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Date : 20020307

Dossier : IMM-6116-00

Référence neutre : 2002 CFPI 257

Toronto (Ontario), le jeudi 7 mars 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                    ANTONINA IVANOVNA MAZURYK et

                      VIKTOR SAVELYEVICH MAZURYK

                                                                                                 demandeurs

                                                    - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                    défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 Mme Antonina Ivanovna Mazuryk prétend que sa vie sera menacée si elle est renvoyée en Ukraine, et cela en raison de son état de santé qui se détériore. Ainsi que son mari, Viktor Savelyevich Mazuryk, elle a demandé que son cas soit examiné sous la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (la catégorie DNRSRC). Dans cette demande de contrôle judiciaire, ils contestent la décision défavorable rendue à la suite de leur demande d'inclusion dans la catégorie DNRSRC par l'agente de révision des revendications refusées (l'agente).

[2]                 Selon les demandeurs, le risque résultant des soins médicaux requis n'a pas été pris en compte dans l'évaluation de leur demande d'inclusion dans la catégorie DNRSRC, et cela contrevient, disent-ils, à l'article 7 et au paragraphe 15(1) de la Charte des droits et libertés (la Charte). Ils ajoutent que l'article premier de la Charte ne peut valider cette contravention. Les demandeurs soutiennent aussi que, dans la mesure où l'agente s'est fondée sur certains passages d'un article concernant le système de santé en Ukraine, elle a manqué au devoir d'équité parce que les demandeurs n'ont pas eu la possibilité de répondre à cet article et que l'agente n'a pas cité l'article en entier.

LES FAITS

[3]                 En juillet 1997, M. et Mme Mazuryk ont quitté l'Ukraine pour les États-Unis, avec l'aide d'une église américaine qui avait pris des dispositions pour leur nourriture, leur hébergement et le traitement médical de Mme Mazuryk. Durant leur séjour aux États-Unis, ni l'un ni l'autre n'ont revendiqué le statut de réfugié.

[4]                 Après environ un an et demi, l'église ne fut plus capable financièrement d'apporter son soutien, et M. et Mme Mazuryk sont arrivés au Canada, revendiquant à la frontière, le 14 décembre 1998, le statut de réfugié.


[5]                 Dans leur formulaire de renseignements personnels (FRP), M. et Mme Mazuryk expliquaient pourquoi ils craignaient d'être persécutés :

        [TRADUCTION]Ma femme et moi avons été forcés de quitter l'Ukraine afin de prolonger la vie de ma femme qui souffre de la maladie de Parkinson et d'une thyro-toxicose. En 1988, peu après l'accident nucléaire de Tchernobyl, on a diagnostiqué qu'elle souffrait d'une thyro-toxicose, puis, en 1995, de la maladie de Parkinson par suite d'une réaction thérapeutique à une médication qu'on lui avait administrée dans un hôpital de sa ville natale. Peu après avoir pris cette médication, elle devint presque complètement paralysée et perdit la capacité de travailler (elle avait été enseignante). Elle fut forcée de vivre d'une maigre pension de 40 $ (canadiens) par mois. Je n'ai pas pu continuer de travailler parce que je devais m'occuper de ma femme, qui dépendait complètement de moi. Son revenu mensuel (la retraite) était complètement utilisé en une semaine pour sa médication et, à mesure que le temps passait, il devenait de plus en plus difficile d'obtenir cette médication. Par ailleurs, sa médication n'est pas généralement accessible aux gens ordinaires même s'ils ont les moyens de la payer. Les équipements et traitements médicaux en Ukraine sont de qualité inférieure, en particulier pour des gens comme nous, qui n'ont pas les moyens d'assumer les frais de notre propre traitement. Cependant, sans traitement, elle mourra. Sa thyro-toxicose requiert une médication coûteuse et une thérapie par radio-isotopes à laquelle n'ont pas accès les citoyens ordinaires tels que ma femme et moi-même. À cause de cela, nous avons dû laisser nos deux enfants derrière nous et nous sommes allés en Amérique avec l'aide d'une église américaine (appelée Abundant Fellowship) pour obtenir un traitement médical.

L'absence d'équipements et de soins médicaux en Ukraine est pire lorsque vous êtes perçus par les autorités comme leurs ennemis. Nous sommes perçus comme leurs ennemis pour plusieurs raisons. D'abord, parce que nous n'avons jamais appuyé un parti politique. Ensuite, pour notre rôle public dans une église chrétienne. Enfin, parce que nous avons publiquement imputé la maladie de ma femme à l'accident nucléaire de Tchernobyl.

[...]

Par conséquent, si nous sommes contraints de retourner en Ukraine, cela signifiera une mort certaine pour ma femme puisque le genre de traitement qui est nécessaire pour la maintenir en vie (un traitement qui existe au Canada) ne nous sera pas offert en Ukraine. De plus, maintenant que le parti communiste étend son emprise sur l'administration, nous craignons que notre appartenance religieuse, notre absence de soutien au parti communiste et notre opinion à propos de l'accident nucléaire soient considérées comme une menace pour les autorités et que celles-ci aillent jusqu'à nous refuser délibérément les quelques services de santé encore offerts aujourd'hui.


[6]                 La revendication du statut de réfugié a été refusée en février 2000 par la section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, et cela pour deux motifs. D'abord, le préjudice que craignait M. et Mme Mazuryk ne résultait pas de l'un des motifs contenus dans la définition de « réfugié au sens de la Convention » . Deuxièmement, M. et Mme Mazuryk n'ont prouvé ni une crainte subjective de persécution ni un fondement valide justifiant leur crainte d'être persécutés en raison de leurs croyances religieuses.

[7]                 Les observations suivantes de la SSR sont ici pertinentes :

        [TRADUCTION]Parce que les revendicateurs vivaient en dehors de la zone prescrite (un rayon de 30 km), elle ne pouvait pas être considérée comme une victime « officielle » de la catastrophe, et, d'après eux, ils ne pouvaient pas obtenir une aide à long terme ou à court terme. Ils ont dit que cela leur causait des difficultés considérables. Après la détérioration de l'état de santé de la revendicatrice en raison de la maladie de Parkinson, la revendicatrice s'est vu accorder, d'avril 1996 à mai 1997, une pension d'invalidité de second niveau, qui a été renouvelée jusqu'au 1er mai 1998. Ils ont quitté l'Ukraine pour les États-Unis en juillet 1997. Le Abundant Life Fellowship a payé leur voyage aux États-Unis, et la revendicatrice a obtenu une évaluation médicale gratuite ainsi que ses frais de traitement et de subsistance jusqu'à ce qu'ils quittent les États-Unis pour le Canada en décembre 1998.

La revendicatrice est très malade, mais il n'a pas été prouvé devant le tribunal que sa maladie était le résultat de son exposition aux radiations. Même si la preuve documentaire produite parle des effets à long terme, physiques et psychologiques, de la catastrophe de Tchernobyl, la preuve ne rattache pas la maladie de la revendicatrice à cette catastrophe. Elle s'est qualifiée pour une pension d'invalidité et a pu obtenir une médication, encore qu'à un prix plus élevé que le prix payé par ceux et celles qui ont été considérés comme les victimes directes. Il n'est pas prouvé que la revendicatrice a été persécutée, et, puisque sa pension d'invalidité s'est poursuivie pendant quelques mois après son départ de l'Ukraine, le tribunal juge que rien n'indique qu'il y aura persécution dans l'avenir.

[non souligné dans le texte, renvois omis]


[8]                 Dans leur requête en vue d'être considérés comme membres de la catégorie DNRSRC, il était mentionné, au nom des demandeurs, que :

        [TRADUCTION]Eu égard à l'opinion du docteur Norkus, il est clair que Mme Mazuryk souffrirait considérablement si elle était contrainte de retourner en Ukraine. Nous vous prions de considérer le risque très réel pour sa santé, tel qu'il est décrit dans le rapport médical, comme la preuve d'un risque objectivement identifiable - un risque qui est reconnu par les médecins et qui peut lui être fatal.

Même si elle réussissait à faire ce long voyage, il est loin d'être sûr que Mme Mazuryk puisse obtenir les soins médicaux dont elle a besoin, eu égard à la discrimination qu'elle subirait en tant que Chrétienne évangélique, et elle continuerait par conséquent de courir un risque élevé pour sa vie et son bien-être. La CISR a elle-même reconnu la discrimination sociale à laquelle se heurtent les Chrétiens évangéliques en Ukraine, et ce fait a été confirmé par le Département d'État des États-Unis dans son rapport par pays le plus récent (voir l'extrait annexé). Comme l'attestent les récents voyages des Mazuryk aux États-Unis pour y obtenir des traitements, il n'y a pas en Ukraine suffisamment d'équipements sanitaires adéquats pour les personnes atteintes de la maladie de Parkinson.

[9]                 Cette requête était appuyée par le rapport médical, lequel était formulé ainsi :

[TRADUCTION]

Il est déclaré que la patiente susmentionnée, née le 5 avril 1951, souffre d'une forme sévère et atypique de la maladie de Parkinson. La patiente a besoin d'une surveillance et d'une aide constantes dans ses activités quotidiennes les plus simples. Elle a besoin d'une médication anti-Parkinson; sans elle, elle serait paralysée en permanence et serait incapable d'aucun mouvement. Tout déplacement de plus de 20 à 30 minutes ne fait qu'empirer son état; elle entre dans des spasmes. Tout déplacement d'une durée plus longue est pour l'instant impossible. Sa maladie est permanente et elle ne fera que s'aggraver.

Si vous voulez d'autres renseignements concernant cette patiente, prière de communiquer avec nos bureaux.

  

LE CADRE LÉGISLATIF


[10]            La catégorie DNRSRC est établie sous l'autorité du paragraphe 6(5) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), qui prévoit une exception à l'exigence d'un visa, énoncée au paragraphe 9(1), en permettant à un immigrant, et à toutes les personnes à sa charge, d'obtenir le droit d'établissement à titre de mesure d'intérêt public. Pour se qualifier, l'immigrant doit être un membre d'une catégorie fixée par un règlement pris conformément à l'alinéa 114(1)e) de la Loi.

[11]            Le gouverneur en conseil, s'autorisant de l'alinéa 114(1)e) de la Loi, a établi une catégorie d'immigrants définie au paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, c'est-à-dire la catégorie DNRSRC. Cette définition est la suivante :



« demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada » Immigrant au Canada :

a) à l'égard duquel la section du statut a décidé, le 1er février 1993 ou après cette date, de ne pas reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention, à l'exclusion d'un immigrant, selon le cas :

(i) qui a retiré sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention,

(ii) à l'égard duquel la section du statut a, en vertu du paragraphe 69.1(6) de la Loi, conclu au désistement de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention,

(iii) à l'égard duquel la section du statut a déterminé, en vertu du paragraphe 69.1(9.1) de la Loi, que sa revendication n'a pas un minimum de fondement,

(iv) qui a quitté le Canada à tout moment après qu'il a été déterminé qu'il n'est pas un réfugié au sens de la Convention,

(v) qui est, par suite d'une décision de la section du statut, considéré comme une personne visée à la section F de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés figurant à l'annexe de la Loi,

(vi) qui est une personne visée à l'alinéa 19(1)c), au sous-alinéa 19(1)c.1)(i), à l'un des alinéas 19(1)e), f), g), j), k) ou l) ou au sous-alinéa 27(1)a.1)(i) de la Loi,

(vii) qui a été l'objet d'une mesure de renvoi, a quitté le Canada et est demeuré depuis la date de l'exécution de la mesure de renvoi soit aux États-Unis, soit à Saint-Pierre-et-Miquelon, pendant une période maximale de six mois;

b) [Abrogé, DORS/97-182, art. 1]

c) dont le renvoi vers un pays dans lequel il peut être renvoyé l'expose personnellement, en tout lieu de ce pays, à l'un des risques suivants, objectivement identifiable, auquel ne sont pas généralement exposés d'autres individus provenant de ce pays ou s'y trouvant :

(i) sa vie est menacée pour des raisons autres que l'incapacité de ce pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats,

(ii) des sanctions excessives peuvent être exercées contre lui,

(iii) un traitement inhumain peut lui être infligé.

"member of the post-determination refugee claimants in Canada class" means an immigrant in Canada

(a) who the Refugee Division has determined on or after February 1, 1993 is not a Convention refugee, other than an immigrant

(i) who has withdrawn the immigrant's claim to be a Convention refugee,

(ii) whom the Refugee Division has declared to have abandoned a claim to be a Convention refugee, pursuant to subsection 69.1(6) of the Act,

(iii) whom the Refugee Division has determined does not have a credible basis for the claim, pursuant to subsection 69.1(9.1) of the Act,

(iv) who has left Canada at any time after it was determined that the immigrant is not a Convention refugee,

(v) who, as a result of a determination by the Refugee Division, is considered to be a person referred to in section F of Article 1 of the United Nations Convention Relating to the Status of Refugees, set out in the schedule to the Act,

(vi) who is a person described in paragraph 19(1)(c), subparagraph 19(1)(c.1)(i), paragraph 19(1)(e), (f), (g), (j), (k) or (l) or subparagraph 27(1)(a.1)(i) of the Act, or

(vii) who has been the subject of a removal order, has left Canada and has, since the date of execution of the removal order, stayed in the United States or St. Pierre and Miquelon for a period of not more than six months, and

(b) [Repealed, SOR/97-182, s. 1]

(c) who if removed to a country to which the immigrant could be removed would be subjected to an objectively identifiable risk, which risk would apply in every part of that country and would not be faced generally by other individuals in or from that country,

(i) to the immigrant's life, other than a risk to the immigrant's life that is caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care,

(ii) of extreme sanctions against the immigrant, or

(iii) of inhumane treatment of the immigrant;


Cette catégorie comprend donc les personnes à qui le statut de réfugié a été refusé et qui ne sont pas exclues par les sous-alinéas a)(i) à (vii) de la définition.


[12]            Outre ces exigences, un requérant doit établir que, dans le pays vers lequel il serait renvoyé, il serait exposé à un risque objectivement identifiable, auquel ne sont pas généralement exposés d'autres individus provenant de ce pays ou s'y trouvant. Sa vie doit être menacée pour des raisons autres que l'incapacité de ce pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats, ou bien des sanctions excessives peuvent être exercées contre lui, ou bien un traitement inhumain peut lui être infligé. Le requérant doit prouver que ce risque existe dans tout le pays.

[13]            Selon l'article 11.4 du Règlement sur l'immigration, les membres de la catégorie DNRSRC et leurs personnes à charge sont soumis à certaines exigences relatives au droit d'établissement. L'admissibilité sur le plan médical, dont parle l'alinéa 19(1)a) de la Loi, est absente des exigences relatives au droit d'établissement pour les membres de la catégorie DNRSRC. Par conséquent, une personne qui est considérée comme membre de la catégorie DNRSRC peut obtenir le droit de s'établir au Canada en vertu de critères d'admissibilité moins rigoureux que, par exemple, les demandeurs du droit d'établissement selon les dispositions de la Loi qui concernent les raisons d'ordre humanitaire.

LA DÉCISION DE L'AGENTE

[14]            La décision de l'agente est, dans sa partie essentielle, formulée ainsi :


        [TRADUCTION] ·         La preuve documentaire concernant les soins médicaux en Ukraine indique ce qui suit : « À l'heure actuelle, les Ukrainiens peuvent recourir à trois formes générales de soins médicaux. D'abord, il y a les cliniques publiques, financées sur le budget de l'État central. Elles sont officiellement gratuites et elles acceptent les gens qui sont immatriculés ( « propysani » ) dans le district municipal ou le comté régional où elles offrent leurs services. Il y a aussi des cliniques qui appartiennent à de grandes entreprises qui ont conclu des accords d'association avec des entreprises occidentales. Ces cliniques ont été établies pour l'avantage des travailleurs et sont un peu moins coûteuses que la médecine privée. Les entreprises supportent une partie des coûts. Il y a enfin les cliniques privées, qui sont comparativement les plus coûteuses. Ironiquement, bien que les coûts varient, les mêmes médecins travaillent souvent à la fois dans des cliniques publiques et dans des cliniques privées... Ironiquement, même avec les prix plus élevés demandés par les cliniques privées, souvent le niveau de services peut laisser à désirer » . (The Ukrainian Weekly, 17 octobre 1999)

·              Les requérants risquent d'être discriminés par la société en tant que membres d'une organisation religieuse non ukrainienne; toutefois, cette discrimination ne peut être considérée comme une menace pour leur vie, comme un traitement inhumain ou comme une sanction excessive.

·              Selon le sous-alinéa 2c)(i) du Règlement sur l'immigration, l'expression « demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada » signifie un immigrant au Canada dont le renvoi vers un pays dans lequel il peut être renvoyé l'expose personnellement, en tout lieu de ce pays, à l'un des risques suivants, objectivement identifiables, auxquels ne sont pas généralement exposés d'autres individus provenant de ce pays ou s'y trouvant : sa vie est menacée pour des raisons autres que l'incapacité de ce pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

·              Selon la définition donnée dans le règlement, je ne crois pas que ces requérants courent un risque parce qu'ils croient qu'ils ne recevront pas des soins médicaux adéquats. Les soins médicaux en Ukraine ne sont peut-être pas les soins que choisiraient les requérants, mais des soins publics sont offerts à tous les citoyens qui sont immatriculés dans cette région, et ils sont gratuits.

·              Par conséquent, je suis d'avis que les requérants ne seraient pas, en tout lieu du pays, exposés à un risque objectivement identifiable de menace à leur vie, de traitement inhumain ou de sanctions excessives, auquel ne seraient pas généralement exposés d'autres individus provenant de ce pays ou s'y trouvant.

POINTS EN LITIGE

[15]            M. et Mme Mazuryk soulèvent quatre points au regard de la décision de l'agente :

1. Les dispositions concernant la catégorie DNRSRC contreviennent-elles à l'article 7 de la Charte parce qu'elles soustraient à l'analyse du risque « personnalisé et objectivement identifiable » couru par un revendicateur non reconnu du statut de réfugié, « le cas où la vie de l'immigrant est menacée par l'incapacité de ce pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats » ?


2. Les dispositions concernant la catégorie DNRSRC contreviennent-elles à l'article 15 de la Charte, et à l'alinéa 3f) de la Loi, pour le motif qu'elles exercent à l'encontre des demandeurs une discrimination fondée sur les déficiences physiques de la demanderesse?

3. Le fait d'exclure de l'analyse du risque afférente à la catégorie DNRSRC les questions se rapportant au système de santé est-il une limite raisonnable dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, selon ce que prévoit l'article premier de la Charte?

4. L'agente a-t-elle manqué à l'équité dans sa décision parce qu'elle s'est fondée en partie sur une preuve extrinsèque et parce que les demandeurs n'ont pas eu la possibilité de répondre à cette preuve?

[16]            Le défendeur a soulevé une exception préliminaire en affirmant que ni l'un ni l'autre des demandeurs n'avaient déposé un affidavit au soutien de cette instance. C'est plutôt l'affidavit d'un étudiant en droit du cabinet de l'avocate des demandeurs qui a été déposé. L'affidavit était fondé sur l'examen qu'avait fait l'étudiant du dossier de l'avocat et des documents annexes versés dans le dossier.


[17]            Le défendeur a donc fait valoir que l'affidavit n'était pas conforme aux règles 12(1) et 10(2)d) des Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d'immigration, DORS/93-22.

[18]            Selon le défendeur, ce vice de forme montrait que la demande n'était pas étayée par une preuve suffisante. À titre d'exemple, le défendeur a dit qu'il n'était pas prouvé que Mme Mazuryk serait exposée à une « mort immédiate » si elle était renvoyée en Ukraine, ni qu'elle est en « phase terminale » , deux affirmations qui apparaissent dans les conclusions écrites des demandeurs.

ANALYSE

(i) Un demandeur n'a pas produit un affidavit établi sous serment

[19]              Les règles applicables sont la règle 10(2)d) et la règle 12(1) des Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d'immigration. Elles sont ainsi rédigées :


[20]              10(2) Le demandeur signifie à chacun des défendeurs qui a déposé et signifié un avis de comparution un dossier composé des pièces suivantes, disposées dans l'ordre suivant sur des pages numérotées consécutivement :

[...]

d) un ou plusieurs affidavits établissant les faits invoqués à l'appui de sa demande,

10(2) The applicant shall serve on every respondent who has filed and served a notice of appearance, a record containing the following, on consecutively numbered pages, and in the following order

[...]

(d) one or more supporting affidavits verifying the facts relied on by the applicant in support of the application,


12. (1) Tout affidavit déposé à l'occasion de la demande est limité au témoignage que son auteur pourrait donner s'il comparaissait comme témoin devant la Cour.

12. (1) Affidavits filed in connection with an application shall be confined to such evidence as the deponent could give if testifying as a witness before the Court.


[21]            Je ne suis pas disposée à rejeter sur cette base la demande de contrôle judiciaire. L'affidavit de l'étudiant en droit établit à juste titre le fait de la demande d'inclusion dans la catégorie DNRSRC, ainsi que son lien avec les demandeurs, de telle sorte que la Cour est compétente pour examiner la décision au vu du dossier dont disposait l'agente.

[22]            Cela dit, la pratique qui consiste à demander à un tiers plutôt qu'au demandeur lui-même de certifier sous serment un affidavit est une mauvaise pratique. La preuve qui n'est pas fondée sur la connaissance personnelle et qui par ailleurs n'est pas recevable en vertu des exceptions de common law à la règle du ouï-dire ne doit pas être prise en considération. Il faut aussi se rappeler, lorsqu'on examine le contenu d'un affidavit au soutien d'une demande de contrôle judiciaire, que la preuve qui n'était pas devant le décideur n'est recevable que dans des circonstances très restreintes, par exemple lorsqu'elle est nécessaire pour établir un manquement aux principes de justice naturelle.

(ii) Bonne compréhension de la décision de l'agente

[23]            Avant d'examiner les arguments au regard de la Charte avancés par l'avocate des demandeurs, il est nécessaire d'examiner attentivement les conclusions de l'agente.


[24]            La définition d'un « demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada » , dans la partie qui intéresse cette demande, parle notamment d'une personne dont le renvoi vers un pays l'expose personnellement à un risque objectivement identifiable pour sa vie, pour des raisons autres que l'incapacité de ce pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

[25]            Estimant que les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque objectivement identifiable menaçant leur vie, l'agente s'est exprimée ainsi :

        [TRADUCTION]Selon la définition donnée dans le règlement, je ne crois pas que ces requérants courent un risque parce qu'ils croient qu'ils ne recevront pas des soins médicaux adéquats. Les soins médicaux en Ukraine ne sont peut-être pas les soins que choisiraient les requérants, mais des soins publics sont offerts à tous les citoyens qui sont immatriculés dans cette région, et ils sont gratuits.

[26]            Je crois que, par cette affirmation, l'agente tire deux conclusions. D'abord, la conclusion de droit selon laquelle la menace pour la vie qui résulte de l'incapacité d'un pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats n'est pas un risque contre lequel la catégorie DNRSRC a pour objet de prémunir les revendicateurs. Deuxièmement, la conclusion de fait selon laquelle le niveau des soins médicaux offerts en Ukraine n'est pas faible au point de menacer la vie de Mme Mazuryk.


[27]            Ces deux conclusions étaient à propos dans un examen en bonne et due forme de la demande d'inclusion dans la catégorie DNRSRC. Mme Mazuryk était tenue de prouver un risque sérieux pour sa vie avant de pouvoir entrer dans la définition. Si ce risque était établi, l'agente serait alors tenue de se demander s'il résultait de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

[28]            L'agente a examiné le niveau des soins médicaux ou de santé offerts en Ukraine, et cela est reflété dans son analyse de la preuve documentaire sur les soins médicaux. L'agente n'a pas trouvé que le niveau des soins médicaux ou de santé fournis constituait une menace pour la vie de la demanderesse, tel qu'il appert de la lettre de l'agente, où elle écrit : [TRADUCTION] « J'ai examiné votre dossier pour savoir si votre vie serait gravement menacée... pour le cas où vous devriez quitter le Canada. Je suis arrivée à la conclusion que vous ne seriez pas exposée à [ce risque] si vous étiez renvoyée en Ukraine » .

(iii) La conclusion de l'agente selon laquelle la vie de Mme Mazuryk ne serait pas sérieusement menacée est-elle une conclusion que l'agente pouvait raisonnablement tirer?

[29]            Les pièces dont disposait l'agente étaient la requête en inclusion dans la catégorie DNRSRC, le FRP des demandeurs, la décision et les motifs de la SSR, le rapport du Département d'État des États-Unis sur les droits de l'homme en Ukraine pour 1999, et un article du Ukrainian Weekly daté du 17 octobre 1999. Les pièces en question contenaient ce qui suit :


·     L'affirmation de la SSR concernant la preuve dont elle disposait, affirmation selon laquelle Mme Mazuryk était admissible à une pension d'invalidité et pouvait obtenir un traitement médical en Ukraine, encore qu'à un prix plus élevé que pour d'autres.

·     Le contenu de la requête produite au nom des demandeurs pour qu'ils soient considérés comme membres de la catégorie DNRSRC, requête qui n'allait pas plus loin que l'opinion médicale selon laquelle Mme Mazuryk [TRADUCTION] « souffrirait considérablement si elle était contrainte de retourner en Ukraine » ; « même si elle réussissait à faire ce long voyage, il est loin d'être sûr que Mme Mazuryk puisse obtenir les soins médicaux dont elle a besoin, eu égard à la discrimination qu'elle subirait en tant que Chrétienne évangélique, et elle continuerait par conséquent de courir un risque élevé pour sa vie et son bien-être » ; et « comme l'attestent les récents voyages des Mazuryk aux États-Unis pour y obtenir des traitements, il n'y a pas en Ukraine suffisamment d'équipements sanitaires adéquats pour les personnes atteintes de la maladie de Parkinson. »

·     Le rapport médical susmentionné.


[30]            La preuve ne renferme rien qui confirme les inquiétudes des demandeurs à propos des infrastructures sanitaires à la disposition des parkinsoniens en Ukraine, et rien qui se rapporte à la thyro-toxicose de Mme Mazuryk. Le dossier faisait état de la discrimination dont Mme Mazuryk était apparemment victime en tant que Chrétienne évangélique en Ukraine, mais il n'expliquait nulle part pourquoi la médication à laquelle elle avait auparavant accès en Ukraine ne serait plus accessible.

[31]            Au vu de la preuve dont elle disposait, l'agente pouvait raisonnablement conclure que les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque personnel sérieux pour la vie de Mme Mazuryk.

[32]            Le seul argument avancé par les demandeurs dans cette demande de contrôle judiciaire et intéressant cette conclusion était que l'agente s'en était rapportée à une information extrinsèque sur les soins médicaux en Ukraine, information tirée d'un document qui n'avait pas été communiqué à l'avocate des demandeurs pour qu'elle puisse y répondre. Les demandeurs ont dit aussi que ce document avait été cité d'une manière sélective par l'agente au détriment des demandeurs.


[33]            La Cour d'appel fédérale a jugé, dans l'arrêt Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 3 C.F. 461, que le devoir d'équité n'oblige pas un agent de révision des revendications refusées à divulguer, avant de rendre sa décision, les documents obtenus de sources publiques et se rapportant à la situation générale d'un pays, dans la mesure où tels documents pouvaient être obtenus au moment où le requérant a présenté ses arguments à l'agent. Je suis d'avis que l'article extrait du Ukrainian Weekly entre dans cette catégorie de documents.

[34]            De plus, bien que l'agente n'ait pas reproduit l'article dans son intégralité, je suis d'avis que les parties omises de l'article étaient inoffensives.

[35]            Par conséquent, aucun manquement de l'agente au devoir d'équité n'a été établi.

CONCLUSION

[36]            Ayant jugé que l'agente a raisonnablement conclu, en fait, que les demandeurs n'avaient pas prouvé un risque personnel sérieux pour la vie de Mme Mazuryk s'ils devaient être contraints de quitter le Canada, il ne m'est pas nécessaire de considérer les présumées contraventions à la Charte. Même si l'on devait conclure que les dispositions contestées contreviennent à la Charte, ce dont je doute, la décision de l'agente demeurerait valide au vu des faits.


[37]            En tout état de cause, les demandeurs font reposer leurs contestations au regard de la Charte sur l'affirmation selon laquelle le retour de Mme Mazuryk en Ukraine entraînerait sa mort immédiate. Eu égard à ce « risque manifeste » auquel serait exposée Mme Mazuryk, il est allégué que son exclusion de la catégorie DNRSRC va à l'encontre de l'article 7 de la Charte. S'agissant de l'article 15 de la Charte, bien qu'il soit admis que l'exclusion entraînée par l'incapacité d'un pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats s'applique à tous les demandeurs de la catégorie DNRSRC, l'effet de cette exclusion sur les demandeurs serait discriminatoire en raison des déficiences physiques de Mme Mazuryk. Les demandeurs affirment que, bien que d'autres demandeurs non admis dans la catégorie DNRSRC puissent eux aussi être exposés au risque de ne pouvoir accéder à des soins de santé adéquats après leur renvoi dans leur pays d'origine, ce fait ne modifie pas leur « qualité de vie » d'une manière pouvant entraîner leur mort immédiate, comme ce serait le cas pour Mme Mazuryk.

[38]            Cependant, comme l'affirme le ministre dans son exception préliminaire, la preuve médicale présentée à l'agente et à la Cour, et reproduite au paragraphe 9 ci-dessus, n'appuie pas de telles allégations.

[39]            La Cour suprême du Canada a clairement jugé que les décisions se rapportant à la Charte ne doivent pas être prises dans un vide factuel. Voir par exemple l'arrêt MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357.


[40]            Dans la présente affaire, où les demandeurs invoquent l'effet de la législation sur Mme Mazuryk, l'absence d'une preuve adéquate au soutien de leur argument porte un coup fatal à leur demande.

[41]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[42]            L'avocate des demandeurs a demandé que soient certifiées plusieurs questions énoncées dans l'avis de question constitutionnelle. Puisque selon moi l'affaire tient à la preuve dont disposait l'agente, ainsi qu'à sa conclusion selon laquelle la vie de Mme Mazuryk n'était pas sérieusement menacée, et puisqu'à mon avis les arguments relatifs à la Charte qui ont été présentés par les demandeurs ne trouvent aucun fondement dans la preuve, aucune question ne sera certifiée.

                                           ORDONNANCE

IL EST ORDONNÉ CE QUI SUIT :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


2.          Aucune question n'est certifiée.

  

                                                                              « Eleanor R. Dawson »          

                                                                                                             Juge                        

Toronto (Ontario)

le 7 mars 2002

    

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

No DU GREFFE :                                              IMM-6116-00

INTITULÉ :                                                        ANTONINA IVANOVNA MAZURYK et VIKTOR SAVELYEVICH MAZURYK

                                                                                                 demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                    défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE MARDI 4 DÉCEMBRE 2001

LIEU DE L'AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                                     LE JEUDI 7 MARS 2002

  

ONT COMPARU :

Mme Geraldine Sadoway                                                  pour les demandeurs

M. Stephen H. Gold                                                          pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Geraldine Sadoway                                                           pour les demandeurs

Parkdale Community Legal Services

1266, rue Queen ouest

Toronto (Ontario)

M6K 1L3

Morris Rosenberg                                                              pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                   Date : 20020307

        Dossier : IMM-6116-00

ENTRE :

ANTONINA IVANOVNA MAZURYK et VIKTOR SAVELYEVICH MAZURYK

                                           demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                              défendeur

                                                                                

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                

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