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Date : 20050117

Dossier : IMM-8463-03

Référence : 2005 CF 51

Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

                                                             OLGA GOODLUCK

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Mme Goodluck sollicite le contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés, Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 2 octobre 2003, a conclu que ses trois enfants étaient des réfugiés au sens de la Convention, mais qu'elle n'était ni une réfugiée ni une personne à protéger.

[2]                Mme Goodluck est née en Ukraine, mais elle a obtenu la nationalité guyanienne par son mariage avec un ressortissant de ce pays. L'un de ses enfants est né en Ukraine et les deux autres sont nés en Guyana après qu'elle se fut établie dans ce pays avec son mari. La demanderesse a prétendu qu'elle avait été victime de sévices de la part de son mari en Guyana et qu'elle n'était pas acceptée par la famille de celui-ci. Elle n'a pas demandé la protection des autorités guyaniennes. La famille s'est réinstallée à la Barbade en 1998 pour des raisons professionnelles. La demanderesse a témoigné que les sévices se sont poursuivis à la Barbade et que, en juillet 2001, lorsque son mari a entrepris des procédures de divorce et menacé d'obtenir la garde des enfants, elle a profité d'une occasion de s'échapper avec les enfants et s'est rendue au Canada via les États-Unis. À son arrivée, elle a allégué une crainte fondée de persécution en Ukraine en raison de son mariage avec un homme de race noire, et en Guyana en raison de son appartenance à un groupe social, à savoir les femmes victimes de mauvais traitements de la part de leurs conjoints. Elle a affirmé que la Guyana n'était pas disposée ni apte à la protéger. La revendication des enfants était fondée sur leur relation avec leur mère.

[3]                La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Commission. Selon elle, la Commission a commis une erreur en décidant de ne pas la croire et en affirmant qu'elle pouvait obtenir une protection de l'État en Guyana.


[4]                La Commission n'a pas rejeté la version de la demanderesse alléguant de la violence familiale et elle a accepté son témoignage selon lequel les enfants avaient été maltraités par leur père. Toutefois, elle a estimé que globalement la demanderesse n'était pas un témoin crédible car il y avait de nombreuses contradictions et invraisemblances dans son explication de la manière dont elle était parvenue à quitter la Barbade. La demanderesse s'élève contre cette conclusion, qu'elle juge fondée sur un examen microscopique de facteurs accessoires ou hors de propos.

[5]                L'issue de la présente affaire dépend à mon avis de l'existence d'une protection de l'État en Guyana. La Commission a estimé que la Domestic Violence Act (la DVA) de 1996 assurerait la protection de la revendicatrice adulte, mais qu'elle n'avait pas pour objet de venir en aide aux enfants. L'absence de services sociaux pour les enfants signifiait qu'ils ne seraient pas protégés et qu'ils étaient exposés à un risque auprès de leur père. La Commission a jugé que la présomption de l'existence d'une protection de l'État avait été réfutée à l'égard des enfants, mais non à l'égard de leur mère. La Commission n'a donc pas étudié la demande d'asile se rapportant à l'Ukraine.

[6]                Mme Goodluck soutient que cette conclusion était manifestement déraisonnable car elle laissait de côté d'importants éléments de preuve qui allaient dans le sens opposé. La Commission ne peut tirer une telle conclusion sans commettre une erreur de droit : Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1505 (1re inst.); Lai c. MEI (1989), 8 Imm. LR (2d) 245 (C.A.); Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.).

[7]                Selon la preuve documentaire, d'affirmer la demanderesse, la DVA n'a guère permis de protéger les femmes. Par exemple, le rapport du Département d'État des États-Unis daté de 2002 mentionne que la violence familiale était largement répandue en Guyana et que la police hésitait souvent à intervenir. La DVA faisait de la violence familiale un délit et prévoyait des ordonnances de protection, mais la loi [traduction] « n'était pas souvent appliquée » .

[8]                La Commission s'est fondée sur un seul élément de la preuve documentaire, une réponse à une demande d'information datée du 9 août 1999, qui indiquait que la promulgation de la DVA avait marqué un tournant dans la capacité de la Guyana d'offrir une protection contre la violence familiale. Le rapport concluait ainsi :

[TRADUCTION] Dans les cas de violence familiale, lorsque la preuve indique que le gouvernement adopte des mesures pour protéger les femmes, en l'absence de preuve contraire, il faut présumer que ces mesures seront efficaces.


[9]                Selon le défendeur, il était loisible à la Commission de dire que la demanderesse bénéficierait d'une réelle protection de l'État, contrairement à ses enfants. La Commission n'a pas laissé de côté d'importants éléments de preuve. Elle n'est pas tenue de faire état de chacun des éléments de preuve qui appuient les arguments de la demanderesse : Sashitharan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1021; Woolaston c. Canada (Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration), [1973] R.C.S. 102, à la page 108; Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.); Polgari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 15 Imm. L.R. (3d) 263 (1re inst.); Mohacsi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 4 C.F. 771 (1re inst.).

[10]            La demanderesse en l'espèce n'est pas originaire de la Guyana et ne bénéficierait pas du réseau de soutien qu'elle pourrait espérer avoir dans son propre pays. Elle a témoigné qu'elle n'avait pas été acceptée par la famille de son mari ni par la collectivité lorsqu'elle vivait dans ce pays. J'ai du mal à saisir la conclusion de la Commission lorsqu'elle dit qu'une protection de l'État lui serait accordée à elle, mais non à ses enfants, s'ils devaient retourner en Guyana.

[11]            Il était loisible à la Commission de conclure à l'invraisemblance de l'explication que la demanderesse avait donnée de la manière dont elle avait quitté son mari et s'était rendue au Canada avec ses enfants, mais je ne peux m'empêcher de penser que le refus de la Commission de croire la demanderesse a influé exagérément sur l'analyse qu'elle a faite de l'existence d'une protection de l'État pour la demanderesse en Guyana.


[12]            À mon avis, la Commission a commis une erreur parce qu'elle ne s'est pas expressément attardée sur le cas particulier de la demanderesse dans ce pays. Par ailleurs, la Commission s'est livrée à ce qui semble avoir été un examen sélectif de la preuve documentaire. La Commission n'est pas tenue de mentionner chacun des éléments de preuve, mais elle ne doit pas laisser de côté les éléments qui contredisent directement ses conclusions : Ragunathan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 154 N.R. 229 (C.A.). La demande d'information sur laquelle s'est fondée la Commission reconnaît d'ailleurs expressément ce principe.

[13]            Par conséquent, la présente demande sera accueillie. Aucune question grave de portée générale n'a été proposée et aucune n'est certifiée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La décision de la Commission en date du 2 octobre 2003 est annulée, et l'affaire est renvoyée à une autre formation de la Commission, pour nouvelle décision.

                                                                          « Richard G. Mosley »                   

                                                                                                     Juge                                 

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-8463-03

INTITULÉ :               OLGA GOODLUCK et LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 6 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 17 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Waikwa Wanyoike                                            POUR LA DEMANDERESSE

Marcel Larouche                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

WAIKWA WANYOIKE                                             POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

Toronto (Ontario)

JOHN H. SIMS                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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