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Date : 20040326

Dossier : T-1339-03

Référence : 2004 CF 468

Montréal (Québec), le 26 mars 2004

Présent :          L'honorable juge Harrington

ENTRE :

                                                       JEAN-YVES MIGNEAULT

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                             

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

[1]                Monsieur Migneault a rejeté la possibilité d'être mis en liberté puisque cette mise en liberté était assortie d'une condition d'assignation à résidence.


[2]                La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée, relativement à une décision en date du 7 juillet 2003 dans laquelle la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Section d'appel) a confirmé la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles (la CNLC) datée du 27 mai 2003 qui interdisait la mise en liberté du demandeur avant l'expiration légale de sa peine en vertu du paragraphe 130(3) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.R.C. c. C-44.6 (la Loi).

CONTEXTE FACTUEL

[3]                Depuis le 30 janvier 1992, le demandeur purge une peine de 12 ans, 4 mois et 28 jours pour des délits d'agression sexuelle armée, port d'armes, vol qualifié, usage d'arme à feu et évasion d'une garde légale. La date de l'expiration de sa sentence est le 15 août 2004. Par contre, sa date de libération d'office était le 29 mai 2003.

[4]                En préparation pour la libération d'office du demandeur, son équipe de gestion de cas a estimé que l'assignation à résidence était la mesure la moins restrictive possible compte tenu de sa sérieuse problématique sexuelle, son imprévisibilité, sa grande rigidité et sa non-collaboration. Cette assignation était la seule mesure qui pouvait rendre le risque assumable en communauté.


[5]                Le 18 mars 2003, des agents de police se sont présentés à l'établissement pour la prise d'échantillon d'ADN. Lors de discussions avec ceux-ci, le demandeur a mentionné que son équipe de gestion de cas projetait de demander pour lui une condition d'assignation à résidence. Il leur a dit que si c'était le cas, il n'avait pas l'intention de la respecter. Il a même dit qu'il était prêt à purger une année de plus dans un pénitencier plutôt que de se voir imposer une condition d'assignation à résidence.

[6]                Le 19 mars 2003, le demandeur a répété à son agent de libération conditionnelle ce qu'il avait dit aux agents de police et lui a mentionné que même si la CNLC lui imposait cette condition, il n'avait aucunement l'intention de se présenter en maison de transition.

[7]                Le 21 mars 2003, l'épouse du demandeur a indiqué à l'agent de libération conditionnelle être au courant des intentions de son conjoint et qu'elle l'appuyait.

[8]                En conséquence de ces nouveaux éléments, l'agent de libération conditionnelle a rédigé une « Évaluation en vue d'une décision » datée du 28 avril 2003, par laquelle il recommandait le maintien en incarcération du demandeur jusqu'à l'expiration de sa peine.

[9]                Le 27 mai 2003, la CNLC a interdit la mise en liberté du demandeur car elle était convaincue qu'il commettrait une infraction causant un dommage grave. La CNLC note aussi les propos de l'équipe de gestion de cas du demandeur, selon lesquels sans l'encadrement d'une maison de transition, le risque qu'il représente n'est plus assumable dans la collectivité. Le 7 juillet 2003, la Section d'appel a confirmé la décision de la CNLC.

DÉCISION CONTESTÉE


[10]            La Section d'appel de la CNLC a indiqué que la décision de la CNLC est raisonnable sur la base des nouveaux renseignements obtenus à l'intérieur de six mois de la date de libération d'office prévue pour le 29 mai 2003. Ces nouveaux renseignements que le demandeur avait mentionnés aux policiers le 18 mars 2003 incluent le fait que le demandeur n'a aucune intention de se présenter en maison de transition lors de sa mise en libération. La Section d'appel continue en écrivant que même si le demandeur avait exprimé dans le passé son désaccord avec une condition d'assignation à résidence, il ne l'a jamais dit auparavant d'une façon ferme et ouverte. À la lumière des informations pertinentes concernant sa criminalité violente, son impulsivité et sa fermeture à toute intervention, la décision était justifiée et conforme aux critères établis à l'article 129(3)a) de la Loi.

QUESTION EN LITIGE

[11]            La seule question en litige est de déterminer si la décision rendue le 7 juillet 2003 par la Section d'appel de la CNLC en est une qui justifierait l'intervention de la Cour.

PRÉTENTIONS DU DEMANDEUR


[12]            Le demandeur prétend qu'il ne suffit pas d'avoir n'importe quelle information pour que le commissaire rejette une demande de libération conditionnelle. Il doit s'agir d'informations nouvelles qui démontrent que le demandeur commettra un crime grave. Le demandeur souligne que les informations indiquant qu'il ne respecterait pas la condition d'assignation à résidence ne rencontrent pas du tout les motifs raisonnables de croire qu'il commettra de telles infractions ni le fait qu'il s'agit d'une information nouvelle. De plus, le demandeur soumet que la Section d'appel de la CNLC s'est basé sur le dossier général du demandeur pour rendre sa décision et qu'elle est de mauvaise foi. Alors, le demandeur souligne que le renvoi aurait du être fait au plus tard six mois avant la date de sa libération, et non pas quelques jours, pour être conforme à la Loi.

[13]            Le demandeur soumet que personne n'a soumis d'affidavit indiquant qu'il va commettre un crime grave s'il est libéré. Il prétend aussi que le commissaire a des préjugés à son égard, car le même commissaire a siégé devant lui durant sa première libération conditionnelle et a décidé contre lui.   

PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR


[14]            Le défendeur prend acte de l'admission du demandeur dans son avis de demande de contrôle judiciaire selon lequel les informations du 18 et du 20 mars 2003 étaient des éléments nouveaux. Alors, le renvoi peut avoir lieu moins de six mois avant la libération d'office lorsque la conclusion de celui-ci se fonde sur la conduite ou sur des renseignements obtenus pendant ces six mois. L'équipe de gestion de cas du demandeur a toujours considéré que l'assignation à résidence constituait la mesure la moins restrictive possible. Dès que l'information à l'effet que le demandeur n'avait pas l'intention de se plier à cette condition est connue, le risque pour la communauté devenait inassumable compte tenu de la problématique criminelle du demandeur.

[15]            Le défendeur soumet qu'en termes de libération conditionnelle, l'article 127 de la Loi s'applique. La compétence de la CNLC en vertu des articles 129(2) et (3), et 132 indique que la CNCL peut revoir le dossier général du demandeur (Voir D.T. v. Canada (Attorney General), [2003] F.C.J. no 1452). De plus, l'article 101 explique les principes sur lesquels la Commission se guide dans l'exécution de son mandat de rendre des décisions de libération conditionnelle : Knapp c. Canada (Procureur général), [1997] A.C.F. no 1535.

ANALYSE

Norme de contrôle judiciaire

[16]            Le juge Tremblay-Lamer dans Costiuc c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 241 a défini la norme applicable dans l'espèce :

[6] Le rôle de la section d'appel est de s'assurer que la CNLC s'est conformée à la Loi et à ses politiques, qu'elle a respecté les règles de justice fondamentale et que ses décisions sont basées sur des renseignements pertinents et fiables. Ce n'est que dans la mesure où ses conclusions sont manifestement déraisonnables que l'intervention de cette Cour est justifiée.


Application - Renseignement

[17]       L'article 129(3) de la Loi prévoit qu'une décision de cette nature peut être prise moins de six mois avant la date prévue pour la libération d'office quand la conclusion se fonde sur la conduite du délinquant ou sur des renseignements obtenus pendant ces six mois.

[18]       En commençant par le fait que lquipe de gestion du demandeur a considéré que l'assignation à résidence constituerait la mesure la moins restrictive possible dans son cas, il est clair que le risque demeurait acceptable pour la communauté. Après une révision du dossier et après avoir lu tous les rapports psychologiques et autres, il est raisonnable que cette mesure est nécessaire et compatible avec la conduite du demandeur. Alors, à partir du moment que le demandeur a mentionné qu'il n'avait pas l'intention de se plier à cette condition, le risque devenait inassumable.

Le fait nouveau

[19]       Ce fait était déjà mentionné par le demandeur à plusieurs reprises, mais sans la conviction qu'il la fait devant les agents de police et devant son agent de libération. Ceci a été corroboré par son épouse. En parlant des informations nouvelles datées du 18 et 20 mars 2003, à la page 6 du Dossier du demandeur, il écrit :"D'emblée le demandeur admet qu'il s'agissait dléments nouveaux..." Alors, le demandeur ne peut prétendre que ces informations ne sont pas nouvelles.


[20]       En ce qui concerne l'argument du demandeur qu'il ne suffit pas d'avoir n'importe quel information, mais qu'il doit s'agir d'informations qui démontrent que le demandeur va commettre un crime grave, on doit noter les paragraphes 13 et 14 de l'Instructions Permanentes (700-19), Maintien en Incarcération et le Manuel des politiques Vol. 1 No. 6, où il est écrit ce qui suit :

Voici des exemples de renseignements qui peuvent être considérés comme nouveaux :

   1. l'obtention, d'une source à l'extérieur du Service, de précisions qui n'étaient pas disponibles auparavant sur les activités criminelles du délinquant dans la collectivité (p. ex. un rapport d'enquête policière);

   2. des déclarations d'un tiers (p. ex. de la conjointe ou d'un ancien complice) indiquant que le délinquant a proféré des menaces de mort ou de dommage grave à son endroit, qu'il est encore impliqué dans des activités liées à la drogue ou qu'il prévoit commettre une infraction grave en matière de drogue;

   3. un changement de circonstances mettant en cause la viabilité du projet de sortie du délinquant;

   4. les résultats d'une nouvelle évaluation psychologique ou psychiatrique.

Dans de telles situations, il se peut que les nouveaux renseignements, pris isolément, ne soient pas probants et ne permettent pas de conclure à la présence de motifs raisonnables de croire que le délinquant commettra avant l'expiration légale de sa peine, une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne, une infraction d'ordre sexuel à l'égard d'un enfant ou une infraction grave en matière de drogue, mais ils peuvent par contre constituer le facteur décisif lorsqu'ils sont reliés à d'autres éléments ou schèmes de comportement dans les antécédents du délinquant. [non souligné dans l'original]

[21]       Or, dans le cas en l'espèce, le changement de circonstances est le fait que le demandeur a


mentionné qu'il n'avait pas l'intention de se plier à une assignation à residence pendant sa liberation d'office. Pris en isolement, ce fait ne permet pas de conclure à la présence de motifs raisonnables de croire que le délinquant commettra, avant l'expiration légale de sa peine, un crime grave. Par contre, il y a d'autres éléments de comportement dans les antécédents du délinquant qui, dans un sens globale, permet de conclure qu'il y a des motifs raisonnables (Voir Dupuis c. Canada (Procureur générale), [2002] A.C.F. no 667 sur ce sujet). Ces éléments sont des troubles sexuels et de personnalité présentés par le demandeur; de sa fermeture à l'intervention et à recevoir un encadrement en collectivité; de l'imprévisibilité et de l'impulsivité qui caractérisent ses passages à l'acte, ses deux évasions et, entre autres, sa liberté illégale du passé.

[22]       La Loi à la section 132(1) prévoit explicitement les facteurs qui doivent être pris en

considération en évaluant la section 129 du même Acte. Il est écrit que le décideur doit tenir compte de tous les facteurs utiles pour évaluer le risque, incluant le nombre et la brutalité des infractions antérieures ayant causé un dommage corporel ; la gravitéde l'infraction ; l'utilisation d'armes lors de la perpétration des infractions et le degré élevé d'indifférence quant aux conséquences de ses actes.

[23]       En l'espèce, la CNLC a tenu compte de tous les facteurs prévus par la Loi, les recommandations des divers rapports au dossier et lquipe de gestion du demandeur en arrivant à la conclusion d'ordonner l'interdiction de sa mise en liberté.

[24]       Pour tous ces motifs, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée, sans frais.

                  « Sean Harrington »                    

                                juge                                


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                             

DOSSIER :                                        T-1339-03

INTITULÉ :                                       JEAN-YVES MIGNEAULT

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 22 mars 2004

MOTIFS :                                          L'HONORABLE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                     Le 26 mars 2004

COMPARUTIONS:

M. Jean-Yves Migneault                                                            POUR LE DEMANDEUR

Me Dominique Guimond                                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Morris Rosenberg                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


Montréal (Québec)


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