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Date : 20050517

 

Dossier : T-814-03

 

Référence : 2005 CF 635

 

Montréal (Québec), le 17 mai 2005

 

 

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE JOHANNE GAUTHIER

 

 

ENTRE :

 

                                        SILVANA DIMARTINO ET NADIA KOSTA

 

                                                                                                                                  demanderesses

 

                                                                             et

 

 

                                        CANADA (MINISTRE DES TRANSPORTS)

 

                                                                                                                                           défendeur

 

 

 

                                MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 


[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qui vise les décisions du ministre des Transports[1] de révoquer les habilitations de sécurité en matière de transport (HST) des demanderesses. Ce faisant, le ministre a suivi la recommandation du Comité d’examen d’autorisation d’accès aux zones réglementées d’aéroports (le Comité d’examen) fondée sur le paragraphe I.4c. du Programme d’autorisation d’accès aux zones réglementées d’aéroports (le Programme) édicté en vertu de la Loi sur l’aéronautique, L.R.C. 1985, ch. A-3.

 

[2]               Comme la seule question en litige porte sur l’équité procédurale, les parties ont convenu que la Cour n’a pas à suivre l’approche pragmatique et fonctionnelle utilisée habituellement pour déterminer la norme de contrôle applicable, Canada (P.G.) c. Fetherston, [2005] A.C.F. no 544 (C.A.F.), Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 3 C.F. 195 (C.A.F.), S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539. La Cour doit plutôt déterminer quelle obligation d’équité était applicable au processus de prise de décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire et si, compte tenu des faits particuliers de ces causes, il y a eu violation de cette obligation.

 

[3]               Les demanderesses travaillaient depuis mai 2001 comme agentes d’information au service des passagers pour l’Autorité aéroportuaire du Grand Toronto (AAGT) et le ministre leur a octroyé, à toutes les deux, une HST. Les parties conviennent que cette habilitation était nécessaire puisque les demanderesses avaient besoin d’accéder aux zones réglementées d’un aéroport désigné pour s’acquitter de certaines de leurs fonctions.

 


[4]               Le 23 janvier 2003, les demanderesses ont reçu une lettre les informant que certains renseignements nouvellement disponibles remettaient en question [traduction] « le fait qu’elles possèdent les qualités requises pour être détentrices d’une habilitation de sécurité pour un aéroport » et que leurs HST étaient suspendues jusqu’à ce que le Comité d’examen procède à une étude. En conséquence, les demanderesses ont également été suspendues de leurs fonctions sans solde par l’AAGT.

 

[5]                Le 4 février 2003, Mme DiMartino, qui agissait en son nom et en celui de sa codemanderesse, a joint au téléphone Mme Joy Diane Brunet, Chef du programme de renseignements et de filtrage de sécurité à Transports Canada, et lui a demandé d'autres renseignements sur sa suspension et sur celle de Mme Kosta. Mme DiMartino a alors appris qu’elle était suspendue, de même que Mme Kosta, en raison des liens qu’elles entretenaient avec un criminel notoire. Elle a également appris qu’elles pouvaient présenter des observations au Comité d’examen qui formulerait la recommandation au ministre quant à l’opportunité de révoquer leurs HST.

 

[6]               Dans leurs affidavits, les demanderesses expliquent que, selon leur compréhension des propos de Mme Brunet, le Comité d’examen s'inquiétait du fait qu’elles avaient offert d’agir à titre de caution dans une cause criminelle qui retenait l’attention du public. En conséquence, le 14 février 2003, elles ont chacune écrit une lettre au Comité d’examen indiquant qu’elles ignoraient qu’agir à titre de caution pourrait avoir une incidence sur leurs emplois et que, de toute façon, elles avaient donné instruction à l’avocat de l’accusé de les dégager de leur obligation d’agir comme caution[2].


 

[7]               Selon le rapport d’enquête préparé par l’analyste du renseignement Brian Scharf, dont le Comité d’examen a reçu copie, les demanderesses n’ont pas simplement agi à titre de caution dans une cause qui retenait l’attention du public. En effet, le rapport précise, notamment, que Mme Kosta était la petite amie de l’accusé depuis de nombreuses années et qu’elle avait cessé de cohabiter avec lui peu de temps seulement avant de demander pour la première fois son HST. Le rapport souligne également qu’elle était présente lors de plusieurs comparutions de l’accusé en cour et qu’elle a témoigné en sa faveur. Il contient également des commentaires au sujet du comportement à l’audience de Mme Kosta qui est décrite comme ayant une personnalité très conflictuelle. Elle se serait également adressée à des policiers de manière désobligeante et aurait manqué de respect envers la Couronne. Le rapport précise en outre que, selon un détective présent à l’audience, elle ferait passer les intérêts de son petit ami avant ceux de la police ou de son employeur. 

 

[8]               Quant à Mme DiMartino, le rapport d’enquête indique qu’elle était une amie intime de Mme Kosta depuis sept ans et que son mari et elle rendaient visite régulièrement à cette dernière et à son petit ami. Elle a « avoué » savoir que le petit ami avait un casier judiciaire. Elle et son mari étaient disposés à ce que la valeur nette de leur maison serve de caution pour lui.

 


[9]               Selon le rapport, Mme DiMartino avait, par ailleurs, dans son sac à main un paquet de cartes à jouer portant la mention [traduction] « Soutenez vos hors-la-loi locaux »; elle a plus tard nié sous serment être impliquée de quelque façon que ce soit dans les activités du Outlaws Motorcycle Club/Gang[3].

 

[10]           Quant aux lettres rédigées par les demanderesses, en particulier leurs allégations qu'elles souhaitaient désormais être relevées de leur obligation d’agir à titre de cautions, le rapport mentionne que i) la libération sous caution avait été refusée par la Cour sans mention du retrait des garanties, ii) la défense n’a présenté aucune requête à cet égard et iii) l'un des enquêteurs a parlé à l’avocat de la Couronne pour vérifier cette affirmation et ce dernier était certain que rien de tel ne s’était produit.

 

[11]           Selon les demanderesses, ces derniers commentaires mettent en doute leur crédibilité et elles n’ont jamais eu l’occasion d’y répondre.

 

[12]           Les parties conviennent qu’il faut déterminer l’étendue de l’obligation d’équité procédurale à laquelle ont droit les demanderesses en fonction des critères établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration), [1999] 2 R.C.S. 817. Elles ne sentendent toutefois pas quant au résultat dune telle analyse.   

 


[13]           Les demanderesses soutiennent qu’elles n’ont pas été suffisamment informées pour être en mesure d’avoir une occasion véritable de faire valoir leurs points de vue devant le Comité d’examen. Selon leur interprétation de l’équité procédurale, elles auraient dû recevoir une copie du rapport préparé par M. Scarf ou, à tout le moins, elles auraient dû être informées de l’essentiel des faits qui y sont recensés et des opinions qui y sont exprimées avant qu’elles ne présentent leurs observations au Comité d’examen.  

 

[14]           Selon le défendeur, l’obligation d’équité qui incombe au ministre ainsi qu’au Comité d’examen est minimale et ils s’en sont totalement acquittés par l’envoi des lettres datées du 23 janvier 2003, par les renseignements supplémentaires que Mme Brunet a fournis de vive voix aux demanderesses et par l’occasion qu’ont eue ces dernières de présenter des observations écrites au Comité d’examen. Le ministre ne peut être tenu responsable du fait que les demanderesses n’ont pas traité adéquatement et de manière exhaustive de toutes les questions dans leurs lettres datées du 14 février 2003.

 

[15]           Le défendeur se fonde sur la décision de la Cour dans Motta c. Procureur général du Canada, [2000] A.C.F. no 27, dans laquelle le juge Pinard a statué que l’obligation d’équité qui incombait au ministre envers un demandeur était minimale dans le cas où ce dernier s’était vu refuser une HST.

 

[16]           Il est utile à cette étape d’examiner brièvement le régime législatif applicable.


 

[17]           Dans son affidavit, Mme Brunet le décrit comme suit :

[traduction]

 

3.             La sécurité dans les aérodromes (les aéroports) est régie par les règlements et les lignes directrices pris en vertu de la Loi sur l’aéronautique.

 

4.             La partie 3 du Règlement canadien sur la sûreté aérienne (Règlement sur la sûreté) pris en vertu du paragraphe 4.7(2) de la Loi sur l’aéronautique prévoit, notamment, que seules les personnes qui sont détentrices d’un laissez‑passer de zone réglementée valide et qui l’ont en leur possession peuvent avoir accès à ces zones.

 

 

5.             La partie 4 du Règlement sur la sûreté exige également que les exploitants d’aérodromes désignés établissent, appliquent et exécutent les mesures de sécurité énoncées dans le document intitulé Mesures de sûreté relatives à l’autorisation d’accès aux zones réglementées d’aéroport  (les Mesures) publié par le ministère des Transports. Ce document prévoit notamment que les exploitants des aérodromes désignés ne sont pas autorisés à accorder de laissez-passer de zones désignées à une personne à moins que cette dernière n’ait obtenu une habilitation de sécurité en matière de transport (une habilitation) approuvée par le ministre. Une copie des Mesures est jointe au présent affidavit sous la cote A.

 

 

6.             Le Programme d’autorisation d’accès aux zones réglementées d’aéroports (le Programme) a été mis en place par le ministre, conformément au paragraphe 4.7(4) de la Loi sur l’aéronautique. Ce programme contient des lignes directrices en matière d’octroi des habilitations par le ministre aux personnes qui souhaitent avoir accès aux zones désignées des aéroports. Une copie du Programme est jointe au présent affidavit sous la cote B.

 

 

7.             Le Programme vise à prévenir les actes d’intervention illicite dans l’aviation civile en garantissant que les habilitations ne sont accordées qu’aux personnes qui satisfont aux critères énoncés dans le Programme. Plus spécifiquement, l’objectif du Programme est énoncé à l'article I.4 :

 

 

I.4 Objectif

 

 

L’objectif de ce programme est de prévenir l’entrée non contrôlée dans les zones réglementées d’un aéroport énuméré dans le cas de toute personne :

 

 

a.             connue ou soupçonnée d’être mêlée à des activités relatives à une menace ou à des actes de violence commis contre les personnes ou les biens;

 


 

b.             connue ou soupçonnée d’être membre d’un organisme connu ou soupçonné d’être relié à des activités de menace ou à des actes de violence commis contre les personnes ou les biens;

 

 

c.             soupçonnée d’être étroitement associée à une personne connue ou soupçonnée

 

 

I.      de participer aux activités mentionnées à l’alinéa a);

 

 

II.    d’être membre d’un organisme cité à l’alinéa b);

 

 

d.             qui, selon le ministre et les probabilités, est sujette ou peut être incitée à :

 

 

a.     commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile; ou

 

 

b.     aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile.

 

 

8.             En vertu de l'article II.21 du Programme, à moins qu’elle ne soit suspendue ou révoquée, une habilitation  est valable pour une période n’excédant pas cinq ans.

 

 

9.             En vertu du paragraphe II.29(2) du Programme, le Directeur général peut suspendre une habilitation lorsque certains renseignements obtenus soulèvent des doutes quant à l’à-propos du maintien de l’habilitation par son détenteur. Lorsque des renseignements défavorables sont dévoilés, la question est renvoyée à un Comité d’examen d’habilitation de sécurité en matière de transport (le Comité) pour examen. Le mandat de ce Comité, tel qu’il est énoncé à l’article I.8 du Programme, consiste à formuler des recommandations au ministre concernant l’octroi, le refus, la révocation ou la suspension d’une habilitation.

 

 

10.           Il est également question du rôle du Comité à l'article II.35 du Programme, qui prévoit notamment qu’au moment de faire une recommandation, un Comité peut considérer tout facteur pertinent, y compris, que la personne est susceptible de participer à des activités en appui à une menace ou qu’elle se livre à des actes de violence sérieuse contre la propriété ou des personnes. Plus précisément, l'article II.35 prévoit :

 

 

 

 

 

II.35 Révocation ou refus

 

 

1.             Le Comité peut recommander au ministre de refuser ou de révoquer l’habilitation d’une personne s’il est déterminé que la présence de ladite personne dans la zone réglementée d’un aéroport énuméré est contraire aux buts et objectifs du présent programme.

 

 

2.             Au moment de faire la détermination citée au sous-alinéa (1), le Comité peut considérer tout facteur pertinent, y compris :

 

 

a.     si la personne a été condamnée au Canada ou à l’étranger pour les infractions suivantes :

 

 

i.      toute infraction précisée à l’article 469 du Code criminel;


 

ii.     tout acte criminel sujet à une peine d’emprisonnement de 10 ans ou plus;

 

 

iii.    le trafic, la possession dans le but d’en faire le trafic, ou l’exportation ou l’importation dans le cadre de la Loi sur les drogues et substances contrôlées;

 

 

iv.    tout acte criminel cité dans la partie VII du Code criminel intitulée « Tenue d’une maison de débauche et de jeu »;

 

 

v.     tout acte contrevenant à une disposition de l’article 160 de la Loi sur les douanes;

 

 

vi.    tout acte stipulé dans la Loi sur les secrets officiels;

 

 

vii.   tout acte stipulé dans la partie VI de la Loi sur l’immigration;

 

 

b.     si elle possède une mauvaise réputation en matière de crédit et qu’elle occupe un poste de confiance; ou

 

 

c.     qu’il est probable qu’elle participe à des activités directes ou en appui à une menace ou qu’elle se livre à des actes de violence sérieuse contre la propriété ou des personnes.             

 

 

 

[18]      Je note que le Programme prévoit également ce qui suit :

 

I.5 Refus/Révocation/Suspension

 

 

Toute personne à qui l’on refuse une habilitation ou dont ladite habilitation est suspendue ou révoquée, sera avisée par écrit :

 

 

a.             du refus, de la suspension; et[4]

 

 

b.             de la raison ou des raisons justifiant le refus, la suspension ou la révocation à moins que les renseignements ne soient exemptés en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnes; et 

 

 

c.             du droit à un redressement.

 

 

 

II.39 Mesures de précaution

 

 

1.             Lorsqu’il existe, au moment de l’examen de la demande, un doute quant à la conduite ultérieure du candidat, le Comité d’examen peut :

 

 

a.             réduire la période de validité de l’habilitation; et

 


 

b.             demander que le demandeur passe en entrevue avec un inspecteur de sécurité ou un représentant de la Division de la sécurité préventive.

 

 

2.             Toute entrevue convoquée conformément à l’alinéa (1)b) doit inclure :

 

 

a.             l’examen des renseignements négatifs obtenus au sujet du demandeur;

 

 

b.             une déclaration de l’inspecteur ou du représentant avisant le demandeur que l’habilitation est sujette à sa conduite ultérieure; et

 

 

c.             l’engagement du demandeur quant à sa bonne conduite ultérieure.

 

 

 

 

[19]      Je vais maintenant examiner les facteurs prévus dans l’arrêt Baker, soit :

 

i)          la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir;

 

ii)                   la nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu de laquelle agit le décideur;

 

iii)         l’importance de la décision pour les droits ou privilèges dont jouissent les demanderesses;

 

iv)        les attentes légitimes des demanderesses; 

 

v)         les choix de procédure que fait le décideur lorsque la loi lui laisse la possibilité de choisir ses propres procédures.

 

 

 


[20]      Le premier facteur exige que la Cour évalue dans quelle mesure la décision contestée ressemble à une décision judiciaire. En l’espèce, le ministre a énoncé dans le Programme les lignes directrices qu’il respecterait pour rendre sa décision. Les objectifs de la politique et la liste des facteurs que peut considérer le Comité d’examen pour formuler ses recommandations (article II.35) énoncent les critères applicables aux faits particuliers qui concernent chaque demandeur. Ils signifient que le pouvoir discrétionnaire dont jouit le ministre n’est pas illimité. La décision de révoquer une HST se fait en trois étapes. Tout d’abord, le SCRS, le Directeur de la sécurité préventive ou le Directeur général de la Sécurité et des préparatifs d’urgence doit être d’avis qu’il y a des motifs de douter du fait que le détenteur de l’HST a les qualités requises. Puis, le Comité d’examen, constitué de cinq membres dont au moins un conseiller juridique, doit évaluer et soupeser tous les renseignements recueillis à la lumière des critères énoncés dans le Programme aux fins de formuler une recommandation au ministre. Enfin, c’est le ministre qui a le dernier mot et qui décide de révoquer ou non l’HST. En somme, ce facteur milite en faveur d’une obligation plus que minimale sans exiger un niveau de protection procédurale élevé.

 

[21]      Le régime législatif ne prévoit aucun appel, mais la décision du ministre est sujette au contrôle judiciaire de la Cour. Cela signifie qu’une plus grande équité procédurale est exigée (Ha, précité, au paragraphe 55,  Baker, précité, au paragraphe 24).

 

[22]      La décision revêt une importance assez considérable pour les demanderesses. En dépit du fait que le ministre n’a pas participé directement à leur congédiement, il est clair que les demanderesses devaient avoir accès aux zones réglementées pour s’acquitter de leurs fonctions et qu'un tel accès ne leur pouvait être donné sans HST. Ainsi, leur droit de garder leurs postes était bel et bien en jeu. Les demanderesses avaient informé le Comité d’examen avant de le rencontrer du fait qu’elles avaient été suspendues sans solde et que la situation financière de Mme DiMartino était particulièrement précaire.

 


[23]      Contrairement à ce que soutient le défendeur, même si le contrat qui lie les demanderesses à l'AAGT précise que leurs emplois sont conditionnels au respect continu du Programme, cela ne restreint pas leur droit à l’équité procédurale. Leur employeur se voit ainsi conférer le droit de les congédier si cette condition n’est plus satisfaite. Personne n’a soutenu que le contrat contient une renonciation aux protections procédurales.

 

[24]      Tel que le précise l’arrêt Baker, précité, au paragraphe 25 « plus la décision est importante pour la vie des personnes visées et plus ses répercussions sont grandes pour ces personnes, plus les protections procédurales requises seront rigoureuses ». On peut certainement faire quant à cette question en particulier une distinction entre la présente espèce et celle dont le juge Pinard avait été saisi dans Motta où le demandeur ne faisait que demander une HST pour la première fois[5].

 

[25]      Le défendeur se fonde sur l'arrêt Knight c. Indian Head School Division No.19, [1990] 1 R.C.S. 653, pour affirmer que l’obligation d’équité peut être minimale, même si l’emploi de quelqu’un est en jeu.

 


[26]      Dans cet arrêt, trois des sept juges ont conclu que l’employeur n’était astreint à aucune obligation d’équité puisqu’il avait le droit de congédier le demandeur sans motif en se contentant de lui donner un préavis de trois mois. Les quatre autres juges ont statué que, même dans de tels cas, il y avait une obligation d’équité, mais que celle‑ci était minimale.

 

[27]      Comme je l’ai mentionné précédemment, il me semble que les lignes directrices émises par le ministre indiquent clairement qu’une HST ne peut être révoquée que s’il y a des motifs de croire que les objectifs du Programme ne sont pas respectés. Comme l'a indiqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Knight, précité, ainsi que dans de nombreux autres arrêts, l’obligation d'équité est une norme variable dont le contenu dépend des circonstances particulières de chaque cas.

 

[28]      Quoi qu’il en soit, même dans l’arrêt Knight, la Cour a jugé que l’obligation minimale d’équité comprenait celle de fournir les motifs du mécontentement du Comité quant au travail du défendeur et de lui donner l’occasion de faire valoir son point de vue[6]. Elle a ensuite estimé que l’employé avait effectivement été informé verbalement de ces motifs et qu’il avait eu l’occasion de faire valoir son point de vue lors de rencontres avec les membres du Comité.  

 


[29]      Rien dans la preuve ne permet de conclure que les demanderesses pouvaient légitimement s’attendre à ce qu’une certaine procédure soit suivie avant que leurs HST soient révoquées. On a fait valoir qu'étant donné que les relations des demanderesses avec l’accusé étaient antérieures à leur embauche par l'AAGT et que Mme Kosta avait donné des garanties pour ce dernier dès 1996, il était donc raisonnable qu’elles s’attendent à ce que ces relations, en soi, ne constituent pas un facteur qui pouvait influer sur leur admissibilité à une HST. Je conviens que cet élément est pertinent pour déterminer si les demanderesses savaient ou auraient dû savoir que ces faits étaient pris en considération par le Comité d’examen et si le ministre a rempli son obligation. Cet élément n’est toutefois pas pertinent pour trancher la question de l’existence et de l’étendue de l’obligation d’équité qui incombe au ministre. 

 

[30]      Quant au dernier facteur, la Loi est muette en ce qui a trait à la procédure à suivre et le ministre jouit donc d’une discrétion totale pour choisir la procédure qu’il utilisera. Le Programme prévoit qu’un avis écrit des raisons du refus, de la suspension et de la révocation ainsi que du droit à un redressement doit être donné aux demanderesses. Le type de droit dont il est question n’est pas précisé. S’agit-il simplement du droit de demander le contrôle judiciaire de la décision ou s’agit-il également du droit de présenter des observations écrites au Comité d’examen?[7] 

 

[31]      Le Programme prévoit en outre que, dans certains cas où la conduite ultérieure d’un individu suscite des doutes, le Comité d’examen pourrait demander que la personne passe une entrevue avec un inspecteur de sécurité ou un représentant de la Division de la sécurité préventive.

 


[32]      Dans Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, la Cour suprême du Canada a affirmé que le ministre doit jouir d’un très vaste pouvoir discrétionnaire pour évaluer le risque futur et les questions de sécurité, et que cela commande une certaine retenue à l’égard des choix de procédure faits par le ministre. En revanche, la Cour a conclu qu’il faut concilier cette nécessité de retenue avec les garanties procédurales importantes que commande la gravité de la situation des réfugiés dont l’expulsion les exposerait au risque d’être soumis à la torture.

 

[33]      En l’espèce, le ministre doit également évaluer les risques pour la sécurité, c’est‑à‑dire ceux que pourrait poser une personne autorisée à entrer dans les zones réglementées d’aéroports désignés. Par contre, bien qu’elles ne soient pas aussi vitales que dans le cas des réfugiés qui risquent d’être soumis à la torture, les répercussions considérables de la décision sur le gagne-pain des demanderesses doivent aussi être prises en considération.

 

[34]      Les HST avaient été suspendues. En conséquence, les demanderesses ne posaient pas de risque immédiat pour la sécurité. Il n'a pas été allégué qu’une divulgation plus complète aurait constitué un fardeau administratif indu.

 


[35]      En l’espèce, tous les documents, incluant le rapport de l’analyste, ont été divulgués aux demanderesses après que la décision finale eut été rendue. Seuls les noms de certains individus en ont été retranchés. Une copie certifiée conforme du dossier a été produite sans qu’une ordonnance de confidentialité ne soit sollicitée. Le défendeur n’a pas été en mesure de justifier pourquoi une liste détaillée des faits et des opinions qui figurent dans le rapport de renseignements ne pouvait pas être remise aux demanderesses avant qu’elles ne fassent valoir leurs points de vue devant le Comité d’examen. 

 

[36]      Compte tenu de ces facteurs ainsi que de l’ensemble des circonstances, je suis d’avis que l’obligation d’équité n’exige pas la tenue d’une audience formelle et complète; elle requiert cependant que les demanderesses aient une occasion réelle de faire valoir leurs points de vue avant que la décision finale soit rendue. Pour ce faire, elles doivent savoir ce qui leur est reproché[8].

 

[37]      Cela ne signifie pas nécessairement qu’une copie du rapport de l’analyste du renseignement lui-même doit être divulguée dans tous les cas puisqu’il peut y avoir des motifs valables d’en restreindre la divulgation comme un privilège, le droit à la vie privée ou une autre contrainte publique telles les questions de sécurité. Comme je l’ai dit, il n’y avait aucun motif de ce genre en l’espèce.

 


[38]      Le défendeur affirme que les demanderesses connaissaient ou auraient dû connaître tous les faits pertinents puisqu’elles ont été informées que leurs liens avec un criminel notoire faisaient l’objet d’un examen. Comme dans l’arrêt  Knight, précité, tout ce qui devait être dit a été dit au cours de la conversation téléphonique qu’ont eue Mme Brunet et Mme DiMartino. Les demanderesses savaient manifestement que le criminel notoire était le petit ami de Mme  Kosta.  

 

[39]      Je ne peux souscrire à ce point de vue. Les demanderesses ne pouvaient pas connaître les opinions qu’a fait valoir le détective qui était présent à l’audience, ni la caractérisation du témoignage et de l’attitude de Mme Kosta.

 

[40]      Mme DiMartino affirme qu’elle n’a jamais eu connaissance du passé criminel du petit ami de Mme Kosta, ni de la nature des accusations qui pesaient contre lui et ce, jusqu’à ce qu’elle se présente en cour pour signer la caution en son nom. Elle ne pouvait pas savoir que le rapport était ambigu à cet égard. Elle n’a pas imaginé que ses liens avec le petit ami de Mme Kosta pourraient avoir quelque effet que ce soit sur son habilitation de sécurité ou sur son emploi à l'AAGT.   

 

[41]      Sa lettre datée du 14 février 2003 reposait sur une seule présomption, savoir que l’enquête concernait sa décision d’agir à titre de caution pour une « connaissance » accusée d’une infraction criminelle.

 


[42]      Quant à Mme Kosta, elle ne pouvait pas imaginer que la relation qu’elle entretenait avec son petit ami pouvait, en soi, faire l’objet d’une enquête puisqu’elle avait obtenu son HST en dépit de cette relation[9].

 

[43]      Les demanderesses ne savaient pas et ne pouvaient pas savoir que le rapport mettait en doute leur crédibilité quant à leur prétention selon laquelle elles ne souhaitaient plus agir comme caution et avaient informé l’avocat de l’accusé en conséquence.

 

[44]      Le défendeur soutient qu’aucun des arguments des demanderesses n’aurait changé la recommandation du Comité d’examen ou la décision du ministre parce qu’un fait demeure : elles avaient [traduction] « des liens étroits » avec un criminel notoire. Ainsi, même si elle concluait qu’il y a eu manquement à l'équité procédurale, la Cour devrait néanmoins rejeter la demande puisque la révocation était inévitable dans ces deux cas (Mobil Oil Ltd. c. Office Canada – Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202).

 


[45]      L’affidavit du membre du Comité d’examen ne mentionne pas que la recommandation aurait été la même si le Comité d’examen n’avait tenu compte, tel que le suggère le défendeur, que du fait que Mme Kosta entretenait une relation avec l’accusé depuis dix ans, ce qui n’est pas contesté, et que Mme DiMartino le considérait simplement comme une [traduction] « connaissance » du fait de son amitié avec Mme Kosta. L’affidavit ne dit pas que la décision reposait uniquement sur certains faits non contestés.

 

[46]      Le défendeur a confirmé à l’audience qu’il ne s’agissait pas d’un cas de tolérance zéro. Comme l’indique le libellé du Programme lui-même, le Comité d’examen peut recommander la révocation si la présence d’un individu dans une zone réglementée d’un aéroport désigné serait incompatible avec les buts et les objectifs du Programme. Une telle recommandation n’est pas obligatoire dans tous les cas.

 

[47]      Même si, lorsque les causes seront réexaminées, les chances de succès des demanderesses semblent effectivement très minces, je ne peux conclure que la révocation était une issue inévitable.

 

[48]      Étant donné ce qui précède, je conclus que, dans les circonstances particulières de ces deux causes, le ministre a violé l’obligation d’équité qui lui incombait. Les deux révocations doivent être annulées.

 


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

La demande de contrôle judiciaire présentée par les deux demanderesses est accueillie avec dépens. Ces affaires seront renvoyées au ministre pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

 

                 « Johanne Gauthier »                

                               Juge                      

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


                                                 COUR FÉDÉRALE

 

                                  AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            T-814-03

 

 

INTITULÉ :                                     

                                                                                                SILVANA DIMARTINO ET NADIA KOSTA

                                                                                                             demanderesses

                                                                 et

                              CANADA (MINISTRE DES TRANSPORTS)

                                                                                                                     défendeur

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     OTTAWA (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 3 MAI 2005

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET

ORDONNANCE :                                                                 LA JUGE GAUTHIER

 

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 17 MAI 2005

 

 

COMPARUTIONS :

 

Paul Champ                                                                              POUR LES DEMANDERESSES

 

Patrick Bendin                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raven, Allen, Cameron,

Ballantyne & Yazbeck

Ottawa (Ontario)                                                                      POUR LES DEMANDERESSES

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                                      POUR LE DÉFENDEUR



[1] Dans une ordonnance datée du 23 décembre 2003, le juge Harrington a autorisé ces deux demanderesses à présenter la demande même si elle concernait deux décisions distinctes du ministre, réservant à la Cour le droit de rendre deux ordonnances distinctes s’il était approprié de le faire. Comme je suis convaincue que les deux décisions devraient être annulées, un seul ensemble de motifs est rendu.

[2] Une copie de leur lettre adressée à l’avocat en question est jointe à leur affidavit. En revanche, cette pièce n’était pas jointe aux lettres qu’elles ont fait parvenir au Comité d’examen.

[3]    Selon le témoignage de Mme Kosta, ces cartes lui appartenaient, ce qu'indique d’ailleurs le rapport qui lui est consacré.

[4]     Le défendeur a confirmé que la version électronique du Programme qui se trouve sur le site Internet du ministère des Transports contient une erreur typographique puisqu’on y lit « ou » plutôt que « et ». Je souligne que le paragraphe I.5a. ne fait pas référence à la révocation. Il pourrait s’agir d’un simple oubli.

[5] Le défendeur soutient que le Programme prescrit la même procédure qu’il s’agisse de révoquer une HST plusieurs années après qu’elle ait été octroyée ou de refuser la première demande d’un demandeur. La Cour a examiné ce facteur à la lumière du cinquième facteur, mais il ne saurait être de nature à écarter l’évaluation de l’effet de la décision comme facteur pertinent dans l’évaluation du contenu de l’obligation d'équité applicable en l’espèce.

  

[6] La Cour a bien précisé que la référence à une audition ne signifie pas nécessairement qu’il doit y avoir une audition orale et formelle. Elle pourrait se faire simplement sur la foi d’éléments de preuve et d’arguments écrits à condition que le demandeur ait réellement l’occasion d’être entendu; Knight, précité, au paragraphe 49.

[7] Les demanderesses n’ont pas soutenu que le défendeur n’avait pas respecté les exigences en question du Programme. Elles ont plutôt plaidé que le ministre ne s’était pas acquitté de son obligation générale d’équité.

[8]    En l’espèce, cela n’inclut pas le droit de connaître la source des renseignements tel que l’ont soutenu les demanderesses.

[9] Il n’est pas pertinent de déterminer si la défendeur était réellement au courant de cette relation parce que, en l'espèce, nous évaluons ce que Mme Kosta pouvait raisonnablement croire. Je souligne qu’elle mentionne l’adresse de l’accusé dans sa demande d’HST.


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