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Date : 20020614

Dossiers : T-1709-90

T-1710-90

T-1711-90

T-1712-90

Référence neutre : 2002 CFPI 675

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2002

En présence de Monsieur le juge Blais

ENTRE :

                                            SEASPAN INTERNATIONAL LTD.

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                            et

                                                    SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                  défenderesse

                                     MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

  • [1]                  Par ces actions, la demanderesse Seaspan International Ltd. cherche à obtenir un remboursement de la défenderesse, Sa Majesté la Reine, à l'égard de la taxe de vente fédérale et de la taxe d'accise qu'elle a payées pour du combustible diesel qu'elle avait acheté.
  • [2]                  La demanderesse est une société constituée sous le régime des lois de la Colombie-Britannique; elle a un bureau à North Vancouver (Colombie-Britannique) et exploite une entreprise de remorquage et de transport par chaland le long des côtes de la Colombie-Britannique et dans les eaux internationales.
   

LES FAITS

  • [3]                  La demanderesse possède et exploite 42 remorqueurs et 2 transbordeurs automoteurs ainsi que de nombreuses maries-salopes qui sont touées par des remorqueurs. Les remorqueurs ont une longueur variant de 39 à 142 pieds, une puissance de 440 à 5 750 chevaux-vapeur et un équipage de 2 à 9 membres.
  • [4]                  Du mois de janvier au mois de décembre 1988, soit la période ici en cause, la demanderesse a acheté du combustible diesel au Canada dans le cadre de l'exploitation de son entreprise.
  
  • [5]                  Lorsqu'elle a effectué ces achats, la demanderesse a payé les taxes de vente et d'accise exigibles en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15 (la Loi) à l'égard du combustible diesel qu'elle avait acheté pour produire l'électricité utilisée pour certains aspects de l'exploitation de ses navires qui sont des remorqueurs et des transbordeurs.
  • [6]                  Le 27 septembre 1989, la demanderesse a demandé un remboursement des taxes d'accise et de vente qu'elle avait payées lorsqu'elle avait acheté le combustible diesel en 1988. Les montants payés par la demanderesse au titre de la taxe d'accise et de la taxe de vente font l'objet des quatre actions suivantes :
  

T-1709-90                    Du mois d'avril au mois de juin 1988, le montant de la taxe d'accise s'élevait à 20 924,40 $ et le montant de la taxe de vente s'élevait à 13 862,43 $;

T-1710-90                    Du mois de janvier au mois de mars 1988, le montant de la taxe d'accise s'élevait à 16 300,64 $ et le montant de la taxe de vente s'élevait à 10 717,69 $;

T-1711-90                    Du mois de juillet au mois de septembre 1988, le montant de la taxe d'accise s'élevait à 17 796 $ et le montant de la taxe de vente s'élevait à 11 745,36 $;

T-1712-90                    Du mois d'octobre au mois de décembre 1988, le montant de la taxe d'accise s'élevait à 17 540,48 $ et le montant de la taxe de vente s'élevait à 11 401,33 $;

[7]                  Le ministre de Revenu national, pour le compte de la défenderesse, a avisé la demanderesse que la demande de remboursement était rejetée pour le motif que les navires, y compris les remorqueurs et transbordeurs, étaient des véhicules. Par un avis d'opposition en date du 20 décembre 1989, la demanderesse s'est opposée à la décision du ministre de Revenu national; elle a intenté les quatre actions en question le 14 juin 1990.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[8]                  L'alinéa 23(8)c) de la Loi prévoit une exemption précise de la taxe d'accise exigible dans le cas de combustible diesel devant servir à la production d'électricité, sauf lorsque l'électricité ainsi produite est principalement utilisée pour faire fonctionner un véhicule.

23.     (8) La taxe imposée au paragraphe (1) ou par l'article 27 n'est pas exigible :

[...]

c) dans le cas de combustible diesel devant servir à la production d'électricité, sauf lorsque l'électricité ainsi produite est principalement utilisée pour faire fonctionner un véhicule.

23.     (8) The tax imposed under subsection (1) or under section 27 is not payable in the case of

...

(c) diesel fuel for use in the generation of electricity, except where the electricity so generated is used primarily in the operation of a vehicle.

  • [9]                  Le paragraphe 51(1) de la Loi traite des marchandises exemptées de la taxe de vente :

51. (1) La taxe imposée par l'article 50 ne s'applique pas à la vente ou à l'importation des marchandises mentionnées à l'annexe III, excepté les marchandises mentionnées à la partie XIII de cette annexe qui sont vendues ou importées par des personnes exemptées du paiement de la taxe de consommation ou de vente en application du paragraphe 54(2).

51. (1) The tax imposed by section 50 does not apply to the sale or importation of the goods mentioned in Schedule III, other than those goods mentioned in Part XIII of that Schedule that are sold to or imported by persons exempt from consumption or sales tax under subsection 54(2).

  • [10]            L'article 3 de la partie VI de l'annexe III prévoit une exemption précise de la taxe de vente à l'égard du mazout servant à la production d'électricité, sauf lorsque l'électricité ainsi produite sert principalement au fonctionnement d'un véhicule :

3. Mazout servant à la production de l'électricité, sauf lorsque l'électricité ainsi produite sert principalement au fonctionnement d'un véhicule.

3. Fuel oil for use in the generation of electricity except where the electricity so generated is used primarily in the operation of a vehicle.

POINT LITIGIEUX

  • [11]            La demanderesse a-t-elle le droit de demander un remboursement de la taxe de vente et de la taxe d'accise en vertu de la Loi sur la taxe d'accise parce que le mazout ou le combustible diesel servait à la production d'électricité qui n'était pas principalement utilisée pour faire fonctionner un véhicule?

CONCLUSIONS

  • [12]            Heureusement, les deux parties s'entendent sur la plupart des faits sous-tendant les demandes. Toutefois, elles ne s'entendent pas sur l'interprétation qu'il convient de donner aux dispositions pertinentes de la loi et sur l'application de la jurisprudence pertinente.
  • [13]            Les remorqueurs de mer et les remorqueurs caboteurs de la demanderesse touent les chalands qui transportent des marchandises vers des destinations le long des côtes de la Colombie-Britannique et dans les eaux internationales.
  
  • [14]            De plus, les remorqueurs de bassin de la demanderesse sont utilisés pour l'amarrage et le remorquage de navires. Les transbordeurs ferroviaires transportent des voitures de train et des remorques entre les terres basses de Vancouver et l'île de Vancouver.
  • [15]            L'équipage qui est à bord des navires de la demanderesse accomplit les diverses tâches nécessaires au fonctionnement des navires. Les membres d'équipage sont notamment chargés de diriger le navire, de faire fonctionner les machines, d'entretenir les ponts, d'accrocher les câbles et de veiller à la réparation et à l'entretien du navire. Ils doivent travailler lorsqu'ils sont de « quart » et, lorsqu'ils ne le sont pas, ils se livrent à des activités de loisir : ils regardent la télévision, écoutent la radio, font de l'exercice, lavent leurs vêtements, mangent, dorment et ainsi de suite.
  
[16]            Il n'y a pas de passagers payants à bord des remorqueurs en tant que tels, mais il y a de temps en temps des employés qui ne font pas partie de l'équipage et des entrepreneurs appelés « surnuméraires » . De plus, les transbordeurs ferroviaires ont à leur bord les chauffeurs des tracteurs qui sont transportés. Ces chauffeurs, pendant qu'ils sont à bord, partagent les logements des membres d'équipage.

[17]            Les membres d'équipage restent à bord des navires d'une façon continue pour des périodes plus ou moins longues selon la catégorie de navire en cause :

a)    Remorqueurs de mer -- quatre (4) semaines;

b)    Remorqueurs caboteurs -- deux (2) semaines;

c)    Remorqueurs de bassin -- douze (12) heures;

d)    Transbordeurs ferroviaires -- deux (2) semaines.

[18]            Chacun des navires de la demanderesse a des soutes dans lesquelles le combustible diesel est emmagasiné. Ce combustible est utilisé pour mettre en marche trois types différents de moteurs :

a)    les moteurs à combustion interne servant à propulser les navires;

b)    les moteurs auxiliaires qui permettent de mettre en marche les générateurs servant à la production d'électricité;

c)    les moteurs auxiliaires produisant l'énergie hydraulique servant au fonctionnement des treuils de halage et des treuils d'ancre.


  • [19]            Les deux parties conviennent que presque tout le combustible diesel consommé par les navires de la demanderesse (dans une proportion d'environ 90 %) sert à mettre en marche les moteurs à combustion interne utilisés pour propulser les navires et que le reste (soit environ 10 %) est utilisé par les moteurs auxiliaires aux fins de la production d'électricité. Moins de un pour cent du combustible sert à la production d'énergie hydraulique.
  • [20]            L'électricité produite à bord du navire de la demanderesse sert à alimenter le matériel électrique. Ce matériel remplit diverses fonctions, notamment, la navigation, les communications, l'éclairage, le chauffage, le refroidissement, la cuisson, la sécurité et l'entretien du navire, et certaines de ces fonctions ne sont pas essentielles à la propulsion ou à la navigation sûre des navires.
  
[21]            M. Ian Smart, expert qui a été cité pour le compte de la demanderesse, a témoigné et a fourni des preuves montrant qu'un grand nombre des appareils électriques à bord des navires de Seaspan fournissent des services électriques qui sont des « services hôteliers » . Les services hôteliers sont définis dans le domaine de l'architecture navale et du génie maritime comme étant les services qui ne sont pas nécessaires pour propulser et diriger le navire. Le témoin expert a effectué des évaluations des services hôteliers établis par la demanderesse lorsque les demandes ont été présentées et il a témoigné qu'à son avis, l'évaluation de ces services, sous réserve de certains rajustements mineurs, était exacte. En employant une formule fort complexe énoncée dans le rapport de l'expert, il est possible de calculer l'énergie électrique consommée par les « services hôteliers » et, à l'aide de ce calcul, le combustible utilisé pour produire l'énergie électrique destinée aux services hôteliers est déterminé et il est ainsi démontré qu'il ne sert pas à propulser ou à diriger le navire.

[22]            Selon le rapport d'expert, les services et systèmes électriques à bord du navire qui sont considérés comme des services hôteliers et qui sont reconnus comme tels par l'industrie marine et, en particulier, par les architectes navals et par les ingénieurs maritimes en cause dans la construction des navires, sont les suivants :

a)      les appareils de cuisson;

b)      le chauffage des logements et des aires de travail;

c)       les appareils de réfrigération et de congélation domestique;

d)      les systèmes de ventilation mécanique;

e)      les systèmes de climatisation dans les logements et les aires de travail;

f)         les systèmes d'approvisionnement en eaux domestiques et d'épuration des eaux usées;

g)      la fourniture d'eau douce, y compris l'eau destinée au chauffage.

[23]            L'expert a également mentionné que les services hôteliers s'appliquent à tous les navires plutôt qu'aux seuls navires qui transportent des passagers.

[24]            L'énergie électrique était exclusivement produite par les générateurs auxiliaires. Le troisième moteur auxiliaire est relié aux pompes hydrauliques, qui sont uniquement utilisées afin de mettre en marche les moteurs hydrauliques. Le mazout alimentant ces moteurs auxiliaires ne peut pas être transformé en énergie électrique.


[25]            Les parties conviennent qu'une requête visant le règlement d'une question de droit devrait être présentée pour qu'il soit statué sur le premier argument invoqué par la demanderesse, à savoir que ses navires ne sont pas des « véhicules » pour l'application de la Loi. Cette requête a été présentée le 23 avril 1993; elle a été entendue par Monsieur le juge Joyal le 10 mai 1993. Par une ordonnance en date du 3 septembre 1993, le juge Joyal a conclu que les navires de la demanderesse étaient des « véhicules » pour l'application de la Loi, décision qui a été confirmée par la Cour d'appel fédérale le 25 juin 1998. L'autorisation de pourvoi concernant le jugement rendu par la Cour d'appel fédérale a été refusée par la Cour suprême du Canada le 18 février 1999.

[26]            La dernière question qui doit être tranchée, affirme-t-on, est de savoir si la demanderesse peut se prévaloir de l'exemption prévue par la Loi.

ANALYSE

[27]            En quelques lignes, l'avocat de la défenderesse a clairement défini la question qui se pose réellement en l'espèce. La défenderesse considère que les membres d'équipage qui sont à bord d'un navire font partie intégrante du navire en tant que tel.


[28]            L'avocat de la demanderesse affirme que les membres d'équipage, même s'ils participent au fonctionnement du navire, ne font pas partie intégrante du navire en tant que tel. La défenderesse soutient que l'exemption invoquée par la demanderesse ne s'applique pas parce que l'électricité produite pour les services hôteliers à bord des navires de la demanderesse était principalement utilisée pour faire fonctionner un véhicule et qu'étant donné que les navires de la demanderesse ne peuvent pas fonctionner sans leur équipage, l'électricité produite à bord des navires pour le confort de l'équipage doit être de l'électricité principalement utilisée pour faire fonctionner un véhicule.

[29]            La défenderesse ne conteste pas l'évaluation complexe des services hôteliers telle qu'elle a été effectuée par la demanderesse et, en particulier, par le témoin expert, mais elle affirme plutôt que la distinction subtile relative aux services hôteliers ne s'applique pas à un navire comme elle aurait pu s'appliquer à un train, comme c'était le cas dans l'affaire Via Rail Canada Inc. c. MRN, [1993] TCCE no 111 (QL).

[30]            Les dispositions législatives en cause ont été modifiées en 1966. L'honorable Mitchell Sharp, ministre des Finances, a donné les explications suivantes devant la Chambre des communes :


Le point essentiel c'est qu'on exemptait le fuel oil pour moteur diesel servant à la production d'électricité pour des fins commerciales, industrielles et autres. Nous n'avions pas l'intention d'abolir l'impôt sur le fuel oil pour moteur diesel utilisé pour les transports. [...] Cette exemption ne s'appliquera qu'au fuel oil, servant à la production d'électricité pour des fins industrielles, commerciales et domestiques.

Débats de la Chambre des communes, 23 juin 1966, page 6812.

[31]            Les deux parties ont convenu qu'il pourrait être fait mention de l'intention du gouvernement telle qu'elle a été exprimée devant la Chambre des communes au moment où cette modification législative a fait l'objet de débats. Néanmoins, les parties ne s'entendent pas sur ce que le ministre voulait réellement dire.

[32]            Il importe de noter que les dispositions législatives en question ont été édictées en 1966 et que la décision du ministre du Revenu national de refuser les demandes de la demanderesse a été prise en 1989. Les « Nouvelles de l'accise » (no 65, juillet 1989) publiées par le ministère du Revenu national traitent de cette question. À la page 5 de ce document, le ministère donne des explications au sujet de l'interprétation qu'il convient de donner à l'exemption de la taxe de vente applicable au combustible diesel et au mazout utilisés pour produire de l'électricité. Moins d'un an plus tard, au mois de janvier 1990, le ministère a publié le no 67 des « Nouvelles de l'accise » en vue d'éclaircir la politique annoncée dans le no 65 des « Nouvelles de l'accise » susmentionné du mois de juillet 1989.


[33]            À vrai dire, je ne puis constater aucune contradiction entre les deux documents intitulés « Nouvelles de l'accise » ou dans la déclaration que le ministre des Finances avait faite 14 ans plus tôt. Les « Nouvelles de l'accise » du mois de janvier 1990 indiquent clairement que l'exemption pourrait s'appliquer lorsqu'une source d'énergie produit de l'électricité destinée à être utilisée aux conditions prévues aux fins de la taxe ou de l'exemption et énoncent également les conditions auxquelles l'exemption pourrait s'appliquer.

[34]            Les deux parties ont présenté un grand nombre d'éléments de preuve au sujet du sens véritable des mots « fonctionnement d'un navire » pour l'application de la loi. Il ne semble y avoir qu'une seule décision dans laquelle il a été question du mot « fonctionnement » dans le contexte d'un navire. Voir Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick, R. c. Turbide, [1986] A.N.B. no 679. Malheureusement, l'analyse qui a été effectuée dans l'arrêt Turbide, précité, se rapporte au Règlement sur la pêche du homard et non à la Loi sur la taxe d'accise. Dans cette affaire-là, le juge devait déterminer si le capitaine s'occupait du fonctionnement du navire, celui-ci ayant prétendu ne pas avoir été responsable du navire. Même si l'analyse effectuée par le juge dans l'arrêt Turbide, précité, doit être considérée comme un élément parmi d'autres, je crois qu'aux fins de mon analyse, il faut faire une distinction entre l'arrêt Turbide, précité, et la présente espèce.


[35]            La demanderesse affirme que la Cour doit se fonder sur la décision Via Rail Canada Inc. c. MRN, précitée, dans laquelle le Tribunal canadien du commerce extérieur (le TCCE) a décidé que le combustible diesel servant à la production d'électricité utilisée en vue de fournir des services hôteliers dans les voitures classiques des trains pour passagers ne sert pas principalement au fonctionnement du véhicule :

Pour ce qui est de la question des services hôteliers offerts dans les voitures classiques pour passagers, le Tribunal conclut que les appels doivent être admis.

Conformément au paragraphe 51(1) de la Loi, la taxe de vente ne s'applique pas à la vente des marchandises mentionnées à l'annexe III de la Loi. L'article 3 de la partie VI de cette annexe prévoit la franchise de taxe dans le cas du « [m]azout servant à la production de l'électricité, sauf lorsque l'électricité ainsi produite sert principalement au fonctionnement d'un véhicule » . Le Tribunal est d'avis que cet article s'applique aux appels en cause. Si le législateur avait eu l'intention de restreindre l'application de cette franchise aux situations invoquées par l'avocat de l'intimé, il n'aurait pas ajouté l'expression sauf lorsque l'électricité « sert principalement au fonctionnement d'un véhicule » . Le Tribunal est persuadé que le combustible diesel utilisé par VIA pour produire de l'électricité pour les services hôteliers offerts à bord des voitures classiques satisfait aux exigences réglementaires énoncées à l'article 3 de la partie VI de l'annexe III de la Loi.

Le Tribunal a reçu des éléments de preuve non contestés selon lesquels l'électricité est produite sous chaque voiture classique au moyen d'une génératrice d'essieu et que cette électricité sert exclusivement à fournir des services hôteliers et qu'elle ne peut faire avancer le train.

[36]            Les documents fournis par la demanderesse ainsi que le témoignage et les rapports présentés par le témoin expert pour le compte de la demanderesse constituent une preuve non contestée montrant que la partie de l'électricité produite par le moteur auxiliaire qui sert de fondement aux demandes de remboursement de la demanderesse a été exclusivement utilisée en vue de fournir des services hôteliers et qu'elle ne convenait pas pour propulser les navires de la demanderesse.


[37]            À mon avis, il est évident que, selon la preuve d'expert et les éléments additionnels de preuve qui ont été soumis, l'électricité en question n'était pas utilisée pour diriger les navires. Les services hôteliers représentent l'électricité nécessaire au fonctionnement du matériel ne servant pas à propulser ou à diriger le navire. Dans la décision Via Rail, précitée, page 8, le TCCE a dit ce qui suit :

Pour tous les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que VIA a droit au remboursement de la taxe sur la partie du combustible, établie au moyen de diverses formules complexes, servant à produire l'électricité requise pour offrir des services hôteliers à bord des voitures classiques. Ce combustible est visé par les dispositions de l'article 3 de la partie VI de l'annexe III de la Loi.

L'avocat de la défenderesse a soutenu qu'il faut faire une distinction entre cette décision et la présente espèce parce que, dans cette affaire-là, il était question de voitures pour passagers, alors qu'il est ici question du transport de marchandises, que seuls des membres d'équipage sont à bord des navires et qu'il n'arrive qu'exceptionnellement que quelques passagers, à savoir des chauffeurs de camion qui partagent les logements des membres d'équipage, soient à bord du navire. De plus, il faudrait en particulier faire une distinction fondée sur le fait que les membres d'équipage font partie intégrante du navire.

[38]            À mon avis, l'approche proposée par l'avocat de la défenderesse n'est pas acceptable. Dans la décision Via Rail, précitée, le TCCE n'a pas fait de distinction entre les membres d'équipage de Via Rail et les passagers, et même si je ne veux pas nier l'importance qu'ont les membres d'équipage à bord d'un navire, il n'est néanmoins pas raisonnable de conclure que même si les membres d'équipage restaient peut-être à bord du navire pendant une longue période, par exemple pendant deux, trois ou quatre semaines, toute l'électricité produite en vue de fournir des services à ces membres devrait être considérée comme étant principalement utilisée pour le fonctionnement du véhicule.


[39]            À mon avis, la lecture de la disposition législative pertinente ne permet tout simplement pas de tirer cette conclusion. De plus, comme l'a soutenu l'avocat de la demanderesse, la politique et l'interprétation administratives ne sont pas déterminantes, mais peuvent se voir attribuer énormément d'importance, de sorte qu'elles constituent un facteur important si le sens des dispositions législatives en question suscite des doutes. De plus, Monsieur le juge Décary, parlant au nom de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Vaillancourt c. La Reine ( 1991 ), 91 D.T.C. 5408, page 5412, après avoir fait remarquer qu'il est bien établi en droit que les Bulletins d'interprétation représentent simplement l'avis de ministère du Revenu national, a statué ce qui suit :

[...] Cela dit, je constate que les tribunaux recourent de plus en plus souvent à ces bulletins et qu'ils paraissent facilement enclins à voir une ambiguïté dans la loi -- ce qui permet d'y recourir -- lorsque l'interprétation donnée dans un bulletin contredit carrément l'interprétation que le ministère propose dans un cas donné ou permet l'interprétation que propose le contribuable. [...]


[40]            La Cour devrait également se fonder sur le témoignage de M. Reid, représentant de la demanderesse, qui a dit à celle-ci qu'à la suite des discussions qu'il avait eues avec M. Holtby, représentant du ministère du Revenu national, il était de fait raisonnable de fixer les services hôteliers à 75 % des services électriques en question. La demanderesse s'est efforcée le plus possible de déterminer clairement la partie de l'électricité produite pour ce qu'on appelle les services hôteliers. L'interprétation que la demanderesse a donnée à l'exemption semble correcte et raisonnable. La Cour suprême du Canada a déjà dit à maintes reprises que toute ambiguïté constatée dans les lois fiscales doit jouer en faveur du contribuable, comme l'avait statué Monsieur le juge Estey dans l'arrêt Johns-Manville Canada Inc. c. la Reine, 85 D.T.C. 5373 ( C.S.C. ), page 5384 :

Une telle décision est de plus conforme à un autre concept fondamental de droit fiscal portant que, si la loi fiscale n'est pas explicite, l'incertitude raisonnable ou l'ambiguïté des faits découlant du manque de clarté de la loi doit jouer en faveur du contribuable.

[41]            De plus, Monsieur le juge Sopinka, de la Cour suprême de Canada, a statué ce qui suit dans l'arrêt Fries c. la Reine, 90 D.T.C. 6662 ( C.S.C. ) :

Nous ne sommes pas convaincus que les paiements sous forme d'allocation de grève constituent en l'espèce un « revenu [...]dont la source » au sens de l'art. 3 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Dans ces circonstances, ce doute doit profiter aux contribuables.

[42]            Je ne puis retenir la thèse avancée par la défenderesse, à savoir que les services dont bénéficient les membres d'équipage lorsqu'ils sont à bord du navire devraient être considérés comme étant accessoirement fournis au profit personnel de ceux-ci à cause du confort [TRADUCTION] « assuré par certains équipements à bord des navires » et que le confort est assuré à ceux-ci principalement en leur qualité de membres d'équipage à bord du navire. À mon avis, il est excessif et déraisonnable de soutenir que tous les services fournis aux membres d'équipage des navires devraient être considérés comme étant fournis au navire lui-même et que l'électricité qui assure le confort de l'équipage devrait donc être considérée comme de l'électricité servant principalement au fonctionnement du véhicule.


[43]            Les membres d'équipage qui sont à bord du navire sont obligés d'y rester parce qu'ils ne peuvent pas partir; dès qu'ils arrivent dans un port, ils profitent le plus possible de l'occasion pour quitter le navire s'ils ne sont pas de service. Si le législateur voulait indiquer que les membres d'équipage font partie intégrante du navire, il aurait dû le préciser clairement dans la législation.

[44]            Je n'hésite donc pas à arriver à la conclusion suivante : les exceptions mentionnées à l'alinéa 23(8)c) de la Loi et à l'article 3 de la partie VI de l'Annexe III de la Loi en ce qui concerne la taxe d'accise et la taxe de vente devraient s'appliquer à la demanderesse parce que le combustible diesel servant à la production d'électricité n'était pas principalement utilisé pour le fonctionnement d'un véhicule, la demanderesse ayant donc droit au remboursement des sommes demandées dans les quatre actions.

                                                             J U G E M E N T

[45]            Par conséquent, les quatre demandes devraient être renvoyées au ministre du Revenu national pour qu'il établisse une nouvelle cotisation d'une façon compatible avec le présent jugement.

[46]            La demanderesse a droit à ses dépens.


[47]            Dans l'ordonnance qu'elle a rendue le 28 août 2001, Madame le juge Dawson a statué que le juge de première instance statuerait sur la question des dépens relatifs à son ordonnance. J'ordonne donc aux parties de déposer leurs observations écrites au plus tard le 28 juin 2002; je serai saisi du dossier aux fins de la décision relative aux dépens.

    

                                                                                                                              « Pierre Blais »                  

                                                                                                                                                   Juge                         

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                          AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIERS :                                               T-1709-90, T-1710-90, T-1711-90 et T-1712-90

INTITULÉ :                                                 Seaspan International Ltd.

c.

Sa Majesté La Reine

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                        Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                     les 7 et 8 mai 2002

  

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    Monsieur le juge Blais

DATE DES MOTIFS :                           le 14 juin 2002

  

COMPARUTIONS :

M. Timothy W. Clarke                               POUR LA DEMANDERESSE

M. Christopher S. Wilson

M. Jan Brongers                                        POUR LA DÉFENDERESSE

M. Michael Roach

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bull, Housser et Tupper                           POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg                                      POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

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