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Date : 20191218


Dossier : T-1624-17

Référence : 2019 CF 1635

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2019

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

MCCAIN FOODS LIMITED

demanderesse/

défenderesse reconventionnelle

et

J.R. SIMPLOT COMPANY ET SIMPLOT CANADA (II) LIMITED

défenderesses/

demanderesses reconventionnelles

et

ELEA VERTRIEBS-UND-VERMARKTUNGSGESELLSCHAFT, MBH

mise en cause

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie de deux requêtes liées à l’action en contrefaçon de brevet entre McCain Foods Limited (McCain) et J.R. Simplot Company et Simplot Canada (II) Limited (collectivement, Simplot).

[2]  Le 25 juin 2019, la protonotaire Aylen a accueilli la requête de Simplot visant à modifier sa défense et demande reconventionnelle et a autorisé Simplot à signifier et à déposer une mise en cause. La première requête devant la Cour est un appel de l’ordonnance de la protonotaire. La deuxième requête, présentée par Elea Vertriebs-und-Vermarktungsgesellschaft, mbH (Elea), est une requête en radiation ou en suspension de la mise en cause.

II.  Les faits

A.  Les parties

[3]  La demanderesse et défenderesse reconventionnelle, McCain, est la propriétaire des lettres patentes canadiennes no 2,412,841 (le brevet 841). Le brevet 841 est intitulé « Procédé servant à traiter des légumes et des fruits avant leur cuisson ». Il concerne un procédé qui vise à traiter les fruits et les légumes surgelés à l’aide d’un champ électrique pulsé (CEP) afin que ces derniers soient plus faciles à couper après la cuisson.

[4]  Les défenderesses et demanderesses reconventionnelles, Simplot, sont deux sociétés liées. Simplot est l’un des concurrents de McCain.

[5]  La mise en cause, Elea, est une entreprise allemande. Elea fabrique des systèmes de traitement par CEP et les vend partout dans le monde. Simplot a acheté à Elea, en vertu d’un contrat d’achat daté du 21 janvier 2013 et visant uniquement la fourniture d’équipement (le contrat), un système de traitement par CEP en vue de l’utiliser dans ses installations de Portage la Prairie, au Manitoba.

B.  L’historique du litige

[6]  Le 25 octobre 2017, McCain a intenté une poursuite contre Simplot pour contrefaçon du brevet 841. McCain a allégué que l’utilisation par Simplot du système de traitement par CEP constituait une violation du brevet 841. Le 20 décembre 2017, Simplot a déposé une défense et demande reconventionnelle. Elle a fait valoir qu’elle ne contrevenait pas au brevet 841 et a prétendu que celui-ci était invalide. Les parties ont échangé de brèves réponses en janvier 2018, puis aucune mesure n’a été prise à l’égard de ce litige devant la Cour fédérale avant novembre 2018.

[7]  En février 2017, soit avant qu’elle n’intente une poursuite contre Simplot au Canada, McCain a intenté une action en contrefaçon de brevet contre l’une des défenderesses (J.R. Simplot Company) en Illinois. McCain prétend qu’il y a eu violation de ses droits relatifs au brevet américain no 6,821,540, qui régit un système similaire de traitement par CEP servant à traiter les fruits et les légumes (page 107 du dossier de requête d’Elea). Cette affaire a été transférée à la cour de district du district de l’Idaho en août 2017; elle a par la suite été jointe à un autre litige entre McCain et Simplot. En juillet 2019, la cour de district de l’Idaho a autorisé J.R. Simplot Company à déposer une mise en cause similaire contre Elea dans le cadre du litige aux États‑Unis. Cette mise en cause repose sur la même entente qu’en l’espèce, puisque le contrat régit l’achat de systèmes de traitement par CEP destinés à être utilisés par Simplot dans plusieurs pays.

C.  Les échanges entre Simplot et Elea avant le dépôt de la mise en cause

[8]  Le 26 octobre 2017, le jour où elle s’est vu signifier la déclaration de McCain, Simplot a communiqué avec Elea pour l’informer de la poursuite et lui a demandé de lui verser une indemnité, selon les modalités du contrat. N’ayant reçu aucune réponse de la part d’Elea, Simplot lui a envoyé des rappels en novembre 2017, en décembre 2017 et en janvier 2019.

[9]  Le 25 janvier 2019, Elea a refusé la demande d’indemnisation de Simplot. Le 7 février 2019, Simplot a avisé McCain qu’elle envisageait de mettre en cause Elea. Ce plan d’action a été confirmé lors d’une réunion en personne, le 13 février 2019.

D.  La requête de Simplot visant à modifier la défense et demande reconventionnelle, ainsi qu’à obtenir une prorogation du délai et l’autorisation de déposer une mise en cause contre Elea

[10]  En raison du refus d’Elea d’indemniser Simplot au début de 2019, Simplot a déposé, le 23 avril 2019, une requête visant 1) à modifier sa défense et demande reconventionnelle afin d’inclure des moyens de défense liés à Elea et 2) à signifier et à déposer une mise en cause contre Elea.

[11]  McCain s’est opposée à la requête de Simplot, sauf pour ce qui est de deux modifications de forme à la défense et demande reconventionnelle.

E.  L’ordonnance de la protonotaire (25 juin 2019)

[12]  Le 25 juin 2019, la protonotaire a autorisé Simplot à modifier sa défense et demande reconventionnelle, l’a autorisée à introduire une mise en cause et lui a accordé la prorogation de délai nécessaire pour le faire.

F.  Les deux requêtes

[13]  Le 4 juillet 2019, McCain a interjeté appel de l’ordonnance de la protonotaire. McCain soutient que la protonotaire a commis une erreur en autorisant la modification de la défense et demande reconventionnelle et le dépôt de la mise en cause.

[14]  Peu après avoir reçu signification de la mise en cause, Elea a présenté une requête en radiation ou en suspension de la mise en cause. McCain a fourni une lettre dans laquelle elle affirmait se rallier à la position d’Elea. Simplot s’est opposée à la requête en radiation.

[15]  Je traiterai l’appel de McCain avant de me pencher sur la requête d’Elea.

III.  La norme de contrôle applicable à l’appel de la décision de la protonotaire

[16]  La norme de contrôle applicable à la décision d’un protonotaire est celle de la décision correcte pour les questions de droit et celle de « l’erreur manifeste et dominante » pour les questions de fait ou les questions mixtes de fait et de droit (Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, au par. 66; Progress Energy Canada Ltd c Enercorp Sand Solutions et al., 2018 CAF 215, au par. 14 [Enercorp]).

[17]  McCain a fait valoir que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision correcte, parce que l’appel soulève [traduction] « de multiples erreurs de droit isolables ». En revanche, Simplot a fait valoir que la norme de contrôle applicable est celle de l’erreur manifeste et dominante. Simplot a affirmé que les conclusions de la protonotaire portaient en réalité sur la question de savoir si les causes d’action, fondées sur les faits substantiels allégués, avaient une chance raisonnable de succès. Selon Simplot, il s’agit de questions mixtes de fait et de droit, à l’égard desquelles il convient de faire preuve de retenue.

[18]  En ce qui concerne la défense et demande reconventionnelle modifiée, les trois erreurs alléguées concernent la question de savoir si les trois moyens de défense relatifs au brevet (l’octroi d’une licence explicite, l’octroi d’une licence implicite et l’acquiescement) ont une chance raisonnable de succès. Aucune question de droit isolable n’a été soulevée. Par conséquent, ces questions mixtes de fait et de droit doivent faire l’objet d’un contrôle selon la norme de « l’erreur manifeste et dominante » (Enercorp, précité, au par. 14).

[19]  Pour ce qui est de la mise en cause, les questions en litige consistent à savoir si les diverses réclamations fondées sur l’octroi d’une licence, l’acquiescement, l’incitation et l’indemnisation ont une chance raisonnable de succès, compte tenu des faits allégués par Simplot. Il s’agit de questions mixtes de fait et de droit et il n’y a aucune question de droit isolable; la norme applicable est donc celle de l’erreur manifeste et dominante.

IV.  Les questions en litige soulevées par la première requête (l’appel de McCain)

  • 1) La protonotaire a-t-elle commis une erreur en autorisant le dépôt de la défense et demande reconventionnelle modifiée?

    1. La protonotaire a-t-elle commis une erreur manifeste et dominante en permettant à Simplot d’invoquer des moyens de défense fondés sur l’octroi d’une licence?

    2. La protonotaire a-t-elle commis une erreur manifeste et dominante en permettant à Simplot d’invoquer des moyens de défense fondés sur l’acquiescement?

    3. La protonotaire a-t-elle commis une erreur manifeste et dominante en permettant à Simplot de demander, dans la mise en cause, une déclaration portant sur l’octroi d’une licence et l’acquiescement?

    4. La protonotaire a-t-elle commis une erreur manifeste et dominante en permettant à Simplot de demander, dans la mise en cause, une déclaration portant sur l’incitation à la contrefaçon?

    5. La protonotaire a-t-elle commis une erreur manifeste et dominante en permettant à Simplot de demander, dans la mise en cause, une déclaration portant sur l’indemnisation contractuelle?

  • 2) La protonotaire a-t-elle commis une erreur en autorisant Simplot à déposer une mise en cause?

    V.  Analyse de la première requête (l’appel de McCain)

    (1)  La protonotaire a-t-elle commis une erreur en autorisant le dépôt de la défense et demande reconventionnelle modifiée?

    [20]  Aux paragraphes 11 à 17 de sa décision, la protonotaire a correctement énoncé les critères juridiques et la jurisprudence qu’il convient d’appliquer pour accorder l’autorisation de modifier un acte de procédure au titre de l’article 75 des Règles des Cours fédérales (DORS/98-106). Comme l’a souligné la protonotaire, les modifications proposées par Simplot doivent présenter une chance raisonnable de succès dans le contexte du droit et du processus judiciaire (Teva Canada Limitée c Gilead Sciences Inc, 2016 CAF 176, au par. 30).

    [21]  McCain a fait valoir que la protonotaire a commis une erreur en autorisant l’ajout des moyens de défense fondés sur l’octroi d’une licence et l’acquiescement, car aucun des faits allégués n’étaye les conclusions de droit nécessaires pour que les moyens de défense puissent s’appliquer et ceux-ci n’ont aucune chance raisonnable de succès. 

    [22]  McCain prétend que, parce que Simplot a acheté le système de traitement par CEP à Elea, et non à McCain, la brevetée (c’est habituellement le breveté qui peut accorder une licence), les moyens de défense fondés sur l’octroi d’une licence ne s’appliquent pas. Quant à la défense d’acquiescement, McCain affirme qu’elle est la titulaire du brevet et qu’elle peut choisir contre qui elle intente une action.

    [23]  Les termes [traduction] « explicite » et [traduction] « implicite » sont employés dans la défense et demande reconventionnelle modifiée, mais dans la jurisprudence et la doctrine, on emploie souvent les termes [traduction] « exprès » et [traduction] « implicite ». Ces termes désignent les mêmes concepts.

    a)  La protonotaire a-t-elle commis une erreur manifeste et dominante en permettant à Simplot d’invoquer des moyens de défense fondés sur l’octroi d’une licence?

    [24]  La protonotaire a autorisé Simplot à ajouter quatre moyens de défense éventuels fondés sur l’octroi d’une licence :

    • en achetant les systèmes fabriqués par Elea, McCain a [traduction] « explicitement et/ou implicitement accordé à Elea une licence l’autorisant à fabriquer les systèmes de traitement par CEP contestés et à les vendre à d’autres parties, y compris les défenderesses » (paragraphe 17a));

    • en achetant les systèmes fabriqués par Elea, McCain a [traduction] « explicitement et/ou implicitement accordé aux défenderesses une licence les autorisant à utiliser, au Canada, les systèmes de traitement par CEP contestés » (paragraphe 17b)).

    [25]  Une licence explicite est un transfert explicite de droits par le breveté. Comme la Cour suprême l’a défini dans l’arrêt Eli Lilly & Co c Novopharm Ltd., [1998] 2 RCS 129, à la p. 163, une licence explicite est accordée lorsque « le breveté accorde au titulaire de cette licence le droit d’agir d’une certaine façon relativement à l’article breveté, droit dont le titulaire de la licence ne jouirait pas sans celle‑ci ».

    [26]  Simplot affirme que le fait de l’obliger à plaider des faits substantiels supplémentaires concernant l’octroi d’une licence explicite protégerait injustement ceux qui ont connaissance des faits substantiels au détriment de ceux qui cherchent à s’appuyer sur ces faits sans toutefois avoir les moyens de les connaître de façon à être en mesure de les plaider dans les détails, comme l’a affirmé la protonotaire lorsqu’elle a accordé l’autorisation d’ajouter le moyen de défense fondé sur l’octroi d’une licence explicite.

    [27]  Comme en fait foi l’emploi de [traduction] « et/ou », Simplot fait valoir, subsidiairement, qu’une licence implicite a été accordée. Si McCain a accordé une licence implicite aux utilisateurs comme Simplot (c.-à-d. une licence non écrite accordée par effet de la loi) ou à Elea (sur laquelle Elea s’est ensuite appuyée pour vendre ses systèmes de traitement par CEP à des acheteurs comme Simplot), alors McCain ne peut pas faire valoir que Simplot a contrefait son brevet.

    [28]  Les motifs invoqués aux paragraphes 17a) et 17b) par Simplot pour faire valoir qu’une licence implicite a été accordée sont nouveaux. L’argument de Simplot est que, lorsque McCain a acheté une machine fabriquée par Elea, a) McCain a implicitement accordé à Elea une licence l’autorisant à vendre ses machines à d’autres parties, comme Simplot; et/ou b) McCain a implicitement accordé à des tiers, comme Simplot, une licence les autorisant à utiliser, au Canada, les systèmes de traitement par CEP contestés. L’argument selon lequel une licence implicite a été accordée pour l’un ou l’autre de ces motifs, ou les deux, est étayé par les faits suivants :

    • Elea déclare ouvertement qu’elle a fabriqué et installé plus de 100 systèmes de traitement par CEP, et McCain est au courant de ces ventes à d’autres parties;

    • Elea a garanti à Simplot dans le contrat que les systèmes ne violent aucun brevet;

    • Elea a vendu les mêmes systèmes de traitement par CEP à McCain.

    [29]  En ce qui concerne les moyens de défense fondés sur l’octroi d’une licence implicite, Simplot pourrait s’appuyer sur la notion de sous-licences, comme dans l’affaire Signalisation de Montréal Inc c Services de Béton Universels Ltée (1992), 46 CPR (3d) 199 (CAF). Dans cette affaire, une licence implicite accordée par le breveté à l’acquéreur d’un article transférait à cet acquéreur le droit de revendre l’article et transférait au prochain acquéreur un droit égal de l’utiliser et de le vendre. En l’espèce, les rôles des parties sont inversés, mais la situation demeure analogue : la transaction initiale était non pas une vente effectuée par le breveté, mais plutôt un achat d’équipement par le breveté, qui savait que le fabricant vendait ses systèmes de traitement par CEP à d’autres. Selon cet argument, et comme dans l’affaire de Korompay c Ontario Hydro, [1989] ACF no 447 (CF 1re inst) [de Korompay], au moment de la vente, le fabricant Elea a peut-être laissé entendre à Simplot que le breveté (McCain) lui avait donné l’autorisation d’accorder des licences pour l’utilisation par des tiers des systèmes de traitement par CEP. Simplot pourrait alors utiliser cet argument de double licence (paragraphe 17a) ou 17b)) pour se soustraire à sa responsabilité pour contrefaçon.

    [30]  Je souscris à l’évaluation menée par la protonotaire du moyen de défense invoqué par Simplot, au paragraphe 17a), selon lequel McCain aurait pu, explicitement et/ou implicitement, accorder à Elea une licence l’autorisant à vendre les machines. Simplot a allégué des faits substantiels concernant les rapports entre McCain et Elea et affirme que ceux-ci [traduction] « sous-entendent qu’il existe […] une relation concédant-licencié ». Comme la protonotaire l’a noté au paragraphe 23 de sa décision, [traduction] « Simplot cherche à s’appuyer sur une transaction dont elle ne connaît rien […] Simplot n’est pas en mesure d’en apprendre davantage sur la relation entre McCain et Elea et sur l’autorité, le cas échéant, qui a permis à Elea de fabriquer et de vendre les systèmes de traitement par CEP qui, selon McCain, sont visés par le brevet 841 ».

    [31]  Le raisonnement de la protonotaire à l’égard du paragraphe 17a) était conforme à l’idée bien établie selon laquelle les règles relatives aux faits substantiels doivent être examinées en contexte et « ne doivent pas permettre à ceux qui ont connaissance des faits substantiels d’opprimer ceux qui cherchent à s’appuyer sur ces faits sans toutefois avoir les moyens de les connaître de façon à être en mesure de les plaider dans les détails » (Enercorp, précité, au par. 36). À la lumière du comportement des autres parties, comment Simplot aurait-elle pu connaître quoi que ce soit d’autre au sujet des rapports entre McCain et Elea et savoir si une licence explicite ou implicite avait été accordée à ce moment-là? J’estime que le paragraphe 17a) devrait demeurer inchangé. Les interrogatoires préalables permettront à Simplot d’obtenir les renseignements supplémentaires qu’elle n’a pas les moyens de connaître à l’heure actuelle.

    [32]  Cependant, au paragraphe 17b) de sa défense et demande reconventionnelle modifiée, Simplot déclare que [traduction] « McCain a […] explicitement et/ou implicitement accordé aux défenderesses une licence les autorisant à utiliser, au Canada, les systèmes de traitement par CEP contestés ». Si une licence explicite avait été accordée à Simplot, Simplot y aurait été partie et posséderait des connaissances qui lui permettraient d’alléguer des faits plus détaillés concernant ses rapports précis avec McCain. Je souscris à l’argument de McCain selon lequel Simplot n’est pas étrangère aux transactions entre McCain et Simplot : Simplot serait partie à ces interactions; or, elle n’a pas allégué de faits substantiels à l’appui de l’octroi d’une licence explicite. Toute licence accordée par McCain à Simplot, le cas échéant, serait nécessairement implicite. Par conséquent, je radie les termes « explicitement et/ou » du paragraphe 17b) et j’autorise Simplot à modifier sa défense et demande reconventionnelle modifiée afin de corriger cette erreur.

    [33]  Je suis d’accord avec la protonotaire (sous réserve de la modification qu’il convient d’apporter au paragraphe 17b)) pour dire qu’il n’est pas évident ni manifeste que les modifications ne présentent aucune chance raisonnable de succès, parce que Simplot a allégué suffisamment de faits substantiels dans ce contexte et parce que ce domaine du droit est incertain. Même si les moyens de défense fondés sur l’octroi d’une licence sont nouveaux, ils constituent une extension des moyens de défense bien établis en matière de contrefaçon de brevet. Le fait que les moyens de défense soient nouveaux ne signifie pas qu’ils n’ont aucune chance raisonnable de succès, et, en fait, cela appuie la décision de la protonotaire de ne pas les radier à l’étape des actes de procédure (Genentech, Inc. c Celltrion Healthcare Co., Ltd., 2019 CF 293, au par. 41; Khadr c Canada, 2014 CF 1001, au par. 13).

    [34]  Enfin, je souscris à la conclusion de la protonotaire, au paragraphe 25, selon laquelle les modifications permettent à McCain de bien comprendre les moyens de défense invoqués à son encontre ainsi que d’y répondre en conséquence.

    b)  La protonotaire a-t-elle commis une erreur manifeste et dominante en permettant à Simplot d’invoquer un moyen de défense fondé sur l’acquiescement?

    [35]  McCain conteste également la décision de la protonotaire d’autoriser Simplot à invoquer le moyen de défense fondé sur l’acquiescement. McCain affirme que l’acquiescement est [traduction] « très difficile à prouver » et que Simplot n’a pas allégué de faits substantiels pour montrer que McCain a acquiescé aux ventes d’Elea ou à l’utilisation par Simplot du produit qu’elle a acheté d’Elea. McCain affirme que le fait d’autoriser ce moyen de défense laisserait supposer, à tort, que McCain doit prendre des mesures concrètes pour faire respecter son brevet.

    [36]  Simplot répond que McCain savait qu’Elea vendait à des tiers au Canada les mêmes systèmes de traitement par CEP que ceux qu’elle lui avait vendus, et que McCain s’était néanmoins abstenue de faire valoir ses droits. Simplot affirme avoir allégué suffisamment de faits substantiels à cet égard, notamment le fait qu’Elea a vendu le même type de machine à Simplot et à McCain.

    [37]  Comme elle l’a fait pour les moyens de défense fondés sur l’octroi d’une licence, Simplot a plaidé plus d’une version de la défense d’acquiescement, soit que McCain a acquiescé à la fabrication et à la vente par Elea de systèmes de traitement par CEP et que McCain a acquiescé à l’utilisation des systèmes de traitement par CEP par son concurrent Simplot.

    [38]  Les critères pour établir l’acquiescement ont été résumés par le juge Shore dans la décision Remo Imports Ltd. c Jaguar Cars Ltd., 2005 CF 870, au par. 53 (renvois omis) :

    Les critères pour établir [l’acquiescement] sont les suivants. 1. Il faut quelque chose de plus que le simple retard. À lui seul, le silence ne suffit pas pour empêcher une procédure judiciaire […] 2. le détenteur de droits doit connaître son droit et doit connaître la violation de son droit par l’autre partie […] 3. le détenteur de droits doit encourager l’autre partie à continuer la violation […] et 4. l’autre partie doit agir à son détriment en se fiant à l’encouragement du détenteur de droits […]

    [39]  Ces quatre critères, bien que difficiles à remplir, ne sont pas manifestement voués à l’échec en l’espèce. Tous les critères, pris isolément et dans leur ensemble, ont une chance raisonnable de succès :

    1. Simplot a affirmé que McCain ne s’est pas contentée d’être silencieuse : Simplot affirme que McCain a acheté son système de traitement par CEP à Elea. D’après les documents de McCain, il ne fait aucun doute qu’Elea vendait ses machines à d’autres sociétés, et pas seulement à McCain;

    2. Simplot a déclaré que McCain savait que ses droits étaient violés par Elea et par des tiers qui avaient achetés des systèmes de traitement par CEP fabriqués par Elea, qui eux-mêmes violaient prétendument le brevet 841;

    3. Il pourrait être difficile pour Simplot d’établir que le critère de l’encouragement est rempli en l’espèce, mais la conduite de McCain, qui a acheté des machines à Elea sans mentionner son brevet, pourrait être considérée comme ayant encouragé Elea à commettre la contrefaçon;

    4. Simplot prétend maintenant qu’elle et/ou Elea se sont fiées à l’encouragement de McCain à l’égard de la contrefaçon du brevet.

    [40]  Simplot a rédigé ses actes de procédure en conséquence, en ajoutant les paragraphes 15 et 16 à sa défense afin d’inclure les faits nécessaires pour étayer la défense d’acquiescement, à savoir que McCain savait qu’Elea vendait ses systèmes de traitement par CEP à d’autres sociétés, qu’elle n’a pris aucune mesure pour l’en empêcher, qu’elle a de fait encouragé d’autres parties à utiliser le brevet par son inactivité et, par conséquent, qu’elle s’est abstenue de faire valoir ses droits.

    [41]  McCain a soutenu que la décision de la protonotaire lui imposait injustement l’obligation de faire valoir activement ses droits de brevet. Je ne souscris pas à cet argument, car l’ordonnance de la protonotaire ne va pas à l’encontre du principe bien établi selon lequel un breveté peut choisir contre qui faire valoir son brevet. Au contraire, au procès, la question qui se posera est celle de savoir si McCain a attendu trop longtemps pour faire valoir ses droits, en plus d’encourager d’une manière ou d’une autre Simplot en laissant entendre qu’elle ne s’appuierait pas sur ses droits de brevet stricts pour poursuivre Simplot, comme l’indique Kelly Gill dans Fox on Canadian Law of Trade-marks and Unfair Competition (4e éd.), au point 9.12.

    [42]  Compte tenu des faits supplémentaires allégués dans la défense et demande reconventionnelle modifiée, conformément à la décision de la protonotaire, la défense d’acquiescement a, à tout le moins, une chance raisonnable de succès. Aucune erreur manifeste et dominante n’a été commise à cet égard. Je rejetterais donc l’appel interjeté à l’encontre de la décision de la protonotaire d’autoriser Simplot à invoquer un moyen de défense fondé sur l’acquiescement.

    (2)  La protonotaire a-t-elle commis une erreur en autorisant Simplot à déposer une mise en cause?

    [43]  McCain a interjeté appel de la décision de la protonotaire d’autoriser le dépôt d’une mise en cause. La partie mise en cause, Elea, a également intenté une action en radiation de la réclamation contre elle, qui sera abordée ci-dessous.

    [44]  Les articles 193 et 194 des Règles des Cours fédérales régissent les réclamations contre une tierce partie. L’article 193 permet à un défendeur de mettre en cause une personne « qui n’est pas partie à l’action et dont il prétend qu’[elle a] ou peu[t] avoir une obligation envers lui à l’égard de tout ou partie de la réclamation du demandeur ». L’article 194 permet à un défendeur de mettre en cause une personne dont il prétend : « a) soit qu’elle lui est ou peut lui être redevable d’une réparation, autre que celle visée à la règle 193, liée à l’objet de l’action; b) soit qu’elle devrait être liée par la décision sur toute question en litige entre lui et le demandeur ».

    [45]  Une mise en cause est une procédure indépendante et distincte (R c Thomas Fuller Construction Co (1958) Ltd et autre (1979), [1980] 1 RCS 695, à la p. 709 [Thomas Fuller Construction]). McCain prétend que la protonotaire a commis une erreur en autorisant Simplot à demander, dans sa mise en cause, des déclarations portant sur l’octroi d’une licence et l’acquiescement, l’incitation et l’indemnisation contractuelle, car ces éléments ne peuvent pas être des causes d’action dans des réclamations devant la Cour.

    a)  La protonotaire a-t-elle commis une erreur manifeste et dominante en permettant à Simplot de demander, dans la mise en cause, une déclaration portant sur l’octroi d’une licence et l’acquiescement?

    [46]  McCain soutient qu’une erreur de droit a été commise, car l’octroi d’une licence et l’acquiescement ne sont pas des causes d’action permissibles. McCain s’appuie sur la décision Nintendo of America Inc. c Battery Technologies, 2001 CFPI 596 [Nintendo], dans laquelle la Cour a conclu que l’octroi d’une licence et l’acquiescement ne peuvent être utilisés que comme moyens de défense et qu’ils ne peuvent pas servir de fondement à une réclamation. McCain affirme que la protonotaire n’a pas analysé la mise en cause contre Elea en tant que procédure distincte, comme l’exige la loi. McCain ajoute que la réparation est demandée à tort contre McCain (la titulaire du brevet) et non contre Elea (la mise en cause).

    [47]  Simplot fait valoir, pour sa part, que le jugement déclaratoire est souvent utilisé pour obtenir une décision quant à la question de savoir si un moyen de défense s’applique ou non : par exemple, une déclaration de non-contrefaçon. Simplot affirme qu’elle a allégué suffisamment de faits substantiels, que la protonotaire est autorisée à faire référence à la question visée par l’action principale, comme elle l’a fait, et qu’elle cherche à invoquer le moyen de défense non pas comme une [traduction] « épée », mais plutôt comme un [traduction] « bouclier » qui lierait Elea.

    [48]  Simplot a expliqué que la mise en cause n’est pas fondée sur un contrat et que la réparation n’est pas demandée contre McCain, contrairement à ce que celle-ci a fait valoir. McCain est mentionnée uniquement en raison de sa relation avec Simplot et Elea. Aucune [traduction] « réclamation » n’est formulée contre McCain. Simplot soutient plutôt que les déclarations portant sur l’octroi d’une licence et l’acquiescement sont visées par l’alinéa 194b) des Règles des Cours fédérales : elle peut les demander parce qu’Elea « devrait être liée par la décision sur toute question en litige entre [le défendeur] et le demandeur ».

    [49]  Comme il a été mentionné ci-dessus, les divers moyens de défense fondés sur l’octroi d’une licence et l’acquiescement invoqués par Simplot ont une chance raisonnable de succès, de sorte que la question qui se pose est celle de savoir si les déclarations en question peuvent être demandées dans le cadre d’une mise en cause comme celle qui a été autorisée par la protonotaire. Toutefois, les mises en cause doivent être évaluées séparément, comme une nouvelle instance, pour déterminer s’il est évident et manifeste que la réclamation n’a aucune chance de succès (Thomas Fuller Construction, précité, à la p. 709).

    [50]  La question qui se pose est donc de savoir s’il est possible d’invoquer l’octroi d’une licence et l’acquiescement comme causes d’action contre une mise en cause. En d’autres termes, Simplot peut-elle utiliser ces allégations en offensive (comme une épée) plutôt que simplement en défense (comme un bouclier)?

    [51]  Il existe une jurisprudence selon laquelle ces moyens de défense n’ont aucune chance raisonnable de succès lorsqu’ils servent d’« épée ». Dans la décision Nintendo, précitée, le juge Lemieux indique que l’acquiescement ne peut fonder une cause d’action ou servir d’épée (dans cette affaire, il était question d’une demande reconventionnelle), parce que « ces moyens ne s’appliquent qu’en défense » (par. 28). Le juge Lemieux est arrivé à la même conclusion en ce qui concerne les allégations relatives à l’octroi d’une licence, aux paragraphes 29 et 30 de sa décision, citant un passage instructif de l’arrêt Innotech Pty. Ltd c Phoenix Rotary Spike Harrows Ltd. (1997), 74 CPR (3d) 275 (CAF) [Innotech]. Pour ces motifs, le juge Lemieux a conclu que les réclamations fondées sur l’octroi d’une licence et l’acquiescement n’avaient aucune chance raisonnable de succès, et elles ont été radiées.

    [52]  Respectueusement, il semble que, bien que la même licence soit en cause dans la défense et demande reconventionnelle modifiée et dans la mise en cause, elle est invoquée à des fins différentes dans chacun des actes de procédure. Dans la défense et demande reconventionnelle modifiée, la licence sert de bouclier contre une allégation de contrefaçon. Dans la demande reconventionnelle, elle sert d’épée, de fondement pour obtenir réparation contre Elea pour ses agissements.

    [53]  En se fondant sur la décision Nintendo, la protonotaire a conclu qu’il n’était pas évident ni manifeste que les moyens de défense fondés sur l’octroi d’une licence et l’acquiescement étaient voués à l’échec, car il n’était pas évident qu’ils servaient d’épée et non de bouclier, c.‑à‑d. pour demander un jugement déclaratoire. Cependant, comme je l’ai déjà mentionné, la mise en cause n’est pas une défense; il s’agit d’une réclamation indépendante qui doit être examinée de façon distincte. Dans ce contexte, les moyens de défense fondés sur l’octroi d’une licence et l’acquiescement invoqués aux paragraphes 1a) et 1b) sont utilisés par Simplot comme une épée plutôt que comme un bouclier. J’estime que Simplot n’a aucune chance raisonnable d’obtenir les jugements déclaratoires demandés dans la mise en cause, à savoir a) une déclaration selon laquelle McCain a accordé une licence à Elea, qui a ensuite accordé une licence à Simplot, ou b) une déclaration selon laquelle McCain a acquiescé à la vente par Elea à Simplot des systèmes de traitement par CEP, de sorte que McCain est empêché par préclusion de faire valoir le brevet 841.

    [54]  Comme dans l’arrêt Innotech, précité, Simplot peut toujours tenter d’invoquer l’octroi d’une licence et l’acquiescement comme moyens de défense dans l’action principale. Il pourrait donc y avoir une autre manière pour elle d’obtenir le résultat qu’elle tente d’obtenir au moyen de la déclaration demandée dans la mise en cause portant qu’une licence a été accordée et qu’il y a eu acquiescement. La principale distinction réside dans l’objectif pour lequel l’octroi d’une licence et l’acquiescement sont invoqués dans chaque acte de procédure : comme moyen de défense ou comme cause d’action.

    [55]  Simplot ne pouvait pas demander un jugement déclaratoire portant sur l’octroi d’une licence et l’acquiescement dans la mise en cause qu’elle a déposée contre le fabriquant Elea (paragraphes 1a) et b)). En conséquence, j’ordonnerais que les paragraphes 1a) et 1b) soient radiés de la mise en cause. Je confirme le reste de la décision, et je souscris par ailleurs au raisonnement de la protonotaire.

    b)  La protonotaire a-t-elle commis une erreur manifeste et dominante en permettant à Simplot de demander, dans la mise en cause, une déclaration portant sur l’incitation à la contrefaçon?

    [56]  Au paragraphe 1c), Simplot demande une déclaration portant qu’il y a eu incitation à la contrefaçon, et, au paragraphe 1d), elle allègue que, sur le fondement de la déclaration visée au paragraphe 1c), Elea devrait être responsable, individuellement ou conjointement, de toute mesure de réparation ordonnée à l’encontre de Simplot. Collectivement, il s’agit des déclarations portant sur l’incitation à la contrefaçon.

    [57]  McCain a fait valoir que les paragraphes 1c) et 1d) de la mise en cause ne tiennent pas et qu’il s’agit en réalité d’une demande de contribution et d’indemnité. McCain laisse entendre que la protonotaire s’est fiée à tort sur la décision Calgon Carbon Corporation c North Bay (Ville), 2006 CF 1373, aux par. 214 à 217 [Calgon], pour conclure que l’incitation à la contrefaçon de brevet pouvait servir de fondement à une mise en cause. À l’audience, l’avocat de McCain a affirmé que les faits de l’affaire Calgon étaient très différents, puisque, dans cette affaire, la demanderesse alléguait la contrefaçon par la défenderesse, North Bay, et l’incitation à la contrefaçon par la codéfenderesse, Trojan Technologies. Il ne s’agissait pas d’un cas où le défendeur alléguait l’incitation à la contrefaçon par une partie mise en cause. 

    [58]  De plus, l’article 55 de la Loi sur les brevets (LRC 1985, c P-4) prévoit que quiconque contrefait un brevet est responsable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui-ci, mais il ne mentionne pas qu’un défendeur peut présenter une réclamation contre un tiers dans le cadre d’une action en contrefaçon. Pour cette raison, McCain affirme que les arguments fondés sur l’incitation à la contrefaçon ne sont pas étayés par la Loi sur les brevets. Par conséquent, les droits et les recours de Simplot dépendent du contrat conclu avec Elea. L’arrêt ITO-Int’l Terminal Operators c Miida Electronic, [1986] 1 RCS 752 [ITO], nous apprend que le droit des contrats n’est généralement pas un sujet à l’égard duquel la Cour fédérale a compétence.

    [59]  Simplot répond que la déclaration en question est visée par l’alinéa 194b) des Règles des Cours fédérales, puisque la mise en cause, Elea, « devrait être liée par la décision » rendue dans le cadre de l’action principale. Simplot soutient qu’il est [traduction] « bien établi en droit que celui qui incite ou amène un autre à contrefaire un brevet est également responsable de la contrefaçon du brevet ». En outre, Simplot souligne que McCain est la première à avoir parlé d’Elea dans le présent litige, en la mentionnant à de nombreuses reprises dans sa déclaration et dans son annexe. Simplot souscrit à la conclusion de la protonotaire selon laquelle la jurisprudence ne l’empêche pas de présenter un argument fondé sur l’incitation à la contrefaçon.

    [60]  Je suis d’avis que la protonotaire a eu raison de conclure qu’une déclaration d’incitation à la contrefaçon pouvait être demandée dans le cadre d’une mise en cause.

    [61]  Premièrement, à titre préliminaire, l’article 55 de la Loi sur les brevets dispose : « [q]uiconque contrefait un brevet est responsable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui-ci du dommage que cette contrefaçon leur a fait subir après l’octroi du brevet ». McCain tente de faire valoir que Simplot n’a pas qualité pour agir, puisqu’elle n’est pas une personne « se réclamant » du breveté. Cependant, comme il n’existe pas de jurisprudence prépondérante sur la question de savoir qui peut présenter une réclamation pour incitation, il n’est pas évident ni manifeste que Simplot n’est pas une personne qui se réclame de la brevetée McCain, alors qu’elle affirme qu’Elea l’a incitée à la contrefaçon. En outre, comme l’a fait valoir l’avocat de Simplot à l’audience, il n’est peut-être pas nécessaire de s’appuyer sur l’article 55 de la Loi sur les brevets pour mettre en cause un fabricant qui a incité à la contrefaçon, étant donné que la question n’a jamais encore été abordée et donc qu’aucune décision n’établit si oui ou non la réclamation doit être visée par l’article 55. Ainsi, l’article 55 de la Loi sur les brevets n’empêche pas Simplot de demander une déclaration d’incitation à la contrefaçon.

    [62]  Deuxièmement, les faits allégués par Simplot donnent à penser que l’argument relatif à l’incitation à la contrefaçon a, à tout le moins, une chance raisonnable de succès. Contrairement à la jurisprudence relative à l’octroi d’une licence et à l’acquiescement, dont il a été question ci-dessus, aucune décision n’établit que l’incitation à la contrefaçon ne peut pas constituer une cause d’action. Dans l’arrêt Corlac Inc. c Weatherford Canada Inc., 2011 CAF 228, au par. 162, la Cour d’appel a souligné qu’« [i]l est bien établi en droit que celui qui incite ou amène un autre à contrefaire un brevet se rend coupable de contrefaçon du brevet ».

    [63]  Simplot a allégué des faits à l’appui du critère à trois volets relatif à l’incitation : l’acte de contrefaçon a été exécuté directement par le contrefacteur (utilisation par Simplot d’un système de traitement par CEP breveté), l’exécution de l’acte de contrefaçon a été influencée par les agissements de l’incitateur allégué (Simplot a acheté le produit à Elea, en se fondant sur les modalités du contrat conclu avec Elea), et l’incitateur a exercé sciemment l’influence (Elea a fait affaire avec McCain, la brevetée, tout en continuant de promouvoir activement les systèmes auprès d’autres sociétés). Il se pourrait même que l’indemnité contractuelle elle-même ait constitué une incitation ou qu’il s’agisse d’un élément de preuve pour établir qu’il y a eu incitation (Calgon, précité, aux par. 214 à 217). Même si l’argument pourrait être rejeté au procès, l’analyse de la question de l’incitation pourra être effectuée de manière plus complète après les interrogatoires préalables, qui permettront à Simplot d’en savoir plus au sujet des agissements d’Elea en ce qui concerne le brevet de McCain.

    [64]  Troisièmement, la réclamation liée à l’incitation relève de la compétence de la Cour fédérale en vertu des règles relatives aux mises en cause. Simplot ne demande pas simplement un jugement déclaratoire portant qu’un moyen de défense s’applique; elle pointe Elea du doigt en l’accusant de l’avoir incitée à la contrefaçon en lui vendant un système qui contrefait un brevet et en venant au Canada pour l’installer, tout en garantissant que la machine ne contrefait aucun brevet canadien. Ces allégations sont visées par l’alinéa 194b) des Règles des Cours fédérales : Simplot affirme qu’Elea devrait être liée par la décision sur la question concernant la contrefaçon du brevet (parce que c’est en raison des agissements d’Elea que Simplot a contrefait le brevet). Cet argument relatif à l’incitation et à la responsabilité a une chance raisonnable de succès.

    [65]  Quatrièmement, la question de l’incitation est en réalité liée à la contrefaçon du brevet; il ne s’agit pas d’une demande de réparation contractuelle. Le contrat est simplement accessoire à l’analyse.

    [66]  Finalement, il y a un fondement factuel suffisant pour qu’Elea connaisse les faits qui lui sont reprochés et pour donner à la réclamation fondée sur l’incitation une chance raisonnable de succès. Elea a fait des déclarations contractuelles selon lesquelles l’utilisation de ses systèmes de traitement par CEP ne violerait aucun brevet canadien. Elle a vendu ses produits à McCain et à Simplot, et Simplot fait maintenant l’objet d’une poursuite pour avoir utilisé ces machines dans ses installations de Portage la Prairie.

    [67]  En gardant à l’esprit le fait que McCain doit démontrer qu’il est évident et manifeste que les réclamations fondées sur l’incitation à la contrefaçon n’ont aucune chance raisonnable de succès et le fait qu’il est souhaitable d’éviter la multiplicité des instances, j’estime que la protonotaire a eu raison d’autoriser l’ajout de ces questions dans la mise en cause.

    c)  La protonotaire a-t-elle commis une erreur manifeste et dominante en permettant à Simplot de demander, dans la mise en cause, une déclaration portant sur l’indemnisation contractuelle?

    [68]  Enfin, McCain soutient que les réclamations de nature contractuelle de Simplot ne relèvent pas de la compétence de la Cour fédérale. Cet argument s’applique aux déclarations relatives à l’indemnisation demandées au titre des paragraphes 1e) et 1f), à savoir, respectivement, la déclaration d’exonération de toute responsabilité et la déclaration d’indemnisation contractuelle. Les paragraphes 1e) et 1f) de la mise en cause énoncent que, si une réparation – comme une injonction – est ordonnée contre Simplot, Simplot met Elea en cause sur le fondement des dispositions du contrat relatives à l’indemnisation.

    [69]  McCain affirme que ces réclamations reposent sur un contrat commercial conclu entre Elea et Simplot. Elle soutient que les déclarations demandées ne satisfont pas au critère à trois volets visant à garantir que la Cour fédérale n’outrepasse pas sa compétence (le critère a été établi dans l’arrêt ITO, précité; voir également Windsor (City) c Canada Transit Co, 2016 CSC 54). Pour sa part, Simplot affirme que le critère à trois volets énoncé dans l’arrêt ITO a été respecté.

    [70]  J’adopte le raisonnement énoncé par la protonotaire lorsqu’elle a établi que les réclamations de Simplot relatives à l’indemnisation contractuelle étaient accessoires à l’action principale et que, de ce fait, elles relevaient de la compétence de la Cour fédérale. La protonotaire a eu raison de conclure qu’il n’était pas évident ni manifeste que les paragraphes 1e) et 1f) étaient de nature essentiellement contractuelle et, par conséquent, qu’ils ne relevaient pas de la compétence de la Cour.

    [71]  L’article 64 des Règles des Cours fédérales confère à la Cour une vaste compétence en ce qui concerne les déclarations. Les déclarations demandées en l’espèce visent l’incitatrice, qui est aussi la co-contrefactrice.

    [72]  Comme l’a déclaré Simplot à l’audience, une mise en cause ne doit pas être présentée en vase clos, et la responsabilité dont il est question dans la mise en cause en l’espèce est celle d’Elea à l’égard de l’incitation à la contrefaçon du brevet 841. Même si la mise en cause doit être une procédure indépendante, elle doit être examinée dans le contexte de l’action de McCain; autrement dit, il est toujours possible de tenir compte de l’action principale (Canada (Procureur général) c Gottfriedson, 2014 CAF 55, au par. 34). Bien que la protonotaire ne l’ait pas mentionné explicitement, la mise en cause en l’espèce fait partie intégrante d’une action en contrefaçon de brevet qui relève de la compétence de la Cour, conformément à l’article 20 de la Loi sur les Cours fédérales.

    [73]  Il doit y avoir plus qu’une parcelle d’action valable (Merck & Co., Inc. c Nu-Pharm Inc., 2001 CFPI 790, au par. 28). En l’espèce, les rapports entre les parties révèlent une action en contrefaçon de brevet associée à une réclamation fondée sur l’incitation.

    [74]  Le libellé du contrat montre, en outre, que les déclarations visées aux paragraphes 1e) et 1f) ont une chance raisonnable de succès. À la clause 17 du contrat, Elea déclare qu’elle s’engage [traduction] « à défendre, à dégager de toute responsabilité et à indemniser Simplot » pour toute contrefaçon de brevet découlant des travaux, qui s’entendent notamment, au sens de la clause 1.3, de [traduction] « tous […] services, matériaux, biens, produits consomptibles, équipements […] ». La réparation demandée aux paragraphes 1e) et 1f) est fondée sur ce libellé, et je conclus que la protonotaire a eu raison de conclure que ces déclarations ont une chance raisonnable de succès.

    VI.  Conclusions relatives à la première requête (l’appel de McCain)

    [75]  L’appel est accueilli en partie :

    • a) les termes « explicitement et/ou » sont radiés du paragraphe 17b) de la défense et demande reconventionnelle modifiée, et l’autorisation de modifier la défense et demande reconventionnelle modifiée afin de corriger cette erreur est accordée;

    • b) les paragraphes 1a) et 1b) de la mise en cause sont radiés, et l’autorisation de déposer une mise en cause modifiée est accordée.

    VII.  Les questions en litige soulevées par la deuxième requête (la requête d’Elea en radiation ou en suspension de la mise en cause)

    VIII.  Analyse de la deuxième requête (la requête d’Elea en radiation ou en suspension de la mise en cause)

    [76]  Avant d’examiner les arguments d’Elea à l’appui de sa requête en radiation ou en suspension de la mise en cause, qui sont en grande partie fondés sur la compétence, il est utile de se pencher sur les règles de droit relatives à la radiation des actes de procédure. Une réclamation ne doit avoir aucune possibilité raisonnable de succès pour qu’elle puisse être radiée. Si la requête en radiation invoque un défaut de compétence, celui-ci doit être évident et manifeste pour justifier la radiation de l’acte de procédure (Farmobile, LLC c Farmers Edge Inc., 2018 CF 1269, au par. 5).

    [77]  Gardant ces principes à l’esprit, et pour les raisons qui suivent, je rejetterai la requête en radiation de la mise en cause présentée par Elea, sauf pour ce qui est des paragraphes 1a) et 1b) de la mise en cause, que j’ai déjà radiés dans ma décision sur l’appel de McCain ci-dessus.

    1)  Les paragraphes 1a) et 1b) de la mise en cause révèlent-ils des causes d’action raisonnables?

    [78]  Cette question en litige recoupe la première requête. Elea affirme que Simplot n’a pas réussi à démontrer que la Cour a compétence pour accorder les déclarations demandées aux paragraphes 1a) et 1b) de la mise en cause et soutient également qu’elles n’ont aucune chance raisonnable de succès.

    [79]  Les décisions Innotech et Nintendo indiquent clairement que l’octroi d’une licence et l’acquiescement sont des moyens de défense qui ne peuvent être utilisés comme causes d’action. Pour les motifs exposés aux paragraphes [52] à [55], je conclus que les allégations présentées aux paragraphes 1a) et 1b) ne peuvent être invoquées comme causes d’action. Comme je l’ai déjà conclu, les allégations qui s’y rapportent dans la mise en cause devraient être radiées, et Simplot a été autorisé à déposer une mise en cause modifiée.

    2)  La Cour a-t-elle compétence pour accorder la réparation demandée aux paragraphes 1c) à 1f) de la mise en cause contre Elea?

    [80]  Elea soutient que la Cour n’a pas la compétence légale pour trancher les questions relatives à l’indemnisation contractuelle soulevées aux paragraphes 1c) à f) de la mise en cause. Tout comme celui de McCain dans la première requête, l’argument d’Elea s’appuie sur le critère à trois volets établi dans l’arrêt ITO pour affirmer que la Cour n’a pas compétence sur les questions liées au droit des contrats. Subsidiairement, Elea soulève la question de l’épée et du bouclier relativement aux déclarations portant sur l’indemnisation demandées dans la mise en cause.  

    [81]  Simplot laisse entendre qu’elle présente une réclamation fondée sur l’incitation contre Elea, puisque celle-ci s’est engagée à l’indemniser. La Cour entend souvent des allégations d’incitation, et Simplot affirme que les agissements d’Elea satisfont au critère pour établir qu’il y a eu incitation à la contrefaçon de brevet.

    [82]  J’ai traité cette question ci-dessus dans le cadre de la première requête, et j’ai conclu que la protonotaire n’avait pas commis d’erreur en concluant que les questions liées à l’incitation, à l’indemnisation et à l’indemnité contractuelle étaient accessoires à l’action en contrefaçon de brevet. Il n’est pas évident ni manifeste que ces questions ne sont pas visées par les articles 193 et 194 des Règles des Cours fédérales.

    [83]  Elea soulève de nouveaux arguments, mais ceux-ci n’ont aucune incidence sur l’analyse. Par exemple, Simplot a distingué les faits de l’affaire Burns Foods (1985) Ltd. c Maple Lodge Farms Ltd., [1994] ACF no 1692 (CF 1re inst.) [Burns Foods], sur laquelle Elea s’appuie, dans laquelle la mise en cause visant à obtenir une simple indemnité de la part du fournisseur a été rejetée. La réparation demandée contre Elea en l’espèce est plus qu’une simple indemnité de la part du fournisseur; elle vise une allégation d’incitation à la contrefaçon de brevet par l’entremise de transactions commerciales et une indemnisation découlant de cette incitation. En outre, les règles relatives aux mises en cause ont été élargies depuis la décision Burns Foods.

    [84]  Je souscris aux réponses de Simplot à la requête d’Elea : l’incitation peut se produire lorsqu’une personne fait activement la promotion d’un produit contrefait ou lorsqu’une partie s’engage à en indemniser une autre. Le contrat constitue peut-être simplement une preuve de l’incitation (voir la décision Calgon). Il y a une chance raisonnable de succès en ce qui concerne la réparation demandée aux paragraphes 1c) à 1f), et il n’est pas évident ni manifeste que les questions liées à l’incitation et à l’indemnisation ne relèvent pas de la compétence légale de la Cour.

    3)  La mise en cause devrait-elle être radiée pour cause d’absence de compétence simpliciter?

    [85]  À titre d’argument subsidiaire, Elea affirme que la Cour n’a pas compétence simpliciter à l’égard de la mise en cause dans son ensemble (c.-à-d. les paragraphes 1a) à f)), parce qu’il n’y a pas de « lien réel et substantiel » entre le Canada et l’objet de la poursuite en l’espèce. Elea énumère plusieurs facteurs pour démontrer l’absence de lien avec le Canada, notamment les suivants :

    • Elea n’est pas domiciliée au Canada ni résidente du Canada;
    • Elea n’a pas mené, et n’a jamais mené, d’activités commerciales au Canada;
    • Elea ne s’est pas soumise à la compétence de la Cour.

    [86]  À la lumière de ces facteurs, Elea laisse entendre que la mise en cause n’atteint pas le seuil minimum de la compétence simpliciter.

    [87]  Simplot rejette cet argument, faisant remarquer que l’entente conclue entre Simplot et Elea était rattachée au Canada de plusieurs façons. Simplot a par la suite indiqué que ces facteurs de rattachement liés à l’entente n’étaient pas nécessaires, étant donné qu’Elea l’avait incitée à contrefaire un brevet canadien, [traduction] « ce qui donne lieu à une réclamation que seul un tribunal canadien peut examiner ».

    [88]  Le critère ne tient pas à la question de savoir si la Cour a compétence à l’égard du contrat, mais plutôt s’il existe un lien réel et substantiel entre l’objet de la mise en cause et le Canada. Je suis d’accord avec Simplot pour dire qu’Elea n’a pas démontré l’absence de lien réel et substantiel avec le Canada. Les parties sont devant la Cour au Canada, parce qu’une action en contrefaçon d’un brevet canadien a été intentée par McCain contre Simplot et que Simplot invoque le fait qu’Elea s’est engagée à l’indemniser. Voici quelques autres facteurs qui appuient l’existence d’un lien réel et substantiel :

    • Simplot Canada était partie à l’entente;

    • L’entente prévoyait la fourniture d’une machine de traitement par CEP destinée à être utilisée au Canada;

    • Un [traduction] « dernier essai d’acceptation » devait être effectué à l’usine de Simplot à Portage la Prairie avant que Simplot ne remette à Elea un [traduction] « avis d’acceptation »;

    • Jim Kinsella, directeur du service d’ingénierie d’Elea, s’est rendu à l’usine au Manitoba pour participer aux activités [traduction] « d’installation, de supervision, de consultation et de formation »;

    • La mise en cause porte sur l’incitation à la contrefaçon d’un brevet canadien et sur l’indemnisation à cet égard, et l’existence d’un lien réel et substantiel dans l’action principale n’est pas contestée;

    • Aucun autre tribunal ne se penchera sur la contrefaçon du brevet canadien, comme l’a confirmé la preuve d’expert présentée dans le cadre de cette requête.

    [89]  Bien qu’Elea souligne qu’elle [traduction] « ne s’est pas soumise à » la compétence des tribunaux canadiens, il s’agit d’un facteur neutre dans la présente analyse, étant donné que l’existence d’un « lien réel et substantiel » est souvent invoquée à titre subsidiaire comme motif de compétence dans les cas où le défendeur ne s’est pas soumis à la compétence du tribunal (p. ex. Siemens Canada Limited c J.D. Irving Limited, 2012 CAF 225, au par. 36). Elea semble le reconnaître au paragraphe 17 de son avis de requête. Pour ces motifs, il n’est pas évident ni manifeste qu’il n’y a aucun lien réel et substantiel avec le Canada. Par conséquent, la requête en radiation d’Elea pour ce motif doit être rejetée.

    4)  La mise en cause devrait-elle être suspendue ou rejetée sur le fondement de la doctrine du forum non conveniens?

    [90]  La prochaine question en litige soulevée par Elea est fondée sur un argument relatif à la doctrine du forum non conveniens. Elea affirme que, même si la Cour a compétence en raison de l’existence d’un lien réel et substantiel, comme je l’ai conclu, il existe un ressort plus approprié pour trancher la question. Dans son argument relatif à la doctrine du forum non conveniens, Elea fait valoir qu’il serait préférable d’intenter la poursuite en Allemagne ou dans l’État de l’Idaho, aux États-Unis.

    [91]  Elea préfère l’Allemagne, parce que le contrat a été négocié en Allemagne. D’ailleurs, la clause 29.2 stipule que le contrat est régi par le droit allemand. En outre, Simplot soutient que, parce qu’elle a pris possession des biens en Allemagne et pour éviter que des décisions contradictoires soient rendues, l’Allemagne est le ressort le plus approprié. Subsidiairement, Elea propose l’Idaho comme ressort approprié. L’une des sociétés Simplot a son siège social en Idaho, et un litige est en cours dans cet État, qui met en jeu des questions contractuelles semblables à celles qui sont soulevées dans la mise en cause en l’espèce.

    [92]  Elea cite l’avis de la Cour suprême du Canada selon lequel l’analyse relative au forum non conveniens peut « atténuer toute rigidité potentielle des règles régissant la déclaration de compétence » et contribue à « permett[re] un équilibre entre l’ordre et l’équité » (Haaretz.com c. Goldhar, 2018 CSC 28, au par. 32). Elea énumère ensuite les facteurs établis dans trois arrêts de la Cour suprême du Canada portant sur la question du forum non conveniens et souligne que les facteurs à appliquer dépendent des faits de l’affaire.

    [93]  En revanche, Simplot indique que la Cour fédérale est le forum le plus approprié. L’Allemagne et l’Idaho n’examineront pas les questions liées à la contrefaçon du brevet canadien 841, y compris la contrefaçon de brevet. Par exemple, Simplot a joint des affidavits dans lesquels des experts expliquent que la cour de district de l’Idaho ne se penchera pas sur la responsabilité d’Elea à l’égard des questions liées à la contrefaçon du brevet canadien. En outre, Simplot souligne que le litige en cours en Idaho vise en fait des entités différentes de Simplot. Pour ces motifs, Simplot affirme qu’Elea n’a pas satisfait au critère pour l’application exceptionnelle de la doctrine du forum non conveniens. Aucun autre pays n’est mieux placé pour trancher les questions en litige.

    [94]  Encore une fois, je souscris à l’argument de Simplot, qui est le même que celui qu’elle a formulé sur la question de la compétence simpliciter, selon lequel les facteurs qui militent en faveur de l’Allemagne, de l’Idaho et du Canada ne sont pas pertinents compte tenu du fait que l’Allemagne et l’Idaho ne peuvent pas entendre les questions de droit canadien des brevets liées au brevet 841. En outre, comme le souligne Simplot, Elea n’a pas tenu compte de la commodité et des coûts pour les parties nord-américaines en soutenant que les réclamations liées à l’indemnisation et à l’incitation devraient être entendues en Allemagne.

    [95]  Comme l’a souligné la protonotaire dans sa décision, si des problèmes surviennent, les parties peuvent convenir de tenir l’ensemble des interrogatoires préalables dans un lieu central ou même à l’endroit où les déposants résident.

    [96]  De plus, la doctrine du forum non conveniens ne s’applique que dans des circonstances exceptionnelles. Même si le fait de permettre que la mise en cause soit entendue au Canada pourrait faire en sorte que le contrat de 2013 conclu entre Elea et Simplot soit interprété par plusieurs tribunaux, la mise en cause doit être examinée au Canada pour qu’il soit possible de prendre en compte l’incitation et l’indemnisation dans le cadre de l’action intentée en vertu du droit canadien des brevets. Il ne s’agit pas de circonstances exceptionnelles où il serait injuste de procéder devant un tribunal canadien.

    [97]  Par conséquent, je suis convaincue qu’il n’est pas évident ni manifeste qu’il existe un forum plus approprié pour trancher les questions soulevées dans la mise en cause.

    5)  La mise en cause devrait-elle être radiée ou suspendue en attendant l’issue de l’action principale?

    [98]  Dans le cadre de la dernière question en litige soulevée par la requête d’Elea, Elea soutient que l’affaire devrait être rejetée ou suspendue jusqu’à ce qu’une conclusion soit tirée quant à la validité ou à la contrefaçon du brevet, qui pourrait entraîner la responsabilité d’Elea en vertu de la clause d’indemnisation. Elea estime que la mise en cause est spéculative et prématurée et affirme que la décision relative à la demande d’indemnisation dépend d’abord du respect d’un grand nombre de conditions (c.-à-d. le brevet doit être valide, le brevet doit avoir été contrefait, Simplot doit être condamné à verser des dommages-intérêts et Simplot doit présenter une demande d’indemnisation à Elea).

    [99]  Selon Simplot, il n’est pas nécessaire d’attendre la conclusion concernant la contrefaçon avant de déposer une mise en cause au titre des articles 193 et 194 des Règles des Cours fédérales. Il n’est pas impossible de présenter une mise en cause avant que la responsabilité soit établie dans l’action principale. Simplot fait également valoir qu’elle subirait un préjudice si la mise en cause était reportée, car elle ne bénéficierait pas de l’interrogatoire préalable d’Elea et devrait attendre des années pour régler la question des obligations d’Elea envers elle en ce qui a trait à la contribution ou à l’indemnisation, malgré l’existence du contrat.

    [100]  L’argument d’Elea sur le fait d’attendre pour déposer la mise en cause va à l’encontre de l’objectif même de ce type de procédure. Lorsque l’article 194 des Règles des Cours fédérales a été adopté en 1998, la règle qu’il énonce était considérée être « de portée beaucoup plus large que la précédente » et a permis d’accroître la portée de la procédure de mise en cause (Merck, précitée, au par. 20). Les mises en cause peuvent lier des tiers de façon à permettre « d’éviter le dédoublement ou la remise en litige » des questions (Alberta c Canada, 2018 CAF 83, au par. 66). Dans son argument relatif au forum non conveniens, au paragraphe 79, Elea a soutenu que le dédoublement des litiges était un facteur négatif, alors qu’elle préconise le dédoublement aux paragraphes 82 à 85 de son argument sur le caractère prématuré.

    [101]  L’argument d’Elea ne peut être retenu. Je ne souscris pas à l’argument d’Elea selon lequel la réclamation fondée sur l’indemnisation devrait être suspendue ou rejetée au seul motif qu’elle est assujettie à des [traduction] « conditions préalables ». Une mise en cause pour indemnisation dépend souvent d’une conclusion de responsabilité dans l’action principale. En outre, certaines des [traduction] « conditions préalables » alléguées en l’espèce sont plutôt artificielles, notamment le fait que e) Simplot doit demander à être payée et f) Elea doit refuser de payer Simplot. Les interactions antérieures entre Simplot et Elea montrent qu’il est presque certain que ces conditions se réaliseront. La meilleure façon d’aborder la question de la responsabilité est par la voie d’une mise en cause pour indemnisation. Cela est conforme à la portée large des mises en cause au titre des articles 193 et 194 des Règles des Cours fédérales, ainsi qu’à la décision Korompay, précitée, dans laquelle la Cour a autorisé que soit déposée une mise en cause pour indemnisation assujettie à des conditions similaires.  

    [102]  Je tiens à souligner que, après que l’affaire a été prise en délibéré, Elea a indiqué qu’elle était prête à présenter d’autres observations concernant le litige devant la cour de district du district de l’Idaho. Elea a indiqué que, le 1er novembre 2019, une requête a été déposée dans cette affaire en vue de diviser et de suspendre les demandes d’indemnisation en attendant l’issue de l’action principale en matière de brevet. Je n’ai pas demandé aux parties de présenter d’autres observations, mais je remercie les avocats d’avoir informé la Cour du changement de circonstances. La Cour n’a pas tenu compte de ce changement dans les présents motifs.

    IX.  Conclusion relative à la deuxième requête (la requête d’Elea en radiation ou en suspension de la mise en cause)

    [103]  Par conséquent, je rejette la requête d’Elea en radiation ou en suspension de la mise en cause.

    X.  Les dépens

    [104]  Les parties ont convenu que les dépens de la première requête (l’appel de McCain à l’encontre de l’ordonnance de la protonotaire) seraient adjugés sous la forme d’un montant forfaitaire de 5 000 $. Un montant global de 5 000 $ sera donc accordé à Simplot, qui a généralement eu gain de cause en appel, à l’exception des deux points mineurs mentionnés ci-dessus, pour lesquels j’ai fait droit à l’appel.

    [105]  En ce qui concerne l’adjudication des dépens pour la requête en radiation de la mise en cause, les parties ont informé le tribunal qu’elles étaient parvenues à une entente partielle selon laquelle la ou les parties ayant gain de cause se verraient adjuger un montant forfaitaire de 4 400 $ pour les honoraires. Les parties ne se sont pas entendues sur les débours ni sur l’application de la TVH aux débours.

    [106]  Des observations écrites ont été fournies par Elea et Simplot concernant les aspects non réglés de la question. Le désaccord concerne les deux experts étrangers embauchés par Elea qui ont donné des avis à l’égard de la doctrine du forum non conveniens et du droit allemand. En outre, il y avait un problème concernant la demande de remboursement de la TVH.

    [107]  Comme Elea n’a pas eu gain de cause, je n’ai pas besoin de trancher la question. Je condamne Elea à verser à Simplot un montant forfaitaire de 4 400 $ au titre des honoraires, et les débours sont adjugés conformément au mémoire des frais déposé par Simplot.


    ORDONNANCE dans le dossier T-1624-17

    LA COUR ORDONNE :

    1. L’appel de McCain est accueilli en partie :

    a) les termes « explicitement et/ou » sont radiés du paragraphe 17b) de la défense et demande reconventionnelle modifiée, et l’autorisation de modifier la défense et demande reconventionnelle modifiée est accordée;

    b) les paragraphes 1a) et 1b) de la mise en cause sont radiés, et l’autorisation de les modifier est accordée.

    1. Des dépens d’un montant forfaitaire de 5 000 $, y compris les honoraires, les taxes et les débours, doivent être payés immédiatement à Simplot par McCain.
    2. La requête d’Elea est rejetée.
    3. Des dépens d’un montant forfaitaire de 4 400 $, ainsi que les débours établis dans le mémoire des frais, doivent être payés immédiatement à Simplot par Elea.

    « Glennys L. McVeigh »

    Juge

    Traduction certifiée conforme

    Ce 10e jour de février 2020.

    Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.


    Annexe A – Dispositions législatives applicables

    Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4

    Contrefaçon et recours

    55 (1) Quiconque contrefait un brevet est responsable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui-ci du dommage que cette contrefaçon leur a fait subir après l’octroi du brevet.

    Indemnité raisonnable 

    55(2) Est responsable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui-ci, à concurrence d’une indemnité raisonnable, quiconque accomplit un acte leur faisant subir un dommage entre la date à laquelle la demande de brevet est devenue accessible au public sous le régime de l’article 10 et l’octroi du brevet, dans le cas où cet acte aurait constitué une contrefaçon si le brevet avait été octroyé à la date où cette demande est ainsi devenue accessible.

    Partie à l’action

    55(3) Sauf disposition expresse contraire, le breveté est, ou est constitué, partie à tout recours fondé sur les paragraphes (1) ou (2).

    Assimilation à une action en contrefaçon

    55(4) Pour l’application des autres dispositions du présent article et des articles 54 et 55.01 à 59, le recours visé au paragraphe (2) est réputé être une action en contrefaçon et l’acte sur lequel il se fonde est réputé être un acte de contrefaçon.

    Patent Act RSC 1985 c P-4

    Liability for patent infringement

    55 (1) A person who infringes a patent is liable to the patentee and to all persons claiming under the patentee for all damage sustained by the patentee or by any such person, after the grant of the patent, by reason of the infringement.

    Liability damage before patent is granted

    55(2) A person is liable to pay reasonable compensation to a patentee and to all persons claiming under the patentee for any damage sustained by the patentee or by any of those persons by reason of any act on the part of that person, after the application for the patent became open to public inspection under section 10 and before the grant of the patent, that would have constituted an infringement of the patent if the patent had been granted on the day the application became open to public inspection under that section.

    Patentee to be a party

    55(3) Unless otherwise expressly provided, the patentee shall be or be made a party to any proceeding under subsection (1) or (2).

    Deemed action for infringement

    55(4) For the purposes of this section and sections 54 and 55.01 to 59, any proceeding under subsection (2) is deemed to be an action for the infringement of a patent and the act on which that proceeding is based is deemed to be an act of infringement of the patent.

    Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7

    Propriété industrielle : compétence exclusive

    20 (1) La Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, dans les cas suivants opposant notamment des administrés :

    a) conflit des demandes de brevet d’invention ou de certificat de protection supplémentaire sous le régime de la Loi sur les brevets, ou d’enregistrement d’un droit d’auteur, d’une marque de commerce, d’un dessin industriel ou d’une topographie au sens de la Loi sur les topographies de circuits intégrés;

    b) tentative d’invalidation ou d’annulation d’un brevet d’invention ou d’un certificat de protection supplémentaire délivré sous le régime de la Loi sur les brevets, ou tentative d’inscription, de radiation ou de modification dans un registre de droits d’auteur, de marques de commerce, de dessins industriels ou de topographies visées à l’alinéa a).

    Propriété industrielle : compétence concurrente

    (2) Elle a compétence concurrente dans tous les autres cas de recours sous le régime d’une loi fédérale ou de toute autre règle de droit non visés par le paragraphe (1) relativement à un brevet d’invention, à un certificat de protection supplémentaire délivré sous le régime de la Loi sur les brevets, à un droit d’auteur, à une marque de commerce, à un dessin industriel ou à une topographie au sens de la Loi sur les topographies de circuits intégrés.

    Federal Courts Act RSC 1985 c F-7

    Industrial property, exclusive jurisdiction

    20 (1) The Federal Court has exclusive original jurisdiction, between subject and subject as well as otherwise,

    (a) in all cases of conflicting applications for any patent of invention or for any certificate of supplementary protection under the Patent Act, or for the registration of any copyright, trademark, industrial design or topography within the meaning of the Integrated Circuit Topography Act; and

    (b) in all cases in which it is sought to impeach or annul any patent of invention or any certificate of supplementary protection issued under the Patent Act, or to have any entry in any register of copyrights, trademarks, industrial designs or topographies referred to in paragraph (a) made, expunged, varied or rectified.

    Industrial property, concurrent jurisdiction

    (2) The Federal Court has concurrent jurisdiction in all cases, other than those mentioned in subsection (1), in which a remedy is sought under the authority of an Act of Parliament or at law or in equity respecting any patent of invention, certificate of supplementary protection issued under the Patent Act, copyright, trademark, industrial design or topography referred to in paragraph (1)(a).

    Règles des Cours fédérales SOR/98-106

    Modifications avec autorisation

    75 (1) Sous réserve du paragraphe (2) et de la règle 76, la Cour peut à tout moment, sur requête, autoriser une partie à modifier un document, aux conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties.

    Conditions

    75(2) L’autorisation visée au paragraphe (1) ne peut être accordée pendant ou après une audience que si, selon le cas :

    a) l’objet de la modification est de faire concorder le document avec les questions en litige à l’audience;

    b) une nouvelle audience est ordonnée;

    c) les autres parties se voient accorder l’occasion de prendre les mesures préparatoires nécessaires pour donner suite aux prétentions nouvelles ou révisées.

    Autorisation de modifier

    76 Un document peut être modifié pour l’un des motifs suivants avec l’autorisation de la Cour, sauf lorsqu’il en résulterait un préjudice à une partie qui ne pourrait être réparé au moyen de dépens ou par un ajournement :

    a) corriger le nom d’une partie, si la Cour est convaincue qu’il s’agit d’une erreur qui ne jette pas un doute raisonnable sur l’identité de la partie;

    b) changer la qualité en laquelle la partie introduit l’instance, dans le cas où elle aurait pu introduire l’instance en cette nouvelle qualité à la date du début de celle-ci.

    Réclamation contre une tierce partie

    Tierces parties

    193 Un défendeur peut mettre en cause un codéfendeur ou toute personne qui n’est pas partie à l’action et dont il prétend qu’ils ont ou peuvent avoir une obligation envers lui à l’égard de tout ou partie de la réclamation du demandeur.

    Autorisation de la Cour

    194 Un défendeur peut, avec l’autorisation de la Cour, mettre en cause une personne — qu’elle soit ou non un codéfendeur dans l’action — dont il prétend :

    a) soit qu’elle lui est ou peut lui être redevable d’une réparation, autre que celle visée à la règle 193, liée à l’objet de l’action;

    b) soit qu’elle devrait être liée par la décision sur toute question en litige entre lui et le demandeur.

    Federal Courts Rules SOR/98-106

    Amendments with leave

    75 (1) Subject to subsection (2) and rule 76, the Court may, on motion, at any time, allow a party to amend a document, on such terms as will protect the rights of all parties.

    Limitation

    (2) No amendment shall be allowed under subsection (1) during or after a hearing unless

    (a) the purpose is to make the document accord with the issues at the hearing;

    (b) a new hearing is ordered; or

    (c) the other parties are given an opportunity for any preparation necessary to meet any new or amended allegations.

    Leave to amend

    76 With leave of the Court, an amendment may be made

    (a) to correct the name of a party, if the Court is satisfied that the mistake sought to be corrected was not such as to cause a reasonable doubt as to the identity of the party, or

    (b) to alter the capacity in which a party is bringing a proceeding, if the party could have commenced the proceeding in its altered capacity at the date of commencement of the proceeding,

    unless to do so would result in prejudice to a party that would not be compensable by costs or an adjournment.

    Third Party Claims

    Availability as of right

    193 A defendant may commence a third party claim against a co-defendant, or against a person who is not a party to the action, who the defendant claims is or may be liable to the defendant for all or part of the plaintiff’s claim.

    Where leave of Court required

    194 With leave of the Court, a defendant may commence a third party claim against a co-defendant, or against another person who is not a defendant to the action, who the defendant claims

    (a) is or may be liable to the defendant for relief, other than that referred to in rule 193, relating to the subject-matter of the action; or

    (b) should be bound by the determination of an issue between the plaintiff and the defendant.

     


    COUR FÉDÉRALE

    AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


    DOSSIER :

    T-1624-17

     

    INTITULÉ :

    MCCAIN FOODS LIMITED c J.R. SIMPLOT COMPANY ET SIMPLOT CANADA (II) LIMITED ET ELEA VERTRIEBS-UND-VERMARKTUNGSGESELLSCHAFT, MBH

     

    LIEU DE L’AUDIENCE :

    Toronto (Ontario)

     

    DATE DE L’AUDIENCE :

    LE 9 OCTOBRE 2019

     

    ORDONNANCE ET MOTIFS :

    LA JUGE MCVEIGH

     

    DATE DES MOTIFS :

    LE 18 DÉcembRE 2019

    COMPARUTIONS :

    Mark E. Davis

    Chelsea Nimmo

    POUR LA DEMANDERESSE,

    MCCAIN FOODS LIMITED

    Steven Garland

    Daniel Hnatchuk

     

    POUR LA DÉFENDERESSE,

    J.R. SIMPLOT COMPANY ET SIMPLOT CANADA (II) LIMITED

    Jason Markwell

    POUR LA MISE EN CAUSE,

    ELEA VERTRIEBS-UND-VERMARKTUNGSGESELLSCHAFT, MBH

    AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

    NORTON ROSE FULBRIGHT

    Toronto (Ontario)

    POUR LA DEMANDERESSE,

    MCCAIN FOODS LIMITED

    SMART-BIGGAR

    Toronto (Ontario)

    POUR LA DÉFENDERESSE,

    J.R. SIMPLOT COMPANY ET SIMPLOT CANADA (II) LIMITED

    BELMORE NEIDRAUER, LLP

    Toronto (Ontario)

    POUR LA MISE EN CAUSE,

    ELEA VERTRIEBS-UND-VERMARKTUNGSGESELLSCHAFT, MBH

     

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