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                                                                                                                     Date : 20040205

                                                                                                        Dossier : IMM-1031-03

                                                                                                      Référence : 2004 CF 195

ENTRE :

                                                PATHMASIKAMANI BABU

                                                                                                                               demandeur

                                                                       et

                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                 défendeur

                        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE MACTAVISH

[1]                Pathmasikamani Babu est un Tamoul âgé de 28 ans. Il est citoyen du Sri Lanka. En tant que Tamoul du Nord, M. Babu prétend être une personne qui craint avec raison d'être persécutée par les membres de l'armée sri-lankaise (SLA) et par les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE).


[2]                La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande présentée par M. Babu en vue d'obtenir le statut de réfugié parce qu'elle a conclu qu'il n'a pas fourni des éléments de preuve dignes de foi démontrant qu'il résidait dans le Nord du Sri Lanka au cours de la période durant laquelle il aurait fait l'objet de persécution. Il sollicite maintenant l'annulation de la décision en prétendant que la Commission a traité sa demande d'une manière inéquitable sur le plan de la procédure et, en outre, qu'elle a tiré des conclusions quant à l'identité et la vraisemblance d'une façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve dont elle disposait.

Les faits

[3]         M. Babu est né à Jaffna, dans le Nord du Sri Lanka en 1976. Au début des années 1990, M. Babu a déménagé avec sa famille à Mount Lavinia, près de Colombo, dans le sud du pays. Le père de M. Babu travaillait pour le gouvernement du Sri Lanka et il exploitait, de façon accessoire, une entreprise d'électrotechnique.

[4]                M. Babu affirme que, au cours de l'été 1991 alors qu'il vivait encore à Jaffna, il a été forcé d'aller travailler pour les LTTE. Après s'être sauvé, M. Babu a été arrêté par les LTTE et il a été détenu pendant huit jours au cours desquels il a été agressé physiquement. Après que ses parents et son professeur eurent réussi à le faire libérer, toute la famille a déménagé à Mount Lavinia.


[5]                À l'automne 1992, les policiers ont interpellé M. Babu dans la rue à Colombo. Selon ce qu'il prétend, ils l'ont agressé, lui ont enlevé sa carte d'identité postale et lui ont dit de présenter une demande afin d'obtenir une carte d'identité nationale, ce qu'il a fait. La carte qu'il a obtenue mentionnait qu'il résidait à Colombo.

[6]                M. Babu déclare qu'en raison du conflit qui persistait à Colombo, sa famille est retournée vivre dans le Nord du Sri Lanka en août 1993. M. Babu affirme qu'à son retour dans le Nord il a travaillé dans l'entreprise de réparations électriques de son père.

[7]                M. Babu affirme qu'en 1995 il a souvent été forcé de travailler pour les LTTE. En juillet de cette année, il a été arrêté par les LTTE au magasin de son père. M. Babu a soi-disant été détenu pendant 5 jours au cours desquels il affirme avoir été battu parce qu'il refusait d'entrer dans les rangs des LTTE. Après que son père eut payé un pot-de-vin aux LTTE, M. Babu a été relâché et on l'a prévenu qu'il devrait travailler pour les LTTE et non pour son père.

[8]                En octobre 1995, il y a eu un exode des Tamouls de Jaffna. M. Babu affirme que sa famille s'est installée à Chavakachcheri pendant 6 mois. Il affirme y avoir été battu parce qu'il avait refusé de prêter sa bicyclette à un collaborateur des LTTE.

[9]                La famille de M. Babu est retournée à Jaffna en mai 1996. M. Babu déclare qu'il a été arrêté et que des membres de la SLA lui ont fait subir de mauvais traitements en juillet 1996. Cet incident s'est produit au cours de mesures de répression contre les activités des Tamouls qui ont suivi un attentat à la vie d'un ministre du Cabinet.

[10]            M. Babu affirme avoir été arrêté en août 1998 par la SLA au magasin de son père pour avoir soi-disant fourni des fils électriques aux LTTE. M. Babu prétend qu'il a été interrogé et torturé jusqu'à ce que son père réussisse à le faire libérer en payant un pot-de-vin.

[11]            Le 5 décembre 2000, des membres des LTTE se sont rendus au magasin et ont donné à M. Babu une liste d'articles qu'ils voulaient qu'il leur livre. M. Babu affirme qu'il a refusé de leur donner ce qu'ils voulaient parce qu'il avait peur de la SLA. Selon ce qu'il affirme, M. Babu a alors été physiquement attaqué par les membres des LTTE. L'agression a pris fin lorsque sa soeur a couru dans la rue demander de l'aide en criant.

[12]            M. Babu affirme qu'il a alors été convoqué pour comparaître devant les dirigeants des LTTE. M. Babu s'est d'abord caché, puis il s'est enfui à Colombo le 14 janvier 2001. M. Babu a quitté le Sri Lanka le 16 février 2001. Il est entré au Canada le 1er mars 2001 et il a revendiqué immédiatement le statut de réfugié.


La décision de la Commission

[13]       La Commission a établi que les questions en litige dans le dossier de M. Babu étaient [TRADUCTION] « la crédibilité et l'identité du demandeur en tant que Tamoul qui résidait dans le Nord au cours de la période se rapportant à sa demande » . La Commission n'était pas convaincue que M. Babu avait fourni des éléments de preuve dignes de foi au soutien de sa prétention selon laquelle il avait résidé dans le Nord du Sri Lanka après le mois d'août 1993.

[14]            À l'exception de son témoignage, le seul élément de preuve fourni au soutien de la prétention de M. Babu était une lettre non datée rédigée sur le papier à en-tête de l'entreprise d'électricité de son père. La lettre est adressée au commandant du Subas Hotel Camp à Jaffna et est écrite par un individu qui était, selon ce qu'a dit M. Babu, le gérant du magasin de son père. La lettre énonce que son auteur était présent lorsque M. Babu a été arrêté par la SLA en août 1998. La lettre semble avoir été écrite dans le but d'obtenir la libération de M. Babu et elle inclut un témoignage de son auteur quant à la bonne moralité de M. Babu et quant aux conséquences que le maintien de sa détention avait sur la famille.


[15]            La Commission a reconnu que si la lettre était authentique, elle démontrerait que M. Babu se trouvait dans le Nord du Sri Lanka au cours de la période pertinente. Néanmoins, la Commission avait des doutes sérieux quant à la fiabilité de cette lettre. La Commission estimait qu'il était invraisemblable que l'auteur de la lettre n'ait pas été lui-même accusé de complicité dans la fourniture de fils électriques aux LTTE. La Commission a déclaré que le fait [TRADUCTION] « [...] que seulement le demandeur ait été arrêté pour avoir fourni les articles interdits aux LTTE est contraire au sens commun et à ce qui est généralement connu à l'égard de la façon selon laquelle la SLA agit (notamment dans une période de conflit intense) » .

[16]            En outre, la Commission n'était pas non plus convaincue qu'il aurait été nécessaire pour un employé du magasin d'écrire une lettre dans le but de faire libérer M. Babu de sa détention par la SLA compte tenu de l'influence qu'avait le père de M. Babu auprès du gouvernement.

[17]            La Commission n'a pas accepté l'explication de M. Babu à l'égard de son omission d'avoir fourni d'autres documents au soutien de sa demande et elle a conclu que M. Babu n'avait pas établi qu'il avait vécu dans le Nord du Sri Lanka après le mois d'août 1993 et elle a conclu que les événements qu'il avait décrits avaient été inventés pour favoriser sa demande. Par conséquent, la Commission a conclu que M. Babu n'était pas un réfugié au sens de la Convention et qu'il n'avait pas la qualité de personne à protéger.

Les questions en litige

[18]       M. Babu soulève deux questions dans la présente demande, à savoir :

1)    La Commission a-t-elle omis de respecter un principe de justice naturelle ou l'équité procédurale?


2)    La Commission a-t-elle tiré des conclusions quant à l'identité et quant à la vraisemblance d'une façon abusive ou arbitraire ou sans avoir tenu compte des documents dont elle disposait?

La Commission a-t-elle omis de respecter un principe de justice naturelle ou l'équité procédurale?

[19]       M. Babu fait valoir que la Commission a agi d'une manière inéquitable lorsque, au début de l'audience, elle a soi-disant [TRADUCTION] « retiré » des questions en litige la question de l'identité et lorsqu'elle a ensuite fait de l'identité de M. Babu la question principale de l'espèce.

[20]            M. Babu affirme que la Commission ne l'a pas longuement interrogé à l'égard de son identité au cours de l'audience étant donné que le commissaire qui la présidait a déclaré que l'identité n'était pas une question en litige. La Commission a ensuite rejeté la demande d'asile présentée par M. Babu, principalement en raison de ses conclusions touchant l'identité de M. Babu, ce qui constitue une violation de l'équité procédurale selon ce que prétend M. Babu en s'appuyant sur la décision Moya c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2002] CFPI 1147.


[21]            Je n'accepte pas cette prétention. La Commission a clairement « retiré » des questions en litige la question de l'identité personnelle de M. Babu et, effectivement, la Commission n'a pas contesté le fait que M. Babu est la personne qu'il affirme être. C'est l'identité de M. Babu en tant que Tamoul du Nord du Sri Lanka qui préoccupait la Commission. Un examen du dossier révèle que tous les participants ont toujours compris que cette question demeurait toujours en litige.

[22]            Avant le début de l'audition de la demande d'asile présentée par M. Babu, il y a eu un doute soulevé quant à l'authenticité des documents d'identité de M. Babu. Par conséquent, l'audition de la demande de M. Babu a été remise afin de permettre la vérification des documents d'identité. Il a par la suite été confirmé que les documents d'identité étaient authentiques. Le document d'identité le plus récent qui avait été fourni par M. Babu était sa carte d'identité nationale qui, on se le rappellera, mentionnait que M. Babu résidait à Colombo et non dans le Nord du Sri Lanka.

[23]            Un examen de la transcription de l'audience révèle que la Commission, au début de l'audience, a informé M. Babu qu'elle [TRADUCTION] « [...] ne voyait plus la question de l'identité comme une question en litige » . La Commission a ensuite clarifié ce qu'elle voulait dire lorsqu'elle parlait d'[TRADUCTION] « identité » en déclarant ce qui suit : [TRADUCTION] « [L]orsque je parle d'identité à cet égard, je renvoie à votre identité personnelle [...] » .


[24]            La Commission a ensuite affirmé ce qui suit : [TRADUCTION] « Évidemment la crédibilité est toujours une question à traiter dans toutes les demandes » . Quelques minutes plus tard, la Commission a clairement affirmé que la question de savoir si M. Babu résidait dans le Nord du Sri Lanka au cours de la période pertinente était l'une des questions en litige de l'espèce.

[25]            Il n'y avait pas non plus de confusion pour qui que ce soit à l'égard de ce qui était en litige dans la présente affaire au cours de l'audience. Après que toute la preuve eut été déposée, l'avocat de M. Babu a déposé des observations écrites à l'égard de la demande. Ces observations énoncent ce qui suit : [TRADUCTION] « Au début de l'audience, j'ai compris que la Commission disait que l'identité n'était plus une question en litige; cependant, le demandeur devait encore établir qu'il résidait dans le Nord au cours de la période pertinente à sa demande [...] » .

[26]            Il est évident que M. Babu a clairement compris quelles étaient les questions qui préoccupaient la Commission. Par conséquent, je ne suis pas convaincue qu'il y ait eu à cet égard un déni de l'équité procédurale.

La Commission a-t-elle tiré des conclusions quant à l'identité et quant à la vraisemblance d'une façon abusive ou arbitraire ou sans avoir tenu compte des documents dont elle disposait?


[27]       M. Babu affirme qu'il n'y avait pas de fondement probatoire permettant à la Commission de conclure qu'il était peu vraisemblable que le gérant de l'entreprise de réparations électriques n'ait pas été arrêté en même temps que lui. En outre, étant donné que l'authenticité de la lettre était un élément essentiel dans sa décision, la Commission aurait dû expliquer à M. Babu quelles étaient ses préoccupations à l'égard de la lettre. M. Babu appuie cette prétention sur la décision Abdul c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2003] A.C.F. no 352, dans laquelle la Cour a déclaré ce que suit :

Même si la Commission n'a pas l'obligation d'informer le demandeur de chaque incohérence ou invraisemblance, elle doit, lorsque l'incohérence ou l'invraisemblance est au centre de la prétention, lui offrir la possibilité de donner des explications.

[28]                        La question de savoir si M. Babu résidait dans le Nord du Sri Lanka entre 1993 et 2001 est une question de fait pure. La Cour est tenue de faire preuve de grande retenue à l'égard des conclusions de fait tirées par la Commission et elle ne devrait pas intervenir quant à ces conclusions sauf si elles sont manifestement déraisonnables ou, pour reprendre le libellé de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, si elles sont « tiré[es] de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont [elle] dispose » . Voir l'arrêt Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).

[29]                        Dans la présente affaire, la Commission a énoncé des motifs clairs à l'égard de sa conclusion selon laquelle les points importants du récit de M. Babu étaient invraisemblables. La Commission pouvait tirer cette conclusion. À mon avis, la Commission n'était pas tenue lors de l'audience d'exprimer ses préoccupations à l'égard de l'authenticité de la lettre écrite par le gérant du magasin. À cet égard, j'adopte le raisonnement de la décision Sarker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 45 Imm. L.R. (2d) 209 (1re inst.), dans laquelle M. le juge MacKay a déclaré ce qui suit :


La conclusion que le témoignage est invraisemblable est une conclusion fondée sur l'examen de la véracité probable de ce témoignage dans toutes les circonstances. Cette conclusion peut être tirée seulement après que l'audition s'est achevée, que les éléments de preuve ont été produits et que le tribunal a eu la possibilité de les examiner.

À mon avis, le tribunal n'est nullement tenu de signaler ses conclusions sur l'invraisemblance ni sur la crédibilité générale du témoignage avant de rendre sa décision.

Voir également la décision Zheng c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2000] A.C.F. no 2002.

[30]            De toute façon, la Commission a effectivement questionné longuement M. Babu à l'égard des raisons pour lesquelles il était incapable de fournir tout autre document démontrant qu'il résidait dans le Nord du Sri Lanka durant la période pertinente. Les questions posées montraient clairement que la Commission était préoccupée par la qualité de la preuve dont elle disposait à l'égard du lieu de résidence de M. Babu.

[31]            Pour les motifs précédemment énoncés, j'ai conclu que M. Babu n'a pas démontré que la Commission ait commis une erreur susceptible de contrôle en l'espèce et, par conséquent, la présente demande est rejetée.

La certification d'une question

[32]       Aucune des parties n'a proposé une question aux fins de la certification et, par conséquent, aucune question ne sera certifiée.


                                        ORDONNANCE

1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.    Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

« Anne L. Mactavish »

Juge

OTTAWA

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                 SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Date : 20040205

Dossier : IMM-1031-03

ENTRE :

                        PATHMASIKAMANI BABU

                                                                               demandeur

                                               et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                 défendeur

                                                                                                                                        

    MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                                                                        


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                       IMM-1031-03

INTITULÉ :                                      PATHMASIKAMANI BABU

     c.

     MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :               TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 27 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                     LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                    LE 5 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

John Guoba

POUR LE DEMANDEUR

Jamie Todd

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John M. Guoba

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR      

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR


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