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Date : 20010612

Dossier : T-2106-97

Référence neutre : 2001 CFPI 644

Entre :

                                                     GAÉTAN FOURNIER

                                                                                                                             Demandeur

                                                                      ET

                                                  SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                         Défenderesse

                                                 MOTIFS DU JUGEMENT

ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE:

[1]                Il s'agit d'évaluer en l'espèce si l'action du demandeur en dommages-intérêts pour poursuite malveillante mérite d'être accueillie.


[2]                L'action du demandeur a comme point de départ le jugement rendu le 14 février 1997 par l'Honorable Jean Bécu de la Cour du Québec dans le dossier 125-73-0000002-966 dans lequel le demandeur était acquitté de l'infraction d'avoir dérogé le 22 juin 1996 à l'une des conditions de son permis de pêche en utilisant pour la pêche vingt (20) filets ayant un maillage inférieur à celui prescrit conformément à l'article 22 paragraphe 7 du Règlement de pêche (dispositions générales) et à l'article 78 paragraphe A de la Loi sur les pêches.

[3]                Tel que le juge Beauregard de la Cour d'appel du Québec l'a rappelé dans l'arrêt Procureur général du Québec c. Benoît Proulx, [1999] R.J.Q. 398, en page 434, le test applicable en l'espèce se circonscrit comme suit:

Je partage l'avis du juge LeBel suivant lequel la doctrine de l'arrêt Nelles c. Ontario trouve application au Québec : pour qu'une action en dommages par suite d'un acquittement puisse réussir, le demandeur doit prouver non seulement qu'il a été poursuivi en l'absence de motifs raisonnables et probables, mais qu'en autorisant la dénonciation le substitut a fait montre de malveillance, notion que dans cet arrêt le juge Lamer a définie comme suit (1989) 2 R.C.S. 170, 194 :

[...] une fraude dans le processus de justice criminelle et que, dans la perpétration de cette fraude, il ait abusé de ses pouvoirs et perverti le processus de justice criminelle.

Et j'accepte qu'une absence manifeste de motifs raisonnables et probables de la culpabilité de l'accusé peut équivaloir à de la malveillance.

[4]                En les présentes, si l'on arrête notre évaluation des éléments factuels au 25 juin 1996, il ne fait aucun doute dans mon esprit que la preuve au dossier, et plus particulièrement l'affidavit de Me Jean-Marie Doiron, démontre que ce dernier - qui agissait en tout temps pertinent comme substitut de la Procureure générale du Canada -était justifié de s'en remettre pleinement aux conclusions du mesurage accompli par un mandataire de Pêches et Océans Canada, M. Marcel Boucher, et de considérer qu'il était justifié d'aller de l'avant en engageant une poursuite contre le demandeur.


[5]                Selon le demandeur, toutefois, un fait postérieur au 25 juin 1996, soit un mesurage des filets du demandeur effectué par M. André Nicolas de Pêches et Océans, Canada, le 28 juin 1996 - mesurage démontrant que ces filets étaient réglementaires - constituait au dossier du substitut une preuve contradictoire à celle accumulée par M. Boucher.

[6]                Suivant le demandeur, cette preuve contradictoire faisait en sorte que le substitut se devait de ne point poursuivre le demandeur. En allant de l'avant, ce même substitut, donc la défenderesse, abusait de son droit d'engager une poursuite pénale.

[7]                Le demandeur n'a pas administré aucune preuve positive et indépendante démontrant qu'en autorisant la dénonciation le substitut a fait montre de malveillance au sens des arrêts Nelles et Proulx, supra. Partant, pour réussir dans la présente action, le demandeur se devait donc d'établir, toujours suivant ces mêmes arrêts, que le substitut l'a poursuivi en absence manifeste de motifs raisonnables et probables vu le mesurage effectué le 28 juin 1996 que le demandeur voit comme une preuve contradictoire à celle du 22 juin 1996.

[8]                Suivant mon appréciation de la preuve, le demandeur a échoué nettement dans cette tâche.


[9]                L'affidavit de Me Doiron et le contre-interrogatoire de ce dernier laissent clairement voir que ce dernier dans son analyse du dossier était pleinement conscient du mesurage du 28 juin 1996. Toutefois l'ensemble de la preuve qu'il avait au dossier l'amenait à croire au moment du dépôt de l'acte d'accusation, et en tout temps pertinent par la suite, que le juge lors du procès pénal conclurait que le mesurage du 28 juin ne pouvait s'expliquer en toute logique que par un changement de filets qu'aurait effectué le demandeur lors d'une sortie en mer le 25 juin 1996. La disposition des filets sur les différentes lignes de pêche de même que la capacité de chargement de la cale du navire du demandeur renforçaient sa croyance que le juge du pénal le suivrait dans cette direction. En ce sens, le mesurage du 28 juin 1996 ne devenait pas une preuve contradictoire s'opposant carrément au mesurage du 22 juin et anéantissant du même coup cette dernière preuve. Me Doiron était par ailleurs bien conscient que le demandeur pouvait venir témoigner au pénal à l'effet qu'il n'avait pas entre les 22 et 28 juin 1996 changé ses filets pour des filets conformes. Me Doiron comptait toutefois qu'un tel témoignage du demandeur, s'il survenait, ne serait pas cru par le juge du pénal et que sa théorie de la cause prévaudrait néanmoins.


[10]            L'approche de Me Doiron face au mesurage des 22 et 28 juin 1996 m'apparaît logique et raisonnable et je ne puis certes conclure qu'à cet égard son approche équivaut à avoir agi en l'absence manifeste de motifs raisonnables et probables d'obtenir une déclaration de culpabilité du demandeur.

[11]            Vu ma conclusion sur l'absence de responsabilité de la défenderesse, il devient inutile de me prononcer sur le quantum des dommages que le demandeur allègue avoir subis par suite de la poursuite engagée contre lui. J'aimerais toutefois ajouter que si mon raisonnement m'avait amené à me prononcer sur ceux-ci, j'aurais conclu que le demandeur avait failli d'établir en preuve la majorité, voire la totalité de ces derniers.

[12]            Pour tous ces motifs, cette action du demandeur sera rejetée avec dépens.

Richard Morneau                                    

protonotaire

MONTRÉAL (QUÉBEC),

le 12 juin 2001


                                           COUR FÉDÉRALE DU CANADA

        NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU DOSSIER DE LA COUR:

INTITULÉ DE LA CAUSE:


T-2106-97

GAÉTAN FOURNIER

                                                                   Demandeur

ET

SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                Défenderesse


LIEU DE L'AUDIENCE: Sainte-Anne-des-Monts (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE:le 30 mai 2001

MOTIFS DU JUGEMENT DE ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

DATE DES MOTIFS DU JUGEMENT:le 12 juin 2001

ONT COMPARU:

Me Yves Roy pour le demandeur

Me Bernard Letarte pour la défenderesse

Me Rosemarie Millar

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:


Chouinard & Roy pour le demandeur

Sainte-Anne-des-Monts (Québec)

Me Morris Rosenberg pour la défenderesse

Sous-procureur général du Canada

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