Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20011106

Dossier : IMM-982-01

Référence neutre : 2001 CFPI 1210

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

- et -

JOZSEF BALOGH

défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE HENEGHAN

[1]    Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le demandeur) réclame le contrôle judiciaire de la décision prise par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 10 février 2001, par laquelle la Commission a conclu que M. Joszsef Balogh (le défendeur) est un réfugié au sens de la Convention.


LES FAITS

[2]    Le défendeur est un citoyen hongrois qui prétend être de descendance roma. Il est arrivé au Canada le 28 octobre 1999, à l'aéroport international Pearson où il a manifesté son intention de revendiquer le statut de réfugié. À cette date, le défendeur n'a mentionné que sa descendance roma comme motif de sa revendication. Il a par la suite ajouté son appartenance à un groupe social particulier, c'est-à-dire les homosexuels.

[3]    Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), le défendeur a déclaré qu'il avait été battu par la police au cours des étés 1996 et 1997 pendant qu'il vivait à Ozd. Il a raconté que ces incidents se sont produits après des altercations avec des Hongrois dans une discothèque, la première fois, et dans une salle de billard, l'autre fois. D'après lui, ces incidents se fondaient sur des motifs racistes parce qu'il était roma et chaque fois on lui a ordonné de signer une décharge indiquant que la police ne l'avait pas maltraité.

[4]    Après qu'il eut quitté Ozd pour Budapest, le défendeur a déclaré qu'il avait été battu trois autres fois par la police et qu'il avait été détenu en raison de sa présence dans des parcs ou dans des squares avec son compagnon. Ces incidents ont été présentés comme preuve à l'appui de sa prétention selon laquelle il craint d'être persécuté du fait de son orientation sexuelle.

DÉCISION DE LA COMMISSION


[5]                 Dans sa décision, la Commission a rejeté la prétention du défendeur selon laquelle il avait fait l'objet de persécution à cause de son origine ethnique. Elle a statué qu'il ne s'était pas acquitté du fardeau d'établir qu'il était membre d'un groupe social particulier, c'est-à-dire les romas. Toutefois, la Commission a conclu qu'il était membre d'un groupe social particulier défini par l'orientation sexuelle.

[6]                 La preuve documentaire dont était saisie la Commission portait principalement sur les incidents de persécution contre les romas. Puisque la Commission a jugé que le défendeur ne s'était pas acquitté du fardeau de prouver qu'il était un roma, elle a examiné quel était le traitement réservé aux homosexuels en Hongrie. La preuve à cet égard était largement positive et la Commission a noté que la violence contre les homosexuels en Hongrie avait été [TRADUCTION] « rare dans les dernières années » . La Commission a tiré la conclusion suivante :

[TRADUCTION] Il n'y a pas de possibilité sérieuse que le demandeur fasse l'objet de persécution à son retour en Hongrie. Au contraire, à mon avis, le mauvais traitement qu'il pourrait subir équivaudrait, au pire, à de la discrimination.

Motifs de la Commission, dossier du tribunal, pages 9 et 10

[7]                 Toutefois, la Commission a ensuite poursuivi pour conclure que le demandeur avait une crainte fondée de retourner en Hongrie parce qu'il serait agressé par des Hongrois, y compris par la police. La Commission a jugé que les expériences du demandeur aux mains de la police, et la crainte qu'il entretient de celle-ci, réfutait la présomption voulant qu'une protection soit assurée par l'État aux citoyens de Hongrie. Sur cette base, la Commission a jugé qu'il était un réfugié au sens de la Convention.


LES PRÉTENTIONS DU DEMANDEUR

[8]                 Le demandeur soutient que la conclusion de la Commission selon laquelle il n'y a pas de possibilité sérieuse que le défendeur soit persécuté en Hongrie contredit sa conclusion subséquente selon laquelle le défendeur a une crainte fondée d'être persécuté. La décision est donc fondée sur des conclusions de fait contradictoires et devrait être infirmée.

[9]                 Le demandeur fait valoir que la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer en l'espèce est celle de la décision manifestement déraisonnable et il s'appuie sur la décision de la Cour d'appel fédérale dans Tiefenbrunner c. Canada (Procureur général), [1992] A.C.F. N ° 1021 (C.A.) et Association canadienne des fabricants de pâtes alimentaires c. Aurora Importing and Distributing Ltd. (1997), 208 N.R. 329 (C.A.F.). Le demandeur soutient qu'une décision qui est fondée sur des conclusions de fait contradictoires est manifestement déraisonnable.

[10]            Le demandeur prétend qu'une fois que la Commission a conclu que le défendeur ne faisait pas face à une possibilité sérieuse d'être persécuté à son retour en Hongrie, elle ne pouvait pas conclure qu'il était justifié d'entretenir une crainte fondée à l'encontre de la police hongroise.

LES PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[11]            Le défendeur soutient qu'il n'y a qu'une apparence de conclusions de faits contradictoires dans les motifs de la Commission et que cette contradiction apparente peut être dissipée une fois que l'on a analysé l'organisation logique des motifs.


[12]            Selon le défendeur, la Commission a examiné la preuve documentaire et elle a jugé qu'elle était de peu d'utilité pour appuyer sa crainte d'être persécuté sur la base de son orientation sexuelle. Toutefois, la Commission n'a pas rejeté la crédibilité de la preuve fournie par le défendeur concernant sa crainte subjective d'être persécuté.

[13]            Le défendeur soutient que la Commission avait le droit de s'appuyer sur son témoignage digne de foi concernant sa crainte d'être persécuté, malgré la preuve documentaire. Il prétend que la contradiction apparente peut être dissipée si on examine le début de la décision dans laquelle la Commission a tout d'abord examiné la preuve documentaire et ensuite sa crainte subjective d'être persécuté et la question de la protection de l'État. Il prétend que la décision de la Commission est raisonnable, quand on l'analyse sous cette perspective.

QUESTION EN LITIGE

[14]            Il n'y a qu'une question soulevée dans la présente demande :

           Quel est l'effet des conclusions contradictoires tirées par la Commission concernant sa supposée crainte d'être persécuté en Hongrie?

ANALYSE

[15]            La présente demande de contrôle judiciaire se fonde sur l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R., ch. 10 (2e suppl.) :



18.1(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l'office fédéral, selon le cas :

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

18.1(4) The Trial Division may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;


[16]            Certains passages des motifs de la Commission ont été soulignés par le demandeur. Le premier passage est une déclaration faite au début des motifs, dans un aperçu que donne la Commission de son évaluation de la situation du défendeur :

[TRADUCTION] Après avoir pleinement examiné la totalité de la preuve, c'est-à-dire l'exposé narratif du formulaire de renseignements personnels (FRP), en réponse à la question 37, le témoignage verbal, les documents déposés comme pièces à l'appui par l'agent chargé de la revendication (ACR) et l'avocat du demandeur, les documents et les notes d'Immigration Canada, les observations de l'ACR et celles de l'avocat, le tribunal conclut que le demandeur n'a pas établi qu'il y a plus qu'une simple possibilité qu'il subisse un préjudice grave équivalant à de la persécution s'il rentre en Hongrie.

Motifs de la Commission, dossier du tribunal, page 4

[17]            La deuxième déclaration a trait à la crainte du défendeur d'être persécuté en raison de son orientation sexuelle :

[TRADUCTION] [...] La vérité, c'est qu'il craint de demeurer ou de retourner en Hongrie, où il allègue qu'il sera, en tant qu'homosexuel, humilié et agressé par des Hongrois, y compris par la police, à la protection de laquelle il aurait dû s'attendre.

Motifs de la Commission, dossier du tribunal, page 9

[18]            Par la suite, le demandeur fait référence à cette déclaration :

[TRADUCTION] Compte tenu du cadre législatif en place et de la preuve donnée par des porte-parole homosexuels selon laquelle la violence est rare, de même que de la preuve indiquant qu'il y a des clubs et des magazines gais, je conclus qu'il n'y a pas de possibilité sérieuse que le demandeur fasse l'objet de persécution à son retour en Hongrie. Au contraire, à mon avis, le mauvais traitement qu'il pourrait subir équivaudrait, au pire, à de la discrimination.

Motifs de la Commission, dossier du tribunal, page 10


[19]            Dans son analyse de la question de la protection de l'État, la Commission a fait les déclarations suivantes et tirées les conclusions qui suivent :

[TRADUCTION] Après toutes ces expériences avec la police, qui n'a démontré que dédain et haine à l'égard des homosexuels, et qui a infligé un tel préjudice au demandeur, j'estime que celui-ci est justifié de craindre la police. Il est raisonnable de conclure que l'État ne lui offrira pas sa protection.

Malgré les initiatives sans aucun doute bien intentionnées du gouvernement de faire respecter les droits des homosexuels, je dois examiner le bien-fondé de cette revendication au vu de sa propre situation. À mon avis, le demandeur a réfuté la présomption selon laquelle l'État assure la protection aux citoyens de Hongrie.

En tant que membre d'un groupe social particulier, c'est-à-dire les homosexuels, il a établi que, s'il rentrait en Hongrie, il y a un risque raisonnable qu'il subisse un préjudice grave, particulièrement de la part de la police.

Motifs de la Commission, dossier du tribunal, pages 11 et 12

[20]            La Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et ses modifications (la Loi) définit l'expression « réfugié au sens de la Convention » de la façon suivante :


« réfugié au sens de la Convention » Toute personne_:

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques_:

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

"Convention refugee" means any person who

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

(ii) not having a country of nationality, is outside the country of the person's former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to return to that country, and

(b) has not ceased to be a Convention refugee by virtue of subsection (2),

but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act;



[21]            Le critère juridique concernant la crainte d'être persécuté dans le cadre d'une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention a été examiné par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 680, dans lequel la Cour dit ceci au paragraphe 8 :

Les expressions telles que « [craint] avec raison » et « possibilité raisonnable » signifient d'une part qu'il n'y a pas à y avoir une possibilité supérieure à 50 % (c'est-à-dire une probabilité), et d'autre part, qu'il doit exister davantage qu'une possibilité minime. Nous croyons qu'on pourrait aussi parler de possibilité « raisonnable » ou même de « possibilité sérieuse » , par opposition à une simple possibilité.

[22]            En l'espèce, la Commission devait examiner si le fondement de la persécution alléguée, c'est-à-dire l'orientation sexuelle, donnerait lieu à une possibilité « raisonnable    » ou « sérieuse » de persécution, si le défendeur retournait en Hongrie. La Commission a jugé qu'il n'y avait pas une telle possibilité raisonnable ou sérieuse de persécution, et que le défendeur n'avait pas démontré qu'il y avait plus qu'une simple possibilité qu'il soit persécuté.

[23]            Cette conclusion, accompagnée de la conclusion de la Commission selon laquelle le défendeur ne ferait face qu'à de la discrimination, ne peut coexister avec sa conclusion donnée à la page 8 de ses motifs, où la Commission a jugé que le défendeur avait une crainte fondée de la police.

[24]            La question de la protection de l'État n'existe pas de façon indépendante de l'enquête concernant le statut de réfugié au sens de la Convention. Dans l'arrêt Ward c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour s'est exprimée dans ces mots :


Il est clair que l'analyse est axée sur l'incapacité de l'État d'assurer la protection : c'est un élément crucial lorsqu'il s'agit de déterminer si la crainte du demandeur est justifiée, de sorte qu'il a objectivement raison de ne pas vouloir solliciter la protection de l'État dont il a la nationalité.

[. . .]

Ayant établi que le demandeur éprouve une crainte, la Commission a, selon moi, le droit de présumer que la persécution sera probable, et la crainte justifiée, en l'absence de protection de l'État. La présomption touche le coeur de la question, qui est de savoir s'il existe une probabilité de persécution.

[25]            Ayant conclu qu'il n'y avait pas plus qu'une simple possibilité que le défendeur subisse un préjudice grave s'il rentrait en Hongrie, la Commission avait décidé de la question dont elle était saisie et elle était parvenue à la conclusion que le défendeur n'était pas en danger d'être persécuté. La question de la protection de l'État ne se pose pas.

[26]            À mon avis, les prétentions du demandeur doivent être accueillies. Il est clair, à la lecture de ces motifs que la Commission a fait des déclarations contradictoires. Quand elle a déterminé que le défendeur n'avait pas établi [TRADUCTION] « qu'il y avait plus qu'une simple possibilité qu'il subisse un préjudice grave équivalant à de la persécution » en Hongrie, la Commission avait décidé de l'ultime question dont elle était saisie, c'est-à-dire de savoir si le défendeur répondait à la définition de réfugié au sens de la Convention et ne pouvait pas légitimement se contredire elle-même plus tard.

[27]            Les conclusions de la Commission en l'espèce sont manifestement déraisonnables, ce qui apparaît à la lecture de la décision. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et la question est renvoyée à un tribunal différent de la Commission pour être examinée à nouveau.

[28]            Les avocats m'ont informé qu'il n'y avait pas de question à faire certifier.


                                           ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la question est renvoyée à un tribunal différent de la Commission pour être examinée à nouveau.

« E. Heneghan »

                                                                                                             Juge                            

Ottawa (Ontario)

le 6 novembre 2001

Traduction certifiée conforme :

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N ° DU GREFFE :                                              IMM-982-01

INTITULÉ :                                                        M.C.I. c. Jozsef Balogh

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto

DATE DE L'AUDIENCE :                              le 25 octobre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      Madame le juge Heneghan

DATE :                                                                le 6 novembre 2001

COMPARUTIONS :

KEVIN LUNNEY                                               pour le demandeur

APRIL CURTIS                                                  pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                                 pour le demandeur

Sous-procureur général du Canada

Elizabeth Jaszi                                           pour le défendeur

Toronto (Ontario)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.