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Date : 20200115


Dossier : IMM-3108-19

Référence : 2020 CF 49

Ottawa (Ontario), le 15 janvier 2020

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

AREZKI BOUARIF

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Cette demande de contrôle judiciaire est relative à la décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) qui, le 5 avril 2019, maintenait la décision prise par la Section de la protection des réfugiés (SPR) ayant refusé la demande d’asile en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la Loi]. Cette demande de contrôle judiciaire est évidemment faite grâce à l’article 72 de la Loi. La seule question qui se pose en l’espèce est de savoir si le demandeur était crédible au sujet de sa crainte en raison de ses croyances religieuses dans son pays d’origine, l’Algérie. Ni la Section de la protection des réfugiés, ni la Section d’appel des réfugiés n’ont cru le demandeur. Pour réussir dans ce contrôle judiciaire, le demandeur devait convaincre la Cour que la décision de la Section d’appel des réfugiés n’était pas raisonnable. Il n’a pas réussi et la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

I.  Les faits

[2]  Les faits de cette affaire sont fort simples. M. Bouarif est un résident de l’Algérie qui dit s’être converti, peu à peu, au christianisme à compter de 2009. De son témoignage, on retient que de 2009 à 2014, il n’y a eu que des conflits mineurs au sujet de sa pratique religieuse émergente qu’il dit lui-même ne pas avoir été graves. C’est à compter de 2014, dit-il, que les choses se sont empoisonnées. Ainsi, de discussions vives, il semble que novembre 2014 ait été le point de départ d’une situation plus difficile.

[3]  De fait, le demandeur ne prétend même pas dans son Fondement de la demande d’asile (FDA) avoir subi lesdites difficultés causées par les islamistes, mais plutôt que des groupes de jeunes auraient attaqué en novembre 2014, et précisément le 15 novembre 2014, la maison d’une personne qui enseignait, semble-t-il, certains préceptes de la religion chrétienne. Ces jeunes auraient lancé des pierres sur le toit de cette maison et, une fois sortis de cette maison, deux jeunes chrétiens auraient été attaqués par ceux qui avaient lancé des pierres. En décembre 2014, ce même groupe se serait présenté à la même maison (le lieu de rencontre pour la prière) et ils auraient tout saccagé et volé des objets. Plus tard en 2014, le comité du village aurait décidé d’exclure les jeunes chrétiens de toutes les activités sociales du village. Finalement, en janvier 2015, la fermeture de la maison aurait été ordonnée par les autorités. C’est à ce moment que le groupe se serait rendu dans une grande église de la ville de Ouadhia.

[4]  C’est alors que le demandeur aurait décidé de quitter son pays parce qu’il s’y sentait exclu. Le demandeur a à de nombreuses reprises indiqué durant l’audition devant la SPR avoir été marginalisé dans son pays. Dans un élan de transparence, il déclare à la page 32 de 110 que : « (m)on intention était de venir ici et de rester ici, et éventuellement demander aux autorités d’ici leur protection, l’asile pour pouvoir rester ici parce que je subissais l’oppression dans mon pays ». Les tribunaux administratifs ont conclu que le demandeur n’était ni un réfugié, ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

II.  La décision de la SAR

[5]  La seule décision qui soit devant cette Cour est la décision de la SAR. Essentiellement, la SAR suit la décision de la SPR au sujet de l’absence de crédibilité de ce demandeur. Les difficultés rencontrées par ce demandeur pour convaincre la SPR sont nombreuses, comme les deux divisions les auront notées. Au paragraphe 13 de sa décision, la SAR reprend les motifs pour lesquels la SPR a rejeté la demande d’asile vu la crédibilité du demandeur :

[13]  La SPR a rejeté la demande d’asile de l’appelant pour les motifs suivants :

-  L’appelant a rendu un témoignage peu spontané et vague en ce qui concerne les problèmes qu’il aurait vécus en Algérie;

-  II a livré un témoignage vague en ce qui a trait à ses connaissances de la religion chrétienne, témoignant d’une quasi-méconnaissance de celle-ci;

-  L’appelant a fait état durant son témoignage d’un incident personnel ayant eu lieu en novembre 2014 où des islamistes auraient voulu s’en prendre à lui physiquement alors qu’il ne l’a jamais mentionné à son formulaire de Fondement de la demande d’asile (FDA);

-  Le comportement de l’appelant qui a mis six mois avant de demander l’asile une fois au Canada n’est pas celui d’une personne craignant de retourner dans son pays d’origine.

C’est l’accumulation de ces éléments qui fait en sorte que la crédibilité du demandeur a été minée.

[6]  Dans ses motifs de décision, la SAR reprend de façon plus systématique certaines des difficultés qui font en sorte que la conclusion d’absence de crédibilité devait être maintenue à son niveau, à la suite de son analyse indépendante selon la norme de la décision correcte. La méconnaissance au sujet d’une religion qu’il dit pratiquer est frappante. Outre Pâques et Noël, le demandeur ne pouvait indiquer quelles que autres fêtes religieuses, expliquant qu’il avait été initié depuis peu. Or, il avait lui-même déclaré sa conversion en 2009, huit ans avant son audition devant la SPR. De l’avis de la SAR, il ne s’agit pas là d’une question qui requiert une expertise. Il faut en convenir. De même, il était plutôt frappant que Marie, la mère du Christ, soit présentée comme une des douze apôtres. La tentative, plus tard au cours de l’audience, de référer à une autre Marie que le demandeur aurait vue dans un film n’aura pas eu l’heur d’améliorer les choses puisque, de toute manière, les apôtres étaient douze hommes. D’ailleurs, le demandeur semblait confondre apôtre et disciple. Pour la SAR, les connaissances de l’appelant relativement à la religion qu’il dit pratiquer sont maigres, voire erronées (Décision de la SAR, para 26). Ainsi, le demandeur n’aura pas satisfait le fardeau qui est le sien. Qui plus est, le demandeur a été dans l’incapacité d’identifier une prière, tel qu’on le lui a demandé spécifiquement, se contentant de dire, malgré les questions répétées, qu’il priait souvent. La fréquence alléguée de sa participation religieuse ne correspondait pas aux éléments les plus élémentaires de celle-ci. Les questions qui étaient posées étaient générales et ne touchaient en aucune manière aux détails de celle-ci.

[7]  Se réclamant de Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1139, la SAR accepte ce passage de cette décision :

[26]  […] Il peut s’agir d’une tâche difficile pour la Commission, car la Commission a le droit de déterminer si le demandeur d’asile a atteint un niveau de connaissance religieuse correspondant à ce à quoi il serait possible de s’attendre d’une personne se trouvant dans la situation du demandeur d’asile, mais ne doit pas tirer de conclusion défavorable fondée sur de menus détails ou sur une norme déraisonnablement élevée de connaissances religieuses.

De l’avis de la SAR, il s’agissait évidemment de ce genre de question générale ne requérant certes pas des connaissances religieuses poussées. Qui dit avoir adhéré à une religion pour laquelle il aurait été persécuté dans son pays d’origine devrait en connaître les éléments les plus élémentaires. Il ne s'agit pas là de sonder les reins et les cœurs, mais plutôt d’évaluer la crédibilité du demandeur d’asile qui se réclame d’une religion dont il ne connaît pas les préceptes élémentaires.

[8]  N’est pas non plus pointilleux de tirer une inférence négative au sujet de la crédibilité le fait que le demandeur n’a pas dans sa FDA traité du seul incident d’intimidation qui l’implique directement, selon sa version des faits donnée à l’audience devant la SPR. Celle-ci a noté que, « à la fin de l’année 2014 (mois de novembre) alors qu’il était dans son village, lors d’une réunion, il aurait été menacé et insulté et on aurait voulu le frapper. Cet événement touchant le demandeur personnellement n’est indiqué nulle part dans son récit. Interrogé à savoir pourquoi, le demandeur, pour l’expliquer, a déclaré avoir oublié de le mentionner » (Décision de la SPR, para 8). Pour la SPR, il s’agit d’une omission importante. Elle est restée inexpliquée. La SAR a aussi considéré que cette omission minait la crédibilité du demandeur (Décision de la SAR, para 44). La SAR a constaté que l’attente de quelque six mois avant de faire une demande d’asile au Canada jouait contre la crédibilité du demandeur quant à une crainte de persécution en lien avec la pratique du christianisme. Encore ici, « (l)a SPR n’a pas erré, elle a considéré ce point comme un facteur parmi d’autres afin de rejeter la demande de l’appelant » (Décision de la SAR, para 53).

III.  Arguments et analyse

[9]  Le demandeur cherche à reprendre chacun des points soulevés par les tribunaux administratifs et à leur donner une signification différente. De ce fait, il ne démontre pas que la décision était déraisonnable, mais tout au plus qu’il est en désaccord sur les conclusions auxquelles les deux tribunaux administratifs en sont arrivés. Il ne fait pas de doute que la norme de contrôle en cette matière est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]). Dans cette décision récente, la Cour suprême confirme à nouveau que la norme de la décision raisonnable est celle qui s’applique aux tribunaux administratifs, sauf exception. Aucune de ces exceptions n’est présente ou même invoquée par le demandeur. Ici, le demandeur relève ce qu’il considère être trois erreurs qui entachent le caractère raisonnable de la décision :

a)  le cadre d’analyse adopté est déraisonnable et erroné car il permet l’interrogatoire en matière religieuse;

b)  des erreurs factuelles déterminantes entachent la décision;

c)  il est déraisonnable de considérer que le délai du demandeur à déposer sa demande d’asile était inapproprié.

[10]  De l’avis du demandeur, les questions posées par la SAR visaient à faire passer « un test de connaissances bibliques » au lieu d’examiner l’authenticité et la sincérité de sa foi. À mon sens, qui dit être persécuté à cause de ses croyances religieuses au point de devoir s’exiler doit bien connaître les informations fondamentales relativement à cette croyance religieuse. Cela me semble participer du sens commun. La foi se mesure mal devant un tribunal mais l’authenticité des croyances peut faire l’objet d’une appréciation. L’état du droit à cet égard me semble bien articulé dans Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1273 [Li], au paragraphe 15 :

[15]  En définitive, la SPR doit établir si le demandeur d’asile a adhéré au Falun Gong seulement pour donner du poids à sa demande d’asile, auquel cas il est loisible à la SPR de conclure que les croyances religieuses du demandeur d’asile ne sont pas sincères, ou si la croyance du demandeur d’asile a évolué à un point tel qu’il est devenu un véritable croyant, et ce, même si, à l’origine, il avait adhéré à cette religion pour donner du poids à sa demande d’asile. Il ne s’agit pas d’une mince tâche.

Il est bien établi en droit qu’il est loisible à la SPR d’examiner ce qui motive une personne à pratiquer une religion, notamment la sincérité des croyances religieuses et de se fonder sur ce motif pour rejeter les demandes d’asile qui, comme en l’espèce, reposent essentiellement sur la prétention selon laquelle le fait de continuer à pratiquer, dans le pays d’origine, une religion nouvellement acquise pourrait exposer le demandeur d’asile à des risques (Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 518, au para 18). Ce faisant, la SPR peut évaluer dans quelle mesure le demandeur d’asile connaît certains préceptes fondamentaux de la religion, mais il faut que l’examen soit mené avec prudence vu que les croyances religieuses sont hautement subjectives et personnelles (Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 288, para 61).

Mon collègue, le juge LeBlanc poursuit dans Li au paragraphe 16 de sa décision:

[16]  Si la SPR estime que le demandeur n’est pas un véritable adepte, il lui est alors loisible de conclure que le demandeur d’asile ne pratiquerait pas la religion qu’il prétend pratiquer s’il retournait dans son pays d’origine et qu’il n’y serait donc pas exposé à un risque (Hou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 993, au paragraphe 62, 417 FTR 405 [Hou]). La Cour a estimé que, lorsqu’il est établi que le demandeur n’est pas crédible, qu’il a fabriqué des récits concernant sa pratique alléguée d’une religion dans son pays d’origine et qu’il manque de connaissances quant aux détails de sa religion alléguée, il est raisonnable de conclure que les croyances religieuses du demandeur ne sont pas sincères (Hou, aux paragraphes 54 et 55).

[11]  La Cour en révision judiciaire doit éviter de substituer son opinion à celle du décideur administratif en qui la responsabilité a été confiée par le Parlement. Madame la juge Gleason, alors qu’elle était de notre Cour, avait articulé le rôle de la cour de révision de la façon suivante dans Hou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 993, au paragraphe 55 :

[55]  De fait, dans toutes les affaires – et particulièrement celles où, comme dans la présente, on constate que le demandeur manque de crédibilité –, la Cour ne doit pas trop se hâter de substituer son opinion à celle de la SPR, qui a acquis une expertise en ce qui concerne les préceptes de diverses religions. Comme l’a noté monsieur le juge Near dans Wang (précité, paragraphe 8), l’évaluation de la sincérité des croyances religieuses du demandeur est une tâche difficile, et la Commission « est chargée de cette tâche délicate en qualité de juge des faits, et la Cour ne peut décider, lors du contrôle judiciaire, de revoir en fait les résultats de ce qui peut commencer à ressembler à une ronde de jeu-questionnaire biblique » (au paragraphe 18). À mon avis, dans Wang, au paragraphe 20, monsieur le juge Near a établi la bonne approche à adopter par la Cour pour évaluer la raisonnabilité de l’évaluation faite par la SPR de la sincérité des croyances religieuses d’un demandeur. Après avoir examiné une série de questions maladroites que la Commission avait posées sur la description de Jésus comme personne, il écrit :

[…] cette série de questions illustre […] la difficulté de l’évaluation à laquelle la Commission doit se livrer. Elle ne laisse voir aucune erreur qui justifierait d’infirmer sa décision. Tant qu’il n’est pas établi que la preuve a été ignorée ou qu’il y a eu un malentendu sur les faits, je ne suis pas disposé à revenir sur la conclusion de la Commission à cet égard – encore une fois, la déférence est de mise. La Commission ne s’est pas prononcée sur la sincérité de la foi du demandeur en se fiant uniquement à son incapacité à évoquer les attributs humains de Jésus. Les réponses à d’autres questions touchant la foi pentecôtiste étaient vagues et pauvres en détail. Comme le fait valoir le défendeur, un témoignage privé des détails qu’il est raisonnable d’attendre de la part d’une personne se trouvant dans la situation du demandeur d’asile justifie la conclusion que la demande n’est pas crédible, même si le demandeur a su répondre correctement et très précisément à d’autres questions.

[Je souligne.]

[12]  À mon avis, ne pas être en mesure de répondre à des questions aussi élémentaires que de nommer des fêtes religieuses, ou d’identifier Marie comme étant un des douze apôtres, ou pour le demandeur d’offrir un témoignage moins que vague lorsqu’interrogé sur la connaissance de prières, ou même le fait qu’il ne se soit pas fait baptiser en Algérie parce qu’il n’avait pas eu le temps (entre 2009 et 2015) alors qu’il l’a fait au Canada, montre bien que la SAR avait devant elle de la preuve sur laquelle se fonder pour conclure que ce demandeur n’a pas fait la preuve de la sincérité de sa pratique religieuse. Cette conclusion est raisonnable. Nous sommes bien loin de questions qui sont pointues et qui procèdent d’une analyse microscopique dans un domaine aussi sensible que la religiosité.

[13]  Un élément particulier mérite peut-être une observation puisque le demandeur aura insisté à son égard. J’ai pris connaissance de la transcription de l’audience devant la SPR. Il m’apparaît clair que lorsque le demandeur aura référé à Marie, il voulait bien référer à la mère du Christ. Devant cette Cour, on a bien tenté de faire une relecture de ces passages pour suggérer qu’il aurait voulu parler de Marie Madeleine, une des disciples du Christ selon le récit biblique. Alors que questionné sur une réponse plutôt surprenante que l’un des apôtres aurait été Marie, le demandeur a alors parlé d’une autre Marie, sans jamais l’identifier. L’ambiguïté procéderait d’un film que le demandeur aurait visionné. Non seulement ne sait-on rien de cet autre film, mais force est de constater qu’aucun des douze apôtres, selon la lecture la plus élémentaire de la Bible, n’était une femme. De plus, c’est alors qu’il tentait de corriger le tir que le demandeur a référé au passage à un film dans lequel une deuxième Marie serait apparue. Qui plus est, aucune référence n’est faite par le demandeur à qui cette autre Marie serait, pas plus d’ailleurs qu’il s’agirait de Marie Madeleine. C’est plutôt l’avocat du demandeur qui a confirmé, très loyalement, qu’il s’agissait d’une conjecture de sa part. À mon avis, cela ne change en rien la conclusion tirée par la SAR (pages 83-85 de 110 de la transcription de l’audience du 17 février 2017 produite à l’affidavit de Ketsia Dorceus). En fait, la connaissance d’une religion qui serait fondée sur une vague réminiscence d’un film est en soi étonnante pour qui se réclame de cette religion.

[14]  L’omission dans le FDA d’une confrontation à un pas de la violence est, elle aussi, significative. En effet, il serait inapproprié de tirer une conclusion défavorable d’un fait mineur qui n’aurait pas été relevé dans le FDA. La situation devient plus périlleuse si un témoignage subséquent en fait mention. Mais la conclusion du tribunal administratif me semble inattaquable lorsque la mention manquante en est une qui est importante aux fins d’établir les difficultés rencontrées dans le pays quitté. Les incidents auxquels le demandeur référait dans le FDA étaient tous des incidents ne l’impliquant pas. Le seul qui l’implique est celui de novembre 2014 et il n’en parle pas dans son FDA. L’on est alors en face d’un incident où il a été menacé, et insulté dit-il, et qu’on a tenté de le frapper lors d’une réunion dans son village en novembre 2014. Ce n’est pas rien. Il s’agit en fait du seul événement qui pourrait l’impliquer directement et démontrerait un réel péril à son endroit. Dans Zeferino c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 456, le juge Boivin, alors de notre Cour, écrivait aux paragraphes 31 et 32 ce qui suit :

[31]  Cette Cour a confirmé à plusieurs reprises que tous les faits importants d’une revendication devaient apparaître dans un FRP et que l’omission de les mentionner pouvaient [sic] affecter la crédibilité d’une portion ou de la totalité d’un témoignage. En outre, la SPR est en droit d’examiner la teneur du FRP avant et après sa modification, et peut tirer des conclusions défavorables sur la crédibilité si des questions qu’elle considère comme importantes ont été ajoutées au FRP lors d’un amendement tardif (Taheri c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 FCT 886, [2001] ACF no 1252, aux para 4 et 6; Grinevich c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1997) 70 ACWS (3d) 1059, [1997] ACF no 444).

[32]  Il est loisible au Tribunal de jauger la crédibilité de la demanderesse principale et de tirer des inférences défavorables au sujet des disparités entre sa déclaration telle que mentionnée au FRP initial, celle contenue dans les notes d’entrevue, la déclaration au narratif modifié du FRP, et dans le témoignage viva voce, pour lesquelles la demanderesse principale n’a pas fourni d’explications satisfaisantes, vraisemblables ou crédibles dans les circonstances (He c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1994), 49 ACWS (3d) 562, [1994] ACF no 1107). En l’espèce, et la Cour est d’accord avec la procureure du défendeur, la preuve démontre que l’histoire et le récit des demandeurs a changé au cours des deux dernières années.

(Voir aussi Odia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 363, au paragraphe 6 et Navaratnam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 856, au paragraphe 17).

L’effet de l’ajout au récit est évident. Il s’agit d’une tentative de bonifier le récit pour y inclure un élément plus personnel pour rendre la persécution personnalisée. Les autres incidents relatés n’avaient pas cet élément de persécution personnelle, même si de toute évidence le demandeur avait pu y réfléchir puisque sa demande d’asile aura été faite plusieurs mois après l’arrivée au Canada. On voit mal comment ce pourrait être un oubli.

[15]  L’omission de demander l’asile tôt après son arrivée au Canada laisse aussi perplexe, même si son poids relatif ne saurait être déterminant ou avoir un poids significatif. Dans Amrane c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 12, le juge Simon Noël écrivait :

[31]  Il a été reconnu par la Cour d’appel fédérale que le défaut pour une personne de faire une demande d’asile à la première occasion est un facteur qui indique que celle-ci n’éprouve pas de crainte subjective réelle (Huerta c Canada (Ministre de l’Emploi & de l’Immigration), 157 NR 225 au para 4, 1993 CarswellNat 297 (CAF)).

De même, dans Pepaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 938, le juge Rennie, alors de notre Cour, écrivait :

[15]  La Commission avait le droit de remettre en question la crédibilité des demandeurs du fait qu’ils ont attendu avant de demander l’asile et qu’ils ne l’ont pas demandé à la première occasion : Toma, au paragraphe 18; Mahari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 999, au paragraphe 27. Les demandeurs soutiennent qu’ils peuvent expliquer de façon raisonnable le fait de ne pas avoir demandé l’asile et d’avoir attendu pour le faire. Toutefois, la seule explication qui a été fournie est celle selon laquelle les demandeurs [traduction] « voulaient » venir au Canada en raison de ses [traduction] « très bonnes conditions d’asile ». Cette explication ne justifie pas le fait qu’ils n’aient pas demandé l’asile dans plusieurs pays sûrs dans lesquels ils ont voyagé. Il était donc raisonnable que la Commission conclue que le comportement des demandeurs ne cadrait pas avec les craintes alléguées.

Le défendeur concède que cette seule difficulté n’aurait pas été suffisante pour conclure à l’absence de crédibilité. J’en suis. C’est d’autant vrai que le délai n’était pas outrageusement long. Par ailleurs, c’est un élément de plus à considérer par le tribunal administratif pour en venir à sa conclusion. Dans sa décision dans Vavilov, la Cour n’a pas abandonné la déférence due à un tribunal administratif, mais a plutôt annoncé que l’analyse devait dorénavant être centrée sur le caractère raisonnable de la décision qui fait d’abord et avant tout l’objet de l’analyse. Ainsi, on lit au paragraphe 93 :

[93]  Par ses motifs, le décideur administratif peut démontrer qu’il a rendu une décision donnée en mettant à contribution son expertise et son expérience institutionnelle : voir Dunsmuir, par. 49. Lors du contrôle selon la norme de la décision raisonnable, le juge doit être attentif à la manière dont le décideur administratif met à profit son expertise, tel qu’en font foi les motifs de ce dernier. L’attention respectueuse accordée à l’expertise établie du décideur peut indiquer à une cour de révision qu’un résultat qui semble déroutant ou contre-intuitif à première vue est néanmoins conforme aux objets et aux réalités pratiques du régime administratif en cause et témoigne d’une approche raisonnable compte tenu des conséquences et des effets concrets de la décision. Lorsqu’établies, cette expérience et cette expertise peuvent elles aussi expliquer pourquoi l’analyse d’une question donnée est moins étoffée.

Bénéficiant de la déférence de la Cour, j’en suis venu à la conclusion que la décision de la SAR, puisqu’il s’agit de celle qui est devant la Cour, ne saurait être qualifiée de déraisonnable à la lumière de la preuve au dossier. La décision est justifiée. Son raisonnement est intrinsèquement cohérent et il tenait compte des préoccupations du demandeur.

[16]  Le test continue d’être celui de la raisonnabilité, non de la décision que la Cour aurait par ailleurs rendue. La cour de révision s’assure de comprendre le raisonnement pour ensuite évaluer si les caractéristiques de la décision raisonnable (justification, transparence et intelligibilité) sont présentes, « et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci : Dunsmuir, par. 47 et 74; Catalyst, par. 13 » (Vavilov, para 99).

[17]  Il importe de rappeler que la Cour suprême confirme d’ailleurs la règle voulant qu’il y ait un seuil pour déclarer une décision déraisonnable. Toute lacune, aussi mineure soit-elle, ne peut donner ouverture à contrôle judiciaire. Au paragraphe 100 de Vavilov, on lit :

[100]  Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable. Avant de pouvoir infirmer la décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision. Il ne conviendrait pas que la cour de révision infirme une décision administrative pour la simple raison que son raisonnement est entaché d’une erreur mineure. La cour de justice doit plutôt être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable.

[Je souligne.]

Cela m’amène à disposer du dernier argument.

[18]  Le demandeur a fait grand cas de l’erreur qui aurait été commise par la SPR lorsqu’elle examinait le certificat de baptême présenté par le demandeur. Puisque la décision de la SPR n’est pas devant cette Cour, le demandeur se plaint donc que la SAR n’ait pas corrigé l’erreur. De fait, la SAR n’a rien dit à son sujet.

[19]  Il apparaît clair que la SPR était dans l’erreur en voyant une erreur de frappe ou une erreur d’orthographe alors qu’il n’y en a aucune au certificat de baptême présenté en preuve devant la SPR. Comme le notait le demandeur, il s’agit tout au plus d’une police qui peut faire croire à une erreur jusqu’à ce que l’on compare la lettre qui aurait été par erreur tapée à d’autres lettres semblables dans le même écrit.

[20]  Mais la SAR n’en a fait aucune mention puisque la SAR n’a pas utilisé ce qui, à l’évidence, était une erreur de la SPR; le grief fait à la SAR est que celle-ci n’a pas reconnu spécifiquement l’erreur faite par la SPR. Quelques commentaires nécessitent mention. D’abord, la SPR n’a fait qu’une utilisation périphérique de ce qu’elle a cru être une erreur. Aucune conclusion n’est tirée : au mieux, la SPR soulève que ce pourrait être un document de complaisance. Mais la décision conclut plutôt que c'est l’absence de crédibilité, la piètre qualité du témoignage à l’audience, l’omission de l’incident impliquant le demandeur dans le FDA et la méconnaissance de la religion que le demandeur dit pratiquer qui sont fatales (Décision de la SPR, paras 30-31). En fin de compte, la SAR n’avait pas à utiliser le certificat de baptême parce que, à l’évidence, elle était satisfaite que les autres éléments d’analyse ne pouvaient la mener à maintenir la décision ultime de voir dans la prestation du demandeur un manque de crédibilité, tout comme d’ailleurs la SPR. Je partage cet avis. L’erreur de la SPR n’avait aucune incidence sur sa décision. Mais, de toute manière, c’est la décision de la SAR qui concerne la Cour, pas celle de la SPR. Le grief fait à la SAR de ne pas avoir dénoncé l’erreur est sans incidence. Il n’y a aucune « lacune grave ». Si lacune il y avait, elle ne serait que superficielle et accessoire. Tout au plus devrions-nous dire que l’erreur de la SPR, qui n’a pas été corrigée expressément par la SAR, n’en est pas une qui justifie un contrôle judiciaire face aux autres difficultés, beaucoup plus grandes, du demandeur.

[21]  La Cour en arrive donc à la conclusion que la décision de la SAR est raisonnable en ce qu’elle est justifiée, transparente et intelligible. Il n’y a pas de question à être certifiée aux termes de l’article 74 de la Loi, tel que les parties en conviennent.

 


JUGEMENT au dossier IMM-3108-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3108-19

INTITULÉ :

AREZKI BOUARIF c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

LIEU DE L’AUDIENCE :

mONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 JANVIER 2020

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

LE 15 JANVIER 2020

COMPARUTIONS :

Guillaume Cliche-Rivard

Pour lA PARTIE DEMANDERESSE

Renalda Ponari

Pour lA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cliche-Rivard, avocats inc.

Avocats

Montréal (Québec)

Pour lA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour lA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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