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Date : 20200114


Dossier : IMM-3798-19

Référence : 2020 CF 44

Ottawa (Ontario), le 14 janvier 2020

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

RENÉ TRANCIL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Cette demande de contrôle judiciaire vise une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) qui aura confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) qui concluait que ce demandeur ne peut se réclamer de la qualité de réfugié ou de personne à protéger au Canada en vertu de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch 27 [la Loi]. Je reproduis dès maintenant l’article 98 de la Loi :

98 La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98 A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

C’est la section 1 E de la Convention sur les réfugiés qui s’applique en notre espèce et elle se lit ainsi :

E. Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.

E. This Convention shall not apply to a person who is recognized by the competent authorities of the country in which he has taken residence as having the rights and obligations which are attached to the possession of the nationality of that country.

[2]  Le demandeur dit rechercher le contrôle judiciaire de la décision de la SAR en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7. Ce n’est pas le cas. Une demande de contrôle judiciaire en matière d’immigration se fait par la voie de l’article 72 de la Loi. C’est donc sur cette base que cette affaire doit être examinée.

I.  Les faits

[3]  Les faits de cette affaire sont particulièrement simples. Le demandeur est de citoyenneté haïtienne et il aura quitté son pays en mai 2013 pour aller à Santo-Domingo. De là, il a voyagé jusqu’en Équateur, puis au Pérou où il a pris l’autobus qui l’aura amené quelque part au Brésil. Le dossier n’est pas bavard à cet égard.

[4]  Sa décision de quitter son pays de citoyenneté découle de deux épisodes au cours desquels il a fait l’objet, de façon violente, du vol de sa récolte de riz. Ces deux épisodes se sont produits en octobre 2010 et 2012.

[5]  Selon son récit, le demandeur aurait été recherché par les bandits à la suite du vol de 2012. Il se serait réfugié à Port-au-Prince, laissant sa famille chez sa mère. Sept mois plus tard, il quittait pour l’Amérique du Sud.

[6]  Ayant vécu au Brésil jusqu’en juillet 2016, le demandeur quittait par voie terrestre pour passer du Brésil au Pérou, à l’Équateur, à la Colombie, au Panama, au Costa Rica, au Nicaragua, au Honduras, au Guatemala et au Mexique pour enfin arriver aux États-Unis à l’automne de 2016. Encore ici, la date n’est pas particulièrement claire.

[7]  Il semble qu’il ait vécu aux États-Unis pour quelques mois, soit de la fin 2016 au 17 juillet 2017 alors qu’il traversait illégalement au Canada. Il faisait une demande d’asile dans les semaines qui ont suivi et celle-ci a été entendue par la SPR le 4 avril 2018. Elle a été rejetée grâce à un jugement oral. L’appel devant la SAR a été rejeté le 10 mai 2019.

II.  Arguments et décision

[8]  La décision de la SAR confirme la décision de la SPR. Essentiellement, la SAR est d’accord que le demandeur n’est pas exposé à un risque prospectif au Brésil. Appliquant l’analyse en deux temps reconnue par la jurisprudence, la SAR confirme que le demandeur peut retourner dans le pays où il bénéficiera des droits des nationaux de ce pays, le Brésil. À ce stade, c’est le ministre qui doit établir prima facie cette situation. Dans un deuxième temps, ce sera au demandeur de démontrer pourquoi il ne pourrait jouir à nouveau de ses droits dans ce pays.

[9]  En l’espèce, il ne semble pas faire de doute que le premier volet du test a été rempli. De fait, le demandeur ne le conteste même pas. La SAR constate que la résidence permanente du demandeur lui permet l’accès à l’éducation, la santé, le travail, le loisir, la sûreté, la prévoyance sociale et l’assistance aux indigents. Puisque le demandeur a plaidé que son droit au travail était rendu plus difficile en raison du chômage au Brésil, je note que le droit au travail ne consiste pas en un quelconque droit de ne pas être exposé au chômage, mais plutôt à l’accès au marché du travail à titre de résident permanent. Les restrictions sont notées comme étant l’interdiction de faire le service militaire, l’interdiction de voter et l’interdiction d’accéder à certaines fonctions publiques. Il est donc clair que la résidence permanente au Brésil remplit les conditions.

[10]  La difficulté que rencontre le demandeur en notre espèce est qu’il n’a produit aucune preuve d’une situation au Brésil qui pourrait atteindre un niveau de persécution quelconque. Pour lui, « (l)a question principale est de se demander si la SAR a rempli le mandat que le législateur lui a confié » (Factum du demandeur, para 22). Ce n’est pas là une question à laquelle la Cour peut répondre. Au mieux, la Cour peut considérer si le test pour l’application de l’article 98 a été appliqué de façon raisonnable. Là est la norme de contrôle pour la grande majorité des questions qui doivent être traitées par une cour en révision judiciaire (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65).

[11]  Le demandeur a très loyalement concédé qu’il n’a pas vécu personnellement une situation particulière mettant sa vie en danger au Brésil (Factum du demandeur, para 24). Il ne nie pas non plus avoir eu la résidence au Brésil (Factum du demandeur, para 27). À son plus haut, le demandeur prétend que c’est son droit au travail qui a été brimé et que « la vie au Brésil est devenue un enfer pour lui à cause de la crise économique et politique qui a frappé le pays » (Factum du demandeur, para 28). Il est une victime collatérale de la crise économique et il ajoute que les Brésiliens de souche imputent la responsabilité de cette crise, ou tout au moins une partie de cette responsabilité, au demandeur ainsi qu’aux autres Haïtiens. Or, si tant est que ce soit suffisant, il n’en reste pas moins qu’il n’y a pas la moindre preuve de cet état de fait. En fin de compte, le demandeur lui-même n’en fait pas la preuve. Au paragraphe 31 de son factum, il va même jusqu’à se plaindre que « le demandeur ne pouvait plus envisager une vie normale et sereine au Brésil, notamment lorsque cette privation est à cause de son origine ethnique ».

[12]  Mais là où la démonstration est particulièrement défectueuse est lorsque le demandeur prétend à stigmatisation dont font l’objet la majorité des Haïtiens au Brésil. De là, il prétend que cette stigmatisation prend une forme de persécution dans certaines situations comme celle du demandeur. Non seulement s’agit-il d’un saut considérable, mais il n’est appuyé par aucun élément de preuve. On est donc bien loin de faire la démonstration que la SAR a conclu de façon déraisonnable. La Cour note en plus qu’aucune décision judiciaire dont les faits pourraient être analogues ne vient appuyer la prétention du demandeur. Comme il a été indiqué plus tôt, c’était le fardeau du demandeur que de faire cette démonstration. Sa thèse n’est appuyée ni par la preuve ni par la jurisprudence. C’est ainsi que la demande de contrôle judiciaire ne peut réussir.

[13]  Les parties conviennent et la Cour est d’accord qu’il n’y a dans cette affaire aucune question à être certifiée aux termes de l’article 74 de la Loi.

 


JUGEMENT au dossier IMM-3798-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3798-19

INTITULÉ :

RENÉ TRANCIL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

mONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 JANVIER 2020

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

LE 14 JANVIER 2020

COMPARUTIONS :

Giuseppe Di Donato

Pour le demandeur

Rosine Faucher (stagiaire)

Andrea Shahin

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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