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Date : 20040623

Dossier : IMM-2580-03

Référence : 2004 CF 905

Toronto (Ontario), le 23 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY                            

ENTRE :

                                             VICTORIA ADEFUNKE ADEWOYIN

(alias VICTORIA ADEFUN ADEWOYIN)

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Victoria Adefunke Adewoyin, une citoyenne du Nigéria âgée de 23 ans, a demandé le contrôle judiciaire de la décision que la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rendue le 20 mars 2003. La Commission a alors décidé que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. Pour les motifs qui suivent, sa demande sera rejetée.


LES FAITS                             

[2]                Madame Adewoyin a demandé le statut de réfugiée au sens de la Convention au motif qu'elle craignait d'être persécutée du fait de son appartenance à un groupe social, notamment qu'elle craignait d'être persécutée du fait de son sexe, comme femme qui serait assujettie à une mutilation génitale féminine (MGF) et à un mariage forcé. La Commission a aussi examiné la question de savoir si elle était une personne à protéger au sens de l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

[3]                La demanderesse a affirmé que sa mère était décédée alors qu'elle était encore un bébé et que, lorsqu'elle a eu 15 ans, sa belle-mère et son père voulaient qu'elle subisse une MGF. Lorsque la demanderesse s'y est refusée, son père en a informé les aînés de la collectivité.

[4]                La demanderesse affirme que, en février 1999, elle a été arrêtée et détenue par la police pendant une semaine parce qu'elle refusait de se soumettre à la mutilation. Elle affirme que, pendant qu'elle était détenue, elle a été battue et torturée. Son père a pu obtenir sa libération et il a changé d'idée au sujet de la mutilation.


[5]                En février 2000, le père de la demanderesse est décédé du cancer. La demanderesse affirme que la collectivité l'a blâmée pour la mort de son père parce qu'elle s'était refusée à la mutilation. Après les funérailles de son père, elle a repris ses études à l'Université de Akure. Puis, en avril 2000, alors qu'elle était à la maison pendant le congé de Pâques, sa belle-mère lui a dit qu'elle devait marier un homme qui avait 35 ans de plus qu'elle. Elle a été forcée de se rendre chez cet homme où elle a été enfermée dans une pièce conformément au rituel précédant la mutilation. Le troisième jour, elle a pu s'échapper grâce à l'aide d'une amie de sa mère et elle s'est rendue chez un ami de son père. Sa belle-mère a menacé cet ami de son père pour avoir donné refuge à la demanderesse. Elle s'est rendue à Lagos, puis au Bénin en 2000, jusqu'à ce que des arrangements soient pris pour son départ vers les États-Unis, où elle a passé environ une semaine. Elle est ensuite arrivée au Canada le 7 juin 2000. Elle a déposé sa demande un mois plus tard.

La décision de la Commission

[6]                La Commission a conclu que des aspects clés de la demande de la demanderesse n'étaient pas crédibles. Premièrement, la Commission a tiré une conclusion défavorable quant à sa crédibilité parce que plusieurs éléments importants de sa demande, qu'elle a exposés dans son témoignage oral, n'étaient pas mentionnés dans son Formulaire sur les renseignements personnels (FRP). La Commission a considéré que les explications fournies par la demanderesse selon lesquelles elle avait simplement résumé ses allégations dans son FRP parce qu'elle envisageait de donner un récit détaillé en personne à l'audience ne pouvaient pas raisonnablement excuser les omissions suivantes :


-         Sa belle-mère lui avait demandé de travailler comme prostituée et, comme elle refusait, elle avait tenté de la tuer avec un couteau;

-         Elle a affirmé dans son témoignage qu'elle avait été arrêtée par la police en avril 2000 parce que sa belle-mère l'avait dénoncée pour avoir refusé la mutilation;

-         Elle a affirmé dans son témoignage que le gouvernement local à Akure lui avait adressé par la poste deux mises en demeure lui fixant un délai à l'intérieur duquel elle devait se décider quant la mutilation; ce gouvernement avait un registre de toutes les filles qui étaient nées et s'étaient soumises à la mutilation dans la région;

-         Elle avait dû dormir dans la rue pendant deux nuits après que l'épouse de l'ami de son père eut refusé de continuer à lui donner refuge à la suite des menaces qu'elle avait reçues de la belle-mère de la demanderesse.


[7]                La Commission a aussi conclu que l'allégation de la demanderesse selon laquelle un ami de son père l'avait aidée à fuir, mais qu'il avait ensuite informé sa belle-mère de l'endroit où elle se trouvait n'était pas vraisemblable. La Commission a aussi tiré des conclusions quant à l'élément subjectif de la crainte de la demanderesse, notamment que la demanderesse n'avait pas fourni une explication raisonnable pour le fait qu'elle n'avait pas présenté une demande d'asile aux États-Unis, et que l'explication qu'elle avait donnée pour le fait qu'elle avait attendu un mois après son arrivée au Canada pour présenter sa demande d'asile comportait des contradictions et n'était pas raisonnable.

[8]                La Commission a en outre conclu que les allégations de la demanderesse n'étaient pas compatibles avec la preuve documentaire au sujet des mariages forcés au Nigéria. Cette preuve donnait plutôt à penser que les femmes instruites des centres urbains, particulièrement les femmes dans la vingtaine, dans l'Est et le Sud du Nigéria, n'étaient généralement pas forcées de contracter un mariage dont elles ne voulaient pas. La Commission a aussi noté qu'on ne lui avait présenté aucun élément de preuve convaincant et crédible que les gouvernements locaux gardaient des registres sur les filles qui se soumettaient à la mutilation ou que ces gouvernements exerçaient des pressions sur les filles pour qu'elles acceptent ces mutilations. La Commission a choisi d'accueillir cette preuve documentaire plutôt que les allégations de la demanderesse.

[9]                La Commission a affirmé qu'elle avait pris en considération le rapport médical du Dr Golden, mais qu'elle ne lui avait accordé aucune importance parce qu'elle ne croyait pas que les symptômes de dépression et d'anxiété de la demanderesse étaient le résultat des mauvais traitements que sa belle-mère lui aurait infligés et de sa crainte d'un mariage forcé et d'une MGF.


LA QUESTION EN LITIGE

[10]            La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire dans son examen de la preuve relative au risque d'un mariage forcé et d'une MGF?                 

ANALYSE DES OBSERVATIONS DES PARTIES

[11]            La demanderesse a allégué que la Commission avait mal interprété la preuve qu'elle lui avait présentée, principalement en ce qui a trait au rôle du clan et de la famille, plutôt que de l'État, comme source de sa crainte d'être persécutée. La demanderesse a témoigné qu'elle venait d'une partie rurale de la ville de Akure et que la preuve documentaire établissait que pour les Yoruba, son clan, les mariages forcés n'étaient plus courants dans les centres urbains tels que Lagos, mais qu'ils existaient encore.


[12]            La demanderesse soutient également que la preuve documentaire à laquelle la Commission renvoie ne dit rien en ce qui concerne les mariages forcés pour les femmes âgées de plus de 18 ans. La demanderesse renvoie a deux autres réponses à des demandes de renseignements que la Commission n'a pas mentionnées, qui soutiennent que le gouvernement considère le mariage comme une affaire domestique et qu'il n'intervient pas à moins de mauvais traitements physiques, ces mauvais traitements de la part des parents n'étant plus aussi fréquents que par le passé et que plus souvent qu'autrement, la femme qui refuse d'accepter un mariage arrangé est ostracisée. La demanderesse soutient également que la preuve à laquelle la Commission renvoie étaye son affirmation que, ayant 22 ans lors du prononcé de la décision de la Commission, elle avait atteint, dans la société nigériane, l'âge nubile.

[13]            La demanderesse avance ensuite que la Commission n'a pas évalué correctement son affirmation selon laquelle elle était sur le point d'être forcée à subir une MGF, étant donné que la preuve documentaire montre qu'une MGF peut être pratiquée dans les régions rurales et qu'elle est souvent imposée juste avant le mariage. La demanderesse affirme que, dans son cas, ces facteurs existaient tous les deux et étayent ses affirmations.

[14]            Le défendeur soutient cependant que la preuve de la demanderesse était [traduction] « criblée » de problèmes sur le plan de la crédibilité et que les motifs de la Commission donnent au moins dix exemples des omissions ou des invraisemblances qu'elle comporte. La demanderesse n'a pas contesté neuf de ces dix exemples. La Commission a énoncé ces exemples clairement et la demanderesse n'a pas montré que les conclusions sur la crédibilité ont été tirées de façon abusive ou arbitraire.


[15]            Le défendeur affirme également que la Commission n'a pas commis d'erreur dans son évaluation de la preuve documentaire. Le défendeur note que la Commission a commis une erreur typographique lorsqu'elle a renvoyé à une réponse à une demande de renseignement qui affirmait que les parents qui imposent à leurs enfants des mutilations peuvent être poursuivis, alors que la note de bas de page renvoyait aux mariages forcés et affirmait que les parents pouvaient être poursuivis pour avoir forcé leurs enfants à contracter un mariage. Le défendeur soutient que cela ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

[16]            Selon moi, les observations de la demanderesse sont sans fondement : elles visent essentiellement à demander à la Cour de procéder à une nouvelle évaluation de la preuve déposée devant la Commission et d'arriver à des conclusions de fait différentes. La Commission a renvoyé à la preuve documentaire qu'elle considérait crédible. Cette preuve établissait que les femmes instruites des centres urbains de l'Est et du Sud du Nigéria n'étaient pas habituellement forcées à se marier. Le fait que la Commission se soit appuyée sur cette source plutôt que sur celles proposées par la demanderesse ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle judiciaire. Par ailleurs, l'erreur typographique mentionnée par le défendeur ne vicie pas la décision de la Commission. Il s'agit d'une note de bas de page et le contexte montre clairement que la Commission avait l'intention d'écrire que les parents qui forcent leurs enfants au mariage peuvent être poursuivis.


[17]            Les motifs de la Commission ne donnent pas à penser qu'elle ait mal interprété le fait que la demanderesse vivait dans une région rurale. En fait, la transcription de l'audience montre que le témoignage de la demanderesse est incohérent et parfois contradictoire quant à savoir si elle vivait à Akure, comme elle l'a écrit dans ses documents, ou dans un village à l'extérieur de Akure appelé Ondobye Pass. Elle a aussi affirmé que Akure est une ville composée de nombreux villages et qu'elle est allée à l'école secondaire et à l'université à Akure. Elle a affirmé que la maison de l'homme âgé où elle avait été détenue était dans la ville de Akure (voir les pages 199 et 267 à 273 du dossier du tribunal). Ces affirmations donnent à penser que la demanderesse a fait ses études dans un milieu urbain et qu'elle a passé une bonne partie de sa vie dans une ville, et que le lieu où elle a été séquestrée était dans une ville. Par conséquent, je ne peux pas conclure que la Commission a tiré une conclusion manifestement déraisonnable en s'appuyant sur la preuve documentaire qui faisait une distinction entre les femmes qui vivaient dans les centres urbains et avaient reçu leur éducation dans le Sud-Est du Nigéria et celles qui vivaient dans les zones rurales, et qui montrait que les femmes du premier groupe n'étaient généralement pas forcées à se marier contre leur volonté.


[18]            En outre, les nombreuses conclusions défavorables que la Commission a tirées en rapport avec les omissions commises dans le FRP de la demanderesse montrent que la Commission n'a simplement pas cru les affirmations de la demanderesse. Il est bien établi que, si des incidents pertinents et importants ne sont pas relatés dans le FRP et qu'ils sont révélés par la suite dans le cours de la procédure de la demande d'asile, la Commission peut considérer que cela affecte la crédibilité du demandeur si ce dernier ne peut pas fournir une explication valable ; voir Bakare c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 31 (1re inst.) (QL), et Akhigbe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 332 (1re inst.) (QL). En outre, la Commission avait de bonnes raisons de mettre en doute l'élément subjectif de sa demande et elle les a énoncées très clairement dans ses motifs de décision. Comme l'a fait remarquer le défendeur, la demanderesse ne conteste pas les conclusions sur la crédibilité qui sont en rapport avec les omissions commises dans son FRP ou les conclusions qui ont trait à l'élément subjectif.

[19]            Finalement, la Commission a examiné la preuve documentaire qui lui était présentée même si elle jugeait que la demanderesse n'était pas crédible. Les motifs de la Commission sont clairs et intelligibles et, après qu'elle eut fait mention de ses doutes sur la crédibilité des allégations de la demanderesse, la Commission a exposé les éléments de preuve documentaire qu'elle considérait concluants. Rien ne laisse voir dans ses motifs que la Commission est devenue [traduction] « à ce point obsédée par la question de la crédibilité de la demanderesse » qu'il y a des raisons de craindre qu'elle n'ait pas pris en considération, dans toute la preuve documentaire qui lui avait été présentée, les éléments auxquels elle n'a pas fait référence expressément. Par conséquent, la présente affaire est différente de l'affaire Mylvagnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1195 (1re inst.) (QL), aux paragraphes 9 et 10, sur laquelle la demanderesse s'appuie.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE : La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'est certifiée.

                                                                                                                          « Richard G. Mosley »                     

                                                                                                                                                     Juge                                 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             IMM-2580-03

INTITULÉ :                            VICTORIA ADEFUNKE ADEWOYIN

(alias VICTORIA ADEFUN ADEWOYIN)

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 22 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :           LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :           LE 23 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Ronald Schacter

POUR LA DEMANDERESSE

Ann Margaret Oberst

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ronald Schacter

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR


                         COUR FÉDÉRALE

                                         

Date : 20040623

Dossier: IMM-2580-03

ENTRE :

VICTORIA ADEFUNKE ADEWOYIN

(alias VICTORIA ADEFUN ADEWOYIN)

                                                               demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                     défendeur

                                                                                   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                   


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