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Date : 20020426

Dossier : IMM-2489-01

OTTAWA (ONTARIO), LE 26 AVRIL 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUC MARTINEAU

ENTRE :

                                               GREGORY THOMAS WICKRAMASINGHE

                                                                                                                                                               Demandeur

                                                                                        et

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                                 Défendeur

                                                                          ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal constitué différemment pour une nouvelle audience et une nouvelle décision relative à la revendication du statut de réfugié du demandeur.

« LUC MARTINEAU »

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                                                                                                                                                                             Juge                             

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


Date : 20020426

Dossier : IMM-2489-01

Référence neutre : 2002 CFPI 470

ENTRE :

                                               GREGORY THOMAS WICKRAMASINGHE

                                                                                                                                                               Demandeur

                                                                                        et

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                                 Défendeur

                                                           MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MARTINEAU

[1]         Le demandeur, un citoyen cinghalais du Sri Lanka et marié à une femme tamoule depuis 1994, vise à obtenir un contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) qui a conclu qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


[2]         Entre 1994 et 2000, alors qu'ils vivaient au Sri Lanka, le demandeur et sa femme ont vécu plusieurs incidents de harcèlement de la part des autorités de l'État en raison de l'origine tamoule de la femme du demandeur et des soupçons selon lesquels le couple aurait appuyé des membres du groupe terroriste des Tigres tamouls. Le demandeur avait l'impression, à cette époque-là, que les incidents n'étaient pas assez graves pour quitter le pays.

[3]         Le 9 juin 2000, le demandeur a été arrêté, chez lui, par la police. On a perquisitionné sa maison et des lettres et des photographies provenant de la famille de sa femme à Jaffna ont été saisies. Sa femme de même que sa nièce, qui était venue du Nord pour leur rendre visite, ont été arrêtées. Trois jours plus tôt, le demandeur et sa femme étaient à Moratuwa visitant des amis lorsqu'une bombe a explosé tuant un ministre du gouvernement. La femme et la nièce du demandeur ont été libérées trois jours après l'arrestation du 9 juin 2000, mais le demandeur a été emmené à un endroit inconnu près de Ja-Ela, où il a été détenu et prétendument torturé alors qu'on l'accusait d'avoir abrité les Tigres libérateurs de l'Eelam tamoul (TLET) dans sa maison. Il a nié ces allégations. Le demandeur a témoigné qu'il a été déshabillé et qu'on a versé sur lui de la poudre de chili. On l'a également obligé à respirer du pétrole. Il a été détenu pendant six jours et, après qu'un pot-de-vin a été payé, il a été libéré. Par suite de cet incident, le demandeur a décidé de fuir le pays.

[4]         La Commission a accepté la description du demandeur relativement aux événements qui sont survenus au cours de ses six jours de détention, mais elle a conclu que cela ne répondait pas au concept de « persécution » :

[traduction]


Le tribunal n'insinue pas que le revendicateur n'a pas été arrêté et détenu. Mais l'omission a fait du témoignage de persécution, parce qu'il avait une femme tamoule et qu'il cachait des membres des TLET, un témoignage de justification, parce qu'il avait menti aux forces de sécurité au moment où il était interrogé à propos de quelque chose aussi inoffensive qu'une visite chez des amis. Le tribunal conclut que ce que le revendicateur décrit comme de la torture ne répond pas au concept de persécution tel qu'il est défini dans les arrêts Rajudeen4, et Valentin5 et par James C. Hathaway6 (Rajudeen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1984), 55 N.R. 129 (C.A.F.), à la page 134; Valentin c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 3 C.F. 390 (C.A.), à la page 396, par le juge Marceau et James C. HATHAWAY, The Law of Refugee Status, pages 104 et 105).

[...] Si les forces de sécurité, pour des raisons de sécurité, effectuent des opérations de cordon de police et de perquisition et ont des postes de vérification, la Section de première instance de la Cour fédérale a dit que de courtes périodes de détention aux fins de prévenir des perturbations7 (Mahalingam, Paramalingam c. S.G.C. (C.F. 1re inst., no A-79-93), Joyal, 2 novembre 1993) ou de s'occuper du terrorisme ne constituent pas de la persécution.

[5]         La clé de la qualification, par la Commission, de l'arrestation et de la détention du 9 juin 2000 comme n'étant pas de la nature de la « persécution » mais plutôt de la « routine » , réside dans la conclusion suivante :

[traduction]

[...] Le tribunal conclut que si le revendicateur n'avait pas menti au sujet de la visite de sa famille avec leurs amis à Moratuwa, la visite de la police aurait fait partie de la routine des opérations de cordon de police et de perquisition.

[6]         Je conclus que cette déclaration est gratuite et totalement non corroborée par la preuve. Il n'y a simplement aucun fondement probatoire à l'inférence faite par la Commission selon laquelle le motif de l'arrestation et de la détention du demandeur était d'avoir menti aux autorités. De plus, il n'y a pas d'élément de preuve qui indique que, s'il leur avait parlé de sa visite à Moratuwa, il n'aurait pas été l'objet de détention et de violence physique.


[7]         L'arrestation du 9 juin 2000, par la police de Wattale, a été effectuée chez le demandeur, plusieurs jours après l'explosion de la bombe et le meurtre à Moratuwa. Cela n'a pas été occasionné par l'exécution d'opérations de cordon de police et de perquisition par les forces de sécurité sur les routes ou dans le périmètre de l'explosion dans les heures qui ont suivi l'attaque terroriste. En se basant sur des renseignements recueillis au cours des jours précédents, la police recherchait spécialement le demandeur et sa femme. Les éléments de preuve acceptés par la Commission révèlent que les amis de sa femme, à Moratuwa, ont été arrêtés et la police a appris de leur part que le demandeur et sa femme avaient été à cet endroit quelques jours plus tôt. Par conséquent, il n'y a pas de doute que l'arrestation et la détention du 9 juin 2000 ont été provoquées par l'association du demandeur et de sa femme avec leurs amis tamouls à Moratuwa.

[8]         De plus, sans égard au motif de l'arrestation et de la détention, la nature du traitement reçu par le demandeur ne se justifie aucunement. C'est la nature du traitement et de son lien avec un motif dans la définition de réfugié au sens de la Convention, l'absence d'éléments de preuve relatifs à l'utilisation de violence ou de terrorisme de la part du demandeur, qui font en sorte qu'il s'agit de persécution. À mon avis, mentir aux autorités ne peut pas changer un tel traitement en comportement acceptable. L'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'immigration), [1994] 1 C.F. 589, constitue un énoncé autorisé à l'effet que les raclées, les arrestations arbitraires et la détention de suspects, même dans une situation d'urgence, ne peuvent jamais être justifiées ou considérées comme une partie légitime d'enquêtes concernant des activités criminelles ou terroristes, peu importe la dangerosité attribuée aux suspects. Cette opinion a été suivie par notre Cour dans la décision Kaler c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] F.C.J. No. 134.


[9]         La Commission a conclu en l'espèce que le fait pour le demandeur d'être marié à une femme tamoule ne l'avait pas exposé au risque et ce ne serait pas le cas non plus s'il devait retourner au Sri­ Lanka. Au cours de l'audience, l'avocat du demandeur a plaidé que l'arrestation et la détention du demandeur étaient motivées, du moins en partie, par les opinions politiques qu'on lui impute. Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême du Canada, se référant au Guide du HCNUR, a affirmé, au para. 80, qu' « il n'incombe pas au demandeur d'identifier les motifs de persécution. Il incombe à l'examinateur de déterminer si les conditions de la définition figurant dans la Convention sont remplies; habituellement, il y a plus d'un motif » . Bien que la question des opinions politiques n'ait pas été soulevée dans l'arrêt Ward, précité, comme motif de crainte d'être persécuté, que ce soit devant la Commission ou devant la Cour d'appel fédérale, la Cour a décidé de traiter de cette question et en a conclu qu'il était approprié d'appliquer ce motif aux faits de la cause. Concernant la définition donnée aux « opinions politiques » , la Cour suprême a précisé, dans l'arrêt Ward, précité, au para. 82, qu' « [...] il n'est pas nécessaire que les opinions politiques en question aient été carrément exprimées » et, au para. 83, que « [...] les opinions politiques imputées au demandeur et pour lesquelles celui-ci craint d'être persécuté n'ont pas à être nécessairement conformes à ses convictions profondes » .


[10]       Je suis convaincu que l'interprétation du mot « persécution » dans le contexte du « réfugié au sens de la Convention » est une question de droit et que « la question de l'existence de la persécution dans les cas de discrimination ou de harcèlement n'est pas simplement une question de fait, mais aussi une question mixte de droit et de fait, et que des notions juridiques sont en cause » (Sagharichi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] F.C.J. No. 796 (C.A.)). Une telle conclusion est, par conséquent, assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter (Jayesekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1393 (C.F. 1re inst.)). Cela est également vrai au niveau de l'établissement d'un lien avec l'un des motifs énumérés dans l'article 2 de la Loi sur l'immigration. En l'espèce, la Commission a omis d'aborder la question de savoir si oui ou non, à la lumière de la gravité de l' « incident culminant » de juin 2000, le demandeur avait établi qu'il craignait avec raison d'être persécuté du fait d'un motif de persécution énuméré, y compris l'appartenance à un groupe social ou les opinions politiques. Je suis donc d'avis que la Commission n'a pas appliqué le bon critère et qu'elle se trompe clairement en décidant que le demandeur n'avait pas raison de craindre d'être persécuté.

[11]       En conséquence, cette demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est annulée et l'affaire est renvoyée àun tribunal constituédifféremment pour une nouvelle audience et une nouvelle décision relativement à la revendication du statut de réfugié du demandeur.

[12] Aucun des avocats n'a présenté de question grave de portée générale pour certification.

OTTAWA (Ontario)

Le 26 avril 2002

« LUC MARTINEAU »

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                                                                                                             Juge                             

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

           SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

            AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 IMM-2489-01

INTITULÉ :              Gregory Thomas Wickramasinghe c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :    Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :    Le 16 avril 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :       Le 26 avril 2002

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman                                      POUR LE DEMANDEUR

Mielka Visnic                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman et associés                       POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                   POUR LE DÉFENDEUR       

Sous-procureur général du Canada

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