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Date : 20200116


Dossier : IMM‑4199‑19

Référence : 2020 CF 59

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 16 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

SEIFESLAM DLEIOW

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a conclu que le demandeur Seifeslam Dleiow, un étranger, était interdit de territoire au Canada au titre de l’alinéa 34(1)e) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). La question déterminante est de savoir si la Commission a raisonnablement interprété cette disposition compte tenu de la nature de la conduite criminelle de M. Dleiow.

[2]  La Commission a examiné attentivement la conduite qu’avait eue M. Dleiow à l’égard d’une ancienne conjointe appelée KH. La Commission a conclu qu’il se trouvait illégalement dans la résidence de son ancienne conjointe avec l’intention de commettre un acte criminel, qu’il avait endommagé une porte et qu’il avait proféré des menaces. La Commission a également fait remarquer qu’il avait plaidé coupable à trois des quatre chefs d’accusation qui avaient été portés contre lui en lien avec cet incident. Cependant, ces déclarations de culpabilité ne répondaient pas au critère de grande criminalité au sens de la LIPR.

[3]  La Commission disposait également de nombreux éléments de preuve concernant plusieurs agressions conjugales qu’avait commises M. Dleiow contre une autre femme. Cette autre femme a d’ailleurs témoigné devant la Commission, mais, contrairement à ce qu’elle avait dit dans ses déclarations antérieures à la police et à ce que la sergente d’état-major Jones avait déclaré, elle a nié avoir été victime de violence. En dépit de cette rétractation de ses déclarations à la police, la Commission a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que M. Dleiow avait agressé la femme et lui avait causé des blessures à de nombreuses occasions. Étant donné qu’aucune déclaration de culpabilité n’avait été prononcée en lien avec ces incidents, l’article 36 de la LIPR ne s’appliquait pas. Par conséquent, le ministre a demandé que M. Dleiow soit déclaré interdit de territoire au titre de l’alinéa 34(1)e), qui est ainsi libellé :

34 (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

34 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

[…]

[…]

e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

e) engaging in acts of violence that would or might endanger the lives or safety of persons in Canada; or

[Non souligné dans l’original.]

En blanc

[4]  La Commission a conclu que l’alinéa 34(1)e) de la LIPR s’applique aux actes de violence susceptibles de mettre en danger la vie ou la sécurité des résidents du Canada, mais que cette disposition n’exige pas que la conduite en question ait un lien avec la sécurité nationale. L’interprétation qu’a faite la Commission de cette disposition est résumée succinctement aux paragraphes 21 et 22 de sa décision :

[21] Suivant la justification fournie par la SAI dans la décision Mason, l’interdiction de territoire visée à l’alinéa 34(1)e) n’exige pas que la conduite ait un lien avec la sécurité nationale ou la sécurité du Canada, mais plutôt qu’elle s’applique à la sécurité dans un sens plus large, notamment en s’assurant que chaque Canadien est à l’abri d’actes de violence qui seraient susceptibles de mettre en danger sa vie ou sa sécurité. Alors que l’article 36 de la LIPR crée une catégorie d’interdiction de territoire exigeant une déclaration de culpabilité (pour des infractions commises au Canada), l’alinéa 34(1)e) crée une catégorie d’interdiction de territoire liée au fait d’avoir commis des actes de violence, de nature criminelle ou non, susceptibles de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada. Une conclusion selon laquelle l’alinéa 34(1)e) s’applique aux actes de violence individuels susceptibles de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada est conforme aux objectifs des alinéas 3(1)h) et 3(1)i) de la LIPR et ne va pas à l’encontre des valeurs canadiennes.

[22] Une interprétation en langage clair et simple des termes « actes de violence » serait que, pour être visé à l’alinéa 34(1)e), le résident permanent ou l’étranger doit avoir été l’auteur de plus d’un acte de violence.

[5]  Lorsque la Commission a rendu sa décision, il existait très peu de jurisprudence sur la portée de l’alinéa 34(1)e) de la LIPR. La Commission s’est toutefois appuyée, dans une certaine mesure, sur la décision rendue par la Section d’appel de l’immigration (la SAI) dans l’affaire Mason c Canada, dossier de la SAI no VB8‑02097. Dans cette affaire, la SAI a déclaré que cette disposition n’exige pas que la conduite en question ait un lien avec la sécurité nationale. La Commission a refusé de s’écarter de l’interprétation de la SAI et a conclu que la conduite établie de M. Dleiow était suffisamment répréhensible pour tirer une conclusion d’interdiction de territoire.

[6]  La décision de la SAI dans l’affaire Mason a récemment fait l’objet d’un contrôle judiciaire dans Mason c Canada, 2019 CF 1251, 311 ACWS (3d) 601. Dans cette décision, le juge Sébastien Grammond a annulé la décision de la SAI. À la suite d’une analyse contextuelle et téléologique très approfondie, le juge Grammond a conclu que l’interprétation de l’alinéa 34(1)e) donnée par la SAI était déraisonnable parce que cette disposition ne s’applique pas à une conduite criminelle qui n’a aucun lien avec la sécurité nationale. Par conséquent, il a annulé la décision de la SAI et il a certifié la question suivante :

Est‑il raisonnable d’interpréter l’alinéa 34(1)e) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, d’une manière qui n’exige pas la preuve d’une conduite liée à la « sécurité nationale » ou à la « sécurité du Canada »?

[7]  Je comprends que l’affaire est actuellement en appel.

[8]  Conformément au principe de la courtoisie, j’ai l’obligation d’appliquer le raisonnement du juge Grammond dans la décision Mason précitée, sauf si je suis convaincu que cette décision est différente ou est manifestement erronée. En général, le fait de ne pas appliquer un élément ayant force obligatoire ou une loi pertinente, ou le fait de rendre un jugement qui est, à première vue, fondé sur une mauvaise compréhension constituent des exemples d’erreurs manifestes : voir Apotex Inc. c Pfizer Canada Inc., 2013 CF 493, [2013] ACF n562.

[9]  Dans son mémoire des arguments supplémentaire, le ministre mentionne la décision du juge Grammond dans l’affaire Mason et fait remarquer que cette décision fait actuellement l’objet d’un appel. Même s’il fait valoir que la décision de la Commission est raisonnable, le ministre n’aborde pas directement la question du principe de la courtoisie et ne précise pas en quoi la décision du juge Grammond est lacunaire sur le plan juridique. Pendant sa plaidoirie, l’avocate du ministre a contesté certains éléments de l’analyse du juge Grammond en soulevant les questions qui ont été examinées et rejetées par ce dernier. Le fait que des arguments puissent justifier qu’une autre interprétation soit donnée à l’alinéa 34(1)e) ne répond pas au critère de l’erreur manifeste et j’estime donc que le principe de la courtoisie s’applique.

[10]  Pour les motifs qui précèdent, la présente demande est accueillie et la décision de la Commission est annulée. L’affaire doit être renvoyée à un autre décideur pour qu’il procède à un nouvel examen sur le fond.

[11]  Le ministre demande à juste titre à la Cour de certifier la même question que celle qui a été soulevée dans la décision Mason précitée, et le demandeur est d’accord. Par conséquent, je certifierai cette question.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4199‑19

LA COUR STATUE que la présente demande est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre décideur afin qu’il rende une nouvelle décision sur le fond.

LA COUR STATUE ÉGALEMENT que la question suivante est certifiée :

Est‑il raisonnable d’interpréter l’alinéa 34(1)e) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, d’une manière qui n’exige pas la preuve d’une conduite liée à la « sécurité nationale » ou à la « sécurité du Canada »?

« R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour de janvier 2020

Caroline Tardif, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM‑4199‑19

 

INTITULÉ :

SEIFESLAM DLEIOW c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 14 JANVIER 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge BARNES

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

le 16 janvier 2020

COMPARUTIONS :

Robert J. Kincaid

pour le demandeur

Helen Park

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert J. Kincaid Law Corporation

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

pour le demandeur

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

pour le défendeur

 

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