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Date : 20191112


Dossier : T‑662‑16

Référence : 2019 CF 1412

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 novembre 2019

En présence de monsieur le juge Boswell

RECOURS COLLECTIF ‒ ENVISAGÉ

ENTRE :

VOLTAGE PICTURES, LLC,

COBBLER NEVADA, LLC,

PTG NEVADA, LLC,

CLEAR SKIES NEVADA, LLC,

GLACIER ENTERTAINMENT S.A.R.L.

OF LUXEMBOURG,

GLACIER FILMS 1, LLC, ET

FATHERS & DAUGHTERS NEVADA, LLC

demanderesses

et

ROBERT SALNA, JAMES ROSE ET LOREDANA CERILLI, REPRÉSENTANTS DÉFENDEURS PROPOSÉS, AU NOM D’UN GROUPE DE DÉFENDEURS

défendeurs

et

CLINIQUE D’INTÉRÊT PUBLIC ET DE POLITIQUE D’INTERNET DU CANADA SAMUELSON‑GLUSHKO

intervenante

ORDONNANCE ET MOTIFS

Table des matières

Sections

Paragraphes

I.  Le contexte

[6] – [18]

II.  La preuve

[19] – [21]

  1. La preuve de Voltage

[22] – [23]

[24] – [30]

  1. La preuve des défendeurs

Aucun

[31] – [34]

[35] – [36]

[37] – [39]

  1. La preuve de l’intervenante

aucun

[40] – [42]

[43]

III.  Analyse

aucun

  1. Aperçu

[44] – [49]

  1. Les principes généraux régissant les recours collectifs

[50] – [51]

  1. Les recours collectifs inversés

[52] – [59]

  1. Le critère applicable à l’autorisation

[60] – [61]

[62] – [73]

[74] – [81]

[82] – [83]

[84] – [85]

[86] – [89]

[90] – [97]

[98]

[99] – [109]

[110] – [125]

[126] – [143]

[144] – [151]

[152] – [155]

IV.   Conclusion

[156] – [164]

  1. Les dépens

[165] – [168]

[1]  Les demanderesses — à savoir Voltage Pictures, LLC; Cobbler Nevada, LLC; PTG Nevada, LLC; Clear Skies Nevada, LLC; Glacier Entertainment S.A.R.L. of Luxembourg; Glacier Films 1, LLC; Fathers & Daughters Nevada, LLC [collectivement, Voltage] – sont des sociétés de production cinématographique qui allèguent que leurs droits d’auteur sur plusieurs films ont été violés en ligne. Elles affirment que les défendeurs, et d’autres comme eux, ont téléversé et téléchargé illégalement des films de Voltage à l’aide de réseaux poste‑à‑poste.

[2]  Voltage a présenté une requête en vue d’obtenir une ordonnance autorisant sa demande sous‑jacente comme recours collectif à l’encontre d’un groupe de défendeurs (ce qu’on appelle un « recours collectif inversé ») au titre des paragraphes 334.14(2) et (3) ainsi que de l’article 334.16 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], et suivant les modalités énoncées à l’article 334.17 des Règles. Selon Voltage, la présente requête est fondée sur les trois motifs suivants : (i) l’avis de demande modifié révèle une cause d’action valable; (ii) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux défendeurs; (iii) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs.

[3]  Les représentants défendeurs proposés — à savoir Robert Salna, James Rose et Loredana Cerilli [collectivement, les défendeurs] — ont indiqué que le recours collectif envisagé par Voltage ne devrait pas être autorisé. Selon eux, si le recours collectif inversé envisagé est autorisé, il sera inefficace, injuste et ingérable. L’intervenante, la Clinique d’intérêt public et de politique d’Internet du Canada Samuelson‑Glushko [la CIPPIC], affirme également que le recours collectif inversé envisagé ne devrait pas être autorisé.

[4]  La partie 5.1 des Règles des Cours fédérales prévoit les règles applicables aux recours collectifs. Voltage souhaite que la présente demande soit autorisée comme recours collectif pour faciliter l’application des droits d’auteur sur ses films. La présente demande devrait‑elle être autorisée comme recours collectif? Dans l’affirmative, quel type d’ordonnance la Cour devrait‑elle rendre au titre de l’article 334.17 des Règles?

[5]  Pour les motifs exposés ci‑après, la requête modifiée en autorisation présentée par Voltage est rejetée.

I.  Le contexte

[6]  Pour le besoin des présents motifs, il n’est pas nécessaire de résumer l’historique plutôt long de la présente procédure, qui a déjà été portée une fois à l’attention de la Cour suprême du Canada. Il suffit de dire que cet historique se retrouve dans les décisions suivantes : Voltage Pictures, LLC c Doe, 2016 CF 681; Voltage Pictures, LLC c John Doe, 2016 CF 881; Voltage Pictures, LLC c John Doe, 2017 CAF 97; Voltage Pictures, LLC c Salna, 2017 CF 130; Voltage Pictures, LLC c Salna, 2017 CAF 221; Rogers Communications Inc c Voltage Pictures, LLC, 2018 CSC 38 [Rogers]; Voltage Pictures, LLC c Salna, 2019 CF 1047 (actuellement en appel devant la Cour d’appel fédérale).

[7]  En 2015, Voltage a utilisé un logiciel personnalisé d’analyse technique pour identifier les violations commises en ligne à l’égard de droits d’auteur sur ses films, au moyen de réseaux poste‑à‑poste utilisant BitTorrent, un protocole de communication pour le partage de fichiers. Une personne qui souhaite partager un fichier informatique avec d’autres personnes sauvegarde ce fichier dans un dossier informatique. Le logiciel BitTorrent offre ensuite ce fichier, pour téléchargement, à toute personne qui utilise le logiciel BitTorrent compatible et qui demande ce fichier particulier.

[8]  Voltage allègue que les défendeurs ont commis trois actes illégaux : (i) rendre un film disponible pour le téléchargement au moyen d’un réseau BitTorrent offrant le fichier à téléverser, ou téléverser effectivement un film; (ii) promouvoir la disponibilité d’un film pouvant être téléchargé au moyen du protocole BitTorrent; (iii) ne prendre aucune mesure raisonnable pour s’assurer que les deux actes illégaux susmentionnés n’ont pas été commis à l’égard d’un compte Internet contrôlé par l’abonné à un compte Internet, qui, ce faisant, a autorisé de tels actes illégaux. Voltage définit un [traduction] « abonné à un compte Internet » ou un [traduction] « abonné à Internet » comme étant une personne qui est contractuellement obligée de payer pour les services Internet offerts par un fournisseur de services Internet [FSI].

[9]  Au départ, Voltage cherchait à décrire le groupe de défendeurs envisagé comme étant toutes les personnes physiques résidant au Canada qui, selon la définition de Voltage, sont des [traduction] « contrefacteurs directs », des [traduction] « contrefacteurs autorisateurs », ou les deux. Les défendeurs, en tant que groupe envisagé, appartiendraient à l’un ou aux deux types de contrefacteurs. Un contrefacteur direct s’entend d’une personne qui a commis le premier ou le deuxième acte illégal susmentionné ou qui a copié illégalement un film. Un contrefacteur autorisateur s’entend d’une personne qui, comme un abonné à Internet, a commis le troisième acte illégal susmentionné, ou qui a autorisé la copie illégale d’un film.

[10]  Lors de l’audition de la présente requête et dans sa réplique, Voltage a précisé que le groupe envisagé comprenait les contrefacteurs directs ou autorisateurs qui étaient également abonnés à un compte Internet. En d’autres termes, tous les membres du groupe de défendeurs envisagé seraient des abonnés à un compte Internet qu’un FSI identifie au titre du régime d’avis et avis ou d’une ordonnance de type Norwich. Les contrefacteurs directs qui ne sont pas abonnés à un compte Internet ne feraient pas partie du groupe envisagé.

[11]  Les défendeurs du groupe envisagé comprendraient les personnes dont les comptes Internet ont été déterminés par le logiciel d’analyse technique de Voltage comme offrant de téléverser ses films au cours d’une période antérieure de six mois. Voltage a choisi une période de six mois, parce que, aux termes de l’alinéa 41.26(1)b) de la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C‑42, un FSI est tenu de conserver les dossiers permettant l’identification du titulaire d’un compte Internet pendant six mois à compter de la date à laquelle le titulaire du compte a reçu un avis alléguant une violation.

[12]  En 2015, Voltage a déterminé l’adresse du protocole Internet [IP] 174.112.37.227 comme offrant de téléverser cinq de ses films à différents moments. Ces films sont les suivants :

[en blanc]

Titre

Propriétaire

1.

Un cordonnier bien chaussé

Cobbler Nevada, LLC

2.

Intraçable

PTG Nevada, LLC

3.

Drones

Clear Skies Nevada, LLC

4.

Père et fille

Fathers & Daughters Nevada, LLC

5.

Braquage américain

Glacier Films 1, LLC, et Glacier Entertainment S.A.R.L. of Luxembourg

[13]  Voltage a ensuite cherché à obtenir une ordonnance de type Norwich, qui a obligé Rogers Communications Inc. à divulguer l’identité de l’abonné correspondant à cette adresse IP. Le défendeur Robert Salna a été identifié comme étant l’abonné. Voltage affirme qu’elle a choisi cette adresse IP parmi des milliers de choix possibles, car les échantillons fréquents de cette adresse assurent la fiabilité. M. Salna, à son tour, prétend que les locataires de son immeuble locatif avaient commis les actes illégaux allégués. Il a identifié les deux autres représentants défendeurs proposés, James Rose et Loredana Cerilli, comme étant les locataires qui ont eu accès à son compte Internet pendant la période pertinente.

[14]  Les défendeurs nient avoir commis les actes illégaux allégués par Voltage. Ils affirment ne pas être personnellement au courant si quelqu’un utilisait la connexion Internet de M. Salna pour télécharger les films de Voltage. Ils ne savent pas si la connexion Internet a été compromise par d’autres utilisateurs, y compris des membres de leur famille, des invités et des pirates informatiques.

[15]  M. Salna offre un accès Internet avec la location de son immeuble locatif de Richmond Hill, en Ontario. En sa qualité de propriétaire, il affirme n’avoir jamais contrôlé ni surveillé l’utilisation qu’en faisaient ses locataires; par conséquent, il prétend ne pas connaître la nature des activités en ligne qu’ils mènent. Bien que le compte Internet soit à son nom, M. Salna nie avoir un contrôle suffisant sur l’utilisation de ce compte et sur les appareils connexes utilisés pour accéder à Internet.

[16]  Les défendeurs affirment qu’ils n’ont aucun intérêt à participer à ce recours collectif inversé. S’ils avaient le choix, ils s’abstiendraient d’y participer, parce qu’ils ne s’identifient pas comme appartenant au groupe envisagé et ils n’ont aucune motivation à dépenser volontairement de l’argent pour s’acquitter de frais de justice, ainsi qu’à consacrer leur temps et leur attention à se défendre contre la demande de Voltage.

[17]  Selon la CIPPIC, Voltage admet ne pas savoir qui a téléversé les films ou si les défendeurs, ou un tiers inconnu, ont rendu les films disponibles pour le téléversement. La CIPPIC fait remarquer que, bien que les FSI assignent des adresses IP aux appareils sur leur réseau, les adresses sont susceptibles d’être remplacées. Une adresse IP publique soit unique, mais elle n’est liée à aucun appareil ni à aucune personne. La CIPPIC est d’avis que le seul auteur d’un affidavit pour Voltage, M. Benjamin Perino, a admis au cours du contre‑interrogatoire qu’une adresse IP ne pouvait pas être associée à une personne en particulier et qu’elle était plutôt associée à un équipement, comme un routeur Internet. M. Perino a en outre admis que d’autres éléments de preuve seraient nécessaires pour identifier la personne qui effectue une activité particulière en lien avec une adresse IP donnée.

[18]  Selon la CIPPIC, dans certaines circonstances, il peut être possible de suivre le trafic ou le comportement associé à une adresse IP jusqu’à une personne en particulier, mais il est impossible d’imputer la violation du droit d’auteur à cette personne. L’association d’une adresse IP à une activité particulière en ligne n’identifie pas la personne responsable de cette activité. Une telle détermination exige l’examen des véritables appareils sans fil utilisant l’adresse IP au moment pertinent.

II.  La preuve

[19]  Dans le cadre d’une requête en autorisation, le demandeur est tenu de déposer et de signifier (i) un avis de requête en vue de faire autoriser l’instance comme recours collectif, et (ii) un affidavit à l’appui de la requête, au moins 14 jours avant la date indiquée dans l’avis pour l’audition de la requête (paragraphe 334.15(1) des Règles). Un représentant défendeur proposé n’est pas tenu de déposer un affidavit au titre du paragraphe 334.15(4) des Règles (Tippett c Canada, 2019 CF 869, au par. 29 [Tippett]), mais il peut le faire au moins cinq jours avant l’audition de la requête.

[20]  Le paragraphe 334.15(5) des Règles prescrit le contenu de la preuve par affidavit. Il prévoit que la personne qui dépose un affidavit à l’appui d’une requête en autorisation doit inclure les éléments suivants :

a) les faits substantiels sur lesquels elle entend se fonder à l’audition de la requête;

b) une affirmation selon laquelle il n’existe pas à sa connaissance de faits substantiels autres que ceux qui sont mentionnés dans son affidavit;

c) le nombre de membres du groupe envisagé, pour autant qu’elle le connaisse.

[21]  Le paragraphe 81(1) des Règles permet qu’un affidavit déposé à l’appui d’une requête fournisse des éléments de preuve dont le déclarant n’a pas une connaissance personnelle. Cette règle exige toutefois une déclaration fondée sur ce que le déclarant croit être les faits (Tippett, au par. 19). Dans Sweetland c Glaxosmithkline Inc, 2014 NSSC 216, la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse a déclaré ce qui suit au sujet de la preuve par ouï‑dire sur une requête en autorisation :

[traduction]

[13]  Une requête en autorisation d’un recours collectif est considérée être de nature procédurale et, par conséquent, la preuve par ouï‑dire est permise, pourvu que le déclarant établisse la source de l’information, mais aussi le fait que le témoin croit en la véracité de l’information.

[14]  Le fardeau de la preuve qui incombe aux demandeurs désirant obtenir l’autorisation d’un recours collectif n’est pas lourd. Il suffit qu’ils démontrent l’existence d’« un certain fondement factuel » pour chacune des conditions d’autorisation. En effet, dans les requêtes en autorisation, il n’est pas attendu des cours qu’elles statuent sur les éléments de preuve contradictoires ou qu’elles apprécient leur force probante.

[15]  Le seuil de preuve peu élevé exigé dans le cadre d’une requête en autorisation ne devrait pas être assimilé à un assouplissement des conditions relatives à l’admissibilité d’éléments de preuve. Une requête en autorisation, comme toute requête, peut seulement être tranchée à la lumière d’éléments de preuve qui sont validement portés devant la Cour. La requête doit être conforme aux règles de preuve. Pour les requêtes procédurales, cela inclut le ouï‑dire, pourvu que la source de l’information soit déterminée et que le témoin soit en mesure d’établir qu’il tient cette information pour véridique. Ces conditions permettent à la Cour d’apprécier la crédibilité et la fiabilité des déclarations par ouï‑dire présentées.

A.  La preuve de Voltage

[22]  Voltage s’appuie sur les éléments de preuve déposés dans le cadre de la requête qui a donné lieu à une ordonnance de type Norwich identifiant M. Salna comme représentant proposé du groupe. Cette preuve comprenait l’affidavit de Daniel Macek; il était administrateur de systèmes chez Maverickeye UG au moment où il a souscrit son affidavit en mai 2016.

[23]  Voltage s’appuie également sur l’affidavit de Benjamin Perino, daté du 3 juin 2019. M. Perino est l’ancien président‑directeur général et un développeur principal chez GuardaLey Ltd, une entreprise qui offre un système de collecte de données pour suivre et identifier les adresses IP utilisant le protocole BitTorrent. GuardaLey autorise Maverickeye à utiliser ce système. Dans son affidavit, M. Perino se dit en accord avec le contenu de l’affidavit de M. Macek et il adopte cet affidavit comme sa propre preuve, avec quelques modifications mineures, puisqu’il n’a pas personnellement effectué les recherches d’adresses IP.

(1)  L’affidavit de M. Macek

[24]  Dans son affidavit, M. Macek énonce en détail ses connaissances et son expérience de la surveillance des réseaux Internet poste‑à‑poste afin d’identifier les cas de violation de droits d’auteur relativement aux films de Voltage. Il explique le processus par lequel les réseaux poste‑à‑poste mettent en circulation des œuvres protégées par un droit d’auteur au moyen du protocole BitTorrent et décrit la méthode qu’il a utilisée pour identifier l’adresse IP qui a été divulguée ultérieurement, comme celle de M. Salna.

[25]  Selon M. Macek, BitTorrent est un protocole populaire de partage de fichiers poste‑à‑poste, qui permet la mise en circulation décentralisée et simultanée de fichiers informatiques sur Internet. Pour ce faire, il divise un fichier en plusieurs petits paquets de données, permettant aux abonnés d’Internet de télécharger des paquets de données de contenu protégé par un droit d’auteur de diverses sources, tout en téléversant simultanément ce contenu pour permettre à d’autres de le télécharger. Chaque paquet de données est identifiable par un numéro de « hachage » unique, créé à l’aide d’un algorithme mathématique. En fin de compte, un fichier informatique complet est obtenu en téléchargeant tous les paquets requis.

[26]  M. Macek explique qu’une adresse IP est une étiquette numérique unique attribuée à chaque appareil connecté à Internet. L’une des fonctions principales d’une adresse IP est de permettre aux données envoyées par Internet d’être reçues par l’appareil destinataire prévu. Un FSI attribue une adresse IP aux appareils connectés à ses réseaux. Les FSI se voient attribuer des blocs ou des plages d’adresses IP qui peuvent être trouvées dans des bases de données publiques sur Internet.

[27]  M. Macek affirme qu’il est possible de déterminer quel FSI a attribué une adresse IP particulière à une date et à une heure données. Cependant, seul un FSI peut établir un lien entre une adresse IP et l’identité d’un client. Il affirme également que, à sa connaissance, il s’agit de la seule méthode permettant d’identifier de façon fiable un client. Il note que, parfois, une adresse IP est attribuée à un client pendant une longue période de temps. Cependant, plus souvent, les adresses IP changent et sont attribuées à un client de façon dynamique par le FSI.

[28]  Selon M. Macek, un FSI peut attribuer une adresse IP à un routeur Wi‑Fi, un appareil qui peut se connecter à un certain nombre d’autres appareils, comme des ordinateurs, des téléphones et des tablettes, dont chacun pourrait être utilisé simultanément par différentes personnes. Par conséquent, une adresse IP ne correspondra pas nécessairement aux activités en ligne d’un seul abonné, mais peut correspondre à d’autres personnes se connectant au routeur.

[29]  M. Macek a utilisé un logiciel d’analyse technique spécialement conçu pour suivre les transferts poste‑à‑poste de fichiers informatiques. Étant donné que le protocole BitTorrent est un réseau ouvert et partagé, il affirme qu’il était simple d’identifier l’adresse IP qui téléchargeait un film particulier. M. Macek a recueilli trois types de renseignements d’identification sur les utilisateurs qui proposant de téléverser les films de Voltage : (i) l’adresse IP attribuée par un FSI à une personne qui faisait du téléversement au moment de l’analyse (après une pause générée par le logiciel pour s’assurer que l’adresse IP était fiable); (ii) la date et l’heure auxquelles un film a été rendu disponible par la personne à des fins de téléversement, sous forme de fichier informatique; (iii) les métadonnées du fichier, y compris le nom et la taille du fichier informatique contenant le film, de même que le numéro de hachage BitTorrent qui identifiait la version particulière du film.

[30]  En examinant les données relatives aux fichiers, M. Macek a déterminé que l’adresse IP 174.112.37.227 comme étant celle qui offrait à divers moments les cinq films de Voltage à des fins de téléversement. Il déclare avoir retrouvé l’origine de cette adresse IP, au moyen d’une recherche sur un réseau « ARIN », chez Rogers Cable Communications Inc. Une annexe à l’affidavit de M. Macek montre les données de fichier recueillies sur cette adresse IP, y compris les heures et les dates auxquelles les données ont été recueillies.

B.  La preuve des défendeurs

(1)  Les affidavits de M. Salna

[31]  M. Salna a déposé son premier affidavit en lien avec sa requête en cautionnement pour frais en 2017. M. Salna parle de son manque de contrôle, ou de connaissance, au sujet des activités de contrefaçon que ses locataires auraient menées. L’ordonnance relative au cautionnement pour frais est jointe à son deuxième affidavit, daté du 7 juin 2019, dans lequel est abordé le choix de se retirer du recours collectif envisagé.

[32]  Dans les deux affidavits, M. Salna fait part de son manque d’intérêt ou de son désir d’être défendeur dans la présente instance. Il prétend ne pas s’identifier au groupe envisagé par Voltage. Il ne veut pas dépenser des frais de justice, offrir son temps ou faire face aux répercussions du procès, et il aimerait se retirer et [traduction] « tout simplement rester à l’écart », s’il a le choix.

[33]  Dans son premier affidavit, M. Salna reconnaît la possibilité que ses locataires actuels ou précédents aient violé les droits d’auteur allégués de Voltage, ou que l’adresse IP en cause ait été piratée par un autre internaute. M. Salna prétend ne pas contrôler ni surveiller l’utilisation d’Internet par ses locataires. Il prétend également qu’il n’a pas un contrôle suffisant sur l’utilisation d’Internet par ses locataires ou sur leurs appareils, que les locataires ont le contrôle total et qu’il n’aurait pas pu savoir si les locataires ou d’autres personnes avaient mené des activités interdites par la Loi sur le droit d’auteur. Il reconnaît que le compte Internet est enregistré à son nom.

[34]  M. Salna nie avoir violé les droits d’auteur de Voltage, selon les allégations ou autrement.

(2)  L’affidavit de M. Rose

[35]  James Rose loue un des appartements de M. Salna. Dans son affidavit, daté du 10 juin 2019, M. Rose affirme n’avoir jamais vu les films de Voltage, et que sa dernière utilisation d’un réseau BitTorrent remontait à 2014, avant la sortie de l’un des films en cause. Il affirme n’avoir jamais commis l’un des actes illégaux allégués par Voltage.

[36]  M. Rose reconnaît que des visiteurs avaient passé la nuit chez lui, lesquels avaient utilisé l’accès Internet dans son appartement et pouvaient avoir violé les droits d’auteur de Voltage. Il affirme toutefois qu’il n’a pas été témoin d’une telle violation. M. Rose demande qu’on lui offre le choix de se retirer de la présente instance, car il ne fait partie d’aucun groupe envisagé par Voltage.

(3)  L’affidavit de Mme Cerilli

[37]  Loredana Cerilli a loué un des appartements de M. Salna pendant environ cinq ans, jusqu’en août 2017. Dans son affidavit, daté du 10 juin 2019, Mme Cerilli déclare qu’elle et ses enfants ont utilisé l’Internet offert par M. Salna au cours de la première année où ils ont habité dans son appartement, mais qu’elle est passée à son propre FSI vers l’année 2012, parce que le service du FSI de M. Salna était lent.

[38]  Mme Cerilli prétend qu’elle n’a vu aucun des films de Voltage, et qu’elle n’a jamais utilisé un réseau BitTorrent. Elle affirme ne jamais avoir vu ses enfants, leurs amis ou des visiteurs utiliser un réseau BitTorrent ou regarder des films de Voltage; cependant, ses enfants et leurs amis étaient parfois dans l’appartement sans qu’elle soit présente.

[39]  Mme Cerilli affirme aussi que, si elle avait le choix, elle aimerait se retirer du recours collectif envisagé, parce qu’elle ne s’identifie pas comme membre d’un groupe envisagé par Voltage.

C.  La preuve de l’intervenante

(1)  L’affidavit de M. Lethbridge

[40]  M. Timothy Lethbridge est professeur de génie logiciel et d’informatique à l’Université d’Ottawa. Il est également un ingénieur agréé et un professionnel en systèmes d’information inscrit. Dans son affidavit, daté du 9 septembre 2019, le professeur Lethbridge explique ainsi la relation entre les FSI et les titulaires d’adresses IP :

[traduction]

Une adresse IP est un identificateur numérique attribué à un point de connexion réseau d’un appareil comme un routeur ou un ordinateur, afin de permettre à d’autres appareils de communiquer avec lui sur Internet à l’aide du protocole Internet.

Les fournisseurs de services Internet (FSI) attribuent des adresses IP aux routeurs qui servent de points d’entrée aux réseaux de leurs clients.

Chaque FSI dispose d’un bassin d’adresses IP dans lequel il peut piger, et chaque attribution est susceptible d’être modifiée.

Bien que l’adresse IP d’un appareil connecté à Internet soit unique, elle n’est pas nécessairement associée à un ordinateur ou à un utilisateur individuel. Lorsque l’appareil connecté à Internet est un routeur, comme un routeur Internet sans fil (Wi‑Fi), plusieurs utilisateurs peuvent se connecter à Internet à l’aide d’une même adresse IP sur une variété d’appareils, y compris des ordinateurs de bureau, des ordinateurs portables, des téléphones mobiles, des tablettes, des lecteurs de musique (lecteurs audionumériques), des lecteurs de livres numériques et, de plus en plus, des appareils ménagers multifonctions comme des réfrigérateurs, des aspirateurs, des laveuses et des appareils intelligents pour la maison (p. ex., Alexa et Google Home).

[41]  Le professeur Lethbridge souligne qu’il est difficile, voire impossible, de suivre les activités liées à l’utilisation d’Internet à partir d’appareils individuels connectés à une connexion Internet partagée, à moins que la personne chargée du suivi n’ait un niveau élevé d’expertise technique et un accès à des logiciels spécialisés. Il ajoute ce qui suit :

[traduction]

Il est complètement faux de présumer qu’un client responsable à l’égard d’un FSI aurait connaissance des utilisateurs du compte Internet en question à une date et une heure données, ou qu’il aurait la capacité de le savoir. Il serait impossible de conclure, en fonction, seulement, de l’adresse IP, qu’une personne était responsable de l’activité en ligne associée à cette adresse IP, sans des éléments de preuve supplémentaires obtenus en examinant les ordinateurs ou d’autres appareils effectivement utilisés par cette personne.

[42]  Le professeur Lethbridge affirme que la caractérisation de BitTorrent par M. Perino ne correspond pas à la réalité de l’utilisation du logiciel. Selon le professeur Lethbridge, il n’y a aucune différence entre téléchargement et téléversement de fichiers sur BitTorrent. Il affirme que les utilisateurs [traduction] « ne décident ou n’agissent pas consciemment de façon à offrir le fichier à des fins de téléchargement ou à publiciser sa disponibilité à des fins de téléchargement, parce qu’un aspect essentiel du protocole BitTorrent est que tous les fichiers, une fois partagés, sont partagés par tous ». Le professeur Lethbridge affirme que le téléversement ou l’offre de téléverser des fichiers peut être effectué sans que l’utilisateur en ait connaissance. Il souligne que, lorsqu’un utilisateur de BitTorrent accède à Internet à l’aide de l’adresse IP d’un client d’un FSI, le client n’a pas du tout connaissance de l’existence d’une offre de téléverser ou d’un téléversement de fichiers utilisant son adresse IP.

(2)  L’affidavit de M. Kwan

[43]  Johann Kwan est un stagiaire en droit à la CIPPIC, à Ottawa. Dans son affidavit, daté du 6 septembre 2019, M. Kwan a décrit ses recherches sur les actions intentées par Voltage relativement au partage de fichiers. Il a observé une tendance de [traduction] « pêche à la traîne » de la part de Voltage aux États‑Unis, où elle a intenté environ 96 actions depuis 2010, dont beaucoup contre des défendeurs non identifiés. Comme l’explique M. Kwan :

[traduction]

Aucune des actions intentées par Voltage et les entités susmentionnées qui lui sont associées dans l’appareil judiciaire fédéral américain n’a mené à un procès. Toutes les affaires ont initialement été déposées contre un groupe de défendeurs non identifiés. Dans certains cas, les tribunaux ont refusé dès le départ d’autoriser la jonction de défendeurs non identifiés. Dans certains cas, les tribunaux ont autorisé la jonction des défendeurs au stade des interrogatoires préalables. Habituellement, les tribunaux délivrent une assignation à témoigner contre un FSI tiers afin de permettre la communication de l’identité des défendeurs non identifiés. Une fois l’assignation à témoigner délivrée, les demandeurs sont tenus de poursuivre individuellement chaque défendeur. Dans les cas énumérés ci‑dessous, les demanderesses n’ont poursuivi aucun défendeur individuel ayant déposé une défense. Dans ces cas‑là, les demanderesses sollicitent un désistement volontaire, déposent des jugements sur consentement, ou procèdent jusqu’au jugement par défaut lorsque aucune défense n’est déposée.

III.  Analyse

A.  Aperçu

[44]  Voltage cherche à ce que la demande modifiée sous‑jacente soit autorisée en tant que recours collectif au titre des paragraphes 334.14(2) et (3) ainsi que de l’article 334.16 des Règles, et suivant les modalités énoncées à l’article 334.17; le groupe envisagé étant un groupe de défendeurs (par opposition à un demandeur ou à un groupe de demandeurs).

[45]  Selon Voltage, l’autorisation de sa demande en tant que recours collectif permettra d’économiser plus de temps, d’argent et de ressources judiciaires que l’autre éventualité, qui consiste à nommer personnellement des milliers de défendeurs dans le cadre de procédures distinctes. Voltage affirme que ce choix de procédure réduirait au minimum les obstacles liés à l’application de ce que Voltage qualifie de [traduction] « violations de faible valeur »; en ce sens, le régime de dommages‑intérêts pour les violations non commerciales qui est prévu par la Loi sur le droit d’auteur permet l’octroi de dommages‑intérêts de seulement 100 $ à 5 000 $, plus les dépens.

[46]  Voltage prétend que sa demande satisfait aux conditions prévues au paragraphe 334.16(1) des Règles. Selon elle, sa demande révèle une cause d’action valable, il y a un groupe identifiable d’au moins deux défendeurs individuels, et les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs.

[47]  Selon les défendeurs, il ne convient pas d’autoriser le recours collectif inversé envisagé par Voltage. Si le recours collectif est autorisé, il sera inefficace, injuste et ingérable. Selon les défendeurs, Voltage n’a pas identifié un groupe formé d’au moins deux personnes, et il serait impossible que des membres potentiels s’identifient raisonnablement comme appartenant au groupe envisagé, tel qu’il est défini.

[48]  Même si un groupe existe, les défendeurs affirment qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments communs et qu’un recours collectif n’empêcherait pas une remise en cause de questions tranchées ni ne permettrait des économies en répartissant les dépenses. Essentiellement, les défendeurs affirment que la demande de Voltage soulève des points individuels, et non pas communs, qui exigent un processus complexe d’appréciation des faits pour chaque membre du groupe, ce qui pourrait noyer le processus. Selon les défendeurs, le plan de Voltage relativement à la poursuite de l’instance est impraticable et mettrait en péril l’accès à la justice pour les membres du groupe envisagé.

[49]  La CIPPIC soutient que le recours collectif inversé envisagé ne devrait pas être autorisé, au titre de l’article 334.16 des Règles, parce que la demande de Voltage ne révèle aucune cause d’action valable. Selon la CIPPIC, il n’y a aucun groupe identifiable formé d’au moins deux personnes correspondant à une définition de groupe objective; il n’y a aucun point commun qui fait progresser le litige; un recours collectif inversé n’est pas la procédure à privilégier.

B.  Les principes généraux régissant les recours collectifs

[50]  Le but des recours collectifs est triple : (i) faciliter l’accès à la justice; (ii) conserver les ressources judiciaires; (iii) modifier les comportements nuisibles (Western Canadian Shopping Centers Inc c Dutton, 2001 CSC 46, aux par. 27 à 29 [Dutton]; Hollick c Toronto (Ville), 2001 CSC 68, aux par. 15, 16 et 25 [Hollick]). Dans Hollick, la juge en chef McLachlin a déclaré ce qui suit, au nom de la Cour :

[15]  La Loi [sur les recours collectifs de l’Ontario] traduit la reconnaissance croissante des avantages importants qu’offre le recours collectif comme instrument de procédure. [...] le recours collectif a trois avantages majeurs sur les poursuites individuelles multiples. Premièrement, par le regroupement d’actions individuelles semblables, le recours collectif permet de faire des économies de ressources judiciaires en évitant la duplication inutile de l’appréciation des faits et de l’analyse du droit. Deuxièmement, en répartissant les frais fixes de justice entre les nombreux membres du groupe, le recours collectif assure un meilleur accès à la justice en rendant économiques des poursuites que les membres du groupe auraient jugées trop coûteuses pour les intenter individuellement. Troisièmement, le recours collectif sert l’efficacité et la justice en faisant en sorte que les malfaisants actuels ou éventuels prennent pleinement conscience du préjudice qu’ils infligent ou qu’ils pourraient infliger au public et modifient leur comportement en conséquence. […] [Renvois omis.] Il est donc essentiel, selon moi, que les tribunaux n’interprètent pas la loi de manière trop restrictive, mais qu’ils adoptent une interprétation qui donne pleinement effet aux avantages escomptés par les rédacteurs.

[51]  Une requête en autorisation est de nature procédurale. Son but n’est pas de déterminer si le litige a des chances de succès, mais comment le litige doit se dérouler (Sauer c Canada (Attorney General), [2008] OJ No 3419, au par. 12). Il incombe à la partie requérante d’établir un fondement factuel à l’appui de l’autorisation (Nation crie de Samson c Nation crie de Samson (Chef et conseil), [2009] 4 RCF 3, au par. 32, conf. par 2010 CAF 165 [Buffalo Samson CAF]). Les critères énoncés au paragraphe 334.16(1) des Règles sont conjonctifs, et si un demandeur ne satisfait pas à l’un des cinq critères énumérés, la requête en autorisation doit être rejetée (Buffalo Samson CAF, au par. 3). La partie requérante doit établir un certain fondement factuel pour chacune des conditions d’autorisation, autre que l’exigence que les actes de procédures révèlent une case d’action valable (Hollick, au par. 25).

C.  Les recours collectifs inversés

[52]  Les observations de Voltage se rapportent principalement à l’article 334.16 des Règles, qui prévoit les critères d’autorisation, ainsi qu’à la jurisprudence qui interprète cet article.

[53]  Un recours collectif inversé peut être autorisé par la Cour fédérale. Il s’agit d’une action civile intentée contre des défendeurs au nom d’un groupe de personnes dans une situation similaire. Les objectifs des recours collectifs inversés sont les mêmes que ceux des recours collectifs habituels : (i) conserver les ressources judiciaires et économiser des frais de litiges privés; (ii) empêcher de nouveaux litiges portant sur les mêmes questions; (iii) répartir les dépenses et trancher des points communs à plusieurs défendeurs (Chippewas of Sarnia Band c Canada (Attorney General), [1996] OJ No 2475, au par. 16 [Chippewas]).

[54]  Le paragraphe 334.14(2) des Règles permet à une partie à une action ou à une demande introduite contre plusieurs défendeurs de présenter une requête en vue de faire autoriser l’instance comme recours collectif et de faire nommer un représentant défendeur. Le paragraphe 334.14(3) des Règles prévoit que la partie 5.1 des Règles des Cours fédérales s’applique, avec les adaptations nécessaires, à un recours collectif contre un groupe de défendeurs.

[55]  Aux termes de l’article 334.11 des Règles, si aucune disposition spéciale n’est prévue à la partie 5.1 concernant les actions et les demandes en matière de recours collectifs, les dispositions générales des Règles des Cours fédérales s’appliquent. L’article 334.16 des Règles énonce les conditions d’autorisation, les questions à examiner et, le cas échéant, les sous‑groupes. L’article 334.17 des Règles énonce le contenu de l’ordonnance d’autorisation de l’instance comme recours collectif.

[56]  Le paragraphe 334.14(2) des Règles, qui prévoit l’autorisation d’un recours collectif contre un groupe de défendeurs et la nomination d’un représentant défendeur, découle d’une série de discussions tenues par le Comité des règles de la Cour fédérale de 1998 à 2000. Ces discussions ont abouti à l’adoption par le Comité des principes adoptés par l’Ontario en matière d’autorisation de recours collectifs contre des groupes de défendeurs, à savoir l’article 4 de la Loi de 1992 sur les recours collectifs, LO 1992, c 6 [la LRCO], et l’alinéa 23a) des Règles de la Cour fédérale des États‑Unis (Comité des règles de la Cour fédérale, Le recours collectif en Cour fédérale du Canada : document de travail, Ottawa, le 9 juin 2000, à la page 3).

[57]  La partie 5.1 des Règles des Cours fédérales ne définit ni ne délimite la portée des « adaptations nécessaires » dans le cadre d’un recours collectif d’un groupe de défendeurs. Bien qu’il n’y ait pas de précédent contraignant ou directeur à l’égard de l’interprétation des paragraphes 334.14(2) et (3) des Règles, dans Canada c John Doe, 2016 CAF 191 [John Doe], la Cour d’appel fédérale a fait remarquer ce qui suit :

[22]  Les conditions de l’autorisation d’une instance comme recours collectif sont énoncées à l’article 334.16 des Règles. Aux termes de cet article, le juge autorise une instance comme recours collectif si les conditions suivantes sont réunies : a) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable; b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes; c) les réclamations soulèvent des points de droit ou de fait communs; d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler ces points de façon juste et efficace et e) il existe un représentant demandeur qui représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe. Ces critères sont essentiellement les mêmes que ceux qui sont appliqués dans les cours provinciales de l’Ontario et de la Colombie‑Britannique. Ainsi, la jurisprudence de la Cour fédérale concernant l’autorisation s’appuie en grande partie sur des arrêts de la Cour suprême portant sur des litiges ayant pris naissance dans ces provinces (Buffalo c. Nation Crie de Samson, 2010 CAF 165).

[58]  Dans Chippewas, la Cour de justice de l’Ontario a observé ce qui suit :

[traduction]

[17]  Les recours collectifs contre des groupes de défendeurs font depuis longtemps partie de la jurisprudence anglo‑américaine. Leurs origines remontent aux cours anglaises d’equity aux 18e et 19e siècles. Ils sont devenus un moyen d’offrir aux demandeurs un recours exécutoire lorsqu’il est autrement impossible d’assurer la présence de tous les défendeurs potentiels, tout en veillant à ce que les personnes touchées par l’issue d’une action en justice soient suffisamment protégées, malgré leur absence. Une représentation adéquate des défendeurs absents a été considérée comme une alternative suffisante pour satisfaire aux exigences en matière de justice naturelle relatives à l’avis individuel, ainsi que pour offrir la possibilité d’être entendus. [...] [Renvois omis.]

[18]  Hansberry c. Lee [...] est l’une des décisions américaines faisant autorité qui tiennent compte des circonstances dans lesquelles les personnes absentes seront liées par un jugement. Dans cette affaire, la Cour suprême des États‑Unis a décrit les origines du recours collectif contre un groupe de défendeurs en ces termes, à la page 118 :

[traduction]

Le recours collectif était une invention des cours d’equity pour leur permettre de rendre un jugement à l’égard de poursuites où le nombre de personnes intéressées par l’objet du litige est si élevé que leur jonction en tant que parties, conformément aux règles de procédure habituelles, est peu pratique. Il n’est pas rare que les tribunaux soient appelés à se prononcer sur des actions dans lesquelles le nombre de personnes intéressées par le litige est si élevé qu’il rend difficile, voire impossible, la jonction de toutes les parties, parce que certaines ne relèvent pas de leur compétence, qu’on ne sait pas où elles se trouvent ou que, si toutes les parties étaient jointes dans le cadre d’une même poursuite, la diminution continue de leur nombre par la mort de certaines parties empêcherait ou retarderait indûment un jugement. Dans les cas où les intérêts des personnes qui ne sont pas jointes appartiennent à la même catégorie que les intérêts de celles qui le sont, et où il est jugé que ces dernières représentent de façon juste les premières dans la poursuite du litige portant sur des questions dans lesquelles toutes ont un intérêt commun, le tribunal rendra un jugement.

[59]  Dans Chippewas, la Cour de l’Ontario a fait remarquer que l’Ontario était (en 1996) le seul ressort au Canada possédant une loi générale sur les recours collectifs, laquelle autorisait expressément le recours collectif contre un groupe de défendeurs, en plus des recours collectifs de demandeurs, plus communs (au par. 25). Cette cour a en outre noté que la LRCO était une loi corrective à laquelle il fallait donner une interprétation téléologique, conformément à ses objectifs de promotion de l’économie judiciaire et de l’accès aux tribunaux (au par. 26). À son avis, l’article 4 de la LRCO n’exigeait pas que tous les défendeurs potentiels soient nommés avant l’autorisation de l’instance, et il ne se limitait pas expressément aux représentants défendeurs volontaires ou consentants (aux par. 45 et 46).

D.  Le critère applicable à l’autorisation

[60]  L’article 334.16 des Règles prévoit qu’un juge doit autoriser une instance comme recours collectif si les conditions suivantes sont réunies :

a) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;

b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;

c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, que ceux‑ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre;

d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs;

e) il existe un représentant demandeur qui :

(i) représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe,

(ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement,

(iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs,

(iv) communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier.

[61]  Selon Voltage, une instance doit être autorisée comme recours collectif si toutes les conditions énoncées à l’article 334.16 des Règles sont remplies. Voltage est d’avis que l’autorisation des recours collectifs est souhaitable en tant que principe général et qu’un fardeau excessif ne devrait pas être invoqué pour refuser l’autorisation.

(1)  Les actes de procédure révèlent‑ils une cause d’action valable?

[62]  La première condition à satisfaire pour autoriser une instance comme recours collectif est que les actes de procédures doivent révéler une cause d’action valable. Cela est apprécié au regard de la même norme de preuve que celle qui s’applique à une requête visant à rejeter une action ou une demande; à supposer que les faits invoqués soient vrais, cette condition sera satisfaite, à moins qu’il soit manifeste que la demande ne pourrait pas être accueillie (Pro‑Sys Consultants Ltd c Microsoft Corporation, 2013 CSC 57, au par. 63 [Pro‑Sys]).

[63]  Selon Voltage, le seuil à atteindre pour satisfaire à la première condition est peu élevé et il n’est pas nécessaire qu’elle l’atteigne à l’égard de toutes les causes d’action invoquées. Voltage affirme qu’il suffit que ses actes de procédure révèlent au moins une cause d’action valable.

[64]  Voltage prétend avoir une cause d’action valable contre chacun des contrefacteurs directs et des contrefacteurs autorisateurs, parce qu’ils ont fait une mise en circulation non autorisée de copies des films de Voltage sur Internet. Voltage prétend également qu’elle est en droit de faire respecter ses droits d’auteur et que la cause d’action contre les contrefacteurs directs est appropriée.

[65]  Voltage affirme que, dans certaines circonstances, le fait de ne pas supprimer le contenu illicite une fois avisé de la violation pourrait mener à une conclusion de violation du droit d’auteur par autorisation. Selon Voltage, l’autorisation d’une violation du droit d’auteur constitue une cause d’action valable.

[66]  Voltage ajoute que les personnes qui ont permis à d’autres d’utiliser leurs comptes Internet, ces autres personnes ayant à leur tour commis des violations de droits d’auteur, ne peuvent pas être dans l’ignorance volontaire quant à la façon dont leurs comptes ont été utilisés. Voltage prétend que ces personnes ont l’obligation légale de ne pas rester sans rien faire et qu’elles ont omis d’être raisonnablement informées de l’utilisation de leurs comptes Internet.

[67]  La position de la CIPPIC, que les défendeurs adoptent et sur laquelle ils s’appuient, est que Voltage n’a pas invoqué les faits nécessaires pour révéler une cause d’action pour l’un ou l’autre des trois actes illégaux allégués, à savoir offrir le téléchargement d’un film, violer les films à une étape ultérieure et autoriser d’autres personnes à violer les droits d’auteur sur les films.

[68]  Selon la CIPPIC, Voltage n’a identifié aucun défendeur visé par ses allégations de violation directe. De l’avis de la CIPPIC, il est manifeste que les allégations de Voltage ne peuvent pas être acceptées sans qu’un défendeur soit identifié. La CIPPIC affirme que Voltage n’a fourni aucune description de ces personnes et qu’elle n’a pas indiqué comment elles pourraient être identifiées. La CIPPIC note que, bien que Voltage affirme que son logiciel d’analyse technique a identifié les membres du groupe envisagé au moyen d’une adresse IP située au Canada, Voltage reconnaît qu’un contrefacteur direct prétendu peut ne pas être la même personne que la personne dont l’adresse IP a été déterminée par Voltage.

[69]  La CIPPIC affirme que Voltage n’a pas invoqué les faits nécessaires pour justifier sa demande relative à la [traduction] « publicité du film en vue de son téléchargement ». Selon la CIPPIC, en l’absence de faits substantiels invoqués à l’appui d’un fondement juridique au titre de la Loi sur le droit d’auteur, l’allégation de publicité de films en vue de leur téléchargement à l’aide du protocole BitTorrent doit être rejetée. La CIPPIC affirme qu’il ne s’agit pas d’une cause d’action reconnue par la Loi sur le droit d’auteur.

[70]  La CIPPIC soutient que Voltage n’a pas invoqué les faits nécessaires pour établir une violation à une étape ultérieure aux termes du paragraphe 27(2) de la Loi sur le droit d’auteur. Elle affirme que les trois éléments qui doivent être prouvés pour établir une violation à une étape ultérieure sont les suivants : (i) une violation initiale du droit d’auteur; (ii) l’auteur de la violation à une étape ultérieure aurait dû savoir qu’il utilisait le produit d’une violation du droit d’auteur; (iii) l’auteur de la violation à une étape ultérieure a vendu, mis en circulation ou mis en vente les marchandises en cause. Selon la CIPPIC, étant donné que Voltage n’a invoqué aucun de ces faits, elle ne répond pas au critère manifeste.

[71]  La CIPPIC note que, dans son avis de demande modifié et son avis de requête modifié, Voltage n’a pas invoqué les faits suivants : (i) il y a eu une violation initiale à l’égard des films, laquelle s’est produite avant que les prétendues violations aient été commises par des membres du groupe envisagé; (ii) les contrefacteurs savaient qu’ils utilisaient le produit d’une violation du droit d’auteur; (iii) les membres du groupe ont vendu, loué ou mis en circulation les films, portant préjudice à Voltage.

[72]  La CIPPIC fait valoir que Voltage n’a pas invoqué les faits nécessaires pour justifier une demande d’autorisation au titre des paragraphes 27(2.3) et (2.4) de la Loi sur le droit d’auteur, qui prévoient ce qui suit :

(2.3) Constitue une violation du droit d’auteur le fait pour une personne de fournir un service sur Internet ou tout autre réseau numérique principalement en vue de faciliter l’accomplissement d’actes qui constituent une violation du droit d’auteur, si une autre personne commet une telle violation sur Internet ou tout autre réseau numérique en utilisant ce service.

(2.4) Lorsqu’il s’agit de décider si une personne a commis une violation du droit d’auteur prévue au paragraphe (2.3), le tribunal peut prendre en compte les facteurs suivants :

a) le fait que la personne a fait valoir, même implicitement, dans le cadre de la commercialisation du service ou de la publicité relative à celui‑ci, qu’il pouvait faciliter l’accomplissement d’actes qui constituent une violation du droit d’auteur;

b) le fait que la personne savait que le service était utilisé pour faciliter l’accomplissement d’un nombre important de ces actes;

c) le fait que le service a des utilisations importantes, autres que celle de faciliter l’accomplissement de ces actes;

d) la capacité de la personne, dans le cadre de la fourniture du service, de limiter la possibilité d’accomplir ces actes et les mesures qu’elle a prises à cette fin;

e) les avantages que la personne a tirés en facilitant l’accomplissement de ces actes;

f) la viabilité économique de la fourniture du service si celui‑ci n’était pas utilisé pour faciliter l’accomplissement de ces actes.

[73]  Selon la CIPPIC, pour établir une demande aux termes du paragraphe 27(2.3), il faut invoquer l’existence d’au moins quelques‑uns des facteurs énumérés au paragraphe 27(2.4), et les actes de procédure de Voltage sont lacunaires à cet égard. La CIPPIC est d’avis que toute demande d’autorisation doit être fondée sur les facteurs prévus aux paragraphes 27(2.3) et (2.4). La CIPPIC note que, dans des litiges similaires aux États‑Unis, la demande d’autorisation de Voltage a été rejetée.

(2)  Les actes de procédure ne révèlent aucune cause d’action valable

[74]  Comme il a déjà été mentionné, le critère applicable à cette étape est la question de savoir si les actes de procédure révèlent une cause d’action valable, en présumant que les faits allégués sont vrais (Pro‑Sys, au par. 63). Pour rendre sa décision concernant la question de savoir s’il existe une cause d’action valable, la Cour doit s’appuyer sur les faits allégués dans les actes de procédure de Voltage, et non pas sur la preuve qu’elle a produite à l’appui de la requête en autorisation (Condon c Canada, 2015 CAF 159, au par. 15). Dans Hollick, la Cour suprême du Canada a statué qu’une audience relative à l’autorisation ne comprend aucun examen au fond du recours; elle s’intéresse plutôt à la forme que revêt l’action pour déterminer s’il convient de procéder par recours collectif (au par. 16).

[75]  Le paragraphe 27(1) de la Loi sur le droit d’auteur décrit ce qu’on appelle une « violation initiale » (Euro‑Excellence Inc c Kraft Canada Inc, 2007 CSC 37, au par. 17 [Euro‑Excellence]). Cette disposition prévoit que l’accomplissement, sans le consentement du titulaire du droit d’auteur, d’un acte qu’aux termes de la Loi sur le droit d’auteur seul ce titulaire a la faculté d’accomplir constitue une violation du droit d’auteur. L’article 3 de la Loi sur le droit d’auteur dresse la liste des droits que le titulaire du droit d’auteur possède au titre de la Loi sur le droit d’auteur. Ces droits comprennent notamment le droit exclusif de produire et de reproduire des exemplaires d’une œuvre protégée par le droit d’auteur, ainsi que de communiquer l’œuvre au public par télécommunication.

[76]  En ce qui concerne la violation à une étape ultérieure, la Cour suprême du Canada a statué que trois éléments étaient requis pour établir cette cause d’action au titre du paragraphe 27(2) de la Loi sur le droit d’auteur : (i) une violation initiale du droit d’auteur; (ii) l’auteur de la violation à une étape ultérieure aurait dû savoir qu’il utilisait le produit d’une violation initiale du droit d’auteur; (iii) l’auteur de la violation à une étape ultérieure a vendu, mis en circulation ou mis en vente des marchandises constituant des contrefaçons (CCH Canadienne Ltée c Barreau du Haut‑Canada, 2004 CSC 13, au par. 81 [CCH]; Euro‑Excellence, au par. 19)

[77]  Je souscris aux observations de la CIPPIC selon lesquels les actes de procédure de Voltage ne révèlent aucune cause d’action valable en ce qui concerne la violation initiale. Bien que Voltage allègue que son logiciel d’analyse technique a décelé une violation directe à l’égard de ses films, elle n’a identifié aucun contrefacteur direct dans son avis de demande modifié. En l’absence d’un défendeur identifiable, il ne convient pas d’autoriser l’action comme recours collectif; il est donc manifeste que les allégations de Voltage ne peuvent pas être acceptées.

[78]  À mon avis, les actes de procédure de Voltage ne révèlent pas non plus une cause d’action valable concernant les abonnés à Internet qui appartiennent au groupe de contrefacteurs autorisateurs ou, d’ailleurs, d’auteurs de la violation à une étape ultérieure. En s’appuyant sur les remarques incidentes du juge Binnie (s’exprimant pour les juges majoritaires) dans Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c Association canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, aux par. 127 et 128 [SOCAN], Voltage affirme qu’un contrefacteur autorisateur ne peut pas être dans l’ignorance volontaire quant à l’utilisation de son compte Internet. Selon Voltage, un contrefacteur autorisateur a l’obligation légale de surveiller les activités en ligne des personnes utilisant leur connexion Internet après la réception d’un avis de prétendue violation sous le régime d’« avis et avis », au titre de la Loi sur le droit d’auteur.

[79]  L’argument de Voltage concernant les contrefacteurs autorisateurs repose de façon injustifiée sur une lecture trop large des observations du juge Binnie dans SOCAN. La Cour suprême n’a pas défini l’« autorisation » et sa portée dans SOCAN. Elle a plutôt déclaré ce qui suit :

[127]  Le fait de savoir que quelqu’un pourrait violer le droit d’auteur grâce à une technologie sans incidence sur le contenu (par ex. un photocopieur, comme dans CCH) n’équivaut pas nécessairement à autoriser cette violation, car il faut démontrer que l’intéressé a « approuv[é], sanctionn[é], perm[is], favoris[é], encourag[é] » (CCH, par. 38) le comportement illicite. Je conviens que l’omission de « retirer » un contenu illicite après avoir été avisé de sa présence peut, dans certains cas, être considérée comme une « autorisation ». Toutefois, ce n’est pas le cas en l’espèce. Tout dépend en grande partie des circonstances. Conclure hâtivement à une « autorisation » placerait le fournisseur de services Internet dans une situation difficile. Il devrait alors déterminer si l’allégation de violation du droit d’auteur est fondée et décider soit de contester l’action pour violation du droit d’auteur, soit de manquer éventuellement à ses obligations contractuelles envers le fournisseur de contenu. La meilleure solution serait que le législateur adopte une procédure « d’avis et de retrait » à l’instar de la Communauté européenne et des États‑Unis. [Italiques dans l’original; non souligné dans l’original.]

[80]  L’allégation de Voltage selon laquelle les défendeurs ont offert un film à télécharger ne peut pas être acceptée, compte tenu de la preuve offerte par le professeur Lethbridge portant qu’il n’y a aucune différence entre le téléchargement et le téléversement de fichiers dans BitTorrent, et que les internautes ne décident pas ou n’agissent pas consciemment de façon à offrir un fichier à télécharger ou à annoncer qu’il peut être téléchargé. Un aspect essentiel du protocole BitTorrent est que tous les fichiers, une fois partagés, sont partagés par tous et que ce partage peut se faire sans que l’utilisateur en ait connaissance. Cette preuve montre en outre de façon manifeste que l’allégation de Voltage concernant la violation à une étape ultérieure de ses films ne peut pas être acceptée.

[81]  Je suis d’accord avec la CIPPIC pour dire que Voltage n’a pas invoqué les faits nécessaires pour établir son allégation concernant la [traduction] « publicité de l’œuvre en vue de son téléchargement ». En l’absence de faits substantiels invoqués à l’appui d’un fondement juridique au titre de la Loi sur le droit d’auteur, il est manifeste que l’allégation de publicité des films en vue de leur téléchargement doit être rejetée. L’allégation de Voltage — selon laquelle chaque membre du groupe envisagé a annoncé la disponibilité d’un film en vue de son téléchargement par l’entremise du protocole BitTorrent — n’est pas une cause d’action reconnue au titre de la Loi sur le droit d’auteur.

(3)  La norme de preuve

[82]  Le critère applicable à l’examen de la question de savoir si les actes de procédure révèlent une cause d’action valable ne devrait pas être confondu avec la norme de preuve relative à « un certain fondement factuel » applicable aux quatre autres conditions d’autorisation (John Doe, au par. 33). Pour chaque condition énoncée à l’article 334.16 des Règles (à l’exception de la question de savoir si les actes de procédure révèlent une cause d’action valable), la partie qui sollicite l’autorisation doit démontrer qu’« un certain fondement factuel » l’établit (Pro‑Sys, au par. 100). Bien que la preuve ait un rôle à jouer dans le processus d’autorisation, la norme de preuve n’exige pas une preuve selon la prépondérance des probabilités ou que le tribunal se prononce sur les éléments de fait et les éléments de preuve contradictoires (Pro‑Sys, au par. 102).

[83]  Une requête en autorisation ne comprend aucune appréciation, au fond, de l’instance sous‑jacente. Elle met plutôt l’accent sur la forme que revêt l’action ou la demande en vue de déterminer s’il convient de procéder par recours collectif. L’issue d’une affaire dépend des faits qui lui sont propres (Pro‑Sys, au par. 104). Suffisamment de faits doivent permettre de remplir les conditions d’autorisation énoncées au paragraphe 334.16(1) des Règles. Des faits substantiels doivent être invoqués à l’appui de chaque cause d’action avancée. Les simples affirmations sont insuffisantes et ne peuvent fonder une cause d’action (John Doe, au par. 33).

(4)  Existe‑t‑il un groupe identifiable?

[84]  L’alinéa 334.16(1)b) des Règles exige que Voltage démontre l’existence d’un certain fondement factuel permettant de conclure qu’il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes. Un groupe identifiable existe : (i) s’il peut être défini par des critères objectifs; (ii) il peut être défini sans qu’il soit nécessaire de se référer au fond de l’action; (iii) s’il existe un lien rationnel entre les points communs et la définition du groupe envisagé; (iv) s’il est possible de définir ce groupe de façon claire, et non sans limites (Hollick, au par. 17).

[85]  Les parties ne s’entendent pas quant à la question de savoir s’il existe un tel groupe.

a)  Les observations de Voltage

[86]  Voltage prétend que son fardeau n’est pas onéreux, puisqu’il n’est pas nécessaire de démontrer que tous les membres du groupe partagent le même intérêt dans le règlement des points communs énoncés. Selon Voltage, il lui suffit de montrer que le groupe n’est pas inutilement large.

[87]  Lors de l’audition de la présente requête et dans sa réplique, Voltage a précisé que les membres du groupe ne seraient que des contrefacteurs directs ou des contrefacteurs autorisateurs qui sont également abonnés à un compte Internet. En d’autres termes, le groupe de défendeurs serait limité aux personnes qui sont abonnées à un compte Internet et qui peuvent être identifiées par un FSI. Un contrefacteur direct qui n’est pas abonné à un compte Internet ne ferait pas partie du groupe.

[88]  Voltage affirme que chaque membre du groupe envisagé serait détecté au moment où serait commise une violation du droit d’auteur de la même manière, c’est‑à‑dire que son compte Internet a offert de téléverser au moins un des films de Voltage, sans apparence de droit. Pour Voltage, le terme [traduction] « téléverser » équivaut à l’expression [traduction] « mettre en circulation ». Selon elle, les défendeurs formant le groupe comprendraient les personnes dont les comptes Internet avaient été détectés par un logiciel d’analyse technique comme offrant de téléverser les films pendant une période de six mois avant l’envoi d’un avis d’attestation.

[89]  Voltage affirme qu’elle utilisera d’abord son logiciel d’analyse technique pour vérifier que chaque offre de mise en circulation constitue un acte illégal. Voltage propose ensuite d’envoyer à chaque membre connu du groupe de défendeurs envisagé un avis d’attestation par l’entremise du système automatisé d’avis et avis de leur FSI. Voltage prétend que les questions sont identiques pour chaque membre du groupe envisagé.

b)  Les observations des défendeurs

[90]  Les défendeurs affirment que la définition de Voltage pour le groupe envisagé ne peut être autorisée, parce qu’elle ne fournit aucun élément de preuve sur les membres potentiels de ce groupe. Ils soutiennent que Voltage n’a pas réussi à identifier un seul contrefacteur direct parmi les représentants défendeurs proposés, sans parler de l’existence d’un groupe formé d’au moins deux personnes qui sont soit des contrefacteurs directs, soit des contrefacteurs autorisateurs. De l’avis des défendeurs, il serait vain d’autoriser un recours collectif lorsqu’il n’y a aucun élément de preuve relatif aux membres potentiels du groupe.

[91]  Les défendeurs affirment en outre que la partie qui sollicite l’autorisation doit démontrer l’existence de membres réels du groupe, et, non pas, simplement celle de membres potentiels. Selon les défendeurs, Voltage a échoué à cet égard. Le mémoire des faits et du droit de Voltage mentionne environ 55 000 adresses IP par lesquelles on offrait la mise en circulation de ses films au moyen du protocole BitTorrent, ainsi qu’environ 2 000 adresses IP uniques par lesquelles on offrait les films au cours des six derniers mois. Les défendeurs font remarquer que Voltage a omis de fournir des éléments de preuve à l’appui de ces allégations. Aux dires des défendeurs, Voltage ne fait qu’émettre une hypothèse selon laquelle le groupe correspondra à une des deux catégories proposées de contrefacteurs.

[92]  Les défendeurs soulignent que Voltage n’a déterminé qu’une seule adresse IP qui aurait rendu les films disponibles pour le téléchargement, c’est‑à‑dire celle qui est associée à M. Salna. Les défendeurs prétendent que, lors du contre‑interrogatoire, M. Perino a admis les faits suivants : (i) il ne sait pas si cette adresse IP était connectée à un routeur ou si, à un moment donné, un ou plusieurs appareils utilisaient l’adresse IP; (ii) il était possible que de multiples ordinateurs, téléphones portables ou tablettes utilisent Internet par l’intermédiaire de cette adresse IP; (iii) il ne connaît pas l’identité de la personne qui a rendu les films disponibles pour le téléversement et il aurait pu s’agir de toute personne utilisant l’adresse IP de M. Salna.

[93]  De l’avis des défendeurs, Voltage n’a pas satisfait à la condition selon laquelle un groupe doit être défini clairement au moyen de critères objectifs. Selon les défendeurs, la définition du groupe ne peut pas être assujettie au bien‑fondé de l’action proposée ni en dépendre; elle devrait également être limitée dans le temps. Aux dires des défendeurs, une définition claire d’un groupe est essentielle, parce qu’elle identifie les personnes qui ont droit à un avis et à une réparation (si une réparation est accordée) et qui seraient liées par le jugement.

[94]  Les défendeurs soutiennent qu’il serait très difficile de déterminer l’appartenance au groupe, parce que l’identité des membres ne serait pas vérifiable sans un processus complexe d’appréciation des faits et un examen approfondi, au fond, des questions relatives à la responsabilité personnelle. De l’avis des défendeurs, la définition de Voltage pour le groupe envisagé n’est ni claire ni objective.

[95]  Selon les défendeurs, la question de savoir si une personne réside au Canada exige des membres du groupe envisagé de tirer des conclusions subjectives et juridiques, parce que la détermination de la résidence est multifactorielle et que le lieu de résidence d’une personne dépend des faits propres à chaque cas. Les défendeurs affirment que les critères permettant d’identifier les contrefacteurs directs et les contrefacteurs autorisateurs sont des points importants devant être tranchés à l’instruction et qu’ils ne sont pas vérifiables sans tenir compte du bien‑fondé de la demande de Voltage.

[96]  Les défendeurs affirment en outre que la définition de « contrefacteurs directs » exigerait que les membres du groupe envisagé effectuent des appréciations complexes et techniques pour déterminer eux‑mêmes s’ils ont téléversé un film ou en ont fait la publicité. De l’avis des défendeurs, la question de savoir si quelqu’un a illégalement copié un des films de Voltage nécessite une décision judiciaire, ce qui ne serait pas évident pour les profanes du groupe envisagé et rendrait ingérable la détermination de l’appartenance au groupe.

[97]  Selon les défendeurs, la définition de « contrefacteurs autorisateurs » exige des membres potentiels du groupe de tirer des conclusions subjectives et juridiques quant à savoir s’ils ont pris des mesures raisonnables pour prévenir des actes illégaux ou ont autorisé une copie illégale d’un des films de Voltage. Les défendeurs prétendent que ce n’est pas vérifiable sans un examen approfondi du bien‑fondé de la demande de Voltage et une décision judiciaire.

c)  Les observations de l’intervenante

[98]  La CIPPIC adopte les observations des défendeurs et s’appuie sur celles‑ci quant à la question de savoir s’il existe un groupe identifiable.

d)  Analyse

[99]  Voltage soutient que bon nombre des préoccupations soulevées par les défendeurs et l’intervenante se rapportent à des questions pratiques d’identification des contrefacteurs directs qui sont aussi des abonnés à un compte Internet. Voltage reconnaît que le processus d’identification de ces personnes nécessiterait de statuer sur une question de fait supplémentaire si elles n’étaient pas identifiées, au moyen d’une ordonnance de type Norwich, comme étant la personne titulaire du compte pertinent à une date et à une heure données.

[100]  Comme il a déjà été mentionné, Voltage a précisé lors de l’audition de la présente affaire et dans sa réplique que les membres du groupe ne seraient que des contrefacteurs directs ou des contrefacteurs autorisateurs qui sont aussi des abonnés à Internet et reçoivent un avis d’attestation de leur FSI. Selon Voltage, les contrefacteurs qui ne reçoivent aucun avis d’attestation de leur FSI ne feraient pas partie du groupe et ne feraient pas l’objet de poursuites judiciaires. Voltage affirme qu’un contrefacteur direct qui n’est pas abonné à un compte Internet n’appartiendrait pas au groupe et ne serait pas identifié dans une éventuelle ordonnance de type Norwich dans le cadre de la présente instance. Voltage prétend que cette précision résout la grande majorité des préoccupations quant à l’existence d’un groupe identifiable.

[101]  Toutefois, cette précision nuit à la demande de Voltage, du moins en partie, parce qu’à l’époque en cause, ni M. Rose ni Mme Cerilli n’étaient abonnés à un compte Internet. Si M. Rose et Mme Cerilli étaient impliqués dans une violation du droit d’auteur (ce qu’ils nient), ils ne feraient pas partie de la catégorie des contrefacteurs directs, parce qu’ils n’étaient pas abonnés à un compte Internet au moment pertinent.

[102]  Le critère du groupe identifiable exige que Voltage démontre un certain fondement factuel à la conclusion selon laquelle il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes. Seul M. Salna peut faire partie du groupe envisagé des contrefacteurs autorisateurs, et, étant donné qu’il nie toute violation directe des droits d’auteur de Voltage, il ne serait pas un contrefacteur direct.

[103]  Dans son mémoire des faits et du droit, Voltage prétend avoir déterminé des milliers d’adresses IP (en plus de celle de M. Salna) qui offraient de mettre en circulation ses films au moyen du protocole BitTorrent. Toutefois, comme les défendeurs le soulignent à juste titre, ces renseignements n’ont pas été présentés en preuve; ils ne font l’objet que d’une note en bas de page dans le mémoire des faits et du droit de Voltage.

[104]  Les allégations de Voltage (non étayées par la preuve) selon lesquelles elle serait en possession de milliers d’adresses IP qui auraient violé les droits d’auteur sur ses films sont, à mon avis, insuffisantes pour constituer un certain fondement factuel à l’existence réelle d’un groupe formé d’au moins deux personnes. Bien que le seuil soit peu élevé et que la Cour ne doive pas tenter de statuer sur des faits et des éléments de preuve contradictoires à l’étape de l’autorisation, la Cour est néanmoins tenue d’examiner la question de savoir s’il existe un certain fondement factuel aux réclamations de Voltage.

[105]  Dans Tippett, la Cour a récemment abordé cette question; le juge Southcott a observé ce qui suit :

[49] […] À mon avis, il existe une différence entre l’évaluation du caractère suffisant de la preuve et le fait de statuer sur les éléments contradictoires de celle‑ci. La première relève tout à fait du mandat de la Cour saisie d’une requête en autorisation, et est nécessaire afin de déterminer si le demandeur a établi un certain fondement factuel à l’égard des conditions d’autorisation. Habituellement, le deuxième ne relève pas du mandat de la Cour qui examine une demande d’autorisation.

[50] Pour autant, je ne conclurais pas nécessairement qu’une cour qui examine une demande d’autorisation ne peut jamais procéder, de manière limitée, à une appréciation de la preuve pertinente pour déterminer si la norme applicable a été respectée. En effet, dans l’arrêt Fischer c IG Investment Management Ltd, 2013 CSC 69 (CanLII) [Fischer], au paragraphe 43, la Cour suprême a déclaré qu’à cette étape, « le tribunal ne peut procéder à une appréciation détaillée de la preuve et doit plutôt se borner à vérifier si les critères de certification reposent sur un certain fondement factuel » [non souligné dans l’original]. Je relève également la mise en garde formulée dans l’arrêt Pro‑Sys, au paragraphe 104, selon laquelle il serait peu utile de tenter de définir « un certain fondement factuel » dans l’abstrait. À mon avis, il m’est inutile de trancher définitivement la question de savoir si la Cour peut apprécier la preuve pertinente aux conditions d’autorisation, ou dans quelle mesure elle peut le faire. Il est plutôt clair que l’examen de la preuve que la défenderesse demande à la Cour d’effectuer en l’espèce va au‑delà d’évaluer son caractère suffisant, et que cet exercice représenterait un degré d’appréciation et de décision quant aux éléments contradictoires de la preuve qui n’est pas approprié pour une requête en autorisation. [Souligné dans l’original.]

[106]  À mon avis, Voltage n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir l’existence réelle d’un groupe formé d’au moins deux personnes. Au mieux, elle n’a fourni la preuve que concernant une seule adresse IP ayant servi à la contrefaçon, à savoir celle de M. Salna. Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que la détermination de l’appartenance au groupe n’est pas vérifiable sans un examen approfondi, au fond, des questions relatives à la responsabilité personnelle. Comme le montrent les affidavits de M. Perino et de M. Lethbridge, le lien entre une adresse IP et la personne responsable de la violation du droit d’auteur est hautement technique et difficile à apprécier sans un examen, au fond, des questions relatives à la responsabilité personnelle.

[107]  L’affidavit de M. Perino, le seul élément de preuve de Voltage, mentionne qu’il n’est pas possible d’identifier les personnes précises responsables des actes illégaux allégués par Voltage. Dans Rogers, la Cour suprême du Canada a commenté les répercussions en termes de principe de l’application exacte du régime d’avis et avis lorsqu’il s’agit d’identifier la bonne adresse IP :

[34]  L’objectif dissuasif du régime d’avis et avis confirme également l’obligation du FSI d’établir correctement à qui appartenait l’adresse IP en cause au moment de la prétendue violation. Pour dissuader la violation en ligne du droit d’auteur, il faut aviser cette personne, parce que seule cette personne est capable de mettre fin à la violation continue en ligne du droit d’auteur.

[35]  Je reconnais qu’il y aura probablement des cas où la personne qui reçoit un avis de prétendue violation du droit d’auteur n’aura pas, en fait, partagé illégalement en ligne du contenu protégé par droit d’auteur. Cela pourrait se produire, par exemple, lorsqu’une adresse IP, bien qu’elle soit enregistrée au nom de la personne qui reçoit un avis de violation, peut être utilisée par plusieurs personnes à un moment donné. Cependant, même dans de tels cas, l’exactitude est cruciale. Lorsque, par exemple, un parent ou un employeur reçoit un avis, il peut savoir ou être en mesure d’établir qui utilisait l’adresse IP au moment de la prétendue violation et pourrait prendre des mesures pour décourager la violation continue du droit d’auteur ou y mettre fin. De même, bien que les institutions ou les entreprises qui offrent un accès Internet au public ne sachent peut‑être pas précisément qui a utilisé leurs adresses IP pour partager illégalement en ligne des œuvres protégées par le droit d’auteur, elles peuvent, lorsqu’elles reçoivent un avis, prendre des mesures pour que leur compte Internet auprès du FSI soit protégé contre la violation en ligne du droit d’auteur à l’avenir. [Italiques dans l’original.]

[108]  La Cour suprême a aussi fait remarquer dans Rogers que l’exactitude ne devrait pas être confondue avec la culpabilité :

[41]  Il ne faut pas oublier que le fait qu’une personne soit associée à une adresse IP qui fait l’objet d’un avis au titre de l’al. 41.26(1)a) ne permet pas de conclure à sa culpabilité. Comme je l’ai expliqué, il est possible que la personne à qui appartenait une adresse IP au moment de la prétendue violation ne soit pas celle qui a partagé en ligne du contenu protégé par le droit d’auteur. Il est également possible qu’une erreur de la part du titulaire du droit d’auteur entraîne l’identification incorrecte d’une adresse IP comme étant la source de la violation en ligne du droit d’auteur. En conséquence, exiger d’un FSI qu’il identifie par son nom et son adresse physique la personne à qui appartient l’adresse IP pertinente modifierait non seulement l’équilibre qu’a établi le Parlement en adoptant le régime d’avis et avis, mais le ferait au détriment des droits relatifs à la vie privée des personnes, y compris les personnes innocentes, qui reçoivent un avis.

[109]  La Cour n’est pas tenue de soupeser la preuve, ou de résoudre les contradictions dans la preuve ou dans la requête en autorisation. Toutefois, elle doit se demander si Voltage a fourni suffisamment de faits pour déterminer s’il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes. À mon avis, Voltage n’a pas fourni les faits substantiels nécessaires pour atteindre le seuil d’« un certain fondement factuel » et ainsi démontrer l’existence d’un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes. La preuve de Voltage contient de simples affirmations qui sont insuffisantes pour satisfaire à ce critère d’autorisation (John Doe, au par. 33).

(5)  Y a‑t‑il des points communs?

[110]  L’alinéa 334.16(1)c) des Règles exige que Voltage démontre un certain fondement factuel à l’égard du fait que les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, que ceux‑ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre. Les réclamations à l’encontre des membres du groupe doivent partager un élément commun important pour justifier un recours collectif. Il faut aborder le sujet de la communauté en fonction de l’objet.

[111]  La question sous‑jacente est de savoir si le fait d’autoriser le recours collectif permettra d’éviter la répétition de l’appréciation des faits ou de l’analyse juridique (Dutton, au par. 39; SOCAN, aux par. 124 à 126). L’exigence d’une question commune a été qualifiée de fondamentale au recours collectif; les plaideurs qui soulèvent une question de droit commune devraient pouvoir obtenir le règlement de cette question dans le cadre d’une seule instance, plutôt que d’instances multiples et répétitives confinant à l’inefficacité (Pro‑Sys, au par. 106).

[112]  Selon Voltage, le point commun n’exige pas une réponse identique pour tous les membres du groupe ni une réponse qui s’applique à chaque membre du groupe de façon égale. Voltage est d’avis que tous les points peuvent être considérés comme des points de droit ou de fait communs, et qu’une seule audience sur le fond permettrait de statuer sur les points de façon équitable pour tous les membres du groupe, tout en offrant une soupape de sûreté aux membres qui peuvent véritablement être dans une situation exceptionnelle leur permettant de se retirer.

[113]  Dans son avis de requête modifié, Voltage affirme que les réclamations des membres du groupe soulèvent les points de droit ou de fait communs suivants :

[TRADUCTION]

[114]  Selon Voltage, les première et deuxième questions (subsistance et propriété du droit d’auteur) sont communes à chacun des défendeurs en ce qui concerne au moins un des films. La réponse à ces questions ne sera pas pertinente pour chacun des défendeurs du groupe, mais Voltage maintient qu’il n’est pas nécessaire que les réponses aux questions communes s’appliquent à tous les défendeurs de façon égale.

[115]  Selon les défendeurs, Voltage n’avance aucun point commun au‑delà des première et deuxième questions, tel qu’elles sont énoncées ci‑dessus.

[116]  Voltage prétend que les troisième, quatrième et cinquième questions (quant à savoir si les actes illégaux allégués par Voltage constituent une violation aux termes de la Loi sur le droit d’auteur, et si Voltage a consenti à ces actes) sont des points de droit fondés sur la même matrice factuelle, qui est commune à tous les membres du groupe envisagé, parce que les activités des défendeurs sont essentiellement identiques.

[117]  Les défendeurs font valoir que les troisième, quatrième et cinquième questions ne sont pas communes à tous les membres du groupe. Ces questions ne feront pas avancer de manière significative le règlement du litige pour tous les membres du groupe, parce qu’elles ne peuvent ni être soulevées à l’encontre de n’importe quel membre du groupe ni régler les demandes présentées contre les défendeurs.

[118]  Voltage soutient que la sixième question (la question de savoir si les abonnés à un compte Internet ont autorisé les actes illégaux allégués, si les exigences en matière de préavis ont été respectées et si les abonnés ont reçu un avis de violation) implique des questions de droit qui sont pertinentes pour tous les contrefacteurs autorisateurs.

[119]  Les défendeurs prétendent que la sixième question n’est pas un point commun et qu’elle sera guidée par les conclusions de fait que la Cour devra tirer à l’égard de chaque membre du groupe. Selon les défendeurs, l’un des éléments essentiels de l’autorisation est le degré de contrôle qu’un défendeur du groupe a exercé sur les personnes qui ont commis la violation. Ils sont d’avis que le fait que le titulaire d’un compte ait reçu un avis de violation ou qu’il ait été dans l’ignorance volontaire est une question de fait relative à chaque personne.

[120]  Voltage prétend que la septième question (la question de savoir s’il existe des moyens de défense pouvant être invoqués par le groupe contre la violation du droit d’auteur) est une question mixte de fait et de droit.

[121]  Les défendeurs affirment que la septième question est une question guidée par les faits et qu’il incombera à chaque membre du groupe de faire valoir, le cas échéant, une défense en lien avec sa situation particulière. Selon les défendeurs, il est à la fois impraticable, et injuste envers les membres du groupe, de rendre une décision de portée générale et d’écarter toute défense concevable.

[122]  Voltage affirme que les réponses aux huitième et neuvième questions (quantum des dommages‑intérêts et injonction) peuvent varier d’un défendeur à l’autre, puisque le nombre d’activités de contrefaçon et leur ampleur varieront. Voltage ajoute qu’elle a l’intention de demander le même quantum de dommages‑intérêts préétablis contre chaque défendeur du groupe.

[123]  Les défendeurs affirment que les huitième et neuvième questions ne sont pas des points communs. Selon eux, la proposition de Voltage d’accorder des dommages‑intérêts [traduction] « monovalents » irait à l’encontre du libellé obligatoire du paragraphe 38.1(5) de la Loi sur le droit d’auteur, qui exige que la Cour tienne compte de tous les facteurs énumérés, dans la mesure où ils se rapportent à chaque défendeur. En ce qui concerne l’injonction, les défendeurs font remarquer qu’une telle réparation est discrétionnaire et fondée sur l’equity, et qu’il s’agit d’une appréciation guidée par les faits et basée sur la situation particulière de chaque membre du groupe.

[124]  La CIPPIC adopte les observations des défendeurs et s’appuie sur celles‑ci pour la question de savoir s’il existe des points de droit ou de fait communs.

[125]  Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que Voltage n’avance aucun point commun au‑delà des première et deuxième questions, tel qu’elles sont énoncées ci‑dessus.

(6)  Le recours collectif constitue‑t‑il la meilleure procédure?

[126]  Le paragraphe 334.16(1)d) des Règles exige que le recours collectif soit le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points communs. En appréciant cette condition, la Cour doit tenir compte de tous les facteurs pertinents, y compris ceux expressément énoncés au paragraphe 334.16(2) des Règles (Tippett, au par. 80).

[127]  L’examen de la question de savoir si le recours collectif est la meilleure procédure met l’accent sur le fait de déterminer s’il s’agirait d’un moyen équitable, efficace et gérable de faire progresser le litige. La Cour devrait examiner dans quelle mesure le règlement des points communs proposés permettra de régler le différend entre les parties, ainsi que l’importance relative des points communs et individuels (Hollick, au par. 30).

[128]  La Cour doit également déterminer si d’autres moyens offerts pour régler les demandes sont préférables ou relativement avantageux par rapport à un recours collectif. Il s’agit notamment d’examiner les voies de droit autres que les poursuites judiciaires (AIC Limitée c Fischer, 2013 CSC 69, aux par. 19 à 23).

[129]  Voltage est d’avis que l’autorisation du groupe est conforme à l’intention du Parlement derrière l’adoption du régime d’avis et avis, à savoir permettre aux titulaires de droits d’auteur de protéger et de revendiquer leurs droits aussi rapidement, facilement et efficacement que possible, tout en assurant un traitement équitable aux FSI et à leurs abonnés.

[130]  Selon Voltage, l’autorisation de sa demande comme recours collectif minimiserait les coûts pour toutes les parties, réduirait la pression exercée sur les ressources judiciaires et assurerait la cohérence des conclusions de fait et de droit. Voltage déclare dans son plan relatif à la poursuite de l’instance que les défendeurs du groupe auraient le droit de se retirer du groupe s’ils ont des points particuliers à soulever. Voltage affirme que ces personnes feraient partie d’une procédure de gestion d’instance afin de statuer sur leur dossier dans le cadre d’une conférence de règlement des litiges ou d’une audience en groupe, comme le prévoit son plan relatif à la poursuite de l’instance.

[131]  Les défendeurs affirment que le recours collectif n’est pas la meilleure procédure, parce que la demande de Voltage soulève de façon prédominante des points individuels, dont le règlement nécessiterait une appréciation des faits complexe et personnalisée pour chaque membre du groupe envisagé. De leur point de vue, cela ne donnerait lieu à aucune économie des ressources judiciaires ni à aucune équité. Selon les défendeurs, il est possible qu’aucun avantage réel ne soit obtenu d’une instruction sur des points communs, et la demande peut être ingérable en tant que recours collectif. Les défendeurs prétendent que, même si le recours collectif est gérable, les instructions sur un point individuel peuvent être une meilleure procédure par rapport à un recours collectif qui ne permettrait pas d’atteindre l’accès à la justice, la modification des comportements et l’économie des ressources judiciaires.

[132]  Selon les défendeurs, tout ce que Voltage peut détecter en déployant son logiciel d’analyse technique est, essentiellement, les dates, les heures et les adresses IP où les violations des droits d’auteur à l’égard des films peuvent avoir eu lieu. Les défendeurs prétendent qu’il n’y a aucun moyen de savoir si, à un moment donné : (i) un ou plusieurs appareils utilisaient une adresse IP; (ii) de multiples ordinateurs, cellulaires ou tablettes utilisaient Internet ou qui exactement téléversaient les films; ou (iii) il s’agissait du titulaire de l’adresse IP, d’un visiteur, d’un voisin ou de toute autre personne, d’ailleurs. Les défendeurs sont d’avis qu’il s’agit d’un point individuel qui devra être tranché au cas par cas. Les défendeurs soulignent que, dans son mémoire des faits et du droit, Voltage reconnaît que la personne [traduction] « [q]ui, exactement, a commis la violation fait partie de la matrice factuelle et technologique qui devra être tranchée dans le cadre d’une audience sur le fond ».

[133]  Les représentants défendeurs proposés affirment qu’un recours collectif est impraticable, parce que rien n’incite les membres potentiels du groupe à participer. Ils ont tous déclaré qu’il n’y avait aucune raison de dépenser volontairement de l’argent pour payer des frais de justice, de consacrer du temps et de l’attention pour se défendre contre ces actes de procédure, ou d’éventuellement faire face aux répercussions du procès. Si aucun groupe allégué n’est, en fin de compte, identifié, l’autorisation de la demande modifiée n’atteindra aucun résultat.

[134]  Selon la CIPPIC, le recours collectif envisagé serait inefficace, parce qu’elle ne permettrait pas de faire progresser les objectifs du recours collectif. La CIPPIC prétend que les préoccupations relatives à l’accès à la justice soulevées dans le cadre du recours collectif inversé envisagé découlent de la perspective des membres du groupe de défendeurs, et non pas de celle de Voltage. La CIPPIC est d’avis que Voltage ne fait face à aucun obstacle en matière d’accès à la justice dans le cadre d’un litige contre des contrefacteurs de droits d’auteur, parce qu’elle dispose de ressources importantes lui permettant d’intenter et de poursuivre des demandes au Canada et dans d’autres ressorts.

[135]  La CIPPIC affirme que Voltage a choisi de limiter la valeur de ses réclamations en choisissant de réclamer uniquement des dommages‑intérêts préétablis aux termes de la Loi sur le droit d’auteur. Selon la CIPPIC, Voltage a choisi les dommages‑intérêts préétablis pour réduire son propre fardeau de preuve, réduire ses frais de litige et augmenter la probabilité d’un règlement de masse.

[136]  La CIPPIC déclare que le recours collectif inversé qui est envisagé entrave considérablement l’accès à la justice pour les membres du groupe proposé. Selon la CIPPIC, le groupe proposé touche de façon disproportionnée les groupes à faible revenu et cible les abonnés à Internet qui offrent un accès partagé à Internet à de nombreux utilisateurs, comme les locataires, les résidents des coopératives, les étudiants en résidence et les utilisateurs d’un réseau Wi‑Fi public. La CIPPIC prétend que l’autorisation d’un recours collectif inversé découragera la fourniture d’un réseau Wi‑Fi public gratuit, en raison de la menace de responsabilité en cas de violation d’un droit d’auteur par des utilisateurs individuels.

[137]  La CIPPIC est d’avis que les recours collectifs inversés n’ont pas la même structure incitative, en ce qui a trait à la modification de comportements, que les recours collectifs habituels. Selon la CIPPIC, les recours collectifs habituels permettent le regroupement des réclamations, ce qui donne lieu à des réclamations d’une valeur importante et crée un système de recours d’initiative privée pour un préjudice causé au public par le comportement d’une entreprise ou d’une entité gouvernementale.

[138]  Comme les défendeurs, la CIPPIC prétend que le recours collectif envisagé exigerait des instances multiples et individuelles d’appréciation des faits pour chaque membre du groupe relativement à presque tous les points. La CIPPIC fait remarquer que le contexte factuel dans lequel un abonné à Internet peut permettre à des utilisateurs d’accéder à Internet peut varier considérablement d’un membre à l’autre dans le groupe. Selon la CIPPIC, l’ampleur du contrôle exercé par un abonné à Internet sur les utilisateurs de la connexion Internet dépendrait étroitement du contexte factuel dans chaque cas. La CIPPIC est d’avis que la demande de Voltage à l’encontre des membres du groupe dépend entièrement de faits propres à chaque cas.

[139]  En ce qui a trait à la praticabilité du plan de Voltage relativement à la poursuite de l’instance, la CIPPIC prétend qu’il n’est pas suffisamment détaillé quant à la façon dont les points individuels seraient réglés indépendamment des points communs. Selon la CIPPIC, le plan de Voltage présume que tous les membres du groupe qui ne se retirent pas accepteraient ses allégations de violation ou concluraient un règlement.

[140]  La CIPPIC affirme que Voltage cherche à faire un mauvais usage du régime d’avis et avis comme d’un service de soutien au contentieux pour l’envoi d’avis d’attestation par les FSI. Selon la CIPPIC, les dispositions relatives au régime d’avis et avis n’étaient pas prévues à cette fin, et l’utilisation proposée dans le plan de Voltage relativement à la poursuite de l’instance impose un lourd fardeau aux FSI et risque de violer la vie privée des abonnés à Internet. La CIPPIC rejette la faute sur le fait que le plan de Voltage relativement à la poursuite de l’instance ne précise pas qui assumerait les frais liés à la participation des FSI.

[141]  La CIPPIC prétend que, en demandant l’autorisation d’un recours collectif inversé, Voltage cherche à obtenir un [traduction] « super recours », c’est‑à‑dire une poursuite de masse exempte des garanties procédurales et de fond au titre de la Loi sur le droit d’auteur qui protègent les internautes. Selon la CIPPIC, bien que le Parlement interdise les offres de règlement hypothétiques dans les avis de violation, Voltage cherche à inciter les membres du groupe à conclure un règlement en les menaçant d’intenter un litige dans lequel ils ne seront pas représentés de façon équitable. La CIPPIC affirme que le Parlement a soigneusement délimité les faits et les circonstances qui, dans un cas précis, pourraient conduire à la conclusion selon laquelle la violation a été autorisée. La CIPPIC est d’avis que Voltage cherche à obtenir des dommages‑intérêts à partir d’une demande de portée générale à l’encontre de tous les contrefacteurs directs et autorisateurs prétendus, sans, toutefois, établir l’un ou l’autre des faits et des circonstances délimités par le Parlement.

[142]  La CIPPIC affirme que Voltage n’a pas démontré qu’un recours collectif serait le meilleur moyen de régler de façon juste et efficace les points communs. La CIPPIC laisse entendre qu’au moins deux procédures possibles sont préférables au recours collectif envisagé : (i) des actions distinctes intentées contre des défendeurs individuels, réunies en vertu des articles 102 et 105 des Règles; (ii) les approches fondées sur le marché qui sont privilégiées par le Parlement.

[143]  De l’avis de la CIPPIC, la réunion est préférable selon la perspective de l’intérêt des défendeurs dans l’accès à la justice, parce que la réunion d’actions préserve les garanties procédurales connues. La CIPPIC fait remarquer que les articles 102 et 105 des Règles permettent à la Cour de joindre au moins deux parties sous un même représentant dans le cadre d’une seule instance. Selon la CIPPIC, cela est possible lorsqu’il y a un point de droit ou de fait commun, ou que les réparations demandées ont essentiellement le même fondement.

(7)  Le recours collectif ne constitue pas la meilleure procédure

[144]  Le plan de Voltage relativement à la poursuite de l’instance est ingérable pour plusieurs raisons.

[145]  Tout d’abord, je suis d’accord avec les défendeurs et la CIPPIC pour dire qu’un recours collectif n’est pas la meilleure procédure, parce que la demande de Voltage soulève de façon prédominante des points individuels au sein du groupe proposé. Le règlement de ces points nécessiterait un processus complexe et personnalisé d’appréciation des faits pour chaque membre potentiel du groupe. Par conséquent, il n’y aurait pas d’économie des ressources judiciaires ni d’équité.

[146]  Deuxièmement, le plan s’appuie principalement sur les ressources publiques comme moyen d’atteindre son but, qui est de nature privée. Voltage propose un ensemble de mécanismes pour permettre au groupe de défendeurs d’être représenté par un avocat. Ces options comprennent notamment le recours à un intervenant (comme la CIPPIC), à un amicus curiae nommé par le tribunal, à une demande auprès du Fonds d’aide aux recours collectifs de l’Ontario et à des plates‑formes web de financement collectif. Aucun de ces mécanismes n’est garanti.

[147]  Troisièmement, le plan dépend, dans une large mesure, du régime d’avis et avis. Le fait de s’appuyer sur ce régime pour faciliter un recours collectif, potentiellement de grande envergure, qui pourrait toucher des milliers de Canadiens, est insoutenable et imposerait injustement un fardeau excessif aux FSI.

[148]  Le régime d’avis et avis a été adopté afin de réaliser deux objectifs complémentaires : dissuader la violation en ligne du droit d’auteur, et établir un équilibre entre les droits des parties intéressées, y compris les titulaires de droits d’auteur, les internautes et les FSI (Rogers, aux par. 22 et 23). Il n’avait pas pour but d’établir un cadre exhaustif au moyen duquel les cas de violation en ligne du droit d’auteur pourraient être totalement éliminés. En s’appuyant sur le régime d’avis et avis, Voltage détourne l’objet et l’intention du Parlement à ses propres fins. La Cour suprême a fait remarquer ce qui suit dans Rogers :

[24]  [L]e régime d’avis et avis n’avait pas pour but d’établir un cadre exhaustif au moyen duquel les cas de violation en ligne du droit d’auteur pourraient être totalement éliminés. Comme l’a expliqué une représentante de Rogers devant le comité de la Chambre des communes qui examinait ce qui allait devenir la Loi sur la modernisation du droit d’auteur, « le processus d’avis et avis n’est pas une solution miracle; ce n’est que la première étape d’un processus permettant aux titulaires de droit de poursuivre ceux qui violeraient ces droits. […] [Le titulaire du droit] peut ensuite s’en servir quand il décide de poursuivre le contrevenant allégué » (Chambre des communes, Comité législatif chargé du projet de loi C‑32, Témoignages, no 19, 3e sess., 40e lég., 22 mars 2011, p. 10). C’est pourquoi, comme je l’ai expliqué, le titulaire du droit d’auteur qui souhaite poursuivre une personne qui aurait violé son droit en ligne doit obtenir une ordonnance de type Norwich pour obliger le FSI à lui communiquer l’identité de cette personne. Le régime législatif d’avis et avis n’a pas écarté cette exigence; il fonctionne de concert avec elle. Cela est confirmé par l’al. 41.26(1)b), qui prévoit que le titulaire du droit d’auteur peut poursuivre une personne qui reçoit un avis dans le cadre du régime, et établit l’obligation du FSI de conserver le registre permettant d’identifier cette personne pendant une certaine période suivant la réception de cet avis.

[149]  À mon avis, la réunion prévue aux articles 102 et 105 des Règles est une procédure préférable au recours collectif envisagé. Voltage n’a pas expressément expliqué pourquoi un éventuel recours collectif inversé est meilleur que la jonction ou la réunion.

[150]  De plus, Voltage n’a pas directement abordé la possibilité ou la probabilité que tous les membres du groupe de défendeurs envisagé puissent se retirer si sa demande était autorisée comme recours collectif. À cet égard, Voltage ne fait qu’une brève déclaration dans sa réplique, selon laquelle, si l’instance n’est pas autorisée, elle continuera en tant que demande ordinaire contre les défendeurs.

[151]  Cette déclaration n’incite guère la Cour à autoriser l’instance comme recours collectif. D’une part, si la Cour accueille la requête de Voltage, l’autorisation pourrait être inutile, parce que tous les défendeurs pourraient se retirer. Si, en revanche, la Cour rejette la requête, Voltage a néanmoins l’intention de poursuivre sa demande contre les défendeurs. Aucun de ces scénarios ne porte préjudice à Voltage en ce qui a trait à l’accès à la justice, ou à sa capacité de faire respecter ses droits d’auteur.

(8)  Y a‑t‑il un représentant défendeur convenable?

[152]  Voltage affirme que le compte Internet de M. Salna était le seul des milliers de comptes qui offraient simultanément de téléverser tous les films. M. Salna a accusé ses locataires de la prétendue violation, lesquels ont nié en être responsables.

[153]  Selon les défendeurs, les tribunaux exigent généralement que le représentant partage un intérêt commun avec d’autres membres du groupe et qu’il ait l’intention de poursuivre la demande avec vigueur. Les défendeurs soutiennent qu’ils ne sont pas des représentants convenables, parce qu’ils n’ont aucun intérêt commun avec d’autres membres potentiels du groupe et qu’ils n’ont pas envie d’opposer une défense vigoureuse au nom des membres du groupe.

[154]  Le consentement ou la réticence d’un défendeur à être un représentant dans le cadre d’un recours collectif inversé ne constitue pas un obstacle à une requête en autorisation (Chippewas, aux par. 45 et 46). Dans Chippewas, la Cour de justice de l’Ontario a jugé que de nombreux représentants défendeurs étaient convenables, parce que chaque représentant avait à la fois la capacité financière et la motivation pour présenter une défense à l’action, avec diligence et vigueur.

[155]  Toutefois, en l’espèce, les représentants défendeurs proposés, à la lumière de leurs affidavits respectifs, n’ont pas la motivation nécessaire pour opposer une défense à la demande, avec diligence et vigueur.

IV.  Conclusion

[156]  Le recours collectif inversé envisagé par Voltage ne doit pas être autorisé et, par conséquent, sa requête en autorisation est rejetée. Voltage n’a pas satisfait à toutes les conditions énoncées à l’article 334.16 des Règles.

[157]  Voltage n’a pas satisfait à la condition au seuil peu élevé, selon laquelle les actes de procédure doivent révéler une cause d’action valable à l’égard des contrefacteurs autorisateurs qui sont des abonnés à Internet. Au mieux, elle a établi que les première et deuxième questions (subsistance et propriété du droit d’auteur) sont communes à chacun des défendeurs en ce qui concerne au moins un des films.

[158]  Voltage n’a pas démontré un certain fondement factuel à une conclusion d’existence d’un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes. La définition du groupe envisagé exclut M. Rose et Mme Cerilli, puisqu’ils n’étaient pas des abonnés à Internet au cours de la période pertinente.

[159]  Voltage n’a fourni qu’une seule adresse IP en preuve, à savoir l’adresse IP associée à M. Salna. Le lien entre cette adresse IP et des activités directes en ligne de M. Salna ou des obligations juridiques alléguées concernant des tiers est, au mieux, ténu et exigerait une appréciation sur le fond.

[160]  Le recours collectif n’est pas le meilleur moyen de régler de façon juste et efficace des points communs qui pourrait exister. L’instance envisagée exigerait de multiples appréciations individuelles des faits pour chaque membre du groupe relativement à presque tous les points. Le contexte factuel dans lequel un abonné à Internet peut permettre à des utilisateurs d’accéder à sa connexion Internet peut varier énormément d’un membre du groupe à l’autre.

[161]  Il existe d’autres moyens de régler les réclamations de Voltage qui sont meilleurs, notamment la jonction ou la réunion.

[162]  Le plan de Voltage relativement à la poursuite de l’instance s’appuie sur le régime d’avis et avis, et impose un fardeau supplémentaire aux FSI, ce qui n’était pas envisagé par le Parlement. Voltage cherche à utiliser le régime d’avis et avis comme un service de soutien au contentieux.

[163]  Les défendeurs du groupe envisagé n’ont pas la motivation nécessaire pour opposer une défense à la demande, avec diligence et vigueur.

[164]  Enfin, dans leur mémoire des faits et du droit, les défendeurs font remarquer que l’intitulé est inexact, c’est‑à‑dire que Loridana Cerrelli est nommée à titre de représentante défenderesse proposée, alors que son véritable nom est Loredana Cerrilli. Par conséquent, l’intitulé de la présente demande est modifié, avec effet immédiat, pour remplacer le nom « Loridana Cerrelli » par « Loredana Cerilli ».

A.  Les dépens

[165]  Les défendeurs demandent des dépens payables par Voltage, sur la base d’une indemnisation complète. Ils demandent également que leur soient remis les 75 000 $ consignés par Voltage à titre de cautionnement pour dépens, conformément à l’ordonnance datée du 2 février 2017, au crédit de leurs frais.

[166]  La CIPPIC ne demande pas de dépens et demande qu’aucuns dépens ne soient adjugés à son encontre.

[167]  Les 75 000 $ consignés à titre de cautionnement pour dépens ne seront pas remis à ce moment‑ci, étant donné l’intention déclarée de Voltage de poursuivre la demande, que celle‑ci soit autorisée ou non.

[168]  La présente requête a été débattue pendant deux jours. Voltage devra payer aux défendeurs les dépens, d’un montant pouvant être convenu par Voltage et les défendeurs, dans les 20 jours suivant la date de la présente ordonnance. Si les parties ne sont pas en mesure de s’entendre quant au montant des dépens, Voltage ou les défendeurs pourront demander la taxation des dépens, conformément aux Règles des Cours fédérales.


ORDONNANCE dans le dossier T‑662‑16

LA COUR ORDONNE que :

« Keith M. Boswell »

Traduction certifiée conforme

Ce 24e jour de décembre 2019

Christian Laroche, LL.B. juriste‑traducteur



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