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Date : 20020306

Dossier : IMM-3132-01

Référence neutre : 2002 CFPI 261

ENTRE :

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                                                EWANGUE NSEME

                                                                                   

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

[1]                 Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre) recherche la cassation de la décision en date du 4 juillet 2001 de la Section du statut de réfugié (SSR) déclarant Ewangue Nseme (l'intimé), un citoyen du Cameroun, un réfugié au sens de la Convention.

[2]                 L'intimé allègue une crainte bien fondée de persécution à cause de ses opinions politiques imputées puisqu'anglophone, il milite dans un mouvement de la jeunesse pour le respect des droits et des libertés de cette minorité au Cameroun avec résultat son arrestation et abus physique par la police.


[3]                 Le ministre soutient que la SSR a omis d'analyser ou de faire référence à la preuve produite par la représentante du ministre ce qui permet, dans les circonstances, à la Cour de conclure qu'elle a ignoré cette preuve.

[4]                 Le ministre relève les éléments de preuve suivants qui, selon lui, contredisent le récit ou la crainte bien fondée de l'intimé :

1.         Après avoir quitté le navire espagnol où il travaillait comme matelot, l'intimé s'est présenté le même jour, le 19 janvier 2000, à Citoyenneté et Immigration Canada à St-John's, Terre Neuve (CIC-St-John's) déclarant qu'il voulait devenir un citoyen canadien, ne pas vouloir retourner dans son pays natal pour des raisons économiques (pauvreté et chômage) et de n'avoir aucune crainte et aucun risque de retour soit au Cameroun ou en Espagne. Un agent d'immigration à CIC-St-John's lui indique qu'il doit obtenir son droit d'établissement par moyen de visa, par demande faite à l'extérieur du Canada. L'intimé avise l'agent de l'immigration qu'il retournerait à bord de son navire.

2.         Durant sa rencontre à CIC-St-John's, une interprète française traduisait pour lui de l'anglais au français.


3.         Le jour suivant, le 20 janvier 2000, l'intimé revient au CIC-St-John's et réclame le statut de réfugié.

4.         L'intimé visite à nouveau le CIC-St-John's le 4 avril 2000 et indique à la réception qu'il veut retirer sa demande de reconnaissance mais la journée suivante change d'intention.

5.         Après avoir quitté le Cameroun le 17 octobre 1998, il a vécu en Espagne plus d'un an sans réclamer de ce pays le refuge.

[5]                 C'est par moyen d'avis d'intervention en date du 26 janvier 2001 et en vertu de l'alinéa 69.1(5)a)(ii) de la Loi sur l'immigration (la Loi), que la représentante du ministre produit les éléments de preuve documentaire dont le ministre allègue qu'ils n'ont pas été pris en considération.

[6]                 Les documents les plus pertinents sont une copie d'un permis spécial de résidence en Espagne et une copie des notes d'entrevue entre CIC-St-John's et l'intimé datée du 19 janvier 2000, du 20 janvier 2000, du 25 janvier 2000 et du 6 avril 2000.

[7]                 L'alinéa 69.1(5)a)(ii) de la Loi se lit comme suit :

(5) À l'audience, la section du statut_:

a) est tenue de donner_:

...

(ii) au ministre, la possibilité de produire des éléments de preuve, d'interroger l'intéressé ou tout autre témoin et de présenter des observations, ces deux derniers droits n'étant toutefois accordés au ministre que s'il l'informe qu'à son avis, la revendication met en cause la section E ou F de l'article premier de la Convention ou le paragraphe 2(2) de la présente loi;

[Je souligne.]

(5) At the hearing into a person's claim to be a Convention refugee, the Refugee Division

(a) shall give

...

(ii) the Minister a reasonable opportunity to present evidence and, if the Minister notifies the Refugee Division that the Minister is of the opinion that matters involving section E or F of Article 1 of the Convention or subsection 2(2) of this Act are raised by the claim, to question the person making the claim and other witnesses and make representations;

[8]                 À l'audition de la SSR qui examine la revendication de l'intimé, la représentante du ministre n'était pas présente; elle avait indiqué dans son avis d'intervention qu'elle serait absente. Aussi absent est l'agent chargé de la revendication. La documentation du ministre a été admise en preuve par la SSR.


[9]                 La procureure du ministre invoque la décision du juge Evans, alors juge de la Section de première instance, dans Cepeda-Gutierrez c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 à l'appui de sa prétention que la SSR a omis d'analyser une partie importante de la preuve produite par la représentante du ministre et qu'effectivement la Section du statut n'a fait aucune mention de cette preuve qui soulève des questions quant à la crédibilité de l'intimé puisqu'elle va directement à l'encontre de ses allégations devant la Section du statut. La décision de la Cour d'appel fédérale dans Maharajah c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] F.C.J. no 735 est citée pour le principe que la SSR doit faire référence à une preuve essentielle et celle du juge Blais dans Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Ken, 2001 CFPI 548, pour le principe que la SSR est obligée de faire référence et d'analyser une preuve qui est importante et qui contredit la preuve retenue par le tribunal.

[10]            Qui plus est, la procureure du ministre soutient que la SSR n'a pas pris en considération l'existence d'une crainte subjective de l'intimé puisque ce dernier a omis de revendiquer le statut de réfugié en Espagne où il est demeuré pendant toute une année.

[11]            La procureure de l'intimé affirme que le tribunal n'a pas ignoré la preuve du ministre et cite le passage suivant de la décision de la SSR :

Donc, après avoir entendu tout le témoignage et analysé toute la preuve documentaire au dossier, j'estime que vous, monsieur, vous vous êtes déchargé de votre fardeau de preuve. Votre témoignage a été direct, spontané et crédible pendant les deux séances. [Je souligne.]


[12]            La procureure de l'intimé soutient que l'affirmation selon laquelle le tribunal a considéré l'ensemble de la preuve crée une présomption qu'il l'a effectivement considéré, et ne saurait être mis en doute par cette Cour sans raison sérieuse. Elle rappelle que le simple fait pour le tribunal de ne pas avoir cité tous et chacun des documents déposés à l'audience n'est pas un indice qu'il ne les a pas considérés. Citant l'arrêt Florea c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'immigration), [1993] A.C.F. no 598, elle soutient au contraire, et d'autant plus que le tribunal a mentionné clairement dans sa décision qu'il avait considéré l'ensemble de la preuve, que le tribunal est présumé avoir pesé et considéré toute la preuve dont il est saisi jusqu'à preuve du contraire.

[13]            Elle examine la transcription et indique des endroits où la SSR mentionne la preuve du ministre.

Analyse

[14]            Dans Cepeda-Gutierrez, précitée, le juge Evans écrit ceci au paragraphe 17 :

Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée "sans tenir compte des éléments dont il [disposait]"

...

Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait. [Je souligne.]

[15]            Selon la jurisprudence citée, c'est le caractère contradictoire de la preuve qui donne naissance à l'obligation de l'analyser et de la commenter.

[16]            En l'espèce, il n'y a aucun doute que la preuve documentaire déposée par la représentante du ministre comportait plusieurs éléments qui pouvaient, si crus, compromettre la crainte bien fondée de l'intimé.

[17]            Cette preuve contredit carrément son récit - sa crainte de la police qui le recherche en tant que militant pour les droits de la minorité anglophone persécutée dont il est membre : il avait besoin d'un interprète français à CIC-St-John's et a témoigné en français devant la SSR. Il semble avoir déclaré à CIC-St-John's qu'il était un réfugié économique et qu'il n'avait aucune crainte de la police. Il dit à un agent qu'il a quitté l'Espagne parce qu'il n'aimait pas les Espagnols.

[18]            Aussi, l'étude de la transcription de l'audience de la SSR démontre que celle-ci n'a pas abordé directement la crainte subjective de l'intimé qui se posait du fait de n'avoir réclamé le refuge en Espagne.

[19]            Ces deux aspects, soit le défaut d'analyser la preuve contradictoire et le défaut de se pencher sur la crainte subjective de l'intimé, attirent l'intervention de la Cour et l'obligent à casser la décision de la SSR.


[20]            En l'espèce, la SSR n'a pas eu le bénéfice des représentations soit du ministre ou de l'agent chargé de la revendication, représentations que la Cour croit auraient été utiles afin de cerner le débat sur le pourquoi de la preuve documentaire déposée par le ministre. Il semble que l'alinéa 69.1(5)a)(ii) limite, dans les circonstances, les moyens d'intervention du ministre au dépôt de la preuve.

[21]            Pour ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SSR est infirmée et la revendication de l'intimé est remise pour une nouvelle détermination par une formation différente.

[22]            Aucune question certifiée n'a été soulevée.

                                                                                  « François Lemieux »          

                                                                                                             Juge                    

Montréal (Québec)

Le 6 mars 2002


                                                                                                

                                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Date : 20020306

Dossier : IMM-3132-01

Entre :

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                                               demandeur

                                                                                                et

                                                                             EWANGUE NSEME

                                                                                                

                                                                                                                                                                                défendeur

                                                                                                                                                                            

                                                                 MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                                                                                                                            


                                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                          NOMS DES PROCUREURS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                

DOSSIER :                                                        IMM-3132-01

INTITULÉ :                                                    

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                                               demandeur

                                                                                                et

                                                                             EWANGUE NSEME

                                                                                                                                                                                défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                           Le 5 mars 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE L'HONORABLE JUGE LEMIEUX

EN DATE DU :                                                6 mars 2002

COMPARUTIONS:

Me Sherry Rafai Far

POUR LE DEMANDEUR

Me Michelle Langelier

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:


Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Me Michelle Langelier

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

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