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                                                       IMM-3216-95

 

 

ENTRE

 

                   VILMA SONIA LOPEZ CONTRERAS,

 

                                                       requérante,

 

 

                                ET

 

        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION,

 

                                                           intimé.

 

 

 

 

 

                      MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LE JUGE McKEOWN

 

      La requérante, une citoyenne du Pérou, demande le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Section d’appel) a conclu, le 27 octobre 1995, qu’elle n’avait pas compétence pour entendre l’appel.

 

      La question en litige est de savoir si la Section d’appel a respecté les principes de justice naturelle en concluant qu’elle n’avait pas compétence pour entendre l’appel interjeté par la requérante.

 

LES FAITS

      En 1988, la requérante, conjointement avec ses frères et soeurs, a déposé une demande de résidence permanente au Canada, demande parrainée par son père.  La requérante n’ayant pas donné suite à sa demande avant janvier 1992, un visa ne lui a été délivré qu’en mars 1992.

 

      En octobre 1992, la requérante est entrée au Canada.  Au point d’entrée, un agent d’immigration a fait un rapport prévu à l’alinéa 20(1)a) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi) dans lequel il concluait que la requérante ne pouvait pas entrer au Canada parce qu’un visa lui avait été délivré à tort, les conditions dans lesquelles le visa avait été délivré n’existaient plus avant sa délivrance, c’est-à-dire que le parrain de la demande de la requérante, son père, était décédé le 2 août 1990.  Par suite de ce rapport, une enquête a eu lieu les 11 août, 8 septembre et 28 septembre 1993.  L’enquête a permis de conclure à l’inadmissibilité de la requérante et une mesure d’exclusion a été prise à son égard le 28 septembre 1993.  La requérante a interjeté appel de cette décision devant la Section d’appel et la commissaire Wiebe a tenu une audience sur l’affaire, le 9 juin 1994.  Aucun élément de preuve relatif au bien-fondé de l’affaire n’a été présenté lors de cette audience, car le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a contesté la compétence de la Section d’appel sur le fondement que le père de la requérante, parrain de la demande de cette dernière, est décédé le 2 août 1990, avant la délivrance du visa à la requérante.  L’avocate du ministre a prétendu qu’il fallait en déduire que, conformément aux décisions de la Cour dans Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. De Decaro, [1993] 2 C.F. 408 (C.A.) et dans Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Wong (1993), 153 N.R. 237 (C.A.F.), le visa n’était plus valable et donc qu’il était nul, car les conditions dans lesquelles il devait être délivré n’existaient plus.  Par conséquent, la personne cherchant à entrer au Canada, en l’occurrence la requérante, n’aurait aucun droit d’appel.  À l’audience, madame Wiebe a indiqué qu’elle était saisie de l’affaire et que le rapport médical avait été mis en preuve.  Aucune autre preuve n’a été produite et aucun témoin entendu à cette occasion.  Le 6 mars 1995, la commissaire Wiebe a rendu sa décision concernant la question de la compétence.  Elle a fondé sa décision sur la prétention de l’avocat de la requérante selon laquelle les décisions De Decaro et Wong susmentionnées pouvaient être écartées.  Elle a déclaré, à la page 2 des motifs :

[TRADUCTION] En l’espèce, c’est le parrain qui est décédé.  Il s’agit d’une demande invoquant le Règlement applicable à la catégorie de la famille déposée par une personne à charge dont le père, parrain de la demande, est décédé.  Il se peut que la demande de madame Lopez-Contreras puisse toujours être parrainée dans le cadre de la catégorie de la famille.  Il convient de noter que l’objet des parrainages dans la catégorie de la famille consiste à favoriser la réunification des familles.  Par conséquent, étant donné que l’engagement d’aide avait été signé par le parrain, Romulo Lopez et par sa femme, Alanta Lopez, mère de l’appelante et qu’il portait la mention suivante inscrite à la main:  «Les conditions d’accueil étaient identiques à celles du parrainage partagé du fils Romulo Alberto», j’estime que le parrainage de la demande de l’appelante existait toujours, car sa mère pouvait parrainer sa demande invoquant le Règlement applicable à la catégorie de la famille.

 

Ayant écarté les décisions De Decaro et Wong, j’estime donc que les principes qu’elles contiennent ne sont pas applicables en l’espèce.  Je ne suis pas disposée à étendre la portée du principe fondamental au point où tous les visas seraient conditionnels ...

 

      Cependant, la présente demande de contrôle judiciaire ne porte pas sur la décision prise par la commissaire Wiebe.  Il est de la plus grande importance de noter ce qui s’est produit par la suite.  Bien que la commissaire Wiebe ait déclaré, à l’audition du 9 juin, qu’elle était saisie de l’affaire, c’est le commissaire Ariemma qui a présidé l’audition des parties sur le fond, le 5 juillet 1995.  L’avocat de la requérante a fait une remarque préliminaire avant le début de l’audition sur le fond en déclarant, tel qu’il appert de la transcription de l’audition :

                [TRADUCTION]

AVOCAT :                                               Madame S. Wiebe était la commissaire initialement saisie de l’affaire.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :        Oui.  Elle a entendu la requête.

 

AVOCAT :                                               Bien.  Nous avions l’impression que c’est elle qui présiderait l’audience et avons été surpris d’apprendre qu’un autre commissaire la remplacerait; nous voulons seulement comprendre ce qui se passe.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :        Nous tenons une audience, voilà tout.  Madame Wiebe n’était pas saisie de l’affaire.  Elle n’a fait qu’entendre la requête et statuer sur celle-ci et elle a déterminé que la Commission était fondée à entendre l’affaire dont nous sommes saisis; voilà où nous en sommes.

 

AVOCAT :                                               Merci monsieur.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :        Je présume que vous savez que le ministre a interjeté appel de cette décision?

 

AVOCAT :                                               Non monsieur.  En réalité ---

 

M. MACINTYRE:                                  Par souci de clarté, monsieur le président, c’était, une action a été initiée, cependant, étant donné que l’appel n’a pas été entendu complètement.  Les autorités ont cru bon suspendre l’affaire jusqu’à ce qu’on ait définitivement ---

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :        Mon dossier ne comporte aucune mention de cela; il mentionne uniquement l’appel.

 

M. MACINTYRE:                                  En réalité, la Commission en a été avisée par téléphone, monsieur le président.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :        Je vois.  Bien n’est [sic] n’était probablement pas mentionné.  Merci monsieur MacIntyre.  Le dossier comporte une demande de  (inaudible).

 

AVOCAT :                                               Cela a été abandonné.

 

            Dans sa plaidoirie devant M. Ariemma, l’avocat de la requérante a abordé à nouveau la question de la compétence et celle de savoir si Mme Wiebe était saisie de l’affaire.  À mon avis, je ne suis pas tenu de traiter la question de savoir si le commissaire Ariemma a entendu, à bon droit, l’instance sur le fond parce que la conclusion de M. Ariemma selon laquelle la Section d’appel n’avait pas compétence pour entendre la présente affaire soulève une question préliminaire de justice naturelle.  Il ressort de la transcription que toutes les parties ont convenu de ce que la question de la compétence avait été tranchée par la commissaire Wiebe.  La question de la compétence n’a pas été soulevée lors de l’audition du 5 juillet 1995.  Par la suite, le commissaire Ariemma a rendu sa décision le 27 octobre 1995.  Il déclare, à la page 3 des motifs :

[TRADUCTION]  ... les parties ont convenu que l’audience se tienne devant un autre commissaire ...

 

            Cette déclaration est manifestement erronée parce que l’avocat de la requérante a bel et bien contesté le fait que le commissaire Ariemma entende l’affaire.  Cependant, comme je l’ai déjà dit, je ne suis pas tenu de traiter cette question, car l’affaire soulève une question plus importante de justice naturelle.  Monsieur Ariemma déclare, à la page 3 des motifs :

[TRADUCTION] Au cours de l’audition, il s’est avéré que l’appelante n’était pas la fille biologique d’Alanta Lopez, femme du père de l’appelante.  Il ressort également de la preuve que l’appelante n’a jamais été adoptée légalement par sa belle-mère.  Par ailleurs, il appert de la transcription de la dernière audition que cette preuve n’a pas été présentée à ma collègue qui a tranché la question de la compétence de la Section d’appel.  Cependant, à la lumière de la preuve, il incombe à la présente formation de traiter à nouveau la question de la compétence.  En l’espèce, la Section d’appel conclut qu’au moment de la délivrance du visa à l’appelante, les conditions dans lesquelles le visa pouvait être délivré n’avaient plus cours parce que le parrain était décédé et la belle-mère de l’appelante n’avait pas le droit de parrainer la demande de cette dernière.

 

La Loi sur l’immigration ne permet pas de parrainer la demande d’une personne dans la situation de l’appelante.  L’appelante n’appartient pas à la catégorie de la famille et elle n’avait pas de visa valable lorsqu’elle est entrée au Canada.  Par conséquent, elle n’a pas le droit d’interjeter appel de cette décision et la Section d’appel n’est pas compétente.

 

            Bien que je comprenne la situation difficile dans laquelle se trouvait le commissaire Ariemma, je ne connais aucune loi ni procédure de common law qui permette à un membre d’un tribunal ou d’une cour de renverser la décision d’un collègue, même à la lumière de nouvelle preuve produite dans une autre affaire et montrant que la première décision rendue était erronée.  De toute façon, à tout le moins, on aurait dû permettre aux parties de se pencher sur la question de la compétence, à la lumière des nouveaux faits.  Il est difficile d’imaginer une violation plus flagrante des principes de justice naturelle que la prise d’une décision relativement à une question déjà tranchée et dont la Commission ou le tribunal entendant l’affaire n’est même pas saisi.  Comme le déclare le juge Stone de la Cour d’appel dans Yassine c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1994), 172 N.R. 308, à la page 312 (C.A.F.) :

Je ne veux pas dire que la violation d'un principe de justice naturelle ne nécessite pas habituellement une nouvelle audience.  Le droit à une audience impartiale est un droit indépendant.  Habituellement, le déni de ce droit a pour effet de rendre nulles l'audience et la décision qui en résulte.  Une exception à cette règle stricte a été reconnue dans l'arrêt Mobile Oil Canada Ltd. et al c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202 où, à la page 228, la Cour suprême du Canada a cité l'opinion suivante du professeur Wade :

 

On pourrait peut-être faire une distinction fondée sur la nature de la décision.  Dans le cas d'un tribunal qui doit trancher selon le droit, il peut être justifiable d'ignorer un manquement à la justice naturelle lorsque le fondement de la demande est à ce point faible que la cause est de toute façon sans espoir.

                   Tout en reconnaissant qu'il y avait eu manquement à la justice naturelle ou à l'équité sur le plan de la procédure, la Cour suprême a donné effet à la distinction du professeur Wade en refusant d'accorder une réparation, parce que l'affaire soulevait une question pour laquelle il existait une réponse «inéluctable», étant donné que l'instance décisionnelle «serait juridiquement tenue de rejeter [la] demande» de l'appelante dans cette cause.

 

                   Les paramètres à l'intérieur desquels la distinction proposée par le professeur Wade devrait s'appliquer doivent encore être déterminés.  S'exprimant au nom de la Cour, le juge Iacobucci, citant l'arrêt Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643., a dit à la page 228 que les circonstances de l'affaire Mobile Oil étaient «exceptionnelles puisque, habituellement, la futilité apparente d'un redressement ne constituera pas une fin de non-recevoir». Il convient de souligner que l'affaire Cardinal portait sur le déni total du droit de se faire entendre.  Il n'est pas nécessaire, en l'espèce, de formuler des hypothèses sur le résultat, en supposant évidemment qu'il y a eu manquement à la justice naturelle et qu'il n'y a pas eu de renonciation à cet égard.  La conclusion défavorable quant à la crédibilité étant bien fondée, la demande ne pouvait qu'être refusée.  Il serait inutile de renvoyer l'affaire à la Section du statut de réfugié dans ces circonstances.

                                                                                                                       [Renvoi omis]

 

            L’intimé a prétendu que cette décision s’appliquait aux faits de l’espèce.  Cependant, je souligne d’abord que le commissaire Ariemma n’a pas tenu d’audience pour traiter la question de la compétence.  Je souligne également que, bien que controversées, les décisions De Decaro et Wong susmentionnées constituent le droit applicable en ce qui concerne la Cour et que la commissaire Wiebe les a écartées dans sa décision.  Bien que je doute du bien-fondé d’une telle distinction, je ne crois pas que le renvoi de la décision à la Section d’appel soit futile.  La requérante n’a pas eu l’occasion de présenter d’éléments de preuve concernant toute autre personne susceptible de parrainer sa demande invoquant le Règlement applicable à la catégorie de la famille.  La Cour suprême du Canada a clairement dit qu’on ne doit renvoyer l’affaire au tribunal pour qu’il statue à nouveau sur celle-ci que dans les cas très exceptionnels de violation grave des principes de justice naturelle.  Il faut également avoir à l’esprit que, tel que mentionné précédemment, le commissaire Ariemma a tiré une conclusion sur la question de la compétence sans tenir d’audience à ce sujet.  Je tiens également compte des observations de l’intimé concernant l’applicabilité de Bruan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1995), 30 Imm. L.R. (2d) 122 (C.F. 1re inst.).  Cependant, à mon avis, une cour de révision sera beaucoup mieux placée pour examiner ces instances en tenant compte de l’ensemble des faits.  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.  La décision de la Section d’appel en date du 27 octobre 1995 est annulée et l’affaire lui est renvoyée pour qu’une nouvelle formation statue à nouveau sur celle-ci en ce qui concerne la question de la compétence et le bien-fondé de la demande de la requérante dans le cas où il est déterminé, le cas échéant, que la Section d’appel est fondée à entendre l’affaire.  La requérante et l’intimé pourront produire toute la preuve qu’ils considéreront opportune quant à la question de la compétence et sur le fond de l’affaire et que la Section d’appel jugera pertinente.

 

 

 

 

 

                                                                                  W. P. McKeown        

                                                                                                Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 22 octobre 1996

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                        _________________________

                                                                        Bernard Olivier, LL. B.


                                     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

                                                                 

 

 

NO DU GREFFE :      IMM-3216-95

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :     VILMA SONIA LOPEZ CONTRERAS

 

- c. -

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

                                                    

                                                    

LIEU DE L’AUDIENCE :         Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :       le 26 septembre 1996

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE McKEOWN

 

EN DATE DU :22 octobre 1996

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

M. Roger Rowe                                              POUR LA REQUÉRANTE

 

 

Mme Kathryn Hucal                           POUR L’INTIMÉ

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

The Law Offices of Daniel Zaretsky                          POUR LA REQUÉRANTE

Toronto (Ontario)

 

 

GEORGE THOMSON                                               POUR L’INTIMÉ

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

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