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Date : 20200102


Dossier : IMM‑4056‑19

Référence : 2020 CF 4

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

LUIS FELIPE GARCES CACERES

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, Luis Felipe Garces Caceres, demande le contrôle judiciaire de la décision rendue le 30 mai 2019 [la décision] par la Section d’appel de l’immigration [la SAI], par laquelle cette dernière a annulé la décision de la Section de l’immigration [la SI] datée du 9 mars 2018.

[2]  La SAI a accueilli l’appel du défendeur, à savoir le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [le ministre], et a conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada en raison de son appartenance à une organisation, en l’occurrence les Forces armées révolutionnaires de Colombie [les FARC], aux termes de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[3]  Le demandeur soutient qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, puisque la SAI a tiré une conclusion déguisée quant à la crédibilité sans tenir d’audience. Il soutient également que l’appréciation de la preuve par la SAI était déraisonnable.

[4]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Faits

[5]  Le demandeur est citoyen de la Colombie. Il est arrivé au Canada en avril 2017 et a présenté une demande d’asile dans un bureau intérieur.

[6]  L’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a envoyé les empreintes digitales du demandeur aux autorités américaines; elle a ensuite été informée que le demandeur figurait sur une liste de membres des FARC.

[7]  Le demandeur a été interrogé par un conseiller aux audiences de l’ASFC [l’agent de l’ASFC] le 21 juillet et le 11 août 2017. Les entrevues ont été réalisées avec l’aide d’un interprète espagnol.

[8]  Le demandeur a indiqué à l’agent de l’ASFC qu’il était un jeune sans emploi en Colombie. Lorsqu’on l’a interrogé à savoir s’il avait déjà été membre des FARC, le demandeur a admis s’être déclaré comme tel auprès des autorités colombiennes en 2007, mais a affirmé n’avoir jamais été véritablement membre de l’organisation. Il a expliqué qu’en janvier 2007, la police et un membre des FARC l’avaient approché et l’avaient amené travailler dans une scierie, en compagnie de 30 autres jeunes hommes. Des uniformes ont été remis aux membres du groupe pour faire croire qu’ils faisaient partie des FARC. Le demandeur a déclaré qu’au bout d’un mois, il avait été inscrit parmi les membres démobilisés des FARC et qu’au moment de sa reddition, il avait commencé à recevoir une allocation mensuelle. Il prétend qu’il faisait semblant (« falso positivo ») d’être membre des FARC afin de profiter des avantages financiers offerts par le gouvernement.

[9]  Le 18 août 2017, l’ASFC a entrepris une enquête à l’endroit du demandeur, au titre de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Sa demande d’asile a provisoirement été suspendue.

A.  La décision de la Section de l’immigration

[10]  Le 9 mars 2018, la SI a tenu une enquête. Aucun témoin n’a été appelé à témoigner. Les parties se sont plutôt appuyées sur la preuve documentaire, notamment sur les transcriptions des entrevues du demandeur avec l’agent de l’ASFC, les déclarations solennelles de l’ex‑épouse, de l’ancien employeur et de l’ancien collègue de travail du demandeur, de même que sur des articles de journaux.

[11]  À la fin de l’audience, le commissaire de la SI a rendu une décision de vive voix. Il a précisé que rien dans le dossier à sa disposition n’indiquait comment les autorités américaines en étaient venues à conclure que le demandeur était membre des FARC. Le commissaire a ensuite conclu que la version des faits donnée par le demandeur à l’agent de l’ASFC était crédible et cadrait avec les documents montrant que la Colombie tentait à l’époque d’éliminer les faux membres des FARC, qui avaient été démobilisés. Le commissaire de la SI a conclu que le ministre n’avait pas réussi à prouver le bien‑fondé de cause et a donc tranché en faveur du demandeur.

B.  La décision de la Section d’appel de l’immigration

[12]  Le ministre a interjeté appel de la décision de la SI devant la SAI, en vertu du paragraphe 63(5) de la LIPR.

[13]  Le 28 novembre 2018, les avocats des parties ont tenu une conférence préparatoire à l’audience, en présence de la commissaire de la SAI chargée d’entendre l’appel. L’avocate du ministre a indiqué qu’un ensemble de documents supplémentaires avait déjà été fourni. Les deux avocats ont confirmé qu’aucune audience n’était nécessaire, étant donné qu’ils n’appelleraient pas d’autres témoins et qu’ils se fonderaient sur la preuve et les observations présentées devant la SI. La commissaire de la SAI a indiqué qu’elle procéderait à sa propre évaluation de la crédibilité et a établi un échéancier pour le dépôt des observations écrites finales ou complémentaires.

[14]  Le fait que le demandeur n’est ni un citoyen canadien ni un résident permanent n’a pas été contesté devant la SAI. En outre, les parties ont convenu que les FARC sont ou étaient une organisation visée aux alinéas 34(1)b), b.1) ou c) de la LIPR. La seule question que la SAI était celle à savoir si le demandeur était membre des FARC, où elle devait notamment se pencher sur la question de la contrainte.  

[15]  La commissaire de la SAI a conclu que la question de la contrainte ou de la coercition ne devait pas être prise en compte pour déterminer l’appartenance, compte tenu de la mesure de redressement particulière prévue au paragraphe 42.1(1) de la LIPR pour les personnes reconnues membres d’une organisation. Elle a estimé que l’appartenance à une organisation, au titre de l’alinéa 34(1)f), devait continuer d’être interprétée de façon libérale pour des raisons de sécurité publique et de sécurité nationale, et que la question de la contrainte devait plutôt être prise en considération dans les cas de dispense de l’interdiction de territoire au titre du paragraphe 42.1(1). La commissaire de la SAI a conclu que de toute façon, le demandeur ne pouvait pas invoquer la contrainte, étant donné qu’il ne semblait pas exposé à un risque de préjudice physique grave et imminent lorsqu’il avait décidé de se déclarer membre des FARC, et que rien n’indiquait qu’il avait tenté de se sortir de cette situation. Il a plutôt choisi de continuer à profiter pendant plus d’un an des avantages financiers offerts aux membres démobilisés.

[16]  La commissaire de la SAI a estimé qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour conclure qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était membre des FARC. Elle a accordé un poids limité aux déclarations solennelles de l’ancien employeur et de l’ex‑épouse du demandeur, qui affirmaient que ce dernier n’était pas membre d’une organisation criminelle ou des FARC, dans la mesure où son ancien employeur ne semblait pas savoir que le demandeur avait déclaré être un membre démobilisé des FARC et où son ex‑épouse a affirmé que leur relation avait commencé au moment où le demandeur a été démobilisé. Elle a accordé plus de poids à la preuve documentaire confirmant l’appartenance du demandeur aux FARC, ainsi qu’à la déclaration que le demandeur avait lui‑même faite aux autorités colombiennes comme quoi il était membre de cette organisation.

III.  Les questions en litige

[17]  Le demandeur soulève deux questions :

  1. La SAI a‑t‑elle commis un manquement à l’équité procédurale?

  2. L’analyse par la SAI de la preuve qu’il a présentée était‑elle déraisonnable?

IV.  La norme de contrôle applicable

[18]  Lors de l’audition de la demande le 18 décembre 2019, les parties ont convenu que la norme de contrôle applicable à une allégation de manquement à l’équité procédurale était celle de la décision correcte. Cette norme exige que la Cour s’assure que la démarche empruntée pour examiner la décision faisant l’objet du contrôle a atteint le niveau d’équité exigé dans les circonstances de l’espèce : Bataa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 401, au par. 3.

[19]  Les parties ont également convenu que la question juridique soulevée pour ce qui est de déterminer l’appartenance à une organisation se livrant à la subversion aux termes de l’article 34 de la LIPR, est une question mixte de fait et de droit et que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable : El Werfalli c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 612, au par. 39. Cette norme suppose la déférence à l’égard des décisions des tribunaux administratifs. La Cour interviendra seulement si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[20]  Une fois que les observations des avocats des parties eurent été entendues, l’affaire a été mise en délibéré. À la lumière des décisions rendues depuis par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] et Bell Canada c Canada (Procureur général), 2019 CSC 66, et de la mise en garde qu’elle a formulé au paragraphe 144 de l’arrêt Vavilov, les parties ont été invitées à indiquer si elles souhaitaient ou non présenter des observations supplémentaires concernant la norme de contrôle appropriée ou l’application de cette norme. Dans une lettre datée du 23 décembre 2019, l’avocate du ministre a indiqué qu’aucune des parties n’avait l’intention de présenter des observations supplémentaires.

[21]  Dans l’arrêt Vavilov, les juges majoritaires ont défini une nouvelle approche pour déterminer la norme de contrôle applicable, affirmant que la norme de contrôle applicable aux décisions est présumée être celle de la décision raisonnable, à moins que l’intention du législateur ou la règle de droit n’exige le contraire. Je suis convaincu que ni l’une ni l’autre de ces exceptions ne s’applique en l’espèce.

[22]  Au paragraphe 99 de l’arrêt Vavilov, la Cour indique qu’au moment d’examiner le bien‑fondé d’une décision administrative, le juge doit déterminer « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci », clarifiant ainsi la pertinence continue de la jurisprudence actuelle.

[23]  L’approche à adopter à l’égard d’une allégation de manquement à l’équité procédurale n’a pas changé. Cette approche demeure souple et variable et repose sur une appréciation du contexte de la loi particulière et des droits visés : Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817. Les droits de participation faisant partie de l’obligation d’équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées de présenter leur point de vue et des éléments de preuve qui seront dûment pris en considération par le décideur. 

V.  Analyse

A.  La SAI a‑t‑elle commis un manquement à l’équité procédurale?

[24]  Le demandeur soutient qu’en le jugeant non crédible, la commissaire de la SAI a commis envers lui un manquement à l’équité procédurale. Il affirme que la SAI a tiré une conclusion défavorable quant à sa crédibilité, malgré le fait qu’il n’a pas témoigné à l’enquête et qu’aucune autre déclaration de sa part n’a été enregistrée dans ce dossier concernant sa participation au programme de démobilisation, mis à part ses réponses aux questions de l’agent de l’ASFC.

[25]  Le demandeur soutient qu’il était évident qu’il devait témoigner de vive voix à l’audience, étant donné que la SAI a mis en doute sa crédibilité sans lui donner la possibilité de se défendre et de répondre aux préoccupations soulevées en la matière. Selon lui, cela va à l’encontre du principe exprimé par la juge Eleanor Dawson dans la décision Ayele c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 126, dans laquelle cette dernière a affirmé qui suit, au paragraphe 11 :

[...] un tribunal ne peut aucunement se prononcer sur la crédibilité d’un témoignage qui n’a pas encore été entendu. Le président de l’audience n’a pas respecté ce principe lorsqu’il a affirmé que, même si le témoin corroborait la déposition de M. Ayele, ce témoignage ultérieur ne serait pas crédible.

[26]  Le demandeur soutient que selon le principe d’équité, l’appelant doit se voir offrir la possibilité de témoigner de vive voix lorsque sa crédibilité est mise en doute. Il prétend que la SAI se devait de tenir une audience, en application du paragraphe 25(1) des Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS/2002‑230 [les Règles de la SAI], qui est ainsi libellé :

Procédures sur pièces

Proceeding in writing

25 (1) La Section peut, au lieu de tenir une audience, exiger que les parties procèdent par écrit, à condition que cette façon de faire ne cause pas d’injustice et qu’il ne soit pas nécessaire d’entendre des témoins.

25 (1) Instead of holding a hearing, the Division may require the parties to proceed in writing if this would not be unfair to any party and there is no need for the oral testimony of a witness.

[27]  Cet argument est sans fondement.

[28]  L’étendue de la compétence de la SAI ne se limite pas à celle d’un tribunal d’appel. Les appels interjetés en vertu du paragraphe 63(5) de la LIPR sont considérés comme une procédure de novo, et aucune retenue ne s’impose à l’égard de la décision de la SI. Le paragraphe 25(1) des Règles de la SAI donne à la SAI la possibilité de procéder par écrit. Comme la SAI a la maîtrise de sa propre procédure, une grande déférence s’impose à l’égard de sa décision de tenir ou non une audience.

[29]  Aux termes de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, emporte interdiction de territoire pour raison de sécurité le fait, pour un étranger, d’« être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b), b.1) ou c) ». L’article 33 précise que les faits qui emportent interdiction de territoire aux fins de l’article 34 « sont appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir ». La norme des « motifs raisonnables de croire » est moins stricte que celle de la prépondérance des probabilités, mais exige davantage qu’un simple soupçon, et doit s’appuyer sur une preuve convaincante et digne de foi.

[30]  La crédibilité du demandeur était au cœur de la décision de la SI selon laquelle le ministre n’a pas réussi à prouver le bien‑fondé de sa cause. En outre, le poids à accorder à la preuve présentée par le demandeur était une question fondamentale dans le cadre de l’appel interjeté par le ministre devant la SAI.

[31]  Lors de la téléconférence préparatoire à l’audience devant la commissaire de la SAI, le demandeur était représenté par un avocat. Rien n’indique que la SAI ait exercé, à un moment ou à un autre, son pouvoir discrétionnaire afin d’« exiger que les parties procèdent par écrit ». Au contraire, il semble que l’avocat du demandeur ait pris la décision éclairée et calculée de ne pas appeler de témoins pour les besoins de l’appel. Il est mal venu de la part du demandeur de chercher maintenant à contester la procédure même qu’il a acceptée, parce qu’il ne juge pas le résultat satisfaisant.

[32]  Le demandeur savait parfaitement que le ministre avait des préoccupations au sujet de son appartenance aux FARC, et il a pleinement eu la possibilité de présenter des preuves documentaires et des observations en réponse.

[33]  Dans ses observations écrites devant la SAI, le ministre a soutenu que le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve confirmant ses déclarations selon lesquelles il n’était pas véritablement membre des FARC, et qu’il était déraisonnable d’accepter ces déclarations. Le ministre a fait valoir que le demandeur a admis devant les autorités colombiennes qu’il était membre des FARC et qu’il avait reçu des prestations du gouvernement en tant que membre démobilisé. Il a soutenu, en outre, que certains éléments de preuve étayaient davantage l’appartenance du demandeur aux FARC et que les renseignements fournis par les autorités colombiennes devraient se voir accorder plus de poids que les déclarations du demandeur. Le demandeur a répondu que le fait qu’il ait accepté des prestations en tant que faux membre des FARC démobilisé ne portait pas atteinte à sa crédibilité. Il a fait valoir qu’il n’avait pas l’intention de prendre part à une fausse démobilisation des FARC et qu’il pensait plutôt obtenir un emploi à la scierie. Il a soutenu qu’après avoir été faussement démobilisé, il a accepté les prestations parce que sa situation financière était difficile.

[34]  Nul ne peut reprocher à la SAI d’avoir procédé à une évaluation indépendante de la preuve au dossier, sans donner au demandeur l’occasion de s’expliquer, étant donné que le demandeur lui‑même a soulevé la question de sa crédibilité dans le cadre de l’appel.

[35]  Dans les circonstances, le demandeur ne m’a pas persuadé que la décision de procéder par écrit était injuste, et je ne suis pas convaincu qu’il était nécessaire d’appeler des témoins à témoigner de vive voix.

B.  L’analyse de la preuve par la SAI était‑elle raisonnable?

[36]  Le demandeur n’a pas contesté le fait que les FARC sont une organisation qui se livre à la subversion ou au terrorisme, tel qu’il est précisé à l’article 34 de la LIPR. Par conséquent, la SAI devait seulement déterminer s’il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était membre des FARC.

[37]  Dans la décision Karakachian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 948, au paragraphe 32, le juge Yves de Montigny a déclaré que la norme de preuve correspondant à l’existence de « motifs raisonnables de croire » exige davantage qu’un simple soupçon, mais qu’elle reste moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile. Il a déclaré que la « croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi ».

[38]  La LIPR ne définit pas le mot « membre ». Ce mot a reçu une « interprétation large et libérale », car les dispositions en cause traitent de la sécurité, de la subversion et du terrorisme, lesquels font partie des principales préoccupations du gouvernement : Poshteh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CAF 85, aux par. 26‑32; Ismeal c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 198, au par. 20 [Ismeal]).

[39]  Il n’est pas nécessaire de prouver l’appartenance officielle à l’organisation ni la participation directe à des actes particuliers perpétrés par celle‑ci pour établir l’interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)f) : Ismeal, aux par. 19‑20. Au contraire, dans l’arrêt Kanagendren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86, au paragraphe 22, la Cour d’appel fédérale a reconnu ce qui suit :

[…] rien dans l’alinéa 34(1)f) n’exige ou n’envisage une analyse relative à la complicité lorsqu’il est question d’appartenance à une organisation. De plus, rien dans le texte de la disposition ne suppose que le « membre » est un « véritable » membre de l’organisation, qui a contribué de façon significative aux actions répréhensibles du groupe. Le texte utilisé par le législateur ne fait pas entrer en jeu ces notions.

[40]  Après avoir examiné le dossier, je suis convaincu que la décision de la SAI est fondée sur une chaîne d’analyse rationnelle et cohérente en soi, et qu’elle est justifiée au regard des faits et du droit. La SAI a appliqué une définition large du mot « membre » dans le cadre de son analyse et de son appréciation des faits, en se fondant sur la jurisprudence de la Cour et de la Cour d’appel fédérale.

[41]  La SAI a tenu compte des déclarations solennelles produites par l’ancien employeur, l’ancien collègue de travail et l’ex‑épouse du demandeur. Le demandeur ne conteste pas le fait que ces déclarations ont été prises en considération. Il soutient toutefois que les motifs pour lesquels peu de poids a été accordé à ces éléments de preuve sous serment sont inintelligibles ou non étayés par la preuve. Je ne suis pas d’accord.

[42]  La commissaire de la SAI a écarté la déclaration de l’ancien employeur, car il ne semblait pas savoir que le demandeur avait déclaré être un membre démobilisé des FARC. Elle a accordé peu de poids à la déclaration de l’ex‑épouse du fait que sa relation avec le demandeur n’a commencé qu’au moment où ce dernier a été démobilisé. Bien qu’ils soient courts, les motifs fournis par la SAI sont suffisants pour comprendre pourquoi plus de poids a été accordé à la preuve documentaire concernant l’appartenance du demandeur aux FARC.

[43]  La SAI a attiré l’attention sur le fait que le demandeur n’a pas déclaré qu’il était membre des FARC lorsqu’il est arrivé au Canada et qu’il a présenté sa demande d’asile, ni qu’il s’était déclaré auparavant comme étant un membre démobilisé de l’organisation. La SAI a conclu que le demandeur n’avait pas fourni d’explication satisfaisante pour justifier cette omission. Cette conclusion est bien étayée par la preuve et est inattaquable.

[44]  Pour l’essentiel, la commissaire de la SAI a accepté la version des faits du demandeur, y compris son témoignage selon lequel il a participé au processus de démobilisation, a inscrit son nom comme membre des FARC et a touché à ce titre une allocation. Elle a reconnu que le demandeur avait probablement subi de nombreuses injustices au fil des ans et qu’il avait peut‑être été contraint ou forcé de participer à certaines activités des FARC. Elle a examiné les actes du demandeur, qu’il les ait posés sous un prétexte donné ou autrement.

[45]  À mon avis, la SAI pouvait raisonnablement conclure, d’après la preuve dont elle disposait, que le demandeur n’a pas agi sous la contrainte lorsqu’il a inscrit son nom comme membre des FARC, et qu’il a participé de son plein gré à la démobilisation de l’organisation. Les motifs qui ont poussé le demandeur à participer à la mascarade alléguée ne changent rien au fait qu’il existait des motifs raisonnables de croire qu’il était membre des FARC.

VI.  Conclusion

[46]  Pour les motifs exposés précédemment, je ne vois aucune erreur susceptible de révision dans la décision de la SAI selon laquelle le demandeur est interdit de territoire au Canada. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[47]  Il n’y a pas de question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4056‑19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Roger Lafrenière »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour de janvier 2020

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4056‑19

INTITULÉ :

LUIS FELIPE GARCES CACERES c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 DÉCEMBRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

DATE DES MOTIFS :

LE 2 JANVIER 2020

COMPARUTIONS :

Shepherd Moss

POUR LE DEMANDEUR

Helen Park

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chand and Company – Law Corporation

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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