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Date : 20050401

Dossier : IMM-1868-04

Référence : 2005 CF 437

Ottawa (Ontario), le 1er avril 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY    

ENTRE :

                                                                    RITH KIM

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                M. Rith Kim est un ressortissant cambodgien de 33 ans qui est arrivé au Canada à l'âge de 12 ans. Il n'a jamais obtenu la qualité de réfugié au Canada, mais le bureau du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR) l'a accepté à titre de réfugié protégé. Sa famille s'est réétablie ici en 1984, à titre de résidents permanents sélectionnés dans le cadre de la catégorie désignée d'Indochinois, un programme en vigueur de 1978 à 1997 visant à faciliter le réétablissement des « réfugiés de la mer » de l'Asie-du Sud-Est, qui fuyaient les conflits au Cambodge, au Laos et au Vietnam. M. Kim n'a jamais obtenu la citoyenneté canadienne.

[2]                M. Kim a été reconnu coupable au Canada de plusieurs infractions criminelles et a reçu une peine d'emprisonnement de cinq années et demie (peines concurrentes) en 1997. En décembre 1997, le Ministre a déclaré qu'il constituait un danger pour la sécurité publique en vertu du paragraphe 70(5) et de l'article 46 de l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985 ch. I-2. Une mesure d'expulsion a été rendue contre lui en mars 1998, mais il était en prison à l'époque.

[3]                Ayant fini de purger sa peine en 2003, M. Kim a présenté une demande d'examen des risques avant renvoi (ERAR) aux termes du paragraphe 112(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 [LIPR]. Il a prétendu que, du fait qu'il était un ancien criminel, il risquait l'emprisonnement, la torture et de mauvais traitements au Cambodge.

LA DÉCISION DE L'AGENTE

[4]                L'agente d'ERAR a examiné la demande uniquement aux termes de l'article 97 de la LIPR, en raison de l'application de l'alinéa 112(3)b) :

112(3) L'asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :

112(3) Refugee protection may not result from an application for protection if the person

(b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada punie par un emprisonnement d'au moins deux ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l'extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans;

b) is determined to be inadmissible on grounds of serious criminality with respect to a conviction in Canada punished by a term of imprisonment of at least two years or with respect to a conviction outside Canada for an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years;

De plus, l'agente a décidé de ne pas tenir compte de facteurs d'ordre humanitaire puisque, à son avis, l'examen de tels facteurs ne relevait pas du mandat d'un ERAR.

[5]                L'agente a conclu que, selon la prépondérance de la preuve, il était peu probable que M. Kim soit exposé à la violence de la foule ou soit mal traité par des forces policières ou de sécurité. Elle estimait qu'il n'y avait pas suffisamment de preuves que les autorités cambodgiennes s'intéressaient au demandeur.

[6]                Par conséquent, l'agente a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment de preuves que le demandeur serait exposé soit au risque, compte tenu de motifs sérieux de le croire, d'être soumis à la torture, soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.


QUESTIONS

[7]                Les parties ont débattu des questions suivantes :

1.         L'agente d'ERAR a-t-elle commis une erreur en décidant que M. Kim n'était pas visé par le paragraphe 115(1) de la LIPR et qu'elle était compétente pour effectuer l'examen?

2.          L'agente d'ERAR a-t-elle commis une erreur en appliquant une norme judiciaire incorrecte dans son examen des risques?

3.          L'agente d'ERAR a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte d'éléments de preuve probants?

4.          L'agente d'ERAR a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de facteurs d'ordre humanitaire liés à la situation du demandeur lorsqu'elle a examiné si M. Kim serait exposé à des traitements cruels et inusités à la suite de son renvoi?

5.          L'agente d'ERAR a-t-elle commis une erreur en omettant d'examiner le cas et de rendre une décision aux termes de l'article 25 de la LIPR?

NORME DE CONTRÔLE


[8]                Jusqu'à présent, il n'y a pas eu de décision exhaustive précisant la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux différents éléments des décisions rendues par les agents d'ERAR, conformément à la méthode pragmatique et fonctionnelle. L'intention du législateur pour ce qui est de la retenue judiciaire dont doivent faire preuve les cours à l'égard des décisions des tribunaux administratifs est une question centrale en l'espèce : Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982.

[9]                Dans le cadre des contrôles judiciaires, il faut tenir compte de quatre facteurs pour chacune des questions en litige : la présence ou l'absence dans la loi d'une clause privative ou d'un droit d'appel; l'objet de la loi dans son ensemble et des dispositions particulières en cause; la nature de la question - de droit, de fait ou mixte de fait et de droit; et l'expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur les questions en litige : Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247; Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226.

1.          Droit d'appel ou clause privative


[10]            La loi ne prévoit pas de droit d'appel visant les décisions des agents d'ERAR. De plus, elle ne renferme pas de clause limitative ou privative. Au contraire, il est prévu de manière précise que les mesures prises en vertu de la LIPR sont assujetties au contrôle judiciaire de la Cour. Toutefois, la LIPR impose un obstacle additionnel, soit l'obligation de déposer une demande d'autorisation :

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure - décision, ordonnance, question ou affaire - prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d'une demande d'autorisation.

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter - a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised - under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

Par conséquent, un certain degré de surveillance judiciaire est envisagé, mais pas un véritable appel. Dans l'ensemble, le présent facteur n'est pas décisif.

2.          Objet de la loi et des dispositions en litige

[11]       Dans la plupart des cas, la décision relative à un ERAR tiendra compte, dans une large mesure, des mêmes facteurs qui sont examinés dans une détermination de la qualité de réfugié. L'objet de la loi en question dans son ensemble est exposé à l'article 3 de la LIPR; l'objet des dispositions visant l'ERAR, dans la mesure où elles sont liées à la détermination de la qualité de réfugié, est abordé en particulier au paragraphe 3(2) :

(2) S'agissant des réfugiés, la présente loi a pour objet :

3(2) The objectives of this Act with respect to refugees are

a) de reconnaître que le programme pour les réfugiés vise avant tout à sauver des vies et à protéger les personnes de la persécution;

(a) to recognize that the refugee program is in the first instance about saving lives and offering protection to the displaced and persecuted;

b) de remplir les obligations en droit international du Canada relatives aux réfugiés et aux personnes déplacées et d'affirmer la volonté du Canada de participer aux efforts de la communauté internationale pour venir en aide aux personnes qui doivent se réinstaller;

(b) to fulfil Canada's international legal obligations with respect to refugees and affirm Canada's commitment to international efforts to provide assistance to those in need of resettlement;

c) de faire bénéficier ceux qui fuient la persécution d'une procédure équitable reflétant les idéaux humanitaires du Canada;

c) to grant, as a fundamental expression of Canada's humanitarian ideals, fair consideration to those who come to Canada claiming persecution;

d) d'offrir l'asile à ceux qui craignent avec raison d'être persécutés du fait de leur race, leur religion, leur nationalité, leurs opinions politiques, leur appartenance à un groupe social en particulier, ainsi qu'à ceux qui risquent la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités;

(d) to offer safe haven to persons with a well-founded fear of persecution based on race, religion, nationality, political opinion or membership in a particular social group, as well as those at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment;

e) de mettre en place une procédure équitable et efficace qui soit respectueuse, d'une part, de l'intégrité du processus canadien d'asile et, d'autre part, des droits et des libertés fondamentales reconnus à tout être humain;

(e) to establish fair and efficient procedures that will maintain the integrity of the Canadian refugee protection system, while upholding Canada's respect for the human rights and fundamental freedoms of all human beings;

f) d'encourager l'autonomie et le bien-être socio-économique des réfugiés en facilitant la réunification de leurs familles au Canada;

(f) to support the self-sufficiency and the social and economic well-being of refugees by facilitating reunification with their family members in Canada;

g) de protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité

(g) to protect the health and safety of Canadians and to maintain the security of Canadian society; and

h) de promouvoir, à l'échelle internationale, la sécurité et la justice par l'interdiction du territoire aux personnes et demandeurs d'asile qui sont de grands criminels ou constituent un danger pour la sécurité.

(h) to promote international justice and security by denying access to Canadian territory to persons, including refugee claimants, who are security risks or serious criminals.

[12]            Toutefois, pour ce qui est de M. Kim, l'asile ne peut lui être conféré en raison de l'application de l'alinéa 112(3)b). Par conséquent, seuls les objets spécifiquement liés aux personnes protégées s'appliquent à la présente décision relative à l'ERAR.

[13]         En fin de compte, l'obligation d'effectuer une analyse d'ERAR a pour objet d'honorer les obligations internationales du Canada en vertu de la Convention contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants. Compte tenu de ce contexte précis, je conclus que deux objets aux termes des alinéas 3(2)d) et e) ci-dessus sont mis en cause dans la composante « examen des risques » d'une décision relative à l'ERAR : offrir l'asile à ceux qui risquent la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, ainsi que veiller au respect au Canada des droits et libertés fondamentales reconnus à tout être humain.

[14]         Tel que signalé par le juge Martineau dans la décision Umba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 257 F.T.R. 169, dans le contexte des audiences de la Commission de la protection des réfugiés, au paragraphe 25 :

[...] l'établissement de la qualité de « réfugié au sens de la Convention » ou de « personne à protéger » selon les articles 96 et 97 de la Loi répond à des conditions précises qui doivent être établies par le demandeur d'asile. Ainsi, l'application de ces dispositions est directement fonction de la situation personnelle de chaque revendicateur et des conditions particulières du pays visé, et ce, au moment où la demande d'asile ou de protection est présentée à la Commission. En pratique, il est donc clair que la détermination de la qualité de « réfugié » ou de « personne à protéger » ne dépend pas « de la prise en compte de nombreux intérêts simultanément, ni de la réalisation d'un équilibre entre les coûts et les bénéfices pour de nombreuses parties distinctes » . À mon avis, il s'agit ici davantage d'une décision qui établit les droits entre les parties [...] plutôt qu'une décision polycentrique.


Je souscris à cette analyse. Tenir compte de diverses préoccupations en matière de politique ne devrait pas faire partie d'une analyse d'ERAR, pas plus que dans une analyse de la Commission de la protection des réfugiés. Ce facteur milite en faveur d'une moins grande retenue judiciaire.

3.          Nature des questions en litige

[15]            Les questions soulevées dans le présent contrôle judiciaire relèvent de catégories différentes. La première question est de savoir si l'agente d'ERAR était compétente pour procéder à l'examen de la demande de protection présentée par M. Kim. Il s'agit clairement d'une question de droit, tout comme la décision concernant la norme judiciaire applicable, la deuxième question. La troisième question a trait à l'appréciation de la preuve. Il s'agit d'une conclusion de fait. Pour répondre aux quatrième et cinquième questions, il faut décider si une loi particulière s'applique à la situation de M. Kim. Même s'il s'agit en fin de compte d'une question mixte de fait et de droit, il faut d'abord rendre une décision sur la loi en matière de traitement cruel et inusité et sur l'article 25 de la LIPR, avant d'appliquer cette décision préliminaire aux faits constatés.

4.          Expertise du décideur


[16]            L'expertise des agents d'ERAR varie selon la nature de la question examinée. En ce qui concerne la situation qui règne dans les pays visés, on peut affirmer que les agents d'ERAR ont une vaste expertise. Pour chaque demande, ils doivent effectuer une recherche en vue d'évaluer le niveau de protection et d'autres conditions dans les pays visés. Tel que signalé dans le guide de Citoyenneté et Immigration Canada à l'intention des agents d'ERAR, PP-03 « Examen des risques avant renvoi (ERAR) » , au paragraphe 11.02 : « On peut supposer que le_décideur acquerra, avec le temps et l'expérience, d'imposantes connaissances relativement à de nombreux pays » . Ainsi, il faut faire preuve d'une retenue judiciaire importante à l'égard des conclusions sur les conditions dans les pays visés. De plus, en ce qui a trait aux autres faits qu'il faut examiner pour mener à bien l'évaluation, la Cour n'est pas mieux placée que l'agent d'ERAR, et si une entrevue orale est réalisée, on peut avancer que la Cour est moins bien placée pour décider des faits. Il faudrait faire preuve d'une grande retenue judiciaire à l'égard de ce genre d'expertise.

[17]            Par contraste, les agents d'ERAR n'ont pas le même niveau d'expertise que la Cour en ce qui concerne les questions de droit. Bien qu'on donne aux agents une formation sur les textes législatifs pertinents, ils n'ont pas de formation juridique générale et possèdent vraisemblablement des connaissances qui se limitent aux éléments de la LIPR et du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés (RIPR) ayant trait à leurs fonctions. Un niveau de retenue judiciaire plus important s'impose uniquement si le décideur a, pour quelque raison, une plus grande expertise que la cour de révision et si la question en litige a trait à cette expertise supérieure : Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249, paragraphe 50. Ce n'est pas le cas en l'espèce. À mon avis, il faut faire preuve de très peu de retenue judiciaire à l'égard de l'expertise des agents d'ERAR quand il s'agit de questions juridiques telles que la détermination de la compétence ou l'interprétation des points de droit. Enfin, tel que signalé ci-après, j'ai conclu qu'aucun élément de la décision relative à l'ERAR ne relevait de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, si bien qu'aucune retenue judiciaire additionnelle n'est requise à cet égard.


[18]            Lorsqu'il s'agit d'appliquer les lois aux faits, l'agent d'ERAR possède une certaine formation et un peu d'expérience, mais ne possède pas le même niveau d'expertise qu'une cour. Plus particulièrement, en ce qui concerne les questions mixtes de fait et de droit dans le cadre desquelles l'agent a affaire à des lois que sa formation n'a pas abordées et avec lesquelles il a peu d'expérience quotidienne, il faut faire preuve de très peu de retenue judiciaire. Néanmoins, une retenue judiciaire un peu plus grande peut être manifestée dans les cas où l'agent d'ERAR traite de questions mixtes de fait et de droit à l'égard desquelles on peut s'attendre à ce qu'il ait un certain niveau de connaissances, de formation et d'expérience, telles que l'application de la définition juridique de « personne protégée » aux faits d'une cause précise.

[19]            Ayant rassemblé et soupesé tous ces facteurs, je conclus que, dans le cadre du contrôle judiciaire des décisions relatives à l'ERAR, la norme de contrôle applicable aux questions de fait devrait être, de manière générale, celle de la décision manifestement déraisonnable; la norme applicable aux questions mixtes de fait et de droit, celle de la décision raisonnable simpliciter; et la norme applicable aux questions de droit, celle de la décision correcte. Les positions prises par mes collègues concernant d'autres décisions relatives à l'ERAR confirment mes conclusions.

[20]            Dans la décision Tekie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 27, paragraphe 6, le juge Phelan a conclu que :


La norme de contrôle applicable aux conclusions touchant la crédibilité, qui est au coeur de la décision relative à l'ERAR en cause, est la norme de la décision manifestement déraisonnable. En ce qui concerne les conclusions ayant trait à des faits particuliers, l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales établit la norme de la « conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose » .

Dans la décision Figurado c. Canada, 2005 CF 347, paragraphe 51, le juge Martineau a convenu que la norme de contrôle pour les conclusions de fait d'un agent d'ERAR est celle exposée à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, et ses modifications successives. Les conclusions de fait ne doivent pas être tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments à la disposition du tribunal. Cela équivaut à la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable.

[21]            De plus, par le passé, les décisions de la Cour reflètent une concordance des avis sur le point suivant : lorsqu'un agent d'ERAR tranche une question de droit, la norme appropriée est celle de la décision correcte : Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] 3 R.C.F. 323, paragraphe 12 (le juge Russell); Gonulcan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 32 (le juge Teitelbaum).

[22]            Enfin, je signale également l'avis du juge Martineau, selon qui la norme de contrôle appropriée pour la décision d'un agent d'ERAR est celle de la décision raisonnable simpliciter lorsque la décision est examinée [traduction] « globalement et dans son ensemble » , ce qui signifie à mon avis l'application de la loi pertinente aux faits constatés par l'agent : Figurado, précitée.


ARGUMENTATION ET ANALYSE

[23]            À titre de question préalable, M. Kim conteste l'admissibilité de l'affidavit de John R. Butt, un responsable de l'immigration, en invoquant pour motif qu'il renferme un argument juridique. À mon avis, l'affidavit expose l'historique des politiques, pratiques et programmes d'immigration depuis le début des années 1970 et leur état actuel. Les énoncés ne renferment pas d'argument juridique, mais seulement des énoncés au sujet de la loi à diverses époques, d'après l'interprétation de M. Butt. Je suis conscient que M. Butt est un responsable de l'immigration parmi de nombreux autres et qu'il fait part uniquement de son avis et de son interprétation des faits pertinents. Il aurait été préférable de remédier aux préoccupations du demandeur au moyen d'un contre-interrogatoire de l'auteur de l'affidavit (qui n'a pas eu lieu), au lieu de demander l'exclusion du document. L'affidavit est accepté tel que présenté.

1.          Compétence


[24]            Le demandeur prétend que, parce que le HCNUR a conféré la qualité de réfugié protégé à M. Kim, et parce que ce dernier a été accepté à titre de membre de la catégorie désignée d'Indochinois, l'agente d'ERAR aurait dû conclure que M. Kim est une personne visée au paragraphe 115(1) de la LIPR, qui interdit le renvoi d'un réfugié au sens de la Convention ou d'une personne protégée et que, par conséquent, l'agente d'ERAR n'était pas compétente pour examiner la demande.

[25]            D'après l'article 95 de la LIPR, les personnes protégées sont des personnes à qui on a conféré l'asile ou des personnes « en situation semblable » . D'après l'article 12, la sélection d' « une personne en situation semblable » s'effectue conformément à « la tradition humanitaire du Canada à l'égard des personnes déplacées ou persécutées » .   

[26]            Un règlement établi en vertu de l'article 12 de la LIPR a créé la catégorie de personnes de pays d'accueil et la catégorie de personnes de pays source (RIPR, articles 146 et 147). Il s'agit de nouvelles catégories qui n'existaient pas à l'époque où M. Kim est arrivé au Canada. Toutefois, les mêmes principes humanitaires étaient en vigueur en 1984 dans la Loi et le Règlement sur l'immigration aux termes desquels M. Kim a été admis : Loi sur l'immigration, article 6, et Règlement, article 3.

[27]            La définition de réfugié utilisée par le HCNUR est presque identique à celle utilisée dans la Convention sur les réfugiés et la LIPR : Statut du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, 1950, article 6B.


[28]            Même si la catégorie de personnes désignée d'Indochinois a cessé d'exister en 1997, ni le Règlement sur l'immigration ni la LIPR n'ont dissout de manière expresse et rétroactive la reconnaissance de cette catégorie : Loi d'interprétation, article 43; Brosseau    c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301. Les droits en litige sont des droits de la personne fondamentaux, si bien que la présomption qu'il n'y pas eu de changement est encore plus valide : R. c. Mercure, [1988] 1 R.C.S. 234.

[29]            M. Kim fait valoir qu'il n'a jamais perdu sa qualité de personne déplacée et persécutée, si bien qu'il ne peut être renvoyé en vertu du paragraphe 115(1) de la LIPR. On ne l'a pas désigné un danger pour la sécurité publique aux termes du paragraphe 115(2), et aucune décision de ce genre n'avait été rendue précédemment aux termes de l'article 53 de la Loi sur l'immigration : Suresh c. Canada, [2002] 1 R.C.S. 3. Ainsi, l'agente d'ERAR n'avait pas la compétence requise.

[30]            Le défendeur prétend que M. Kim n'est ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne protégée. Il n'est pas à l'abri du refoulement en vertu du paragraphe 115(1) parce qu'il n'est pas reconnu à titre de réfugié par un autre pays et n'est pas une personne protégée en vertu de la LIPR.

[31]            La qualité de réfugié protégé n'est reconnue que par le HCNUR, qui n'est pas un autre pays, mais une organisation internationale. M. Kim est entré au Canada à titre de résident permanent et son inclusion dans la catégorie désignée d'Indochinois n'a jamais été fondée sur sa qualité de réfugié protégé.


[32]            Le défendeur prétend que M. Kim n'est pas une personne protégée en vertu de la LIPR parce qu'il n'a jamais obtenu la qualité de réfugié au sens de la Convention, ici ou dans un autre pays. D'après la formulation du texte législatif, seuls les membres de la catégorie de personnes de pays d'accueil ou de la catégorie de personnes de pays source peuvent être « une personne en situation semblable » : LIPR, article 95; RIPR, articles 146 et 147.

[33]            Les dispositions transitoires du RIPR précisent quelles personnes continueront d'avoir la qualité de réfugiés aux termes de la LIPR : Règlement, article 338. M. Kim ne satisfait pas à la définition d'une personne dont on continuera de reconnaître la qualité de réfugié aux termes de la LIPR. Les membres de la catégorie désignée d'Indochinois étaient exemptés de l'application de l'article 7 de l'ancien Règlement et ne pouvaient pas présenter une demande aux termes de l'article 4 du Règlement sur les catégories précisées pour des motifs d'ordre humanitaire, puisque ce dernier est entré en vigueur en 1997 au même moment où la catégorie désignée d'Indochinois a été abolie.

[34]            Le défendeur prétend que M. Kim n'a pas de droits acquis le protégeant contre le renvoi tout simplement parce qu'il est venu au Canada à titre de membre d'une catégorie désignée pour des motifs d'ordre humanitaire. Il a été admis à titre d'immigrant ayant obtenu le droit d'établissement, et non à titre de réfugié.


[35]            Lorsque M. Kim a commis ses infractions criminelles, il est devenu inadmissible aux termes de l'ancienne Loi sur l'immigration et une mesure d'expulsion a été rendue contre lui. Différentes catégories de personnes sont traitées de manière différente aux termes du régime de la Loi sur l'immigration et, cela est acceptable, fait valoir le défendeur : Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711. Les résidents permanents ne bénéficient pas d'une protection expresse accordée par la loi contre leur renvoi à un État où ils estiment que leur vie ou leur liberté serait menacée : Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, pages 116 et 117; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3.

[36]            Le défendeur fait valoir que, même si on concluait que M. Kim était une personne protégée, il serait tout de même possible de l'expulser aux termes du paragraphe 115(2) de la LIPR.

[37]            D'après le défendeur, l'agente d'ERAR a correctement exercé sa compétence pour ce qui est de décider si une personne qui n'est pas protégée par les dispositions de non-refoulement pourrait néanmoins être exposée à des risques à la suite de son renvoi du Canada. La situation d'une personne ayant été reconnue coupable de crimes graves peut être examinée uniquement aux termes de l'article 97 : LIPR, paragraphes 112(3) et 113(d).

[38]            Je souscris à la position du défendeur. L'argumentation du demandeur est centrée sur la proposition que sa cause se trouve dans une zone grise du fait que le législateur n'a jamais reconnu explicitement que les membres de la catégorie désignée d'Indochinois étaient des réfugiés, ni aux termes de la Loi sur l'immigration, ni aux termes de la LIPR.

[39]            Pourtant, la persécution fondée sur un des motifs de la Convention ou pour tout autre motif n'a jamais été un critère d'inclusion dans la définition, si bien que conférer l'asile à l'ensemble de cette catégorie aurait eu pour effet d'attribuer à de nombreuses personnes la qualité de réfugié même si leur inclusion dans la définition de réfugié ne s'appuyait sur aucun fait. Bon nombre des membres de cette catégorie auraient sans doute obtenu la qualité de réfugié, mais la catégorie désignée d'Indochinois constituait un moyen plus sûr et plus facile de leur permettre d'entrer au Canada. Il est presque certain que des membres de l'ancienne catégorie désignée d'Indochinois seraient exposés à la persécution ou aux risques décrits à l'article 97 s'ils retournaient à leur pays d'origine, même aujourd'hui - mais on a mis sur pied l'ERAR pour prévenir une telle possibilité. Je rejette l'affirmation que le législateur a par mégarde omis d'inclure la catégorie désignée d'Indochinois dans le Règlement sur les catégories précisées pour des motifs d'ordre humanitaire ou dans la définition des personnes protégées.


[40]            La suggestion du demandeur qu'on le prive de droits acquis avant l'abolition de la catégorie désignée d'Indochinois est trompeuse. Le seul droit qu'il a acquis du fait qu'il était membre de cette catégorie est le statut d'immigrant admis, qui fut par la suite converti en statut de résident permanent par la LIPR. Ce statut n'a pas été annulé en raison de modifications à la loi sur l'immigration, mais à cause de ses propres actions.

[41]            Les faits déterminants sont que M. Kim est entré au Canada à titre de résident permanent et que, pour être admissible à la catégorie désignée d'Indochinois, il n'était pas nécessaire qu'il soit un réfugié protégé. Il n'y a pas eu d'étape intermédiaire consacrée à la détermination du statut de réfugié. Si M. Kim est vraiment une personne à protéger, il aurait dû présenter des éléments de preuve suffisamment probants pour convaincre l'agente d'ERAR.

[42]            La partie la plus convaincante de l'argumentation de M. Kim est, selon moi, l'affirmation qu'une fois reconnu à titre de réfugié par le HCNUR, il devrait être reconnu à titre de réfugié à l'échelle internationale, y compris par l'État canadien. La définition du Statut du HCNUR qui met en place le concept de réfugiés protégés est presque identique à la définition de réfugié au sens de la Convention. Malgré cette similarité considérable, les lois canadiennes ne traitent pas les réfugiés protégés de la même manière que les réfugiés au sens de la Convention et on pourrait prétendre que cette situation est inéquitable.


[43]            Je crois que la réponse à cette objection est qu'il revient au législateur de définir de quelle façon certaines catégories de non-citoyens seront traitées pour ce qui est du droit de non-refoulement. Il est interdit de refouler des réfugiés au sens de la Convention parce que le Canada a signé la Convention sur les réfugiés et, de même, les personnes qui seraient exposées à la torture ne peuvent être refoulées en raison de l'engagement pris par le Canada aux termes de la Convention contre la torture. Il n'existe pas d'obligation de ce genre relativement aux réfugiés protégés. Quoi qu'il en soit, les réfugiés protégés obtiennent le statut de réfugiés uniquement pour permettre au HCNUR de leur accorder de l'aide. Une fois que le réfugié protégé est réétabli, le mandat du HCNUR ne s'applique plus à cette personne.

[44]            Je rejette l'affirmation que M. Kim est protégé contre le refoulement aux termes de l'article 115 du fait qu'il fait partie de la catégorie désignée d'Indochinois ou de son statut de réfugié protégé. Par conséquent, je ne peux conclure que l'agente d'ERAR n'était pas compétente pour rendre une décision relative à l'ERAR dans son dossier.

2.          Norme judiciaire

[45]            Étant donné que la récente décision dans l'affaire Il c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 1, a clarifié la loi, je ne me pencherai pas sur cette question. Il est clair que l'agente a appliqué la norme appropriée, tel que l'indique la décision Il.


3.          Ne pas tenir compte d'éléments de preuve

[46]            M. Kim prétend que deux éléments de preuve importants ont été laissés de côté. Premièrement, l'agente n'a pas reconnu l'importance des rapports signalant que certaines des personnes expulsées des États-Unis qui sont maintenues en détention en attendant leur mise en liberté dans la collectivité cambodgienne reçoivent leur nourriture de leurs parents cambodgiens, et n'a pas tenu compte des allégations rendues publiques que le Cambodge n'a pas les ressources requises pour prendre en charge les migrants revenus. Il fait valoir que, puisqu'il n'a pas de parents au Cambodge, il sera privé des nécessités de la vie. Deuxièmement, et de manière plus significative, M. Kim cite une déclaration du premier ministre du Cambodge qui aurait affirmé qu'il s'opposait au retour de criminels et que ces derniers seraient détenus à Prey Sar, une prison mal famée dans laquelle, d'après les allégations, le risque de torture est élevé.


[47]            Le défendeur fait valoir que l'agente d'ERAR a examiné la preuve documentaire pertinente et a constaté qu'il n'y avait pas suffisamment de preuves que les autorités cambodgiennes s'intéressaient à M. Kim. Ainsi, elle a conclu qu'il ne serait pas exposé à une peine cruelle ou inusitée ou à un autre danger. La Cour ne devrait pas procéder à une nouvelle appréciation de la preuve à la disposition de l'agente : Rajz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (15 juillet 2003) IMM-5263-03; Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (30 mai 2003) IMM-3659-03; Iqbal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (11 août 2003) IMM-5646-03; Mekolli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (9 septembre 2003) IMM-4974-03; Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 282 N.R. 394 (C.A.F.), paragraphes 9 et 10.

[48]            En réponse à l'allégation concernant l'incapacité du gouvernement cambodgien de fournir des aliments aux déportés, le défendeur admet qu'il n'y a aucune preuve à l'effet que le gouvernement n'est pas en mesure de le faire. Le fait que les proches soient autorisés à fournir de la nourriture aux membres de la famille ne signifie pas que le gouvernement ne subvient pas adéquatement aux besoins. Le manque de soutien pour la réinstallation par le gouvernement cambodgien n'est pas une préoccupation de l'ERAR.

[49]            Ayant passé en revue les rapports publiés dans le dossier certifié, je souscris à l'appréciation de la preuve avancée par le défendeur et je conviens aussi qu'il n'y avait pas d'obligation de la part de l'agente d'ERAR d'aborder ce point en particulier dans sa décision.


[50]            Toutefois, il aurait été préférable que l'agente d'ERAR aborde la déclaration attribuée au premier ministre du Cambodge, selon laquelle les personnes expulsées seraient emprisonnées. Il était loisible à l'agente de tirer une conclusion défavorable au demandeur (par exemple, qu'il n'y avait aucune preuve qu'il ne s'agissait pas tout simplement d'une déclaration à des fins politiques ou que, dans les faits, cette déclaration s'est avérée fausse), mais pas de n'en tenir aucun compte. Toutefois, au vu de la preuve contraire, qui favorise la conclusion qu'en général les personnes expulsées ne sont pas maltraitées ou emprisonnées, je ne vois pas de quelle façon cette omission aurait pu avoir une incidence sur le résultat de la décision relative à l'ERAR.

[51]            De plus, bien que le demandeur ne l'ait pas abordé dans son argumentation, il m'a semblé étrange que la décision de l'agente d'ERAR ne comporte aucun renvoi à la partie de la lettre de demande de M. Kim où il décrit un traitement horrible - vraisemblablement équivalent à la torture - par la police à l'époque où il n'avait que cinq ans (dossier du tribunal, pages 47-48). Encore une fois, cependant, je ne pense pas que cela constitue une erreur susceptible de révision, compte tenu de la conclusion qu'il n'y avait pas suffisamment de preuves que le gouvernement ou les services policiers cambodgiens s'intéressent à M. Kim.

[52]            Par conséquent, je rejette l'affirmation que l'agente a commis une erreur en ne tenant pas compte d'éléments de preuve concernant les risques auxquels serait exposé M. Kim.


4.          Traitements ou peines cruels et inusités

[53]            M. Kim prétend que l'agente d'ERAR a commis une erreur en concluant qu'elle n'était pas compétente pour examiner les facteurs d'ordre humanitaire afin de décider s'il serait exposé à des traitements ou peines cruels et inusités, en contravention de l'article 12 de la Charte. M. Kim prétend que le renvoyer dans un pays où il n'a pas vécu depuis sa petite enfance équivaut à un traitement ou une peine cruel et inusité.

[54]            Dans le contexte pénal, la Cour suprême a conclu qu'un traitement ou une peine cruel et inusité est, entre autres, un traitement qui est excessif au point d'être incompatible avec la dignité humaine, un traitement qui est exagérément disproportionné à l'infraction commise, qui choque la conscience collective des Canadiens, ou qui est simplement inacceptable : R c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045; Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada (Carswell Canada), pages 50 à 53; Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500; États-Unis d'Amérique c. Allard, [1987] 1 R.C.S. 564.


[55]            Il faut tenir compte des facteurs d'ordre humanitaire ou personnel dans une décision concernant la possibilité de traitements cruels ou inusités : Canepa c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 3 C.F. 270 (C.A.F.); R. c. Goltz, [1991] 3 R.C.S. 485. M. Kim prétend qu'il aurait fallu tenir compte des circonstances de sa vie au Canada et d'autres faits personnels afin de tirer une conclusion sur la possibilité qu'il soit soumis à un traitement cruel ou inusité.

[56]            Le défendeur fait valoir que la Charte n'est pas mise en cause, à la lumière de la preuve présentée à l'agente d'ERAR. La jurisprudence citée par le demandeur ne s'applique pas à l'examen des facteurs d'ordre humanitaire dans le présent contexte.

[57]            D'après le défendeur, il n'y a aucune indication que la demande présentée par M. Kim comportait l'exigence qu'on tienne compte de tels motifs ou que l'agente d'ERAR se soit penchée sur cette question. L'agente a tout simplement choisi de ne pas tenir compte des facteurs d'ordre humanitaire. J'aborderai cette question ci-après.

[58]            L'agente a conclu que, selon la prépondérance de la preuve, il n'y avait pas de raison de croire que M. Kim serait exposé à une menace à sa vie, à la torture, ou à un traitement ou à une peine cruel et inusité. L'article 12 de la Charte aurait été mis en cause seulement si l'agente avait relevé les faits nécessaires pour conclure que M. Kim serait exposé à une des catégories de risques. Je ne vois pas d'erreur susceptible de révision dans cette conclusion.


5.          Tenir compte du paragraphe 25(1)

[59]            Relativement à la conclusion signalée ci-dessus, M. Kim fait valoir qu'il était inapproprié de la part de l'agente de ne pas tenir compte des facteurs d'ordre humanitaire, puisque le paragraphe 25(1) de la LIPR comporte l'exigence générale de les appliquer : Zolotareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 241 F.T.R. 289.

[60]            Le défendeur prétend que la présente affaire se distingue de celle-ci du fait que M. Kim n'a pas présenté de demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, si bien que l'agente n'était aucunement obligée de tenir compte de facteurs autres que ceux prévus aux termes de l'article 97.

[61]            Voici ce qu'a conclu l'agente :

[traduction]

Dans ses observations, le demandeur signale qu'il n'a pas de réseau de soutien au Cambodge; il fait également part du désir qu'on lui accorde « une deuxième chance de réussir sa vie » et de devenir un membre productif de la société canadienne. Quels que soient les facteurs qui relèveraient du contexte d'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, je ne peux pas les évaluer, car cela ne tombe pas sous le coup du mandat d'un examen des risques avant renvoi. De tels facteurs ont trait à une demande aux termes du programme d'examen pour des raisons d'ordre humanitaire, et non à la présente demande de protection fondée sur un examen des facteurs de risque préétablis, dans le pays de nationalité.

[62]            Il s'agit clairement d'une conclusion de droit ou de compétence, si bien que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.


[63]            Je conviens avec le défendeur que la présente espèce se distingue de la décision Zolotareva n'est pas assimilable. Premièrement, les auteurs de la décision Zolotareva n'ont pas conclu que les agents d'ERAR sont obligés de tenir compte des facteurs d'ordre humanitaire, mais plutôt qu'il était permis à l'agent d'ERAR dans cette affaire de représenter le ministre aux fins de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire et de l'ERAR. Dans cette affaire, l'agente effectuait l'évaluation des deux demandes. En l'espèce, rien n'indique qu'il y ait eu une demande distincte fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, encore moins qu'une telle demande ait été présentée à l'agente.


[64]            En fait, la décision Zolotareva n'aborde pas l'argument sous-jacent du demandeur qui est, d'après mon interprétation, le suivant : en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR, tout délégué ministériel est obligé de tenir compte des facteurs d'ordre humanitaire si un demandeur sollicite un examen de ses circonstances. Le paragraphe 25(1) est rédigé comme suit :


25. (1) Le ministre doit, sur demande d'un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s'il estime que des circonstances d'ordre humanitaire relatives à l'étranger -- compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché -- ou l'intérêt public le justifient.

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister's own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

[65]         Il arrive souvent que des agents chargés de rendre une décision sur une demande pour raisons d'ordre humanitaire se reportent aux examens des risques effectués par les agents d'ERAR. De plus, il est maintenant courant que le même agent soit chargé de rendre une décision relative à l'ERAR et une décision relative à une demande pour raisons d'ordre humanitaire en se fondant sur le même ensemble de faits. Toutefois, il ne s'ensuit pas que les deux ensembles de circonstances soient nécessairement liés dans chaque cas.


[66]            La question de savoir si les agents d'ERAR sont tenus d'examiner les circonstances d'ordre humanitaire si la personne visée en fait la demande n'a pas été abordée directement dans la jurisprudence de la Cour. Dans le cadre d'une récente demande de sursis, soit l'affaire Sowkey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 67, le juge Phelan a conclu que cette question satisfaisait à l'exigence moins rigoureuse menant à son acceptation à titre de question grave, mais n'a formulé aucun commentaire additionnel. J'ai rejeté la demande d'autorisation visant la demande d'ERAR dans cette affaire.

[67]            Dans le cadre d'une autre demande de sursis, le juge Mackay a signalé, dans une opinion incidente, qu'il n'était pas convaincu qu'un agent d'ERAR ait quelque responsabilité que ce soit d'examiner les considérations d'ordre humanitaire : Obando c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 668.

[68]            L'envergure du pouvoir discrétionnaire que peut exercer un décideur est la question centrale abordée dans de récentes décisions de la Cour où il s'agissait de déterminer dans quelles situations un agent des renvois devrait examiner les facteurs d'ordre humanitaire. En résumé, le consensus de la Cour est qu'un examen très limité des facteurs d'ordre humanitaire est approprié dans le présent contexte : Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 214 F.T.R. 282; Davis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1628; Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 187 F.T.R. 219.


[69]            Dans la décision Correia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 253 F.T.R. 153, le juge Phelan a conclu qu'un agent d'immigration n'est pas tenu d'examiner les facteurs d'ordre humanitaire avant de préparer un rapport aux termes des paragraphes 36(1) et 44(1) de la LIPR. En particulier, il a souligné, d'une part, le pouvoir discrétionnaire restreint accordé aux agents d'immigration aux termes de la LIPR quand ils rendent des décisions se rapportant à des crimes graves et, d'autre part, le caractère restreint de l'enquête.

[70]            Adoptant la même logique, je conclus que les agents d'ERAR ne sont pas tenus d'examiner les facteurs d'ordre humanitaire pour rendre leurs décisions. Aucun pouvoir discrétionnaire n'est accordé à un agent d'ERAR dans la préparation d'un examen des risques. Ou bien l'agent est convaincu que les prétendus facteurs de risque existent, ou bien il n'est pas convaincu. L'enquête de l'ERAR et le processus décisionnel ne tiennent compte d'aucun autre facteur que le risque. De toute manière, il y a une meilleure tribune pour l'examen des facteurs d'ordre humanitaire : le mécanisme des examens pour des raisons d'ordre humanitaire. Je rejette l'affirmation que l'agente a commis une erreur de droit en refusant d'examiner les facteurs d'ordre humanitaire dans le cadre de la décision relative à l'ERAR.

[71]            N'ayant relevé aucune erreur susceptible de révision dans la décision de l'agente, je vais rejeter la demande de contrôle judiciaire.

Questions à certifier

[72]       Le demandeur a proposé que l'on certifie la question suivante :


Le demandeur est-il une personne visée par le paragraphe 115(1) de la LIPR et protégée contre le renvoi du Canada prévu au paragraphe 115(2), parce qu'il est une personne en situation semblable à celle d'un réfugié au sens de la Convention conformément à l'alinéa 95(1)a) de la LIPR?

[73]            Le défendeur fait valoir qu'une formulation plus appropriée de cette question serait la suivante :

Le demandeur, à qui on accordé la qualité de résident permanent en vertu du Règlement sur les catégories précisées pour des motifs d'ordre humanitaire, est-il une « personne protégée » au sens des articles 95 et 115 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés?

[74]            À mon avis, la question proposée par le demandeur est trop générale, tandis que celle du défendeur est trop étroite pour permettre une application générale. Toutefois, les deux questions formulées comme suit pourraient soulever des questions de droit d'application générale dont les réponses seraient concluantes pour le présent appel :

1.          Quelle conséquence juridique y a-t-il, s'il y en a, sur la question de savoir si une personne est une personne protégée aux termes des articles 95, 112 et 115 du fait que le HCNUR l'a reconnue à titre de « réfugié protégé » ?


2.          Quelle conséquence juridique y a-t-il, s'il y en a, sur la question de savoir si une personne est une personne protégée aux termes des articles 95, 112 et 115 du fait que sa demande de résidence permanente a été accueillie en vertu de l'ancien Règlement sur les catégories précisées pour des motifs d'ordre humanitaire?

Il s'agit de questions de droit, dont les réponses pourraient avoir une portée qui ne se limite pas aux faits de l'espèce. La qualité de réfugié protégé au sein du régime de la LIPR est une question qu'il convient d'examiner, tout comme la question de la situation juridique des personnes admises au Canada à titre de membres de la catégorie désignée d'Indochinois.

                                                                      


                                                         ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Les questions suivantes sont certifiées pour examen par la Cour d'appel fédérale :

1.          Quelle conséquence juridique y a-t-il, s'il y en a, sur la question de savoir si une personne est une personne protégée aux termes des articles 95, 112 et 115 du fait que le HCNUR l'a reconnue à titre de « réfugié protégé » ?

2.          Quelle conséquence juridique y a-t-il, s'il y en a, sur la question de savoir si une personne est une personne protégée aux termes des articles 95, 112 et 115 du fait que sa demande de résidence permanente a été accueillie en vertu de l'ancien Règlement sur les catégories précisées pour des motifs d'ordre humanitaire?

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                      IMM-1868-04

INTITULÉ :                                     RITH KIM

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                      

LIEU DE L'AUDIENCE :               TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :             LE 27 JANVIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                     LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS ET

DE L'ORDONNANCE :                 LE 1ER AVRIL 2005

COMPARUTIONS

Ron Poulton                                                                             POUR LE DEMANDEUR

Diane Dagenais                                                                        POUR LES DÉFENDEURS

Anshumala Juyal

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

RON POULTON                                                                    POUR LE DEMANDEUR

Mamann & Associates

Toronto (Ontario)

JOHN H. SIMS, c.r.                                                               POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


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