mais ces tableaux ne fournissent là encore que des chiffres. Les tableaux contiennent également des renseignements généraux. Par exemple, dans le tableau [traduction« Coûts de démarrage », le demandeur alloue 15 000 $ pour l’équipement; la seule description de cet équipement étant qu’il est [traduction« nécessaire pour exercer les activités ». Il y a également une entrée pour un [traduction« stock d’ouverture » au montant de 3 400 $, la seule explication étant [traduction« Pour commencer les activités ». Le tableau décrivant les ventes prévoit que la galerie aura des ventes de 100 000 $ au cours de la première année, de 140 000 $ au cours de la deuxième année et de 200 000 $ au cours de la troisième année, mais rien n’indique comment il est arrivé à ces projections. En examinant le dossier, on peut donc comprendre pourquoi l’agent a conclu que les données et les projections fournies dans le plan d’affaires du demandeur n’étaient pas fondées. L’absence d’un fondement solide pour ces données et projections concernant l’entreprise proposée par le demandeur a contribué à la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur n’avait pas démontré qu’il avait la capacité et l’intention de devenir un travailleur autonome au Canada.

[42]  L’agent des visas a également conclu que le plan d’affaires comprend des renseignements généraux, de source ouverte et de haut niveau sur l’ensemble de l’industrie au Canada, ainsi qu’une faible quantité de renseignements sur Toronto et la région environnante où le demandeur a l’intention de s’établir.

[43]  À cet égard, un examen du plan d’affaires révèle que l’emplacement prévu de l’entreprise est à Richmond Hill. Bien que le demandeur soutienne que l’agent des visas a mal interprété la preuve quant à l’emplacement de l’entreprise visée comme étant Toronto, il n’en explique pas plus sur ce point ni ne laisse entendre qu’il s’agissait d’une erreur susceptible de révision. L’agent n’a pas non plus déclaré que l’emplacement prévu de l’entreprise était Toronto. En évaluant le contenu du plan d’affaires, l’agent des visas a plutôt fait remarquer qu’il contenait une quantité modeste de renseignements [traduction« sur Toronto et les environs, où le demandeur a l’intention de s’établir ». Richmond Hill fait partie des environs.

[44]  Un examen du plan d’affaires confirme également que la majorité de son contenu est effectivement de portée générale. Par exemple, il y a une section intitulée [traduction« Règlements ». Cette section indique qu’avant d’enregistrer une entreprise, une recherche de nom doit être effectuée et que si le nom est déjà utilisé, la nouvelle entreprise ne sera pas en mesure de s’enregistrer légalement sous ce nom. Il est aussi indiqué que, selon le ministère de la Justice, il existe des règles et des règlements qui devraient être respectés par toute entreprise dans ce domaine d’activité. Cet énoncé est suivi d’une liste de références qui peuvent ou non être pertinentes pour l’entreprise proposée, comme la licence générale d’importation n100 - Marchandises agricoles admissibles. On fait ensuite référence au site Web du Programme du travail du Canada, indiquant qu’il contient une liste exhaustive de règles et de règlements. Le plan d’affaires indique également que le Réseau Entreprises Canada contient une liste de règlements connexes dans les domaines des activités commerciales réglementées, des normes et des industries réglementées, qui doivent également être pris en considération, et souligne que les règlements de l’Ontario peuvent être consultés sur un site Web précis. Le plan d’affaires indique qu’il aura recours à un conseiller juridique pour assurer la conformité aux règlements et à d’autres instruments. Dans la section [traduction« Références » du plan d’affaires figurent Entreprises Canada, le site Web de Statistique Canada, la base de données d’Industrie Canada, l’outil d’analyse comparative d’Industrie Canada, le ministère de la Justice Canada et le site Web des pages jaunes du Canada.

[45]  De même, la section [traduction« Analyse de l’industrie » (qui ne figure pas dans la version du plan d’activités contenue dans le DCT) indique que l’entreprise proposée intégrerait le Système de classification des industries de l’Amérique du Nord, sous le code 45392, Marchands d’œuvres d’art. Cette industrie comprend des établissements dont l’activité principale consiste à vendre au détail des œuvres d’art originales et en édition limitée. La nouvelle entreprise proposée offrirait également des services de conception aux usines de tapis et de carpettes. L’analyse indique que, selon les renseignements figurant sur le site Web d’Industrie Canada, il y a plus de 100 établissements qui fabriquent des tapis et des carpettes au Canada et que le volume des importations pour ces produits dépasse 800 millions de dollars. Selon les données sur la performance financière du Canada, il y a 1 389 établissements au Canada dans le domaine des galeries d’art et de la concession d’œuvres d’art originales. Leur revenu moyen s’élève à 314 300 $ par année et 72,7 % des entreprises dans ce domaine sont rentables. En Ontario, il y a 359 sociétés de ce genre dont le revenu moyen est de 265 600 $, parmi lesquelles 74,7 % sont rentables. La taille du marché de l’industrie en Ontario est d’environ 95,3 millions de dollars. Selon le plan d’affaires, ces statistiques indiquent que l’industrie est solide.

[46]  En outre, sous la rubrique [traduction« Concurrence et avantage concurrentiel », le plan d’affaires réaffirme que la taille du marché de cette industrie en Ontario est d’environ 95,3 millions de dollars par année et que le revenu moyen des établissements de cette industrie s’élève à environ 314 000 $ par année. Le plan d’affaires indique que le propriétaire s’attend à ce que l’entreprise atteigne cette moyenne de l’industrie dans un délai de 3 à 4 ans en raison des compétences du demandeur – à savoir son expérience passée et le fait qu’il s’attend à ce qu’une grande partie de sa clientèle soit du Moyen-Orient, avec qui il partage des connaissances culturelles – ainsi que des compétences de la nouvelle entreprise. Les compétences de la nouvelle entreprise comprennent le fait qu’elle se positionnera comme une spécialiste de la conception de tapis et de carpettes la distinguant de ses concurrents, et que la qualité de son travail contribuera à la confiance et à la rétention des clients. Le plan énumère 8 entreprises, établies à Toronto, à Mississauga et à Richmond Hill, qui sont considérées comme des concurrents potentiels, faisant remarquer qu’aucune d’entre elles n’offre la même combinaison de services (galerie, service de conception de tapis et atelier d’artisanat) que celle proposée par le demandeur.

[47]  À mon avis, comme l’ont démontré les exemples ci-dessus, l’agent des visas a raisonnablement conclu que les renseignements fournis dans le plan d’affaires constituent de l’information générale, de haut niveau et de source ouverte. En outre, bien que l’agent ait conclu que ces renseignements concernaient l’ensemble de l’industrie canadienne et ne contenaient que peu d’information sur Toronto et les environs où le demandeur a l’intention de s’établir, il serait peut-être plus exact de dire que les renseignements concernant le Canada et l’Ontario étaient de haut niveau, généraux et de source ouverte. Quoi qu’il en soit, il n’y avait aucun renseignement sur le nombre de galeries et leur rendement à Toronto et dans les environs, y compris Richmond Hill. En outre, lorsqu’il aborde Toronto et les environs dans son plan d’affaires, le demandeur ne traite que de la concurrence dans l’industrie (énumérant huit galeries), les événements publicitaires (quatre festivals et [traduction« événements de Noël ») et l’espace de vente au détail disponible. La section [traduction« Analyse de l’industrie », si elle a été incluse dans le plan d’affaires présenté par le demandeur, ne traite pas de Toronto ou des environs.

[48]  L’agent des visas a également conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment de renseignements indiquant qu’il avait effectivement établi des contacts au Canada afin d’étudier la faisabilité de l’entreprise proposée, en plus de conclure qu’il n’y avait aucune preuve d’une visite de prospection. Compte tenu de ce qui précède, l’agent a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il avait effectué des recherches approfondies sur le marché canadien, plus particulièrement sur la ville de destination, dans son domaine d’activité commerciale proposé, ni qu’il avait adopté un plan qui mènerait vraisemblablement à un futur travail autonome et lui permettrait de pénétrer le marché dans ce domaine.

[49]  Tel qu’il a été mentionné dans Singh Sahota c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 856 (Sahota), il n’est pas déraisonnable qu’un agent des visas analyse un plan d’affaires afin d’évaluer la connaissance qu’a le demandeur du milieu des affaires et de ce qu’il en coûte pour faire des affaires (Sahota, au paragraphe 13). Ces questions sont pertinentes pour évaluer le sérieux des intentions du demandeur ainsi que sa capacité de concrétiser ces dernières. Si le plan n’est pas réaliste ou s’il est excessivement vague, le demandeur ne répond probablement pas aux exigences auxquelles doit satisfaire un immigrant entrepreneur (Sahota, au paragraphe 13; voir également Singh c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 84, aux paragraphes 34, 36 et 38). L’agent des visas n’a pas non plus commis d’erreur en tenant compte du fait que le demandeur n’avait pas effectué de visite de prospection au Canada. Comme dans Sahota, il ressort d’une lecture de l’ensemble des motifs que l’agent des visas n’a pas considéré ce fait comme fatal en soi (Sahota, au paragraphe 12). Il s’agissait plutôt de l’un des facteurs qui ont contribué à la conclusion ultime selon laquelle le demandeur n’a pas réussi à démontrer qu’il avait l’intention et la capacité de devenir un travailleur autonome au Canada.

[50]  En outre, un manque de recherches au sujet de l’entreprise proposée peut également justifier une conclusion que le plan n’était pas viable (Sahota, au paragraphe 14, citant Shehada c Canada (Citoyenneté et Immigrations), 2004 CF 11, au paragraphe 7 (Shehada)). Bien que dans Sahota et Shehada un entretien ait eu lieu au cours duquel les demandeurs ont eu l’occasion d’expliquer leurs propositions d’affaires, j’estime que le fait que l’agent des visas ne l’a pas fait en l’espèce ne change pas ce principe général.

[51]  En outre, « certaines précisions » sont nécessaires pour satisfaire au critère de la capacité de s’établir économiquement au Canada, et toute demande doit démontrer que l’entreprise proposée a « été conçu[e] en détail et que des mesures concrètes ont été prises pour assurer la mise en œuvre qui mènera à une activité économique réussie afin de répondre aux exigences imposées à un travailleur autonome immigrant au sens du paragraphe 88(1) » (Gur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1275, au paragraphe 18, citant Wei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 982, au paragraphe 44.

[52]  Le demandeur peut être doué et avoir des fonds à sa disposition pour financer son entreprise; toutefois, pour se voir accorder un visa, sa demande et les documents présentés à l’appui devaient démontrer qu’il avait l’intention et la capacité d’être un travailleur autonome au Canada. Le formulaire de demande indique que les demandeurs doivent remplir le formulaire de façon complète et exacte et que les renseignements fournis serviront à évaluer la capacité du demandeur à satisfaire aux exigences de la LIPR et du RIPR qui s’appliquent à la catégorie des travailleurs autonomes. Dans sa demande de résidence permanente, le demandeur a seulement déclaré, en décrivant la profession dans laquelle il avait l’intention d’être travailleur autonome, qu’il avait l’intention d’établir une galerie d’art où il pourrait concevoir des tapis et des sculptures destinés à la vente et tenir des ateliers. Il semble que le demandeur ait choisi de présenter le plan d’affaires pour fournir tous les détails à l’appui de l’entreprise proposée, et l’agent des visas a conclu que ce plan ne contenait pas suffisamment d’éléments de preuve. Autrement dit, le demandeur n’a pas réussi à s’acquitter de son fardeau. En outre, l’argument du demandeur selon lequel son plan d’affaires était suffisamment détaillé revient en fait à demander à la Cour de réexaminer la preuve, ce qui n’est pas son rôle (Kadhafi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 629, au paragraphe 59).

[53]  En conclusion, j’estime que la préoccupation de l’agent des visas selon laquelle le plan d’affaires ne contenait pas suffisamment d’information pour expliquer les données financières; reposait sur des documents généraux, de source ouverte et de haut niveau; et manquait de recherches propres à un secteur donné, était justifiée et raisonnable, de même que la conclusion de l’agent des visas selon laquelle le demandeur n’a pas démontré qu’il avait l’intention et la capacité de devenir un travailleur autonome au Canada (Jafari, aux paragraphes 29-30). En effet, après avoir examiné les motifs de l’agent des visas conjointement avec le dossier, je suis convaincue que le raisonnement de l’agent des visas était solide. Je suis aussi convaincue que la décision de l’agent des visas était justifiée par rapport aux faits dont il était saisi, tel qu’ils sont énoncés dans la preuve documentaire du demandeur, et par rapport aux exigences applicables aux résidents permanents qui sont travailleurs autonomes, telles qu’elles sont énoncées dans la LIPR et le RIPR. La décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov, au paragraphe 99).


JUGEMENT dans le dossier IMM-2894-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

  3. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et aucune n’est soulevée.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 11e jour de mars 2020

Caroline Tardif, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2894-19

 

INTITULÉ :

ABOLFAZL EBRAHIMSHANI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 janvier 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 janvier 2020

 

COMPARUTIONS :

Wennie Lee

 

Pour le demandeur

 

Kareena Wilding

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee & Company

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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