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Date : 20050527

Dossier : IMM-2829-04

Référence : 2005 CF 740

ENTRE :

                                                   SATHIYASRI RATNASINGHAM

                                                       RAMYA MURALITHARAN

                                                  THUVARAGA MURALITHARAN

                                                   BIRUNTHAN MURALITHARAN

                                              THAMILEELAVAN MURALITHARAN

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION

[1]                Les présents motifs ont trait à une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision d'un agent d'examen des risques avant renvoi (l'agent) en date du 5 février 2005, par laquelle l'agent a conclu que les demandeurs ne seraient pas exposés au risque d'être soumis à la torture, à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s'ils étaient renvoyés au Sri Lanka et, par conséquent, qu'ils ne sont pas des personnes à protéger.


[2]                La présente demande de contrôle judiciaire est une de trois demandes de ce genre, instruites ensemble à Toronto les 25 et 26 avril 2005, dans lesquelles on a soulevé la question de la partialité institutionnelle ou du manque d'indépendance et d'impartialité des agents d'examen des risques avant renvoi, au cours de la période du 12 décembre 2003 au 8 octobre 2004, période durant laquelle ils se trouvaient, au sens organisationnel, au sein de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) du gouvernement du Canada. Cette question est abordée dans les motifs de la décision rendue dans l'une des deux autres demandes, soit Chea Say et Vouch Lang Song c. Le solliciteur général du Canada[1]. Ces motifs, pour ce qui concerne la question de la partialité institutionnelle, sont tout simplement incorporés par renvoi aux présents motifs.

CONTEXTE

[3]                Sathiyasri Ratnasingham est une Tamoule d'âge adulte, citoyenne du Sri Lanka. Les quatre (4) autres demandeurs sont ses enfants. L'aîné de ses quatre (4) enfants est né au Sri Lanka. Les trois (3) autres sont nés en Suisse.


[4]                Sathiyasri Ratnasingham (la demanderesse principale) s'est mariée au Sri Lanka en 1983. On a accusé son époux d'être un membre des Tigres tamouls. On l'a incarcéré de mai 1984 à décembre 1986. Durant cette période, les forces de sécurité sri-lankaises ont harcelé la demanderesse principale. Par la suite, elle a subi le harcèlement de la Force indienne de maintien de la paix, arrivée au Sri Lanka en 1987.

[5]                En janvier 1988, la demanderesse principale, accompagnée de son enfant aîné, a fui le Sri Lanka pour se rendre à Madras (Inde). Elle allègue avoir encore fait l'objet de harcèlement à cet endroit. Pour cette raison, en juin 1989, elle a fui l'Inde pour se rendre en Suisse, où elle a été admise pour des raisons d'ordre humanitaire. L'époux de la demanderesse principale l'a suivie en Suisse en 1990, mais ne vivait pas sous le même toit. La demanderesse principale a appris que son époux ne lui était pas fidèle. Pour cette raison et compte tenu de la situation incertaine de la demanderesse principale et de ses enfants en Suisse, la demanderesse principale et ses enfants se seraient rendus en Inde en février 1997.


[6]                Les difficultés que la demanderesse principale avaient subies précédemment en Inde se seraient produites à nouveau. Ainsi, accompagnée de ses enfants, elle est partie au Canada en novembre 1997; les demandeurs y ont présenté une demande du statut de réfugié au sens de la Convention. En juillet 1998, la Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) a instruit leur demande du statut de réfugié au sens de la Convention, mais n'a pas rendu de décision. L'époux de la demanderesse principale avait suivi sa famille au Canada. Il a présenté une demande distincte de statut de réfugié au sens de la Convention, sous un faux nom. On a découvert sa situation et sa relation avec les demandeurs en l'espèce. Ainsi, on a instruit à nouveau la demande des demandeurs, conjointement avec celle de l'époux de la demanderesse principale. Les demandes ont été rejetées. En ce qui concerne l'époux de la demanderesse principale, la décision reposait sur l'irrecevabilité de sa demande. L'évaluation des demandes de la demanderesse principale et de ses quatre (4) enfants s'est faite à la lumière de la situation au Sri Lanka et non, pour ce qui est des trois (3) enfants nés en Suisse, à la lumière de la situation en Suisse. La SSR a conclu que les trois (3) enfants nés en Suisse étaient sri-lankais ou avaient droit à la nationalité sri-lankaise. Le rejet des demandes de la demanderesse principale et de ses enfants reposait dans une large mesure sur un manque de crédibilité.

[7]                Une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision de la SSR a été rejetée le 18 juin 2002.

DÉCISION VISÉE PAR LE PRÉSENT CONTRÔLE

[8]                Une demande d'examen des risques avant renvoi (ERAR) est réputée avoir été présentée au nom des demandeurs en l'espèce. Elle a été rejetée en ce qui concerne la demanderesse principale et son aîné parce que l'agent d'ERAR a conclu qu'il était peu probable que, après de nombreuses années d'absence du Sri Lanka, leur départ illégal du Sri Lanka entraîne des préjudices graves. Quant aux trois (3) autres demandeurs, l'agent d'ERAR a conclu qu'il était peu probable qu'ils soient exposés à des risques sérieux du fait de leur lien de parenté avec l'époux de la demanderesse principale, c'est-à-dire leur père. Enfin, l'agent d'ERAR s'est appuyé sur la nouvelle situation au Sri Lanka pour rendre une décision défavorable à l'ensemble des demandeurs.


QUESTIONS EN LITIGE

[9]                Les questions soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire sont les suivantes : premièrement, l'allégation suivant laquelle l'agent d'ERAR a omis de tenir compte de la crainte qu'avaient les demandeurs d'être exposés à la torture, à des menaces à leurs vies, ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, compte tenu du recrutement possible des quatre (4) enfants de la demanderesse principale par les Tigres tamouls; et deuxièmement, l'allégation au nom de tous les demandeurs d'une partialité institutionnelle ou d'un manque d'indépendance et d'impartialité de la part des responsables de l'administration du programme d'ERAR.

ANALYSE

1)         Omission de l'agent d'ERAR de tenir compte de la crainte des demandeurs concernant la possibilité que les quatre enfants de la demanderesse principale soient recrutés par les Tigres tamouls

[10]            Dans les observations de l'avocat relativement à la demande d'ERAR des demandeurs, on lit ce qui suit :

[traduction]

Tel que signalé précédemment à la section « Risques » , les TLET pourraient contraindre les enfants à se joindre à leur mouvement s'ils retournaient au Sri Lanka. Les enfants ont de sept à dix-neuf ans. Les TLET continuent de recruter des garçons et des filles de douze ans et un dirigeant des TLET aurait affirmé que « tous les étudiants, quel que soit leur âge, doivent prendre part à la phase finale de la lutte des TLET pour l'Eelam » . [...]


Ainsi, il est tout à fait possible que les enfants soient contraints de se joindre aux TLET. Étant donné que les cours canadiennes ont conclu que les TLET sont une organisation s'étant livrée à des actes de terrorisme et qu'il s'agit en fait d'une organisation terroriste interdite au Canada, j'avancerais que le refus des enfants de se joindre aux TLET les expose au risque d'être persécutés et torturés et leur donne droit à la protection des réfugiés[2]. [Omission d'une citation.]

[11]            Dans les notes élaborées que l'agent d'ERAR a rédigées pour appuyer la décision visée par le présent contrôle, l'agent prend acte de l'observation soulevée ci-dessus. Il signale :

[traduction]

Dans ses observations, l'avocat des demandeurs fait valoir que ces derniers sont exposés à un risque en raison de leur lien de parenté avec un présumé partisan des TLET. De plus, les quatre enfants courent le risque d'être contraints de se joindre aux TLET.[3]

[12]            Dans les présents motifs, les TLET sont parfois désignés sous le nom de Tigres tamouls.

[13]            Bien l'agent ait pris acte du risque de recrutement forcé des quatre enfants de la demanderesse principale si les demandeurs sont renvoyés au Sri Lanka, la question n'est plus abordée dans les notes de dossier très élaborées que l'agent a rédigées. À la page 31 du dossier de la demande des demandeurs, sous le titre [traduction] « Évaluation » , on voit que l'agent écrit :

[traduction]

La décision de la SSR [visant les demandeurs] remonte au 19 novembre 2001. Ma tâche consiste à évaluer l'évolution de la situation personnelle des demandeurs et de la situation dans le pays en cause depuis cette date, de façon à vérifier si les demandeurs sont maintenant exposés à des risques aux termes des articles 96 et 97 de la Loi. Étant donné que la SSR n'a pas évalué les risques aux termes de l'article 97, je dois également décider si les faits, tels qu'établis par la SSR, démontrent que les demandeurs sont des personnes à protéger aux termes de ces nouvelles définitions des risques.


[14]            Ces [traduction] « nouvelles définitions des risques » auxquelles renvoie l'agent englobent l'exposition au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumis à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture, ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. On peut soutenir que les quatre enfants et leur mère pourraient être exposés à ces risques si les Tigres tamouls tentaient de recruter les enfants au Sri Lanka, que les enfants acceptent ou non leur proposition.

[15]            Dans la décision Kulendrarajah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[4], j'ai conclu que la Section du statut de réfugié avait commis une erreur susceptible de contrôle en n'évaluant pas de manière exhaustive les risques pour les enfants liés au recrutement par les TLET. Dans cette affaire, comme en l'espèce, il n'y a pas eu d' « analyse séparée » de ces risques. J'ai également conclu que l'analyse de la SSR concernant « la nouvelle situation dans le pays » était tout simplement inadéquate en ce qui a trait à la question précise des risques liés au recrutement. Au paragraphe [17], j'ai écrit :

En outre, l'analyse effectuée par la SPR à l'égard de l'impact qu'avaient les pourparlers de paix sur les demandes des demandeurs mineurs est d'un niveau général qui, en soi, est insuffisant pour appuyer la conclusion de la SPR à l'endroit des demandeurs mineurs. Dans l'arrêt Cuadra c. Canada (Solliciteur général) [...], la Cour, après avoir mentionné que le tribunal de l'espèce a conclu qu'[TRADUCTION] « [...] il ressort des preuves documentaires que des mesures concrètes ont été prises et des progrès réalisés dans ce sens [la diminution de l'influence des Sandinistas] » , a écrit ce qui suit :

Là encore, une analyse plus détaillée des preuves contradictoires au sujet d'un changement dans les circonstances était nécessaire pour satisfaire à la condition que le changement soit suffisamment réel et effectif pour faire de la crainte authentique de l'appelant une crainte déraisonnable et, partant, non fondée.

Je tire la même conclusion à l'égard de l'analyse effectuée par la SPR, si on peut ainsi la nommer, quant à l'impact de la nouvelle situation dans le pays au Sri Lanka sur les demandes présentées par les demandeurs mineurs.

[16]            Manifestement, en ce qui concerne les faits en l'espèce, l'analyse par l'agent des répercussions de la nouvelle situation dans le pays est élaborée et détaillée. Cela dit, je suis convaincu que l'omission de lier cette analyse, de quelque manière que ce soit, aux risques du recrutement forcé des enfants par les Tigres tamouls constitue une erreur susceptible de contrôle, quelle que soit la norme de contrôle applicable, et, dans les présentes circonstances, où une question a tout simplement été laissée de côté, je suis convaincu que la retenue judiciaire dont il faut faire preuve à l'égard de la décision de l'agent d'ERAR est minime.

[17]            Ainsi, à la lumière de cette seule question, je suis convaincu que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

2)         Allégation de partialité institutionnelle ou de manque d'indépendance et d'impartialité de la part des responsables de l'administration du programme d'ERAR

[18]            Compte tenu de ma conclusion concernant la question que je viens d'analyser, je n'ai pas besoin de me pencher sur cette deuxième question. Tel que signalé précédemment, j'ai examiné cette question dans des motifs publiés en même temps que les présents motifs[5], et je refuse de le faire à nouveau en l'espèce. Je dirai seulement être convaincu que mon analyse de la question dans l'autre contexte s'applique sans modification en l'espèce.


CONCLUSION

[19]            À la lumière de la brève analyse ci-dessus, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de l'agent d'examen des risques avant renvoi visée par le contrôle sera annulée, et la demande des demandeurs sera renvoyée en vue d'une nouvelle audience et d'une nouvelle décision.

CERTIFICATION D'UNE QUESTION

[20]            Au terme de l'audience, j'ai informé les avocats que la demande de contrôle judiciaire serait accueillie. Je les ai consultés au sujet de la certification d'une question. Ni l'un ni l'autre n'a proposé de question à certifier, et la Cour est convaincue qu'aucune question grave de portée générale qui serait déterminante pour un appel de la présente demande de contrôle judiciaire n'est soulevée. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

« Frederick E. Gibson »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 27 mai 2005

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-2829-04

INTITULÉ :                                                    SATHIYASRI RATNASINGHAM ET AL.

c.

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA           

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATES DE L'AUDIENCE :              LES 25 ET 26 AVRIL 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 27 MAI 2005

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman                                                 POUR LES DEMANDEURS

Leigh Salsberg

Brena Parnes

Toronto (Ontario)

Marie-Louise Wcislo                                         POUR LE DÉFENDEUR

Anshumala Juyal

Rhonda Marquis

Toronto (Ontario)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman and Associates                                   POUR LES DEMANDEURS

Avocats

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


Date : 20050527

Dossier : IMM-2829-04

Ottawa (Ontario), le 27 mai 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

ENTRE :

                           SATHIYASRI RATNASINGHAM

                               RAMYA MURALITHARAN

                          THUVARAGA MURALITHARAN

                           BIRUNTHAN MURALITHARAN

                      THAMILEELAVAN MURALITHARAN

                                                                                          demandeurs

                                                     et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                             défendeur

                                        ORDONNANCE

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision visée par le contrôle est annulée et la demande d'examen des risques avant renvoi présentée par les demandeurs est renvoyée au défendeur en vue d'une nouvelle audience et d'une nouvelle décision par un autre agent d'examen des risques avant renvoi.


Aucune question n'est certifiée.

« Frederick E. Gibson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.



[1]               2005 CF 739.

[2]            Dossier de la demande des demandeurs, aux pages 56 et 57.

[3]            Dossier de la demande des demandeurs, à la page 12.

[4]               (2004), 245 F.T.R. 145.

[5]               Précités, note 1.

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