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Date : 20021210

Dossier : IMM-5369-01

Référence neutre: 2002 CFPI 1286

Ottawa (Ontario), le 10 décembre 2002

En présence de: L'honorable juge Danièle Tremblay-Lamer

ENTRE :

                          ESMAT-DIDACE SIETE

                                                    Partie demanderesse

                                    et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                          ET DE L'IMMIGRATION

                                                    Partie défenderesse

                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ( « le tribunal » ) selon laquelle le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention, et que sa revendication n'a pas un minimum de fondement.

[2]                 Le demandeur, un citoyen du Gabon, allègue avoir une crainte bien fondée de persécution en raison de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social, soit celui de la famille.

[3]                 Il déclare être enseignant, avoir été dirigeant d'un syndicat et avoir créé une association nommée Crédit, (Cercle de Réalisation et d'investissement).

[4]                 Il allègue avoir été arrêté plusieurs fois depuis 1994: une première fois pour avoir adressé au président de la République une lettre concernant l'assassinat de son père, et par la suite pour avoir dénoncé le régime gabonais à plusieurs reprises.    La dernière fois qu'il aurait été arrêté, il aurait été retenu dans une résidence surveillée d'où il a pu s'évader.

[5]                 Le demandeur a quitté le Gabon le 28 septembre 1999. Il est passé par la Côte d'Ivoire et le Maroc et est arrivé aux États-Unis le 29 septembre 1999. Il y est demeuré jusqu'au 28 juillet 2000, date à laquelle il est arrivé au Canada et a revendiqué le statut de réfugié.

[6]                 Le tribunal a rejeté la revendication du demandeur après avoir conclu que son témoignage n'était pas crédible. Le tribunal a également conclu que la revendication du demandeur n'avait pas un minimum de fondement conformément au paragraphe 69.1(9.1) de la Loi sur l'Immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, (la « Loi » ).


[7]                 Le tribunal constate d'abord que pendant l'audition, le demandeur a témoigné de manière très impatiente, plutôt agressive, et qu'à plusieurs reprises il a dû lui demander de se calmer.

[8]                 Il retient que le demandeur avait dans ses bagages le nécessaire pour reproduire une carte d'identité. Selon le demandeur, c'était un ami qui a fait ses bagages en Afrique lorsqu'il a quitté, et qu'étant en résidence surveillée, il n'a pas regardé le contenu de ses bagages. Il ne l'a pas fait durant les neuf mois qu'il se trouvait aux États-Unis. Le tribunal a trouvé cette réponse invraisemblable et peu plausible.

[9]                 Le tribunal a également noté que le témoignage du demandeur à l'audience contredisait sa déclaration écrite dans son Formulaire de renseignements personnels ( « F.R.P. » ) concernant la date où il aurait déclenché la grève.


[10]            Le tribunal a de plus jugé invraisemblable que le demandeur ait créé un syndicat qui aurait regroupé 3 000 enseignants et dont il aurait été le principal dirigeant à peine six mois après son embauche et qu'il ait pu rallier autant de personnes à son syndicat en si peu de temps. Il a également jugé invraisemblable l'explication du demandeur à l'effet que ces 3 000 enseignants étaient membres de sa promotion. Le tribunal retient de plus que le demandeur avait obtenu un passeport, ce qui n'est pas compatible avec son allégation qu'il était en résidence surveillée.

[11]            Le tribunal a également trouvé que le comportement du demandeur suite à son départ du Gabon, n'était pas compatible avec celui d'une personne ayant une crainte subjective de persécution. Après un arrêt en Côte d'Ivoire, le demandeur a séjourné aux États-Unis pendant neuf mois sans y revendiquer le statut de réfugié. La section du statut a jugé non crédible son explication à l'effet qu'il attendait une réponse de Radio-Canada International compte tenu du nombre d'années d'éducation du demandeur.

[12]            Enfin, le tribunal a noté que plusieurs documents du demandeur (permis de conduire, l'acte de naissance, certificat médical, etc.) ont été considérés être des documents apocryphes suite à une expertise. De ce fait, il ne leur a accordé aucune valeur probante.

[13]            La procureure du demandeur soutient d'abord que le demandeur était en droit de demander la présence d'un avocat à son arrivée au point d'entrée lorsqu'il s'agit de recueillir les renseignements sur les motifs pour lesquels il revendique le statut de réfugié et qu'un tel manquement viole les règles de justice fondamentale.

[14]            Cette question a été tranchée par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Dehghani c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053, dans laquelle la Cour a décidé que l'assistance d'un avocat n'était pas requise à ce stade, droit qui lui est garanti au stade de l'enquête devant la CISR. À mon avis, contrairement aux prétentions de la procureure du demandeur, cette décision trouve pleine application dans le présent dossier.

[15]            Le demandeur soumet également que le seul constat qu'il est agressif et impatient dans sa façon de témoigner ne constitue pas, en soi, un motif de non crédibilité. Or, une lecture des motifs de la décision du tribunal démontre que le tribunal a conclu à l'absence de crédibilité du demandeur eu égard à l'ensemble des contradictions et invraisemblances relevées dans son témoignage et non pas sur son agressivité à témoigner.

[16]            Comme je l'ai mentionné précédemment, une des préoccupations du tribunal était que le demandeur avait dans ses bagages le nécessaire pour reproduire une carte d'identité. À mon avis, il était raisonnable pour le tribunal de conclure que le fait que le demandeur avait le nécessaire pour fabriquer une carte d'identité affectait négativement sa crédibilité et qu'il était invraisemblable que celui-ci ne se soit pas aperçu, durant les neuf mois où il a séjourné aux États-Unis, que ce matériel se trouvait dans ses bagages.

[17]            Également, le fait que le demandeur ne se souvenait pas des dates des événements importants à la base de sa revendication du statut de réfugié est un élément que le tribunal pouvait raisonnablement considérer en évaluant sa crédibilité.

[18]            En outre, il ne fait aucun doute que le tribunal pouvait se fier sur la logique et le bon sens, pour trouver invraisemblable que le demandeur ait pu créer un syndicat comptant 3 000 enseignants seulement six mois après son embauche et juger non crédible qu'il ait eu 3 000 enseignants dans sa promotion.

[19]            La procureure du demandeur soutient de plus que celui-ci a été privé de motifs suffisamment clairs pour lui permettre de comprendre en quoi son témoignage n'était pas crédible du fait qu'il ajustait ses réponses. Une lecture de la transcription démontre qu'effectivement le demandeur ajustait ses réponses en fonction des questions qui lui étaient adressées. Il était tout à fait loisible pour le tribunal de noter ce fait qui se dégageait de l'ensemble de son témoignage et qui affectait négativement la crédibilité du demandeur. Le tribunal n'avait tout de même pas à indiquer dans ses motifs à quel moment précis de l'audience cela s'est produit.

[20]            Je suis également d'avis que le tribunal pouvait raisonnablement conclure que le fait que le demandeur ait pu obtenir un passeport alors qu'il était en résidence surveillée et qu'il ait quitté le pays avec son passeport était un élément qui démontrait son absence de crainte subjective.


[21]            De même, le tribunal pouvait raisonnablement conclure que le fait que le demandeur n'ait pas revendiqué le statut de réfugié lors de son séjour de neuf mois aux États-Unis dénotait un comportement incompatible avec celui d'une personne ayant une véritable crainte subjective de persécution.

[22]            Le demandeur soutient finalement que le tribunal a erré en ne donnant aucune valeur à la preuve documentaire pertinente. Or, suite à une expertise, le tribunal a conclu que plusieurs documents avaient été considérés comme apocryphes. Dans un tel cas, la section du statut pouvait choisir de ne leur donner aucune valeur probante et n'avait pas à fournir une autre explication, contrairement à l'affaire Siba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1890, où l'authenticité du rapport médical n'était pas en jeu.

[23]            Le tribunal n'a mentionné dans ses motifs qu'un rapport d'expertise, soit le rapport médical, celui-ci étant le seul qui aurait pu corroborer les allégations de persécution du demandeur. Quant aux autres documents, ceux-ci ne constituaient pas des éléments de preuve contestés et le tribunal n'avait pas à les commenter puisqu'ils ne jetaient aucune lumière sur sa crainte de persécution. Sur ce point, le juge Evans affirmait dans l'affaire Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, au para 17:

[...] l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. [...]


[24]            Quant à la conclusion du tribunal sur l'absence d'un minimum de fondement même si certains des documents fournis par le demandeur aient pu être authentiques, la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 3 C.F. 537, nous a enseigné ce qui suit au para 30:

[...] l'existence de certains éléments de preuve crédibles ou dignes de foi n'empêchera pas une conclusion d' « absence de minimum de fondement » si ces éléments de preuve sont insuffisants en droit pour que le statut de réfugié soit reconnu au revendicateur. [...]

[25]            Donc, même si le passeport du demandeur était authentique et que son identité était établie, il n'en demeure pas moins que son témoignage n'a pas été jugé crédible, et qu'en soi son passeport et quelques autres documents non concluants comme éléments de preuve crédibles étaient insuffisants pour que le tribunal puisse conclure à la présence d'un minimum de fondement de sa revendication conformément au paragraphe 69.1(9.1) de la Loi.

[26]            En conclusion, malgré l'habile plaidoirie de Me Doyon, je suis d'avis que le demandeur n'a pas réussi à démontrer que les conclusions du tribunal sont perverses, capricieuses, et rendues sans considération de la preuve.

[27]            Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  

[28]            La procureure du demandeur a demandé que la question suivante soit certifiée:

Les principes de justice fondamentale comprennent-ils le droit à l'assistance d'un avocat quand il s'agit de recueillir une déclaration statutaire écrite d'un revendicateur visant à établir les raisons pour lesquelles il demande le statut de réfugié au Canada, et ce, en marge du formulaire de point d'entrée?

[29]            La Cour suprême du Canada dans l'affaire Dehghani, supra, a clairement établi le droit sur cette question. Il n'y a pas lieu de certifier cette question.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

     

                                                                      « Danièle Tremblay-Lamer »

J.C.F.C.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                         

DOSSIER :                 IMM-5369-01

INTITULÉ :              ESMAT DIDACE SIETE

                                                         c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE l'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Montréal

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 3 décembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE                                        L'honorable juge Danièle Tremblay-Lamer

DATE DES MOTIFS:                                      Le 10 décembre 2002

                                    

COMPARUTIONS :

Me Johanne Doyon                                              POUR LE DEMANDEUR

Me Sébastien DaSylva                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Doyon & Montbriand                                           POUR LE DEMANDEUR

6337, rue Saint-Denis

Montréal, Québec

H2S 2R8

Ministère fédéral de la Justice                                            POUR LE DÉFENDEUR

Complexe Guy-Favreau                                                   

200, boul.René-Lévesque ouest

Tour Est, 5e Étage

Montréal, Québec

H2Z 1X4

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