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Date : 20191218


Dossier : T-784-19

Référence : 2019 CF 1637

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2019

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

FONDATION DAVID SUZUKI, LES AMI(E)S DE LA TERRE CANADA,

ÉQUITERRE et le WILDERNESS COMMITTEE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et SYNGENTA CANADA INC.

défendeurs

et

CROPLIFE CANADA

intervenante

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La présente décision concerne une demande de contrôle judiciaire dans le contexte de laquelle les demandeurs contestent une décision rendue par l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) le 11 avril 2019 (la Décision), ayant pour effet de modifier certaines homologations d’un produit antiparasitaire à la suite d’une réévaluation réalisée aux termes de l’article 16 de la Loi sur les produits antiparasitaires, LC 2002, c 28 (la Loi). Les demandeurs contestent notamment la partie de la Décision qui prévoit une période de transition de 24 mois pour la mise en œuvre des mesures d’atténuation des risques prescrites par ces modifications.

[2]  Les demandeurs demandent que soit rendue une ordonnance : a) déclarant que l’ARLA n’a pas compétence pour prévoir une période de transition dans la Décision; b) déclarant que la pratique de l’ARLA, consistant à accorder une période de transition pour la mise en œuvre des modifications en application de sa Politique sur la révocation de l’homologation et la modification de l’étiquette à la suite d’une réévaluation et d’un examen spécial (la Politique), dépasse les pouvoirs conférés par la Loi; et c) annulant la période de transition prévue dans la Décision.

[3]  La présente demande est rejetée pour les motifs expliqués de façon plus détaillée ci-après. Je conclus que l’interprétation que l’ARLA a faite de la Loi, à savoir que la Loi lui confère le pouvoir d’accorder une période de transition, ainsi que sa décision d’inclure une telle période de transition sont toutes deux raisonnables.

II.  Résumé des faits

[4]  Les demandeurs sont la Fondation David Suzuki (Suzuki), Les Ami(e)s de la Terre Canada, Équiterre et le Wilderness Committee. Tous sont des organisations non gouvernementales vouées à la défense de l’environnement.

[5]  Les défendeurs sont le ministre de la Santé (le ministre), qui est responsable de la Loi et qui a délégué cette responsabilité à l’ARLA, et Syngenta Canada Inc. (Syngenta), le titulaire d’homologation du produit antiparasitaire de la classe des néonicotinoïdes – le principe actif de qualité technique thiaméthoxame (TMX) – et de 17 préparations commerciales connexes dont le principe actif est le TMX (globalement, les produits contenant du TMX). Ces produits incluent des produits à pulvériser sur des plantes et le sol nu (désignés respectivement applications foliaires et applications sur le sol) ainsi que des produits utilisés comme enduit sur les semences pour éviter que les insectes les mangent lorsqu’elles sont plantées et pour protéger les plantes qui émergent de ces semences (traitement de semences).

[6]  Est également partie à cette instance à titre d’intervenante, CropLife Canada (CropLife), une association professionnelle qui représente des développeurs, des fabricants et des distributeurs de produits issus de la phytologie.

[7]  La Loi régit la réglementation des produits antiparasitaires au Canada, y compris leur principe actif et les préparations commerciales qui en découlent. Les dispositions de la Loi qui sont mentionnées dans le présent jugement et ses motifs sont énoncées à l’annexe A ci-jointe. Sous réserve de certaines exceptions, le paragraphe 6(1) de la Loi interdit à quiconque de fabriquer, de posséder, de manipuler, de stocker, de transporter, d’importer, de distribuer ou d’utiliser un produit antiparasitaire non homologué aux termes de la Loi. Pour qu’un produit soit homologué, ou pour qu’une homologation existante soit modifiée, une demande doit être présentée au ministre, qui procède ensuite aux évaluations qu’il juge nécessaires relativement à la valeur du produit antiparasitaire ou aux risques sanitaires ou environnementaux qu’il présente (aux paragraphes 7(1) et (3) de la Loi).

[8]  Si le ministre considère que la valeur du produit antiparasitaire ainsi que les risques sanitaires et environnementaux qu’il présente sont acceptables, il homologue le produit ou modifie son homologation, notamment en déterminant les conditions relatives à la fabrication, à la manipulation, au stockage, au transport, à l’importation, à l’exportation, à l’emballage, à la distribution, à l’utilisation ou à la disposition, à la composition et à l’étiquetage du produit ( à l’alinéa 8(1)a)). Dans le cas contraire, le ministre rejette la demande (au paragraphe 8(4)). Avant les événements ayant mené à la présente demande de contrôle judiciaire, les produits contenant du TMX avaient été homologués au titre de la Loi à la suite d’une demande présentée par Syngenta à l’ARLA.

[9]  Le ministre peut procéder à la réévaluation d’un produit antiparasitaire homologué s’il estime que, depuis l’homologation du produit, il y a eu un changement en ce qui touche les renseignements exigés ou la procédure à suivre pour l’évaluation de la valeur du produit ou des risques sanitaires ou environnementaux qu’il présente (au paragraphe 16(1)). Tout comme lors de l’homologation initiale, le ministre doit alors réaliser les évaluations qu’il juge nécessaires en ce qui concerne la valeur du produit ou les risques sanitaires ou environnementaux qu’il présente et procéder aux consultations publiques exigées par l’article 28 (au paragraphe 16(6)).

[10]  Si, au terme des évaluations et des consultations requises, le ministre conclut que la valeur du produit antiparasitaire et les risques sanitaires et environnementaux qu’il présente sont acceptables, il doit en confirmer l’homologation (au paragraphe 21(1)). Si le ministre ne considère pas que ces conditions sont acceptables, il doit s’acquitter des obligations suivantes, énoncées au paragraphe 21(2) :

Loi sur les produits antiparasitaires, LC 2002, ch 28

Pest Control Products Act, SC 2002, c 28

Modification ou révocation

Amendment or cancellation

21 (2) Dans le cas où il n’arrive pas à cette conclusion, le ministre modifie l’homologation s’il estime qu’à la suite de la modification la valeur du produit et les risques sanitaires et environnementaux qu’il présente seraient acceptables, ou il la révoque.

21 (2) If the Minister does not consider that the health or environmental risks or value of a pest control product are acceptable, the Minister shall

[Blank]

(a) amend the registration if the Minister considers that the health and environmental risks and value of the product would be acceptable after the amendment; or

[Blank]

(b) cancel the registration.

[11]  La définition de « risques acceptables », présentée au paragraphe 2(2), est ainsi rédigée :

Risques acceptables

Acceptable risks

2 (2) Pour l’application de la présente loi, les risques sanitaires ou environnementaux d’un produit antiparasitaire sont acceptables s’il existe une certitude raisonnable qu’aucun dommage à la santé humaine, aux générations futures ou à l’environnement ne résultera de l’exposition au produit ou de l’utilisation de celui-ci, compte tenu des conditions d’homologation proposées ou fixées.

2 (2) For the purposes of this Act, the health or environmental risks of a pest control product are acceptable if there is reasonable certainty that no harm to human health, future generations or the environment will result from exposure to or use of the product, taking into account its conditions or proposed conditions of registration.

[12]  Le 12 juin 2012, l’ARLA a donné avis qu’elle procédait à une réévaluation du thiaméthoxame et d’un autre néonicotinoïde, à la lumière de nouvelles données scientifiques sur les néonicotinoïdes et leurs effets potentiels sur les insectes pollinisateurs, ainsi que des mises à jour mondiales apportées au cadre d’évaluation des risques pour les insectes pollinisateurs. Cette réévaluation a été menée sur une période de cinq ans au terme de laquelle l’ARLA en a publié les résultats dans son Projet de décision de réévaluation, le 19 décembre 2017 (le projet de décision). Le projet de décision a ensuite fait l’objet d’une période de consultation de 90 jours, conformément à l’article 28 de la Loi, période durant laquelle l’ARLA a reçu des commentaires de diverses catégories de parties intéressées dont Syngenta et d’autres titulaires d’homologation, des organisations sans lucratif parmi lesquelles figuraient les demandeurs Suzuki et Équiterre, ainsi que d’autres participants de l’industrie dont CropLife.

[13]  Le 11 avril 2019, l’ARLA a publié la décision définitive qui est l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

III.  Décision de réévaluation

[14]  La Décision compte près de 250 pages, y compris les annexes; pour être parfaitement comprise, elle doit être lue conjointement avec le projet de décision, qui compte 400 pages supplémentaires. Les conclusions de l’ARLA sont toutefois résumées au début de la Décision, comme suit :

Résultats de l’évaluation scientifique

L’évaluation des risques, réalisée conformément au Guidance for Assessing Pesticide Risks to Bees, a déterminé qu’il existe divers degrés d’effets sur les abeilles. Certaines des utilisations actuelles du thiaméthoxame ne devraient pas avoir d’effets sur les abeilles. Dans le cas de certaines autres utilisations, des mesures d’atténuation (c.‑à‑d. des changements aux conditions d’homologation) sont nécessaires pour réduire au minimum l’exposition potentielle des abeilles. Les mesures d’atténuation consistent notamment à modifier le profil d’emploi et à améliorer les étiquettes. Lorsque le thiaméthoxame est utilisé conformément à ces nouvelles mesures de réduction des risques, l’exposition environnementale réduite est jugée adéquate, et les risques sont acceptables. Des mises en garde doivent figurer sur les étiquettes des produits afin d’informer les utilisateurs du risque de toxicité pour les pollinisateurs. Pour d’autres utilisations, les risques pour les pollinisateurs n’ont pas été jugés acceptables et, par conséquent, l’homologation de ces utilisations est révoquée.

Décision réglementaire concernant le thiaméthoxame

Santé Canada a terminé la réévaluation des risques du thiaméthoxame pour les pollinisateurs. En vertu de la Loi sur les produits antiparasitaires, Santé Canada a déterminé qu’avec les modifications requises, le maintien de l’homologation des produits contenant du thiaméthoxame est acceptable. Toutefois, certaines utilisations du thiaméthoxame sont révoquées afin de tenir compte des risques potentiels pour les pollinisateurs. Une évaluation des données scientifiques disponibles a révélé que certaines utilisations des produits contenant du thiaméthoxame répondent aux normes actuelles de protection des pollinisateurs lorsqu’ils sont utilisés conformément aux conditions d’homologation, qui comprennent les modifications requises aux modes d’emploi figurant sur les étiquettes. Des modifications de l’étiquette, telles qu’elles sont résumées ci-dessous et à l’annexe III de la version intégrale du document RVD2019-04, sont requises pour toutes les préparations commerciales. Aucune donnée supplémentaire n’est requise.

Mesures d’atténuation des risques afin de protéger les pollinisateurs

Les étiquettes des contenants de produits antiparasitaires homologués précisent le mode d’emploi de ces produits. On y trouve notamment des mesures d’atténuation des risques visant à protéger la santé humaine et l’environnement. Les utilisateurs sont tenus par la loi de s’y conformer. À la suite de cette réévaluation du thiaméthoxame, des mesures d’atténuation additionnelles des risques doivent figurer sur les étiquettes des produits.

Certaines cultures attirent fortement les abeilles lorsqu’elles sont en fleur. Étant donné que de nombreuses abeilles sont attirées par ces cultures lorsqu’elles sont en fleurs et selon une évaluation des risques pour les abeilles, l’application de pesticides contenant du thiaméthoxame peut causer des effets pouvant entraver la survie des colonies d’abeilles ou des espèces d’abeilles solitaires.

Afin de protéger les insectes pollinisateurs, Santé Canada révoque les utilisations suivantes du thiaméthoxame :

  application foliaire et au sol dans des cultures ornementales, lorsqu’une telle application a pour effet d’exposer des pollinisateurs (c.‑à‑d. lorsque les cultures sont plantées à l’extérieur et attirent les pollinisateurs);

  application au sol dans des cultures de petits fruits, de cucurbitacées et de légumes-fruits;

  application foliaire dans des vergers.

Étant donné que les abeilles sont attirées par certaines cultures, et à la lumière d’une évaluation des risques pour les abeilles, l’application de pesticides contenant du thiaméthoxame avant et pendant la période de floraison peut provoquer des effets ayant une incidence sur la survie des colonies d’abeilles ou sur les espèces d’abeilles solitaires.

Afin de protéger les insectes pollinisateurs, Santé Canada modifie le moment d’application pour les utilisations suivantes du thiaméthoxame :

Les applications suivantes ne peuvent être faites avant ou pendant la floraison :

  application foliaire sur des légumineuses et sur des légumes-fruits cultivés à l’extérieur;

  application foliaire sur des cultures de petits fruits (avec taille de régénération nécessaire sur les baies ligneuses).

Les cultures suivantes ne peuvent pas être pulvérisées pendant la floraison :

  application foliaire sur la patate douce et la pomme de terre.

Afin de réduire au minimum l’exposition des abeilles à la poussière lors de la plantation des semences traitées, des mises en garde additionnelles sont requises sur les étiquettes pour l’utilisation suivante :

  traitement des semences de céréales et de légumineuses.

Dans le cadre de la production agricole au Canada, le thiaméthoxame a de la valeur en tant qu’insecticide, car il permet de lutter contre divers insectes ravageurs lorsqu’il est utilisé en application foliaire, en application au sol ou pour le traitement des semences. Une évaluation des produits homologués a permis de déterminer qu’il n’y avait aucune solution de rechange pour les combinaisons de cultures et d’organismes nuisibles suivantes :

  la punaise marbrée sur la pomme, la pommette, la poire et la poire asiatique;

  la punaise marbrée et la punaise sombre des racines sur les petits fruits;

  la punaise sombre des racines, le charançon de la canneberge et le charançon de la racine du fraisier sur les petits fruits de plantes naines (sauf le fraisier et le bleuet nain);

  • la punaise marbrée et le charançon noir de la vigne sur les plantes ornementales d’extérieur.

Les mesures d’atténuation des risques additionnelles décrites ci-dessus seront mises en œuvre sur une période de 24 mois. Les risques relevés ne sont pas jugés imminents, car ils ne devraient pas causer de préjudice irréversible au cours de cette période. Les effets potentiels comprennent les effets sublétaux sur les colonies ou les abeilles solitaires, mais les populations d’insectes pollinisateurs touchées devraient se rétablir à la suite de la mise en œuvre des restrictions supplémentaires, lesquelles permettront de réduire l’exposition. De plus, les populations devraient se rétablir étant donné que les risques pour les insectes pollinisateurs sont limités sur le plan géographique aux zones où ces produits sont appliqués et aux zones adjacentes aux sites d’application. La présence d’abeilles solitaires, d’abeilles domestiques et de bourdons non touchés dans des zones où ces produits ne sont pas utilisés facilitera davantage le rétablissement, puisque les abeilles non touchées dans l’environnement peuvent se déplacer vers les zones où des effets peuvent s’être fait sentir. Dans l’ensemble, le risque pour les insectes pollinisateurs est acceptable au cours de la période nécessaire à la mise en œuvre des mesures d’atténuation.

Cette décision forcera les producteurs à changer leurs pratiques antiparasitaires. Le mode d’emploi des pesticides, détaillé et précis, fait souvent appel à une formation et à un équipement d’application et de sécurité spécialisés. Cette période de transition assurera une mise en œuvre harmonieuse et en toute sécurité de ces nouvelles restrictions, tout en réduisant les risques attribuables à une mauvaise utilisation ou à une élimination inadéquate des produits au moment où les utilisateurs adopteront d’autres pratiques, au besoin. Cette pratique est conforme aux politiques et aux pratiques actuelles de Santé Canada en ce qui concerne l’élimination des utilisations à la suite d’une réévaluation (Directive d’homologation DIR2018-01, Politique sur la révocation de l’homologation et la modification de l’étiquette à la suite d’une réévaluation et d’un examen spécial) et aux pratiques employées par d’autres organismes de réglementation internationaux.

Il n’existe pas de solution de rechange pour un petit sous-ensemble d’utilisations visant la lutte de certains organismes nuisibles importants (la punaise marbrée envahissante et certaines espèces de charançons) sur une très petite quantité de cultures se trouvant dans des zones géographiques limitées au Canada. Par conséquent, la mise en œuvre de la décision de réévaluation concernant ces utilisations sera différée d’une année additionnelle afin de permettre aux producteurs de trouver des solutions de lutte antiparasitaire. Au cours de cette période, l’exposition globale des insectes pollinisateurs sera réduite substantiellement grâce au retrait des utilisations posant un risque pour les abeilles et visant d’autres insectes nuisibles sur ces cultures et d’autres cultures, ainsi que par l’imposition de restrictions supplémentaires quant au moment de l’application, ce qui réduira encore plus l’exposition des insectes pollinisateurs. Les risques pour les insectes pollinisateurs sont donc jugés acceptables pour une année additionnelle dans le cas de ce petit sous-ensemble d’utilisations.

Prochaines étapes

Pour se conformer à cette décision et à la Directive d’homologation DIR2018 01, Politique sur la révocation de l’homologation et la modification de l’étiquette à la suite d’une réévaluation et d’un examen spécial, les titulaires disposeront tout au plus de 24 mois après la date de publication du présent document pour ajouter les mesures d’atténuation requises à l’étiquette de tous les produits qu’ils vendent. L’annexe I énumère les produits contenant du thiaméthoxame qui sont homologués en vertu de la Loi sur les produits antiparasitaires.

Autres renseignements

Toute personne peut déposer un avis d’opposition au sujet de cette décision concernant le thiaméthoxame dans les 60 jours suivant la date de publication de la présente décision de réévaluation. Pour en savoir davantage sur les motifs d’un tel avis (l’opposition doit reposer sur des données scientifiques), veuillez consulter la section Pesticides (sous la rubrique « Demander l’examen d’une décision ») du site Web Canada.ca ou communiquer avec le Service de renseignements sur la lutte antiparasitaire de l’ARLA.

[Citations internes omises; non souligné dans l’original; en caractères gras dans l’original]

IV.  Politique

[15]  La présente demande vise non seulement à obtenir réparation en regard de la partie de la Décision qui a été soulignée précédemment, mais également en lien avec la partie de la Politique à laquelle il est fait renvoi dans la Décision. L’ARLA a publié la Politique le 7 mars 2018 et en a décrit l’objectif comme suit :

1.0 Objectif

Le but de la présente politique est de fournir un cadre de travail à la révocation de l’homologation de produits antiparasitaires ou à la modification des utilisations, des étiquettes ou d’autres conditions d’homologation à la suite de décisions rendues lors de réévaluations ou d’examens spéciaux. La politique décrit non seulement le processus et les délais connexes, mais aussi la façon dont sont fixés les délais pour révoquer ou modifier l’homologation des produits antiparasitaires.

Cette politique vise à accroître la transparence en matière de processus et à préciser les délais connexes lorsque la mesure réglementaire nécessite le retrait de produits du marché, la modification des utilisations approuvées ou des étiquettes. Elle permet en outre de faciliter l’application efficace des décisions rendues au terme d’une réévaluation ou d’un examen spécial. À l’aide de délais normalisés, il sera possible de clarifier les attentes, les obligations et les communications en ce qui concerne l’application des décisions d’homologation.

[16]  La pratique de l’ARLA, que les demandeurs demandent à notre Cour de déclarer comme dépassant les compétences prévues par la Loi, est décrite en ces termes à l’article 6.2 de la Politique :

6.2 Délais de modification

Lorsque la modification d’une homologation est jugée nécessaire parce que le produit ne répond pas aux normes établies pour protéger la santé humaine et l’environnement, par exemple la nécessité de prendre des mesures supplémentaires d’atténuation des risques ou la révocation de certaines utilisations, le processus suivant s’applique (voir l’annexe I.a) :

  L’ARLA doit aviser les titulaires de la nécessité de modifier l’homologation de leurs produits et de mettre à jour les étiquettes afin qu’elles indiquent les modifications requises. De plus, l’ARLA doit confirmer le processus requis et les délais de mise en œuvre.

  Par ailleurs, les titulaires doivent présenter une demande. L’ARLA examinera les demandes conformément à la norme de rendement (c’est-à-dire 37 jours civils pour une vérification de l’intégralité, suivis de 240 jours civils pour l’examen).

En l’absence de risque imminent et grave pour la santé humaine ou l’environnement, les titulaires ont habituellement jusqu’à deux (2) ans à partir de la date de la décision pour commencer à vendre le produit avec les étiquettes nouvellement modifiées.

À la suite de la décision, si, à n’importe quel moment, l’ARLA relève un risque imminent et grave pour la santé humaine ou pour l’environnement, elle écourtera la période d’abandon graduel au cas par cas, en fonction de la probabilité et de la gravité du risque.

[Non souligné dans l’original.]

V.  Questions en litige

[17]  Les demandeurs contestent les portions soulignées des paragraphes précités de la Décision et de la Politique, qui prévoient une période de transition de 24 mois pour la mise en œuvre des mesures d’atténuation des risques. Ils font valoir que cette période de transition représente un délai qui ne relève pas des pouvoirs que la Loi confère à l’ARLA. Ils appuient largement leurs arguments sur le paragraphe 21(3) de la Loi, ainsi rédigé :

Report de la modification ou de la révocation

Delay of effective date

21 (3) Le ministre peut différer la modification ou la révocation de l’homologation lorsqu’il n’existe aucune solution de rechange satisfaisante à l’utilisation du produit antiparasitaire et qu’il juge que la valeur du produit et les risques sanitaires et environnementaux qu’il présente sont, jusqu’à la date de modification ou de révocation, acceptables.

21 (3) The Minister may delay the effective date of the amendment or cancellation if

[BLANK]

(a) no suitable alternative to the use of the pest control product is available; and

[BLANK]

(b) the Minister considers that the health and environmental risks and value of the product are acceptable until the effective date of the amendment or cancellation.

[18]  Les demandeurs ne contestent pas le report d’un an prévu pour le sous-ensemble d’utilisations pour lequel, selon la Décision, il n’existe pas de solutions de rechange pour lutter contre certains organismes nuisibles importants (le sous-ensemble d’utilisations), car ils considèrent que ce report est autorisé par le paragraphe 21(3).

[19]  Les demandeurs et chacun des défendeurs énoncent d’une manière quelque peu différente les questions de fond que la Cour doit trancher. Je suis toutefois d’avis que les questions énoncées ci-après définissent un cadre qui permet l’examen des arguments soulevés par toutes les parties, y compris l’intervenante, afin de décider si les demandeurs ont droit à l’une ou l’autre des mesures de réparation demandées :

  1. Quelle est la norme de contrôle qui s’applique aux questions soulevées par les demandeurs?

  2. L’ARLA est-elle habilitée à accorder une période de transition pour la mise en œuvre de modifications apportées à la suite d’une réévaluation, lorsque les exigences du paragraphe 21(3) de la Loi ne sont pas respectées?

  3. Si l’ARLA a qualité pour agir en ce sens, a-t-elle néanmoins commis une erreur susceptible de révision en prévoyant une période de transition dans la Décision, que ce soit par l’adoption de cette mesure ou par la manière dont elle a appliqué le critère pour juger du caractère acceptable du risque?

  4. Si la Cour conclut qu’elle devrait annuler la partie de la Décision qui prévoit une période de transition, devrait-elle annuler uniquement cette portion de la Décision ou la Décision dans son intégralité?

VI.  Question préliminaire – Requête en radiation de l’affidavit de Syngenta

[20]  Avant d’examiner les questions précitées, il importe d’examiner une question préliminaire que les demandeurs ont soulevée relativement à l’affidavit présenté à l’appui par Syngenta. Il s’agit d’un affidavit du chef du développement en protection des végétaux de Syngenta, Mme Nancy Tout, Ph. D., fait sous serment le 21 juin 2019. Le 3 juillet 2019, les demandeurs ont déposé une requête demandant la radiation de certaines portions de l’affidavit de Mme Tout, ainsi que des pièces y afférentes. Les parties ont par la suite accepté que cette requête soit débattue lors de l’audition principale de la présente demande de contrôle judiciaire et qu’elle soit étudiée dans le présent jugement et ses motifs.

[21]  Les portions de l’affidavit et des pièces de Mme Tout dont les demandeurs demandent la radiation s’inscrivent dans l’ensemble dans les catégories suivantes :

  1. Éléments de preuve concernant la commercialisation passée, présente et future de certains produits contenant du TMX qui, selon les demandeurs, : (i) représentent des renseignements non pertinents dont le décideur n’a pas été saisi; (ii) sont fondés sur des éléments tenus pour véridiques sur la foi de renseignements allant à l’encontre du paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales (les Règles), ou (iii) constituent des arguments;

  2. Éléments de preuve sur les catégories de renseignements inclus sur les étiquettes des produits contenant du TMX qui, selon les demandeurs, représentent des opinions et des arguments d’un expert non qualifié;

  3. Éléments de preuve portant sur la préparation et la présentation, par Syngenta, de projets d’étiquettes modifiées en conformité avec la Décision, y compris de copies de ces projets d’étiquettes jointes à titre de pièces à l’appui, qui, selon les demandeurs, représentent des renseignements non pertinents dont le décideur n’a pas été saisi ou constituent des arguments.

A.  Preuve de la commercialisation de produits contenant du TMX

[22]  Dans son témoignage, Mme Tout mentionne que quatre produits antiparasitaires de Syngenta destinés au traitement des semences, qui sont homologués aux termes de la Loi, ne sont actuellement pas commercialisés et qu’il n’est pas prévu de les commercialiser. Elle précise que Syngenta entend aller de l’avant avec l’abandon de ces produits. Elle mentionne également que l’un des produits antiparasitaires de Syngenta destinés à des applications foliaires et au sol n’a jamais été commercialisé au Canada, même s’il y est homologué.

[23]  Dans son affidavit, Mme Tout dit connaître les questions dont elle traite dans son témoignage et dit avoir fait ces déclarations au mieux de sa connaissance directe, en se basant sur son expérience de l’examen des questions abordées dans l’affidavit, sur sa participation à cet examen, ainsi que sur son examen et sa connaissance du contenu de documents portant sur ces questions. Elle explique que, lorsque ses déclarations sont fondées sur des éléments tenus pour véridiques sur la foi de renseignements, elle a précisé la source de ces renseignements et elle croit en leur véracité. Les seuls éléments abordés dans l’affidavit qui, selon Mme Tout, sont tenus pour véridiques sur la foi de renseignements portent sur la commercialisation des produits précités.

[24]  Les demandeurs font valoir que les éléments de preuve de Mme Tout portant sur la commercialisation des produits de Syngenta (aux paragraphes 11, 13, 48 et 50) devraient être radiés de son affidavit, car ils contreviennent au paragraphe 81(1) des Règles. Cette disposition prescrit que les affidavits doivent se limiter aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui de certaines requêtes. Je souscris à la réponse présentée par Syngenta à cet argument, à savoir que ces éléments de preuve de Mme Tout constituent une preuve relative à l’entreprise qui, selon une autorité compétente, ne contrevient pas au paragraphe 81(1) des Règles.

[25]  Dans la décision Twentieth Century Fox Home Entertainment Canada Limited c Canada (Procureur général), 2012 CF 823 [Twentieth Century Fox], aux paragraphes 22 et 23, le juge Phelan note que le paragraphe 81(1) des Règles doit être interprété à la lumière de l’acceptation du ouï-dire, sur le plan des principes, par la Cour suprême, et que notre Cour a accepté des éléments de preuve tenus pour véridiques sur la foi de renseignements. Dans cette affaire, le juge Phelan mentionne que les éléments de preuve présentés par l’auteur de l’affidavit s’apparentait à une preuve « relative à l’entreprise », en ce sens que l’auteur agissait à titre de superviseur et qu’il était responsable du subalterne qui lui a communiqué l’information; il était donc en mesure de savoir si les faits étaient véridiques.

[26]  Dans la décision O’Grady c Canada (Procureur général), 2016 CF 9, aux paragraphes 19 et 20, le juge LeBlanc s’appuie sur la décision Twentieth Century Fox pour conclure que, bien que la déposante ait souscrit son affidavit en fonction de croyances et de renseignements, le poste qu’elle occupait au sein de Statistique Canada lui permettait probablement de connaître les faits en question et de savoir qu’ils étaient véridiques. En appel, la Cour d’appel fédérale a confirmé que le juge LeBlanc n’avait pas commis d’erreur en concluant que l’affidavit était recevable et que l’auteur de l’affidavit était, en raison de ses responsabilités au sein de la fonction publique fédérale, en mesure de faire une déposition relativement aux questions en litige, sans nécessairement en avoir une connaissance personnelle (2016 CAF 221, au paragraphe 10).

[27]  La même analyse s’applique en l’espèce. Durant son témoignage, Mme Tout mentionne qu’elle est chef de la section du développement en protection des végétaux chez Syngenta depuis mars 2016 et elle y décrit les responsabilités qui sont rattachées à ce poste, lesquelles prévoient notamment une collaboration étroite avec l’équipe de réglementation de Syngenta. Elle précise que les personnes qui l’ont renseignée sur la commercialisation des produits sur lesquels portent les éléments de preuve en litige sont les gestionnaires respectifs du portefeuille de réglementation des produits en cause. Compte tenu des fonctions qu’exerce Mme Tout et de la nature de la preuve relative à l’entreprise, je conclus que le paragraphe 81(1) n’empêche pas la recevabilité de ces éléments de preuve.

[28]  Les demandeurs allèguent en outre que ces éléments de preuve ne sont pas pertinents et qu’ils sont argumentatifs. Je suis d’avis que l’observation voulant que les éléments de preuve soient argumentatifs n’est pas fondée, car ceux-ci représentent un simple exposé des faits concernant la commercialisation passée, présente ou future de certains produits. Syngenta prétend que ces éléments de preuve sont pertinents, car l’ARLA aurait été informée de la commercialisation des divers produits contenant du TMX qui faisaient l’objet de la réévaluation. Ainsi, Syngenta note que le paragraphe 8(5) de la Loi oblige le titulaire de l’homologation d’un produit antiparasitaire, comme condition d’homologation, à transmettre au ministre un rapport contenant des renseignements sur les ventes de son produit. Je suis d’avis que ces éléments de preuve sont pertinents et je ne vois aucune raison de les radier de l’affidavit de Mme Tout. Je note toutefois que cette décision est sans conséquence, car ces éléments de preuve n’ont aucune importance dans l’analyse des questions de fond en litige dans la présente demande.

B.  Éléments de preuve sur les catégories de renseignements figurant sur les étiquettes des produits contenant du TMX

[29]  L’affidavit de Mme Tout comprend (au paragraphe 16) des éléments de preuve qui fournissent des exemples de catégories de renseignements figurant dans les précautions relatives à l’environnement et le mode d’emploi sur les étiquettes des produits contenant du TMX. Les demandeurs soutiennent que ces éléments de preuve constituent en fait des opinions et des arguments d’un expert non qualifié.

[30]  Rien dans ces éléments de preuve ne m’apparaît argumentatif. Bien que ces éléments de preuve représentent des exemples de catégories de renseignements figurant sur les étiquettes des produits, et qu’il ne s’agisse donc pas d’une énumération exhaustive, ces éléments de preuve demeurent néanmoins factuels et ils ne sont pas présentés d’une manière qui, à mon avis, pourrait s’apparenter à la défense d’intérêts ou à une plaidoirie.

[31]  De même, je considère que l’argument des demandeurs selon lequel ce paragraphe représente l’opinion d’un expert non qualifié n’est pas fondé. Dans son affidavit, Mme Tout explique que la connaissance et la compréhension des exigences imposées par l’ARLA et la Loi relativement à l’étiquetage des produits font partie intégrante de ses fonctions chez Syngenta, et qu’elle doit notamment savoir et comprendre quels renseignements Syngenta doit indiquer sur les étiquettes de ses produits antiparasitaires pour satisfaire aux exigences des lois, règlements et politiques qui s’appliquent. Les éléments de preuve énoncés dans le paragraphe en litige ne représentent pas une opinion, mais plutôt un témoignage factuel fondé sur l’expérience de Mme Tout du processus réglementaire qui est l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[32]  Je ne vois aucun motif justifiant la radiation de ce paragraphe de l’affidavit.

C.  Éléments de preuve sur les projets d’étiquettes modifiées de Syngenta

[33]  Dans son affidavit, Mme Tout inclut (aux paragraphes 21, 23, 29, 35, 38, 42, 46 et 50) des éléments de preuve sur la préparation et la présentation à l’ARLA, par Syngenta, de projets d’étiquette établis en conformité avec les exigences de la Décision pour les produits contenant du TMX, et elle y joint des copies de ces projets d’étiquettes à titre de pièces produites en preuve. Les demandeurs soutiennent que ces éléments de preuve constituent des renseignements non pertinents qui n’ont pas été présentés au décideur et qu’ils ont un caractère argumentatif.

[34]  Là encore, rien dans ces éléments de preuve ne m’apparaît argumentatif, car ceux-ci reposent entièrement sur des faits. Il convient néanmoins de faire une analyse plus approfondie des observations des demandeurs selon lesquelles ces éléments de preuve ne sont pas pertinents et n’avaient pas été présentés à l’ARLA au moment où elle a rendu sa décision. Comme le font valoir à juste titre les demandeurs, les éléments de preuve lors d’un contrôle judiciaire se limitent généralement au dossier de la preuve qui a été présenté au décideur administratif, et les éléments de preuve qui intéressent le fond de l’affaire dont a été saisi le décideur ne sont pas recevables (voir l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [Access Copyright], au paragraphe 19; Delios c Canada (Procureur général), 2015 CAF 117 [Delios], au paragraphe 42).

[35]  Il existe des exceptions à cette règle générale (voir l’arrêt Access Copyright, au paragraphe 20), mais la seule exception qui pourrait s’appliquer en l’espèce est celle dite des « renseignements généraux » (voir l’arrêt Delios, au paragraphe 43 et seq). Les demandeurs et les défendeurs renvoient tous les deux la Cour à l’arrêt Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263 [Bernard], aux paragraphes 20 à 23, où la Cour décrit cette exception comme suit :

[20]  La première exception reconnue est celle des renseignements généraux. Dans une affaire de contrôle judiciaire, les parties déposent parfois un affidavit avec des résumés et des indications de contexte visant à aider la cour de révision à comprendre le dossier qui lui est présenté. Devant un dossier volumineux comptant des milliers de documents, il est admissible, par exemple, qu’une partie dépose un affidavit qui relève, récapitule et met en lumière, sans argumenter, les documents essentiels à la compréhension du dossier que doit acquérir la cour de révision.

[21]  Dans Delios, précité, je l’exprime ainsi (au paragraphe 45) :

L’exception des « renseignements généraux » vise les observations pures et simples propres à diriger la réflexion du juge réformateur afin qu’il puisse comprendre l’historique et la nature de l’affaire dont le décideur administratif était saisi. Dans les procédures de contrôle judiciaire visant les décisions administratives complexes se rapportant à des procédures et des faits compliqués, étayées par des centaines ou des milliers de documents, le juge réformateur trouve utile de recevoir un affidavit qui passe brièvement en revue, d’une manière neutre et non controversée, les procédures qui se sont déroulées devant le décideur administratif, et les catégories de preuves que les parties ont présentées à l’administrateur. Dans la mesure où l’affidavit ne s’engage pas dans une interprétation tendancieuse ou une prise de position – rôle de l’exposé des faits et du droit –, il est recevable à titre d’exception à la règle générale.

[22] Il reste qu’« [o]n doit s’assurer que l’affidavit ne va pas plus loin en fournissant des éléments de preuve [nouveaux] se rapportant au fond de la question déjà tranchée par le tribunal administratif, au risque de s’immiscer dans le rôle que joue le tribunal administratif en tant que juge des faits et juge du fond » : Access Copyright, précité, au paragraphe 20, et Delios, précité, au paragraphe 46.

[23] L’exception des renseignements généraux existe parce qu’elle s’accorde entièrement avec la logique de la règle générale et les valeurs du droit administratif plus globalement. Elle respecte les rôles propres au décideur administratif et à la cour de révision, les rôles du juge du fond et du juge de révision et, de ce fait, la séparation des pouvoirs. Les renseignements généraux exposés dans l’affidavit ne représentent pas de nouveaux renseignements sur le fond. Ils se bornent à résumer la preuve dont était saisi le juge du fond, c’est-à-dire le décideur administratif. Rien n’incite le juge de révision à s’immiscer dans le rôle du décideur administratif en tant que juge du fond, rôle assigné à celui‑ci par le législateur. Ajoutons que l’exception des renseignements généraux facilite à la Cour la tâche consistant à contrôler une décision administrative (soit la tâche de voir à la primauté du droit) en relevant, récapitulant et mettant en évidence les éléments de preuve les plus utiles dans cette tâche.

[36]  Syngenta prétend que l’ARLA a été saisie des éléments de preuve contestés et que ceux-ci s’inscrivent dans l’exception des renseignements généraux. Il convient toutefois de préciser que Syngenta ne prétend pas que les projets d’étiquettes modifiées ont été présentés au décideur sous cette forme. Elle soutient plutôt que la Cour devrait adopter une large vision pour déterminer ce qui constitue des renseignements présentés au décideur, en y incluant l’expérience du décideur en matière de réglementation (voir l’arrêt Bell Canada c 7262591 Canada Ltd., 2016 CAF 123, au paragraphe 15). J’interprète l’argument de Syngenta comme signifiant que, compte tenu de son expérience dans l’administration du système de réglementation établi sous le régime de la Loi, l’ARLA a rendu la Décision en comprenant la nature des modifications qui devraient être apportées aux étiquettes des produits à la suite de la Décision.

[37]  Subsidiairement, Syngenta fait valoir que la présentation à la Cour de copies des projets d’étiquettes modifiées s’inscrit dans l’exception des renseignements généraux, car cela représente un résumé des conditions d’homologation modifiées découlant de la Décision qui, par conséquent, aide la Cour à comprendre la Décision.

[38]  Je suis d’avis que les deux arguments de Syngenta sont fondés. Comme il est expliqué dans le passage précité extrait de l’arrêt Bernard, l’exception à la règle générale et l’exception des renseignements généraux visent toutes deux à respecter les différents rôles qui incombent au décideur administratif et à la cour de révision. En l’espèce, les projets d’étiquettes sont présentés à la Cour dans un but qui respecte ces rôles divergents et ils ne se veulent pas un effort visant à introduire de nouveaux éléments de preuve sur le bien-fondé, dont l’ARLA n’avait pas été saisie.

[39]  Les étiquettes jointes en annexe à l’affidavit de Mme Tout sont présentées dans une forme qui montre, au moyen de copies annotées, les modifications proposées aux étiquettes existantes ayant été produites avant que soit rendue la Décision. La principale question que doit examiner notre Cour dans le contexte de la présente demande de contrôle judiciaire porte sur l’interprétation que l’ARLA a faite de ses fondements législatifs. Les observations présentées par les parties en lien avec cette question incluent des observations qui exigent une compréhension des conséquences pratiques de la Décision, notamment de l’obligation de produire des étiquettes modifiées. Il pourrait donc être utile pour la Cour de comprendre quelles sont les exigences à respecter sur le terrain pour se conformer à la Décision en modifiant les étiquettes. Il est probable que l’ARLA comprenait ces exigences et que les projets d’étiquettes modifiées se voulaient un moyen d’aider la Cour à comprendre ces exigences plus facilement qu’en tentant d’analyser les conditions d’homologation modifiées, énoncées dans la Décision.

[40]  En conclusion, je ne vois aucun motif de radier quelque partie contestée de l’affidavit de Mme Tout. Par conséquent, la requête des demandeurs est rejetée dans son intégralité.

VII.  Discussion

A.  Quelle est la norme de contrôle qui s’applique aux questions soulevées par les demandeurs?

[41]  Avant d’entreprendre l’analyse des questions de fond dans la présente demande, il s’impose de déterminer la norme de contrôle qui doit s’appliquer, un élément sur lequel les parties sont en désaccord pour la plupart des questions en litige.

[42]  Compte non tenu d’un de leurs derniers arguments concernant le critère utilisé pour juger de l’acceptabilité des risques dans la Décision, les demandeurs font valoir que les questions soulevées dans la présente demande doivent être examinées en regard de la norme de la décision correcte, car elles exigent une interprétation des textes législatifs par l’ARLA. À l’inverse, les défendeurs font valoir que toutes les questions en litige en l’espèce, y compris celles portant sur l’interprétation des textes législatifs, doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable.

[43]  Les arguments invoqués par les demandeurs pour justifier la norme de contrôle devant s’appliquer reposent d’abord sur l’explication fournie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], au paragraphe 62, selon laquelle le processus de contrôle judiciaire se déroule en deux étapes. Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle. Les demandeurs font valoir que la jurisprudence qui s’applique a déjà établi que les questions portant sur l’interprétation d’une loi par le ministre doivent être examinées selon la norme de la décision correcte.

[44]  Les demandeurs s’appuient principalement sur la décision Équiterre c Canada (Santé), 2016 CF 554 [Équiterre], aux paragraphes 45 à 48, où la Cour fédérale examine la norme de contrôle devant s’appliquer à l’examen d’une question d’interprétation des textes législatifs concernant l’article 17 de la Loi (lequel porte sur les obligations du ministre de mener un examen spécial de l’homologation du produit antiparasitaire) :

[45]  La Cour suprême du Canada a réitéré que la norme présomptive de contrôle est celle de la « raisonnabilité », y compris pour les interprétations de la loi constitutive des décideurs. La portée de cette présomption dépend plutôt des faits de chaque affaire. Cependant, l’analyse d’une simplicité élégante de Wier c. Canada (Ministre de la Santé), 2011 CF 1322, 400 FTR 212, selon laquelle l’interprétation du ministre des normes juridiques qui lui sont imposées par la Loi est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, mais que l’exercice des fonctions repose sur la raisonnabilité, ne revêt pas les mêmes force et effet.

[46]  La Cour d’appel fédérale dans Canada (Pêches et Océans) c. Fondation David Suzuki, 2012 CAF 40, [2013] 4 RCF 155 [David Suzuki], a reconnu que la présomption peut être réfutée et le sera :

[88] Cependant, la retenue judiciaire touchant les questions de droit ne sera pas toujours applicable, notamment si l’organisme administratif dont la décision ou les mesures font l’objet du contrôle ne statue pas sur des litiges, n’est pas protégé par une clause privative et n’est pas autorisé par sa législation habilitante à décider avec autorité des questions de droit. Il reste nécessaire d’effectuer une analyse relative à la norme de contrôle dans les cas qui le justifient. Les juges Bastarache et LeBel formulent à ce sujet les observations suivantes aux paragraphes 63 et 64 de Dunsmuir :

[63] L’analyse qui préside actuellement à la détermination de la norme de contrôle applicable est généralement qualifiée de « pragmatique et fonctionnelle ». Cette appellation importe peu, et la cour de révision ne doit pas s’y attacher au détriment [d’une compréhension appropriée] qu’exige réellement la démarche. Puisqu’il se peut que le terme « approche pragmatique et fonctionnelle » ait induit les cours de justice en erreur dans le passé, nous préférons, à l’avenir, parler simplement d’« analyse relative à la norme de contrôle ».

[64] L’analyse doit être contextuelle. Nous rappelons que son issue dépend de l’application d’un certain nombre de facteurs pertinents, dont (1) l’existence ou l’inexistence d’une clause privative, (2) la raison d’être du tribunal administratif suivant l’interprétation de sa loi habilitante, (3) la nature de la question en cause et (4) l’expertise du tribunal administratif. Dans bien des cas, il n’est pas nécessaire de tenir compte de tous les facteurs, car certains d’entre eux peuvent, dans une affaire donnée, déterminer l’application de la norme de la décision raisonnable.

[47]  Le fait de reconnaître que l’Agence est un organisme spécialisé et à l’égard duquel il convient de faire preuve de déférence ne signifie pas qu’elle possède l’expertise de l’interprétation des obligations imposées au ministre. À mon avis, la présomption est réfutée parce que, comme indiqué dans David Suzuki, notre Cour n’est pas un tribunal administratif chargé de trancher des questions de droit; il n’y a pas de clause privative; la question en jeu est le droit du citoyen d’exiger que le pouvoir exécutif fasse ce que le législateur lui ordonne de faire; et la fonction requise – l’interprétation d’une loi – n’est pas une question qui touche à un domaine d’expertise de l’Agence.

[48]  En outre, la question de la norme de contrôle est en grande partie abstraite. Même en fonction de la norme de la raisonnabilité, l’interprétation du paragraphe 17(2) n’admet qu’une seule réponse.

[45]  Les demandeurs prétendent que, tout comme dans la décision Équiterre, l’interprétation des pouvoirs du ministre quant au moment prescrit pour la mise en œuvre d’une modification ne dépend pas de l’expertise technique et spécialisée de l’ARLA. Ils soutiennent également que la norme de la décision correcte s’applique en l’espèce, car il s’agit d’une question de pure compétence. Ils invoquent à l’appui l’arrêt United Taxicab Drivers’ Fellowship of Southern Alberta c Calgary (Ville), 2004 CSC 19, où la Cour suprême a conclu que la question visant à déterminer si un règlement de la Ville de Calgary outrepassait les lois provinciales était une question touchant véritablement à la compétence, qui devait être examinée selon la norme de la décision correcte.

[46]  À l’opposé, les défendeurs s’appuient sur le jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 [CCDP], laquelle, selon les défendeurs, l’emporte sur l’analyse relative à la norme de contrôle réalisée dans la décision Équiterre et exige que notre Cour revoie l’analyse et en arrive à une conclusion selon laquelle la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle qui doit s’appliquer à l’interprétation que l’ARLA a faite de la Loi.

[47]  Dans l’arrêt CCDP, les juges majoritaires de la Cour suprême expliquent que la Cour tente depuis plusieurs années de simplifier l’analyse relative à la norme de contrôle applicable afin d’inciter les parties à faire valoir leurs prétentions sur le fond plutôt qu’à débattre des critères relatifs à la norme de contrôle. À cette fin, il existe une présomption bien établie selon laquelle la décision d’un tribunal administratif qui interprète sa loi constitutive est assujettie à la norme de la décision raisonnable (au paragraphe 27). Selon l’arrêt CCDP, cette présomption peut être réfutée, et la norme de la décision correcte appliquée, lorsqu’il est possible d’établir que les questions en jeu relèvent d’une des catégories suivantes : a) les questions touchant véritablement à la compétence; b) les questions touchant au partage constitutionnel des compétences; c) les questions touchant la compétence concurrente entre tribunaux administratifs et d) les questions d’importance capitale pour le système juridique et qui échappent au domaine d’expertise du décideur. On y mentionne également que la présomption peut être réfutée, à titre exceptionnel, lorsqu’une analyse contextuelle révèle que le législateur avait clairement l’intention que la norme de la décision correcte s’applique (au paragraphe 28).

[48]  Dans l’arrêt CCDP, les questions touchant véritablement à la compétence sont décrites comme une catégorie exceptionnelle et étroite de questions appelant une révision selon la norme de la décision correcte (au paragraphe 31). La Cour suprême mentionne que, dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 [Alberta Teachers], les juges majoritaires de la Cour ont envisagé d’éliminer cette catégorie (au paragraphe 34), mais que, depuis l’arrêt Alberta Teachers, la Cour n’avait relevé aucune affaire où cette catégorie était applicable (au paragraphe 37). La Cour suprême décrit cette catégorie comme étant « maintenue en vie artificiellement » (au paragraphe 41).

[49]  L’arrêt CCDP explique également que les questions touchant véritablement à la compétence sont des questions permettant de déterminer si une personne a compétence pour procéder à l’instruction, alors que les simples questions de compétence permettent de déterminer l’étendue des pouvoirs d’une personne (au paragraphe 38). Il ne fait aucun doute dans mon esprit que la principale question soulevée en l’espèce, à savoir si l’ARLA a la compétence ou les pouvoirs nécessaires pour accorder une période de transition pour la mise en œuvre de modifications découlant d’une réévaluation, porte sur l’étendue des pouvoirs de l’ARLA et non sur la compétence véritable de l’ARLA pour procéder à l’instruction ayant mené à la Décision. Il ne s’agit pas d’une question touchant véritablement à la compétence.

[50]  Cependant, la décision Équiterre, qui est invoquée par les demandeurs, ne portait pas sur la catégorie des questions touchant véritablement à la compétence. La conclusion tirée dans la décision Équiterre découle plutôt d’une analyse contextuelle tenant compte de l’absence de clause privative dans la Loi et du fait que le tribunal n’était pas chargé de trancher des questions de droit et qu’il n’avait aucune expertise dans l’interprétation des textes législatifs.

[51]  Dans l’arrêt CCDP, la Cour suprême indique que l’analyse contextuelle joue un rôle subordonné dans l’analyse relative à la norme de contrôle lorsqu’il est présumé que la norme de la décision raisonnable s’applique (aux paragraphes 45 et 47). Bien qu’une analyse contextuelle puisse occasionnellement réfuter cette présomption, ce n’est le cas que dans une « situation exceptionnelle nouvelle » (au paragraphe 45). La Cour suprême mentionne également que, par le passé, cette analyse s’est limitée aux cas où des facteurs déterminants ont révélé une intention claire du législateur justifiant la réfutation de la présomption (au paragraphe 46).

[52]  Je souscris à l’orientation énoncée dans l’arrêt Dunsmuir, selon laquelle il est inutile de mener une analyse relative à la norme de contrôle pour une catégorie de questions pour laquelle la jurisprudence a déjà déterminé de manière satisfaisante le degré de déférence qui doit y correspondre (au paragraphe 62). Cependant, j’accepte également les observations des défendeurs selon lesquelles les jugements relativement récents de la Cour suprême dans l’arrêt CCDP militent en faveur d’un réexamen, comme ce qui a été fait dans la décision Équiterre et dans la jurisprudence qui y est citée, de l’analyse relative à la norme de contrôle devant s’appliquer à l’interprétation de la Loi par l’ARLA.

[53]  La question de l’interprétation des textes législatifs dont est saisie notre Cour porte sur l’interprétation de la loi constitutive de l’ARLA. Par conséquent, la présomption relative à l’application de la norme de la décision raisonnable s’applique. Aucune des catégories permettant de réfuter cette présomption en faveur de la norme de la décision correcte ne s’applique en l’espèce. Comme il est indiqué dans l’arrêt CCDP pour expliquer le fait que l’approche contextuelle devrait être appliquée avec parcimonie, la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable et les catégories déjà énumérées suffiront généralement pour déterminer la norme de contrôle applicable (au paragraphe 46). Bien que cette orientation laisse entendre qu’il n’y a pas lieu de mener une analyse contextuelle en l’espèce, j’ai néanmoins examiné les conséquences de l’approche contextuelle, car elle a été utilisée dans l’analyse relative à la norme de contrôle dans la décision Équiterre.

[54]  En utilisant cette approche et en tenant compte des facteurs qui ont influencé la conclusion dans la décision Équiterre, tout en tirant profit des orientations subséquentes énoncées dans l’arrêt CCDP, je ne vois aucune intention claire du législateur justifiant la réfutation de la présomption quant à l’application de la norme de la décision raisonnable. Comme il est indiqué dans l’arrêt CCDP, l’absence de clause privative ne repousse pas la présomption de déférence (au paragraphe 50). Je reconnais que l’ARLA n’a pas pour mission principale de trancher des questions de droit ni n’est de façon générale un expert dans l’interprétation des lois. Cependant, la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable, dans le contexte d’un tribunal administratif qui interprète sa loi constitutive, repose sur l’hypothèse voulant que le tribunal possède une expertise pertinente à l’interprétation de cette loi particulière.

[55]  Dans l’arrêt McLean c Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67 [McLean], aux paragraphes 30 à 33, la Cour suprême explique que l’approche moderne en matière de contrôle judiciaire ne permet pas d’établir une distinction nette entre ce qui « relève du juriste » et ce qui « relève du fonctionnaire ». Cela s’explique du fait que le choix entre les multiples interprétations raisonnables de la loi constitutive d’un décideur administratif tient souvent à des considérations de politique générale dont on présume que le législateur a voulu confier la prise en compte au décideur administratif plutôt qu’à une cour de justice. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire fait partie de l’expertise du décideur administratif. À mon avis, rien dans la nature de l’ARLA ou de la question particulière dont est actuellement saisie notre Cour (qui porte sur un aspect de l’étendue des pouvoirs de l’ARLA lors d’une décision de réévaluation) ne permet d’exclure cette question des circonstances où cette présomption quant à l’intention du législateur s’applique. Par conséquent, j’examinerai cette question sous l’angle de la norme de la décision raisonnable.

[56]  Comme il a été mentionné dans la liste des questions énoncées précédemment aux présents motifs, les demandeurs font valoir que, même si l’ARLA possède le pouvoir contesté, elle a néanmoins commis une erreur susceptible de révision en accordant une période de transition dans la Décision, que ce soit dans le choix du critère utilisé pour juger de l’acceptabilité des risques dans la Décision ou dans l’application de ce critère. Même si les demandeurs reconnaissent que l’application du critère doit être examinée en regard de la norme de la décision raisonnable, ils font valoir que c’est la norme de la décision correcte qui doit être appliquée pour déterminer si l’ARLA a commis une erreur dans le choix de ce critère, car il s’agit nécessairement d’une question liée à l’interprétation des lois. En appliquant le même raisonnement que celui que j’ai utilisé pour examiner la question de la compétence de l’ARLA d’accorder une période de transition, je conclus que cette question doit elle aussi être examinée selon la norme de la décision raisonnable. Cette question requiert une interprétation par l’ARLA de sa loi constitutive et elle s’inscrit dans l’analyse des risques qui fait partie du mandat de l’ARLA selon la Loi. Aucun facteur lié aux catégories d’exceptions ou à l’analyse contextuelle ne justifie l’application de la norme de la décision correcte.

[57]  Par conséquent, je conclus que toutes les questions de fond soulevées dans la présente demande doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable.

B.  L’ARLA est-elle habilitée à accorder une période de transition pour la mise en œuvre de modifications apportées à la suite d’une réévaluation, lorsque les exigences du paragraphe 21(3) de la Loi ne sont pas respectées?

1)  Cadre d’examen de l’interprétation des lois selon la norme de la décision raisonnable

[58]  Les demandeurs font valoir que la Loi n’habilite pas l’ARLA à offrir une période de transition pour la mise en œuvre des modifications apportées à une homologation à la suite d’une réévaluation – que ce soit aux termes de la Politique ou de la Décision. Ils soutiennent que, si je devais conclure que la question doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable, alors l’interprétation que fait l’ARLA de la Loi – selon laquelle la Loi lui confère ce pouvoir – n’est pas raisonnable. Les demandeurs citent l’arrêt McLean, où la Cour suprême a expliqué qu’une disposition ne se prête pas toujours à de multiples interprétations raisonnables. Lorsque les méthodes habituelles d’interprétation législative mènent à une seule interprétation raisonnable et que le décideur administratif en retient une autre, celle‑ci est nécessairement déraisonnable (au paragraphe 38).

[59]  Les parties s’entendent sur les principes d’interprétation législative qui s’appliquent. Comme il est résumé dans le mémoire des faits et du droit des demandeurs (citant notamment, l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27, aux paragraphes 21, 31 et 35) :

[traduction]
L’approche moderne d’interprétation des lois exige que le libellé d’une loi soit interprété dans son contexte global, en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. L’objet de la loi et l’intention du législateur fournissent d’importants renseignements sur le contexte permettant de dégager le sens d’une loi. L’historique législatif, y compris dans une certaine mesure les Débats de la Chambre des communes, peuvent aussi renseigner sur l’objet et l’intention d’une loi.

[60]  Les demandeurs renvoient également à la décision récente rendue par le juge Grammond de notre Cour dans la décision Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1251 [Mason], qui présente une analyse très détaillée de la manière dont la Cour peut apprécier le caractère raisonnable d’une question liée à l’interprétation d’une loi par un tribunal administratif. Le juge Grammond conclut que les principes modernes d’interprétation des lois, qui exigent que l’on prête une attention au texte, au contexte et à l’objet de la disposition à interpréter, devraient s’appliquer durant un tel examen. Ces principes ne sont pas incompatibles avec la retenue, et leur application n’entraîne pas automatiquement ce qui a été désigné de « contrôle déguisé selon la norme de la décision correcte ». Au contraire, il est possible de faire preuve de retenue à l’égard des décisions en matière d’interprétation des lois si le juge de révision garde à l’esprit les deux principes suivants : a) de nombreux problèmes d’interprétation des lois appellent plus d’une réponse raisonnable et b) les méthodes d’interprétation des lois ne sont pas des règles contraignantes qui dictent un résultat particulier (aux paragraphes 17 à 21).

[61]  Dans la décision Mason, toutefois, le juge insiste également sur le fait que, bien que la retenue empêche les tribunaux de substituer leurs propres conclusions à celles du décideur, elle ne permet pas aux décideurs de déroger à la volonté du législateur (au paragraphe 11). Le juge Grammond utilise l’expression « argument massue » pour désigner un argument qui, dans le contexte de l’interprétation des lois, est intrinsèquement cohérent, résiste à un examen minutieux et ne peut être réfuté par un argument contraire de force semblable. Un tel argument, qui peut être basé sur n’importe laquelle des méthodes reconnues d’interprétation des lois, peut constituer une preuve établissant de manière concluante l’intention du législateur ainsi qu’un élément permettant de conclure au caractère déraisonnable de l’interprétation d’un décideur administratif. Si la cour de révision ne trouve pas d’« argument massue », l’interprétation du décideur devrait être considérée comme étant raisonnable, même si elle n’est pas celle que privilégie le juge de révision (aux paragraphes 25 à 31).

[62]  Je constate que certains éléments du cadre énoncé dans la décision Mason exigent un examen des arguments qui ont été pris en compte par le tribunal pour en arriver à une interprétation particulière de la loi. Cet aspect du cadre proposé dans la décision Mason ne s’applique toutefois pas directement en l’espèce, car la Décision ne repose pas sur une analyse expresse de l’interprétation des lois. Le ministre soutient qu’en pareilles circonstances, les directives énoncées dans l’arrêt Alberta Teachers s’appliquent (aux paragraphes 51 à 54) :

[51]  En menant l’enquête à terme, la déléguée a implicitement statué que la prorogation du délai après les 90 jours impartis n’avait pas automatiquement mis fin à l’enquête. Toutefois, la question n’ayant jamais été soulevée et la décision étant seulement tacite, il n’y a pas de motifs à l’appui. Il faut donc se demander comment il convient d’appliquer la norme de la raisonnabilité dans ce cas.

[52]  Dans l’arrêt Dunsmuir, les juges majoritaires donnent l’explication suivante (par. 47-48) :

Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

Nous convenons avec David Dyzenhaus que la notion de [traduction] « retenue au sens de respect » n’exige pas de la cour de révision [traduction] « la soumission, mais une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » : « The Politics of Deference : Judicial Review and Democracy », dans M. Taggart, dir., The Province of Administrative Law (1997), 279, p. 286.

De toute évidence, lorsqu’une cour de justice contrôle la décision implicite d’un tribunal administratif, elle ne peut s’en remettre à la formulation des motifs, à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. Elle ne peut accorder d’attention respectueuse aux motifs de la décision, car il n’y en a pas.

[53]  Il convient toutefois qu’elle porte une attention respectueuse aux motifs « qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » lorsque celle‑ci porte sur une question qui n’a pas été soulevée devant le décideur. Il est fort possible alors que le décideur administratif n’ait pas donné de motifs parce que la question n’avait pas été soulevée et qu’il ne la tenait pas pour litigieuse. Lorsque la décision pourrait avoir une assise raisonnable, la cour de justice doit y déférer.

[54]  Je ne laisse cependant pas entendre qu’une cour de justice n’a pas à tenir dûment compte des motifs du tribunal administratif lorsque ceux‑ci existent. L’invitation à porter une attention respectueuse aux motifs « qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » ne confère pas à la cour de justice le [traduction] « pouvoir absolu de reformuler la décision en substituant à l’analyse qu’elle juge déraisonnable sa propre justification du résultat » (Petro‑Canada c. Workers’ Compensation Board (B.C.), 2009 BCCA 396, 276 B.C.A.C. 135, par. 53 et 56). Elle ne doit pas non plus « être interprétée comme atténuant l’importance de motiver adéquatement une décision administrative » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, par. 63, le juge Binnie). Au contraire, la déférence inhérente à la norme de la raisonnabilité se manifeste optimalement lorsqu’une décision administrative est justifiée de façon intelligible et transparente et que la juridiction de révision contrôle la décision à partir des motifs qui l’étayent. Il doit cependant exister au départ une obligation de motiver. Lorsque cette obligation n’existe pas (voir, p. ex., Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 R.C.S. 504) ou que sa portée est limitée, il est tout à fait indiqué, dans l’appréciation de la raisonnabilité, d’examiner les motifs qui pourraient être donnés. Le point essentiel est que les parties ne sauraient, en omettant de soulever une question et en induisant ainsi le tribunal administratif en erreur quant à la nécessité de motiver sa décision, écarter la déférence due au tribunal administratif.

[63]  Les demandeurs contestent l’applicabilité des principes précités, énoncés dans l’arrêt Alberta Teachers, car ils prétendent que ces principes sont fondés sur une question qui n’a pas du tout été soulevée devant le tribunal en l’espèce. Ils mentionnent qu’en l’espèce la Politique inclut une section intitulée « Situation actuelle et cadre juridique » ainsi qu’une annexe désignée « Fondement législatif ». Ils font valoir que ce contenu devrait être interprété comme constituant les motifs qui justifient l’interprétation faite par l’ARLA de la Loi et qui se reflètent dans la Politique et, subséquemment, dans la Décision, de sorte que les arguments invoqués par les défendeurs dans la présente demande, dans la mesure où ils diffèrent des motifs énoncés dans la Politique, représentent un renforcement inapproprié de ces motifs.

[64]  La section « Situation actuelle et cadre juridique » de la Politique, qui porte sur les processus de réévaluation et d’examen spécial pour l’examen des produits antiparasitaires homologués après leur mise en marché, lesquels processus sont prévus respectivement aux articles 16 et 17 de la Loi, se termine par les paragraphes suivants :

Au cours d’une réévaluation ou d’un examen spécial, en vertu du paragraphe 20(1), la ministre peut modifier ou révoquer l’homologation si le titulaire omet de fournir les renseignements requis conformément aux paragraphes 16(3) et 18(1) ou à l’alinéa 19(1)a) de la Loi sur les produits antiparasitaires, ou si la ministre a des motifs raisonnables de croire que ces mesures sont nécessaires pour régler une situation qui présente un danger pour la santé et la sécurité humaines ou pour l’environnement, en prenant en compte le principe de prudence [alinéa 20(1)b); paragraphe 20(2)]. La Loi sur les produits antiparasitaires confère également le pouvoir de modifier ou de révoquer l’homologation d’un produit antiparasitaire lorsque, après avoir mené les consultations et les évaluations scientifiques requises, la ministre juge que les risques ou la valeur du produit sont inacceptables [alinéas 21(2)a) 21(2)b)]. Dans ces circonstances, une période d’abandon graduel peut être mise en œuvre dans le cadre de la décision, en fonction du niveau de risque.

Lorsque la décision découlant de la réévaluation ou de l’examen spécial est de révoquer l’homologation d’un produit antiparasitaire, la ministre peut autoriser que se poursuivent la possession, la manipulation, le stockage, la distribution ou l’utilisation des stocks du produit, aux conditions qu’elle estime nécessaires [alinéa 21(5)a)]. La date de mise en œuvre de la révocation peut être retardée s’il n’existe aucune solution de rechange satisfaisante à l’utilisation du pesticide et si l’on juge que la valeur du produit et les risques pour la santé humaine et l’environnement qu’il présente sont, jusqu’à la date de modification ou de révocation, acceptables [paragraphe 21(3)].

La présente politique a fait l’objet d’une consultation publique de 60 jours sous le titre de Projet de directive PRO2016-04, Politique sur les révocations d’homologations de produits et les modifications aux étiquettes à la suite d’une réévaluation et d’un examen spécial, publié le 21 décembre 2016. L’ARLA a tenu compte des commentaires reçus durant la période de consultation pour préparer ce document.

[Non souligné dans l’original.]

[65]  L’annexe « Fondement législatif » énumère les articles de la Loi qui concernent la modification ou la révocation de l’homologation de produits antiparasitaires dans le contexte d’un examen spécial ou d’une réévaluation. L’annexe énonce ensuite le libellé de certaines dispositions de la Loi (aux paragraphes 7(1), 16(1) à 16(3), 17(1) à 17(4) et 18(1), à l’alinéa 19(1)a), à l’article 20, aux paragraphes 21(2) à 21(5) et à l’article 22).

[66]  Il ressort clairement du passage précité souligné, extrait de la section « Situation actuelle et cadre juridique », et en fait de la Décision proprement dite, que l’ARLA interprète la Loi comme lui conférant le pouvoir, lors de la modification d’une homologation aux termes de l’alinéa 21(2)a), de prévoir une période d’abandon graduel ou de transition entre l’application des conditions d’homologation initiales et modifiées. Bien que l’annexe « Fondement législatif » cite certaines dispositions de la Loi, la Politique ne prévoit aucune méthode particulière à utiliser pour analyser ces dispositions ou d’autres dispositions à l’appui de leur interprétation.

[67]  Je reconnais que la section 6.2 de la Politique, qui a été reproduite précédemment dans les présents motifs, explique les activités devant se dérouler durant une période de transition et fournit certaines précisions sur les facteurs pouvant justifier l’établissement d’une telle période par l’ARLA. Cette section ne prévoit toutefois pas une analyse de l’interprétation législative. Aucun élément de preuve n’indique que la question actuellement en litige concernant l’interprétation de la Loi a été soulevée devant l’ARLA au moment où l’ARLA a établi la Politique ou rendu la Décision. Bien qu’il soit indiqué dans la Politique que celle-ci a fait l’objet d’une consultation publique, les commentaires reçus dans le cadre de cette consultation ne font pas partie du dossier qui a été présenté à la Cour. Je suis d’avis que le contenu de la Politique n’empêche pas l’application des principes précités, énoncés dans l’arrêt Alberta Teachers.

2)  Position des demandeurs

[68]  Les principaux arguments, invoqués par les demandeurs à l’appui de leur thèse selon laquelle l’ARLA n’a pas compétence pour établir les périodes de transition contestées qui sont prévues dans la Politique et incluses dans la Décision, sont énoncés ci-après.

[69]  Les demandeurs insistent d’abord sur le fait que le paragraphe 4(1) de la Loi indique que, pour l’application de la Loi, le ministre a comme objectif premier de prévenir les risques inacceptables pour les individus et l’environnement que présente l’utilisation des produits antiparasitaires. Les demandeurs citent également plusieurs extraits des Débats de la Chambre des communes à l’appui de leur prétention voulant que l’objet de la Loi soit de protéger les Canadiens et leur environnement contre les risques associés aux pesticides.

[70]  Selon le paragraphe 2(2) de la Loi, les risques sanitaires ou environnementaux d’un produit antiparasitaire sont acceptables s’il existe une certitude raisonnable qu’aucun dommage à la santé humaine, aux générations futures ou à l’environnement ne résultera de l’exposition au produit ou de l’utilisation de celui-ci, compte tenu des conditions d’homologation proposées ou fixées. Les demandeurs insistent sur la mention « aucun dommage » qui figure au paragraphe 2(2) et qu’ils associent à une norme relative à l’absence de dommage. Ils soutiennent que cette norme fait partie intégrante de l’analyse que l’ARLA doit effectuer dans le contexte de la réévaluation aux termes de l’article 21. En l’espèce, le pouvoir de l’ARLA de rendre la Décision modifiant les homologations en cause est conféré par le paragraphe 21(2) de la Loi, dont le libellé a été présenté antérieurement dans les présents motifs.

[71]   Les demandeurs prétendent que, pour modifier une homologation aux termes de l’alinéa 21(2)a), l’ARLA devait avoir conclu que la valeur d’un produit ou les risques qu’il présente pour la santé ou l’environnement n’étaient pas acceptables (selon la définition prévue au paragraphe 2(2)) dans les conditions d’homologation établies, mais qu’ils deviendraient acceptables à la suite de la modification. Ils font valoir que l’ARLA était tenue, aux termes de l’alinéa 21(2)a), d’exiger que les conditions d’homologation modifiées entrent en vigueur dès la publication de la Décision, sans quoi le risque jugé inacceptable par l’ARLA, dans les conditions d’homologation existantes, continuerait d’exister jusqu’à la future date d’entrée en vigueur des conditions modifiées. Les demandeurs prétendent que le pouvoir d’établir une période de transition de cette nature n’est pas prévu par l’alinéa 21(2)a) et qu’un tel pouvoir irait en fait à l’encontre du libellé de cette disposition, et qu’il serait incompatible avec l’objectif premier de la Loi de conclure que la Loi confère à l’ARLA ce pouvoir implicite.

[72]  Les demandeurs soutiennent par ailleurs que l’interprétation de l’alinéa 21(2)a) est corroborée par le paragraphe 21(3) de la Loi dont le libellé a également été énoncé antérieurement dans les présents motifs. Les demandeurs prétendent que le législateur n’a donné au ministre (agissant par l’intermédiaire de l’ARLA) le pouvoir de reporter la mise en œuvre de la modification ou de la révocation de l’homologation d’un produit antiparasitaire, que lorsque le critère en deux volets prescrit au paragraphe 21(3) est satisfait, à savoir : il n’existe aucune solution de rechange satisfaisante à l’utilisation du produit antiparasitaire et le ministre juge que la valeur du produit et les risques sanitaires et environnementaux qu’il présente sont, jusqu’à la date de modification ou de révocation, acceptables. L’établissement par l’ARLA d’une période de transition de 24 mois dans la Décision n’est pas fondé sur l’application du paragraphe 21(3). L’ARLA n’invoque le paragraphe 21(3) qu’en lien avec le report d’une année supplémentaire pour un sous-ensemble précis d’utilisations. Les demandeurs allèguent qu’un pouvoir implicite d’accorder une période de transition pour la mise en œuvre de modifications établies aux termes de l’alinéa 21(2)a), lorsque le critère en deux volets prescrit au paragraphe 21(3) n’est pas satisfait, rendrait le paragraphe 21(3) redondant, ce qui n’est pas l’intention du législateur.

[73]  Les demandeurs invoquent également le paragraphe 21(5) pour appuyer leur interprétation de la Loi. Le paragraphe 21(5) est libellé ainsi :

Produits existant à la date de révocation

Continued possession, etc., of existing stocks

21 (5) Lorsqu’il révoque l’homologation, en application du présent article ou de toute autre disposition de la présente loi, le ministre peut :

21 (5) When cancelling the registration of a pest control product under this section or any other provision of this Act, the Minister may

a) soit, aux conditions qu’il estime nécessaires pour l’application de la présente loi — notamment quant à la façon d’éliminer le produit — autoriser que se poursuivent la possession, la manipulation, le stockage, la distribution ou l’utilisation des stocks du produit se trouvant au Canada à la date de la révocation;

(a) allow the continued possession, handling, storage, distribution and use of stocks of the product in Canada at the time of cancellation, subject to any conditions, including disposal procedures, that the Minister considers necessary for carrying out the purposes of this Act;

b) soit obliger le titulaire à faire le rappel du produit et à procéder à sa disposition de la manière qu’il précise;

(b) require the registrant to recall and dispose of the product in a manner specified by the Minister; or

c) soit confisquer le produit et procéder à sa disposition.

(c) seize and dispose of the product.

[74]  Les demandeurs mentionnent que l’alinéa 21(5)a) confère au ministre le pouvoir discrétionnaire d’autoriser que se poursuivent, sur une base transitoire, des activités liées aux produits antiparasitaires, mais uniquement après la révocation de l’homologation d’un produit à la suite d’une réévaluation ou d’un examen spécial (aux termes de l’alinéa 21(2)b)). Il n’existe aucune disposition équivalente accordant au ministre un tel pouvoir discrétionnaire à la suite de la modification d’une homologation (aux termes de l’alinéa 21(2)a). Les demandeurs soutiennent que cette précision montre que l’intention du législateur était que ce pouvoir discrétionnaire ne s’applique qu’en cas de révocation, et non de modification; le type de période de transition prévu dans la Politique et employé dans la Décision va donc à l’encontre d’une telle intention.

[75]  Les demandeurs notent également que l’article 35 de la Loi prévoit un processus selon lequel une personne peut, dans les 60 jours suivant la publication d’une décision de réévaluation, déposer un avis d’opposition à la décision. Selon l’article 36, cet avis d’opposition ne suspend pas la décision faisant l’objet d’un examen, mais le ministre peut en suspendre l’application jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue au terme de l’examen. Les demandeurs soutiennent que ce pouvoir de suspendre l’application de la décision existe, parce que la décision prend effet dès sa publication.

3)  Position des défendeurs

[76]  Bien que les arguments des deux défendeurs, Syngenta et le ministre, ne soient pas identiques, ils vont dans le même sens et ils appuient la même position. Dans cette optique, les présents motifs n’établiront aucune distinction entre les différents effets négligeables des arguments respectifs de ces deux défendeurs. Les deux défendeurs insistent sur le fait que, conformément à la norme de la décision raisonnable, l’interprétation que fait l’ARLA de la Loi appelle la retenue. Ils allèguent que cette interprétation, selon laquelle l’alinéa 21(2)a) de la Loi n’exige pas une mise en œuvre immédiate des modifications apportées à la suite d’une réévaluation, est raisonnable. Les défendeurs font valoir que l’alinéa 21(2)a) n’aborde pas cette question et qu’il est raisonnable, par nécessité pratique et compte tenu d’autres dispositions de la Loi, de conclure que la Loi accorde au ministre (et, par conséquent, à l’ARLA), le pouvoir implicite d’établir une période de transition pour la mise en œuvre de modifications apportées à une homologation à la suite d’une réévaluation.

[77]  Les défendeurs ne contestent pas les principes d’interprétation législative invoqués par les demandeurs. En ce qui concerne l’objet de la Loi, ils insistent sur le fait que l’objectif premier de la Loi, qui est énoncé au paragraphe 4(1), est de prévenir les risques inacceptables pour les individus et l’environnement que présente l’utilisation des produits antiparasitaires, mais non d’interdire ces produits. Les défendeurs invoquent également les clauses d’introduction énoncées au début de la Loi, lesquelles, en plus de souligner cet objectif premier, énoncent également d’autres objets.

[78]  Ces clauses reconnaissent notamment que la lutte antiparasitaire joue un rôle important dans divers domaines de l’économie et d’autres aspects de la qualité de vie au Canada et que la lutte antiparasitaire durable a pour but de répondre aux besoins de la société en matière de protection de la santé humaine, de production d’aliments et de fibres et d’utilisation des ressources, et de conserver ou de mettre en valeur les ressources naturelles et la qualité de l’environnement pour les générations futures, d’une façon économiquement viable. Les défendeurs soulignent également le renvoi qui y est fait à l’importance d’assurer, dans l’intérêt national, une administration efficiente et efficace du système fédéral de réglementation, en conformité avec les principes et objectifs énoncés dans les clauses d’introduction et de façon à reconnaître les divers intérêts et préoccupations en jeu et, dans le respect de l’objectif premier de ce système, à réduire au minimum les conséquences négatives sur la viabilité économique et la compétitivité. Ils font donc valoir que l’objet de la Loi est de parvenir à un équilibre entre divers objectifs et intérêts.

[79]  Ils allèguent qu’il est raisonnable pour l’ARLA de conclure que la Loi n’exige pas une entrée en vigueur immédiate des modifications, puisque que le libellé de l’alinéa 21(2)a) ne prévoit pas une telle exigence. Ils font valoir qu’il est raisonnable pour l’ARLA de conclure qu’elle a le pouvoir implicite d’établir une période de transition car, si l’on tient compte d’autres dispositions de la Loi, exiger que les modifications prennent effet immédiatement pourrait avoir des effets hautement perturbateurs et absurdes qui ne sauraient traduire l’intention du législateur.

[80]  L’article 6 de la Loi énonce diverses interdictions dont le non-respect constitue une infraction punissable, selon le paragraphe 6(9), par une amende maximale de 200 000 $ ou un emprisonnement maximal de six mois (par procédure sommaire) ou par une amende maximale de 500 000 $ ou un emprisonnement maximal de trois ans (par mise en accusation). Les arguments des défendeurs reposent principalement sur les paragraphes 6(3) et (5), ainsi libellés :

Interdictions

Prohibitions

[…]

[…]

Emballage et étiquetage

Packaging and labelling

(3) Sauf dans les cas autorisés par les articles 53, 53.3 et 54, il est interdit de stocker, d’importer, d’exporter ou de distribuer un produit antiparasitaire s’il n’est pas emballé et étiqueté conformément aux règlements et, dans le cas où il est homologué, aux conditions d’homologation.

(3) Except as otherwise authorized under section 53, 53.3 or 54, no person shall store, import, export or distribute a pest control product that is not packaged and labelled in accordance with the regulations and, if it is registered, the conditions of registration.

[…]

[…]

Utilisation non conforme

Misuse of pest control products

(5) Il est interdit de manipuler, de stocker, de transporter ou d’utiliser un produit antiparasitaire, ou d’en disposer, d’une manière non conforme :

(5) No person shall handle, store, transport, use or dispose of a pest control product in a way that is inconsistent with

a) soit aux règlements;

(a) the regulations; or

b) soit, si le produit est homologué, aux instructions de l’étiquette figurant dans le Registre, sous réserve des règlements.

(b) if the product is registered, the directions on the label recorded in the Register, subject to the regulations.

[81]  Les défendeurs soulignent notamment que l’entreposage d’un produit antiparasitaire qui n’est pas étiqueté en conformité avec ses conditions d’homologation constitue une infraction (au paragraphe 6(3)). Constitue également une infraction le fait de manipuler, de stocker, de transporter ou d’utiliser un produit antiparasitaire, ou d’en disposer, d’une manière non conforme aux instructions de l’étiquette figurant dans le Registre des produits antiparasitaires créé en application de l’article 42 de la Loi (au paragraphe 6(5)). Les défendeurs soutiennent que, si le paragraphe 21(2) exigeait une prise d’effet immédiate des modifications, les étiquettes sur les produits en cause deviendraient alors immédiatement périmées. Le cas échéant, quiconque serait en possession de ces produits contreviendrait automatiquement et immédiatement à la Loi dès que l’ARLA rendrait sa décision. De même, les utilisateurs de ces produits contreviendraient eux aussi à la Loi, à moins d’être immédiatement informés des instructions modifiées de l’étiquette afin de pouvoir s’y conformer. Les défendeurs soutiennent que de telles conséquences ne peuvent être l’intention du législateur.

[82]  Les défendeurs mentionnent que le libellé du paragraphe 21(3) est facultatif, c’est-à-dire qu’il n’y est pas indiqué que le ministre peut différer une modification seulement si les conditions qui y sont énoncées sont respectées. Ils notent également que le paragraphe 21(3) mentionne le fait de « différer » une modification, ce qui, selon eux, laisse entrevoir la possibilité que l’ARLA puisse établir la date de mise en œuvre d’une modification dans sa décision et qu’elle puisse par la suite reporter cette date, si les conditions énoncées au paragraphe 21(3) sont respectées. En d’autres termes, le paragraphe 21(3) joue un rôle différent du pouvoir implicite de fixer la date initiale d’entrée en vigueur d’une modification, laquelle date peut parfois être ultérieure à la date de publication de la décision en cause, afin d’assurer une transition harmonieuse.

[83]  Tout comme les demandeurs, les défendeurs invoquent eux aussi le paragraphe 21(5) pour appuyer l’interprétation de la Loi qu’ils préconisent. Ils notent que le paragraphe 21(5) permet à l’ARLA d’autoriser que se poursuivent la possession, la manipulation, le stockage, la distribution ou l’utilisation des stocks de produits antiparasitaires existants en cas de révocation d’une homologation, c.-à-d. si l’ARLA conclut que les risques ne sont pas acceptables et qu’ils ne pourront le devenir. Les défendeurs font donc valoir qu’il est sûrement conforme à l’esprit de la Loi que l’ARLA soit habilitée à autoriser de telles pratiques lorsqu’une homologation est simplement modifiée pour rendre les risques acceptables.

[84]  En ce qui a trait aux articles 35 et 36, les défendeurs prétendent que l’interprétation que fait l’ARLA de ses pouvoirs est conforme à l’existence du processus d’opposition après une décision. Si l’ARLA n’était pas habilitée à suspendre la mise en œuvre d’une modification, l’industrie pourrait alors être tenue de se conformer à un ensemble disparate d’instructions confuses, susceptibles de varier selon les différentes étapes du processus, si une modification est adoptée, puis contestée et peut-être suspendue durant l’examen de la contestation, pour finalement être potentiellement rétablie à la suite du règlement de la contestation.

4)  Thèse de l’intervenante

[85]  La participation de CropLife dans l’examen de la présente demande se limite aux conditions énoncées dans l’ordonnance autorisant son intervention. CropLife appuie la thèse des défendeurs relativement à l’interprétation des pouvoirs que la Loi confère à l’ARLA. À titre d’association professionnelle représentant les développeurs, fabricants et distributeurs des produits en cause, ses observations portent essentiellement sur les répercussions, pour ses membres et les utilisateurs de ces produits, qui pourraient découler des interdictions prévues à l’article 6 de la Loi, si l’interprétation des demandeurs relativement aux pouvoirs de l’ARLA était retenue. Tout comme les défendeurs, CropLife fait valoir que l’interprétation des demandeurs donnerait lieu à des infractions à la Loi dès qu’une décision exigeant des modifications serait rendue, ce qui, selon CropLife, constituerait un résultat absurde qui ne peut traduire l’intention du législateur.

[86]  CropLife mentionne en outre les étapes et les délais y afférents qui seraient requis pour mettre en œuvre des modifications d’homologation, notamment pour l’élaboration et l’approbation des étiquettes modifiées à la suite d’une décision de réévaluation. Elle fait également valoir qu’une période de transition est nécessaire pour informer les utilisateurs des produits antiparasitaires concernés des modifications apportées aux utilisations et à l’étiquetage, et que cela s’inscrit dans le mandat de sensibilisation du public prescrit au paragraphe 4(2) à titre d’objectif connexe de la Loi.

5)  Objet de la Loi

[87]  Pour évaluer le bien-fondé des arguments respectifs des parties sur l’application des principes d’interprétation de la Loi pertinents, j’ai d’abord examiné l’objet de la Loi. Comme le prétendent les demandeurs, l’objectif premier de la Loi est énoncé expressément au paragraphe 4(1). Cet objectif, auquel il est également fait référence dans les clauses d’introduction, est de prévenir les risques inacceptables pour les individus et l’environnement découlant de l’utilisation de produits antiparasitaires. Les demandeurs présentent également des observations sur la signification de risque inacceptable, sur lesquelles je reviendrai ultérieurement dans les présents motifs en examinant le renvoi à la notion de risques acceptables selon le paragraphe 21(2). Cependant, pour ce qui est de l’objet général de la Loi, je prends acte des observations des demandeurs selon lesquelles il s’agit d’une loi préventive, conçue pour prévenir les dommages avant qu’ils ne surviennent (voir Canada, Chambre des communes, Témoignages du Comité permanent de la Santé, 37e législature, 1re session, n79 (21 mai 2011) à 1135 (Basil Stapleton (avocat, ministère de la Justice)), et le but de la réglementation fédérale des produits utilisés pour la lutte antiparasitaire est de protéger les Canadiens et leur environnement des risques associés aux pesticides (voir Débats de la Chambre des communes, 37législature, 1re session, vol. 137, n163 (8 avril 2002) à 1600 (l’hon. Anne McLellan (ministre de la Santé)).

[88]  Les défendeurs font valoir que l’objet de la Loi est de parvenir à un équilibre entre divers objectifs et intérêts. Je suis d’accord avec cette thèse, sous réserve d’une importante précision. Il ne fait aucun doute que l’objectif premier de la Loi est de prévenir les risques inacceptables, et que les autres objectifs et intérêts doivent être pris en compte seulement dans la mesure où ils compatibles avec cet objectif premier, Par conséquent, bien que la Loi vise à tenir compte d’intérêts variés, y compris de l’économie canadienne, les objectifs visant à satisfaire aux besoins de la société en matière de production d’aliments et à assurer l’efficacité de la réglementation doivent être menés d’une manière qui, d’abord et avant tout, protège les Canadiens et leur environnement des risques associés aux pesticides.

[89]  L’interprétation que fait l’ARLA de la Loi, à savoir que la Loi lui confère le pouvoir d’établir une période de transition pour la mise en œuvre d’une modification, va-t-elle à l’encontre de l’objet de la Loi, de telle sorte que les principes d’interprétation législative téléologique constituent un « argument massue » du type énoncé dans la décision Mason? À mon avis, ce n’est pas le cas. Dans la Décision, l’ARLA conclut que, dans l’ensemble, les risques pour les insectes pollinisateurs sont acceptables durant la période nécessaire à la mise en œuvre des mesures d’atténuation prévues par la modification. L’ARLA fait également valoir que, compte tenu des effets que la modification aurait sur les producteurs, cette période de transition permettrait une mise en œuvre harmonieuse et en toute sécurité de ces mesures.

[90]  Je prends acte du fait que les demandeurs contestent ces conclusions et j’examinerai les arguments respectifs des parties sur cette question ultérieurement dans les présents motifs. Je ne considère toutefois pas qu’il soit incompatible avec l’objet précité de la Loi que l’ARLA interprète son mandat comme l’habilitant à établir une mise en œuvre graduelle des nouvelles conditions d’homologation, dans l’intérêt d’assurer une transition réalisable et en toute sécurité, de l’ancien régime au nouveau régime, si elle a jugé que les risques qu’elle a évalués étaient acceptables durant la transition.

6)  Texte législatif et contexte

[91]  J’examinerai maintenant le libellé de la disposition en cause, en l’occurrence l’alinéa 21(2)a), en tenant compte de facteurs contextuels découlant d’autres dispositions de la Loi, puisque certains arguments des parties, même ceux liés au libellé propre de l’alinéa 21(2)a), se fondent sur le libellé et l’effet d’autres dispositions.

[92]  Nul ne conteste le fait que l’alinéa 21(2)a) n’accorde pas expressément à l’ARLA le pouvoir d’introduire une période de transition. Les défendeurs font valoir que le pouvoir nécessaire à cette fin est implicite dans cette disposition, car cette question n’y est pas abordée expressément et que, lorsqu’on prend en compte plusieurs autres dispositions de la Loi, la possibilité de mettre en œuvre graduellement les mesures d’atténuation introduites à la suite de modifications apportées au terme d’une réévaluation constitue une question de nécessité pratique. Les demandeurs allèguent au contraire qu’une telle nécessité n’existe pas et que le libellé de l’alinéa 21(2)a) indique clairement que l’intention du législateur n’était pas d’accorder à l’ARLA le pouvoir d’introduire une période de transition.

a)  Libellé de l’alinéa 21(2)a)

[93]  Lorsqu’on examine d’abord le libellé exprès, on constate que l’alinéa 21(2)a) mentionne le concept de risques acceptables lequel, selon la définition présentée au paragraphe 2(2), signifie que les risques pour la santé ou l’environnement sont acceptables s’il existe une certitude raisonnable qu’aucun dommage à la santé humaine, aux générations futures ou à l’environnement ne résultera de l’exposition au produit ou de l’utilisation de celui-ci, compte tenu des conditions d’homologation proposées ou fixées. Comme le paragraphe 2(2) renvoie aux risques pour la santé ou l’environnement, il est également utile d’examiner les définitions de ces risques présentées au paragraphe 2(1) :

Définitions

Definitions

2 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2 (1) The definitions in this subsection apply in this Act.

[…]

[…]

risque environnemental Risque de dommage à l’environnement, notamment à sa diversité biologique, résultant de l’exposition au produit antiparasitaire ou de l’utilisation de celui-ci, compte tenu des conditions d’homologation proposées ou fixées. (environmental risk)

environmental risk, in respect of a pest control product, means the possibility of harm to the environment, including its biological diversity, resulting from exposure to or use of the product, taking into account its conditions or proposed conditions of registration. (risque environnemental)

[…]

[…]

risque sanitaire Risque pour la santé humaine résultant de l’exposition au produit antiparasitaire ou de l’utilisation de celui-ci, compte tenu des conditions d’homologation proposées ou fixées. (health risk)

health risk, in respect of a pest control product, means the possibility of harm to human health resulting from exposure to or use of the product, taking into account its conditions or proposed conditions of registration. (risque sanitaire)

[94]  La définition de « risque environnemental » inclut également le terme « environnement » qui est ainsi défini :

environnement Ensemble des conditions et éléments naturels de la terre, notamment :

environment means the components of the Earth and includes

a) l’air, l’eau et le sol;

(a) air, land and water;

b) les couches de l’atmosphère;

(b) all layers of the atmosphere;

c) les matières organiques et inorganiques ainsi que les êtres vivants;

(c) all organic and inorganic matter and living organisms; and

d) les systèmes naturels en interaction qui comprennent les éléments visés aux alinéas a) à c). (environment)

(d) the interacting natural systems that include components referred to in paragraphs (a) to (c). (environnement)

[95]  Cependant, le terme « dommage », qui est utilisé dans la définition de « risque environnemental », ainsi que dans la version anglaise (harm) de la définition de risque sanitaire (health risk) et au paragraphe 2(2) de la Loi, n’est pas défini en soi. Les défendeurs soutiennent donc que l’intention du législateur est qu’il soit laissé à l’ARLA – l’organisme responsable de la réglementation de la vente et de l’utilisation des pesticides – le soin de définir ce qui constitue un dommage, car cette question relève de son expertise scientifique. Je trouve cette observation convaincante, notamment compte tenu du fait que les alinéas 7(7)a) et 19(2)a) (lesquels portent respectivement sur les demandes d’homologation et de réévaluation d’un produit antiparasitaire) disposent que le ministre doit adopter une approche qui s’appuie sur une base scientifique pour déterminer si les risques sanitaires et environnementaux d’un produit antiparasitaire sont acceptables.

[96]  Cependant, même en acceptant que l’évaluation des dommages fasse intervenir l’expertise scientifique de l’ARLA, il importe également d’examiner la norme ou le critère législatif prescrit en regard duquel doit se faire cette évaluation. Bien que les demandeurs allèguent que le paragraphe 2(2) introduit une norme quant à l’absence de dommage (« aucun dommage »), du fait que cette expression y figure expressément, il importe d’examiner la signification de cette phrase tant dans le contexte immédiat de son utilisation que dans le contexte plus général de la Loi. Comme le fait valoir le ministre, la phrase, dans le contexte immédiat du paragraphe 2(2) est qu’il doit exister « [...] une certitude raisonnable qu’aucun dommage [...] ne résultera [...] ». Le concept de risque acceptable n’exige donc pas une élimination complète de tous les risques de dommage.

[97]  Plus important encore, dans le contexte plus général de la Loi, les défendeurs font remarquer que la définition d’« environnement » inclut tous les êtres vivants. Par conséquent, elle doit aussi inclure les organismes vivants définis dans la Loi comme des « parasites », lesquels sont la cible des produits antiparasitaires. La définition de « produit antiparasitaire » comprend, par ricochet, les produits utilisés pour détruire les parasites. Il ne fait aucun doute que l’objet de la Loi est de réglementer, et non d’interdire, les produits antiparasitaires. Dans cette optique, les défendeurs soutiennent que la notion d’« aucun dommage » ne peut être interprétée comme signifiant l’absence de dommage pour tout organisme présent dans l’environnement, qu’il s’agisse d’un parasite ou d’un insecte pollinisateur, et qu’il était loisible à l’ARLA d’interpréter la Loi comme signifiant que le risque de dommage doit toucher plus que des abeilles individuelles pour juger que le risque est inacceptable.

[98]  J’accepte la logique de cet argument des défendeurs au sujet de l’interprétation de la Loi. Plus pertinemment, je conviens que cette interprétation s’inscrit dans l’éventail des issues possibles selon la norme de contrôle de la décision raisonnable. Comme je l’explique ci-après, il semble également que la conclusion de l’ARLA, selon laquelle les risques durant la période de transition seront acceptables, repose sur cette interprétation.

[99]  La Décision précise que les effets potentiels durant la période de transition comprennent des effets sublétaux sur des colonies ou des abeilles solitaires, mais que les populations d’insectes pollinisateurs touchées devraient se rétablir à la suite de la mise en œuvre des restrictions supplémentaires prévues par les conditions d’homologation modifiées. L’ARLA précise en outre qu’un rétablissement est prévu, car les risques pour les insectes pollinisateurs sont limités sur le plan géographique aux zones où les produits en cause sont appliqués, ainsi qu’aux zones adjacentes aux sites d’application. Qui plus est, la présence d’abeilles solitaires, d’abeilles domestiques et de bourdons non touchés dans des zones où ces produits ne sont pas utilisés facilitera davantage le rétablissement, puisque les abeilles non touchées dans l’environnement peuvent revenir dans les zones où des effets ont pu se produire.

[100]  Cette analyse montre que l’ARLA a interprété le critère d’« aucun dommage » prescrit par la Loi comme s’appliquant à des populations d’insectes pollinisateurs, plutôt qu’à des membres individuels ou à des sous-ensembles de ces populations. Je note également que l’ARLA décrit les effets potentiels de ces sous-ensembles d’utilisations durant la période de transition comme étant « sublétaux ». Étant donné la logique de l’argument précité concernant l’interprétation de la Loi, je ne considère pas que le libellé de l’alinéa 21(2)a), examiné conjointement avec les autres dispositions s’appliquant directement à sa signification, constitue un « argument massue » minant le caractère raisonnable de l’interprétation que l’ARLA fait de ses pouvoirs.

[101]  Pour en arriver à cette conclusion, j’ai pris en compte un argument invoqué par les demandeurs dans leur plaidoirie présentée en réponse lors de l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire, selon lequel notre Cour devrait examiner les répercussions que l’interprétation faite par l’ARLA pourrait avoir sur l’évaluation des risques pour la santé humaine. En l’espèce, l’analyse de l’ARLA consiste en une évaluation des risques environnementaux. Cependant, l’alinéa 21(2)a) prévoit également une évaluation des risques sanitaires dans le contexte d’une réévaluation. Les demandeurs soutiennent qu’il ne serait pas raisonnable d’interpréter l’alinéa 21(2)a) comme autorisant l’ARLA à établir une période de transition pour la mise en œuvre d’une modification, en se basant sur le fait que des individus ayant subi des effets nocifs sur la santé durant la période de transition finiraient par se rétablir.

[102]  Je conclus que cet argument des demandeurs est convaincant et, dans le langage du cadre proposé dans la décision Mason, il pourrait être caractérisé comme un « indice » allant à l’encontre de l’interprétation adoptée par l’ARLA. Je ne considère toutefois pas qu’il s’agisse d’un « argument massue ». L’interprétation que l’ARLA fait des pouvoirs en litige en l’espèce, dans le contexte de l’évaluation des risques pour l’environnement, ne signifie pas nécessairement que l’organisme adopterait une interprétation parallèle pour l’évaluation des risques pour la santé.

[103]  Je suis conscient du fait que les demandeurs ont soulevé cet argument pour la première fois dans leur réponse orale, de sorte que les défendeurs n’ont pas eu la possibilité d’y répondre. De fait, l’avocat des demandeurs lui-même a mentionné qu’il existe d’autres dispositions de la Loi qui portent expressément sur les risques pour la santé. Je note, par exemple, que le paragraphe 19(2) énonce les facteurs pertinents, notamment l’exposition globale et les effets cumulatifs, les marges de sécurité et les effets de seuil, qui doivent être pris en considération ou appliqués pour évaluer plus précisément les risques sanitaires. En l’absence d’observations plus détaillées pour étayer cet argument, je ne considère pas qu’il soit logique de conclure que l’ARLA serait tenue d’appliquer le même type d’analyse interprétative pour évaluer à la fois les risques environnementaux et sanitaires.

[104]  Les demandeurs allèguent également que l’ARLA n’est habilitée à modifier une homologation au titre de l’alinéa 21(2)a) que si deux conditions sont respectées. La première est que la valeur du produit ou les risques sanitaires ou environnementaux qu’il présente ne sont pas acceptables dans les conditions d’homologation existantes, et la deuxième est que la valeur ou les risques du produit seraient acceptables « à la suite de la modification ». Ils soutiennent que, eu égard à la première conclusion selon laquelle les risques sont inacceptables dans les conditions existantes, la mention « à la suite de la modification » empêche l’ARLA de tirer la deuxième conclusion, à savoir que les risques seraient acceptables en attendant que soient modifiées les conditions d’homologation.

[105]  Bien que je considère que cet argument est lui aussi fondé, il ne s’agit pas de la seule interprétation convaincante qui peut être faite du libellé en cause. En concluant que les risques pour les insectes pollinisateurs seront acceptables durant la période requise pour mettre en œuvre les mesures d’atténuation prescrites par la Décision, l’ARLA a clairement jugé que sa conclusion satisfaisait aux exigences de l’alinéa 21(2)a). En d’autres termes, l’ARLA a conclu que les conditions prescrites à l’alinéa 21(2)a) étaient respectées, après avoir tenu compte à la fois des effets des mesures d’atténuation prescrites et du délai prévu pour la mise en œuvre de ces mesures. Le paragraphe 2(2) précise que les conditions d’homologation fixées et proposées doivent être prises en compte dans l’évaluation du caractère acceptable des risques. Je suis d’avis que l’ajout d’une composante temporelle à une condition d’homologation constitue une interprétation acceptable de l’alinéa 21(2)a), étayée par le paragraphe 2(2). L’ARLA a cherché à déterminer si les modifications permettraient d’atténuer les risques visés, en tenant compte notamment du délai prévu avant leur entrée en vigueur, et elle a conclu que l’effet global des nouvelles conditions d’homologation rendrait ces risques acceptables.

b)  Doctrine de la compétence par déduction nécessaire

[106]  Si j’examine maintenant l’argument de la nécessité pratique invoqué par les défendeurs, en s’appuyant sur ce qu’il est convenu d’appeler la « doctrine de la compétence par déduction nécessaire », je constate que les défendeurs renvoient à l’expression succincte de cette doctrine dans l’arrêt ATCO Gas & Pipelines Ltd. c Alberta (Energy & Utilities Board), 2006 CSC 4, au paragraphe 51 :

[51]  Il incombe à notre Cour de déterminer l’intention du législateur et d’y donner effet (Bell ExpressVu, par. _62) sans franchir la ligne qui sépare l’interprétation judiciaire de la formulation législative (voir R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686, par. 26; Bristol‑Myers Squibb Co., par. 174). Cela dit, cette règle permet l’application de « la doctrine de la compétence par déduction nécessaire » : sont compris dans les pouvoirs conférés par la loi habilitante non seulement ceux qui y sont expressément énoncés, mais aussi, par déduction, tous ceux qui sont de fait nécessaires à la réalisation de l’objectif du régime législatif : voir Brown, p. 2‑16.2; Bell Canada, p. 1756. Par le passé, les cours de justice canadiennes ont appliqué la doctrine de manière à investir les organismes administratifs de la compétence nécessaire à l’exécution de leur mandat légal :

[traduction] Lorsque l’objet de la législation est de créer un vaste cadre réglementaire, le tribunal administratif doit posséder les pouvoirs qui, par nécessité pratique et déduction nécessaire, découlent du pouvoir réglementaire qui lui est expressément conféré.

Re Dow Chemical Canada Inc. and Union Gas Ltd. (1982), 141 D.L.R. (3d) 641 (H.C. Ont.), p. 658‑659, conf. par (1983), 42 O.R. (2d) 731 (C.A.) (voir également Interprovincial Pipe Line Ltd. c. Office national de l’énergie, [1978] 1 C.F. 601 (C.A.); Ligue de la radiodiffusion canadienne c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1983] 1 C.F. 182 (C.A.), conf. par [1985] 1 R.C.S. 174).

[107]  Les arguments respectifs des parties concernant cette doctrine portent principalement sur les exigences d’étiquetage résultant de la modification de l’homologation d’un produit antiparasitaire. Comme le font valoir les défendeurs, l’étiquetage fait partie intégrante du régime de réglementation des produits antiparasitaires, puisqu’il s’agit du moyen par lequel les conditions d’homologation qui imposent des restrictions relativement à la manipulation et à l’utilisation des produits antiparasitaires sont communiquées aux utilisateurs. Les défendeurs soutiennent que le régime de réglementation deviendrait impossible à appliquer si l’ARLA n’avait pas la possibilité d’accorder un délai pour la préparation, l’approbation et la distribution des étiquettes modifiées à la suite d’une décision de réévaluation modifiant une homologation. Ils soutiennent en outre que, si l’interprétation que font les demandeurs des pouvoirs de l’ARLA était retenue, non seulement l’efficacité du régime de réglementation serait menacée, mais les membres de l’industrie des produits antiparasitaires et les utilisateurs de ces produits s’exposeraient également à des poursuites pour non-respect de la Loi. Cela donnerait un résultat absurde qui ne peut refléter l’intention du législateur. Cet argument est également celui qui sous-tend essentiellement les observations de l’intervenante.

[108]  Dans leurs observations, les défendeurs et l’intervenante mentionnent diverses interdictions prévues à l’article 6 de la Loi qui, selon eux, seraient immédiatement enfreintes à la suite d’une décision modifiant une homologation, si l’ARLA était tenue d’exiger que toutes les conditions d’homologation modifiées entrent en vigueur dès la publication de la décision. Cependant, comme le mentionne l’intervenante, il n’est pas nécessaire de relever de nombreuses circonstances de ce type pour conclure que la doctrine de la compétence par déduction nécessaire s’applique. Selon le paragraphe 6(3) de la Loi, il est interdit de stocker, d’importer, d’exporter ou de distribuer un produit antiparasitaire qui n’est pas emballé et étiqueté conformément à ses conditions d’homologation. L’intervenante insiste plus particulièrement sur l’interdiction d’entreposer un produit dont l’étiquetage n’est pas conforme. Dans ses observations, l’intervenante fait valoir qu’il est tout simplement impossible pour un distributeur, un détaillant ou un utilisateur de produits antiparasitaires, qui entrepose des stocks d’un produit antiparasitaire étiqueté conformément aux conditions initiales d’homologation, d’éviter de se trouver en situation de non-conformité à la suite de la publication d’une décision de réévaluation, si aucune période de transition n’est prévue pour le réétiquetage ou l’élimination du produit, selon le cas.

[109]  En réponse à ces observations, les demandeurs font valoir que plusieurs défenses peuvent s’offrir à une personne qui ferait face à une poursuite intentée en application du paragraphe 6(3), dans les circonstances énoncées par les défendeurs et l’intervenante. Les demandeurs font valoir que le mot « stocker » utilisé au paragraphe 6(3) peut se prêter à une interprétation restrictive. Ils renvoient la Cour à la définition anglaise de « stocker » (store) qui figure dans le dictionnaire juridique Black’s Law Dictionary, 9e éd., à savoir [traduction] « [c]onserver (des marchandises...) en lieu sûr en vue d’une livraison prochaine dans des conditions inchangées ». Les demandeurs soutiennent que le simple fait de posséder un produit antiparasitaire dont l’étiquette est périmée, sans l’intention d’utiliser ce produit dans sa condition existante à des fins commerciales, ne constituerait pas un stockage au sens de l’interdiction énoncée au paragraphe 6(3). Ils appuient cet argument sur le fait que, parmi les activités interdites au paragraphe 6(1), figure le fait de « posséder » et de « stocker », ce qui signifie que le stockage ne s’entend pas d’une simple possession.

[110]  Les demandeurs mentionnent également que l’article 57, qui confère divers pouvoirs aux inspecteurs chargés de l’administration et de l’application de la Loi, prévoit notamment des mécanismes de mise en application n’allant pas jusqu’à la poursuite, comme ordonner à une personne qui contrevient à la Loi de prendre les correctifs nécessaires pour prévenir toute récidive, par exemple en modifiant l’étiquetage d’un produit. Enfin, les demandeurs soutiennent qu’une personne faisant l’objet d’une poursuite dans les circonstances énoncées par les défendeurs et l’intervenante pourrait présenter une défense fondée sur la diligence raisonnable aux termes de l’article 69.1.

[111]  Je reconnais que la Loi prévoit un pouvoir de poursuite discrétionnaire, de telle sorte qu’une personne ayant enfreint les interdictions prévues à l’article 6 pourrait ne pas faire l’objet de poursuites, et que des arguments pourraient être invoqués en défense si une poursuite était intentée. Ces observations ne me convainquent toutefois pas que l’argument de la nécessité pratique invoqué par les défendeurs ne peut soutenir le caractère raisonnable de l’interprétation que l’ARLA fait de ses pouvoirs.

[112]  Dans la Décision, l’ARLA reconnaît que les producteurs devront changer leurs pratiques antiparasitaires, en précisant notamment que le mode d’emploi des pesticides est détaillé et précis et que l’utilisation de ces produits exige souvent une formation et de l’équipement d’application et de sécurité spécialisés. L’ARLA conclut que la période de transition de 24 mois assurera une mise en œuvre harmonieuse et en toute sécurité des nouvelles restrictions et devrait réduire les risques attribuables à une mauvaise utilisation ou à une utilisation inadéquate des produits au moment où les utilisateurs adopteront d’autres pratiques, au besoin. L’ARLA note en outre que cette approche est conforme à la Politique ainsi qu’aux pratiques employées par d’autres organismes de réglementation internationaux.

[113]  La Politique décrit, à son tour, la procédure que doit suivre l’ARLA pour que les modifications requises soient apportées à l’étiquette des produits en cause, lorsque la modification d’une homologation est jugée nécessaire à la suite d’une décision de réévaluation. Selon cette procédure, l’ARLA doit aviser les titulaires de la nécessité de modifier l’homologation de leurs produits et de mettre à jour les étiquettes des produits afin qu’elles indiquent les modifications requises, et les informer du processus à suivre et des délais de mise en œuvre. Les titulaires doivent ensuite présenter une demande de modification des étiquettes, qui devra être examinée et approuvée par l’ARLA.

[114]  Comme il a été mentionné précédemment, la Décision, dans sa forme, ne prévoit pas expressément une analyse de l’interprétation des lois. Elle n’invoque donc pas expressément la doctrine de la compétence par déduction nécessaire. Pas plus qu’elle n’examine les arguments portant sur les interdictions prévues à l’article 6, comme ceux invoqués par les parties au présent contrôle judiciaire. Il ressort toutefois clairement des portions précitées de la Décision et de la Politique que l’ARLA a jugé qu’une période de transition était nécessaire pour s’acquitter de son mandat relativement à la modification d’une homologation. Les arguments invoqués par les défendeurs et l’intervenante appuient cette conclusion, et les arguments présentés en réponse par les demandeurs, qui ont été examinés précédemment, ne constituent pas un « argument massue » du type qui rendrait cette conclusion déraisonnable.

[115]  Les demandeurs soutiennent qu’il n’est pas nécessaire d’accorder une période de transition, car la préparation et l’approbation des étiquettes modifiées pourraient se faire durant le processus de réévaluation, peut-être en même temps que la période de consultation publique prévue à l’article 28 entre la date de publication du projet de décision et la publication de la décision définitive. Pour étayer cette thèse, les demandeurs font valoir que la procédure de l’ARLA définie dans la Politique, selon laquelle les titulaires d’homologation doivent soumettre une demande afin de faire approuver leur projet d’étiquette modifiée à la suite d’une décision de réévaluation, n’est prescrite ni par la Loi ni par le Règlement sur les produits antiparasitaires, DORS/2006-124 (le Règlement), pris en application de la Loi.

[116]  Tel qu’il a été mentionné, la Politique dispose que le titulaire d’homologation doit présenter à l’ARLA une demande en vue de faire approuver son projet d’étiquette modifiée à la suite d’une décision de réévaluation exigeant de telles modifications. Dans sa plaidoirie, Syngenta prétend que le fondement législatif de ce processus se trouve à l’article 6 du Règlement, qui prescrit les renseignements devant figurer dans une demande d’homologation, ou de modification d’homologation, d’un produit antiparasitaire. Le paragraphe 6(2) du Règlement exige notamment que le demandeur joigne une copie électronique de l’étiquette proposée à sa demande. En réponse, les demandeurs font valoir que l’article 6 du Règlement ne porte que sur les modifications demandées de façon proactive par un titulaire d’homologation, au moyen d’une demande présentée en application des articles 7 et 8 de la Loi, et qu’il ne s’applique pas aux modifications résultant d’une réévaluation instituée par l’ARLA.

[117]  Je souscris à la thèse des demandeurs sur ce point. L’article 6 du Règlement précise les renseignements qui doivent figurer sur « [l]a demande d’homologation ou de modification d’homologation [...] ». Dans la Loi, l’article 7 porte sur les demandes d’homologation ou de modification d’homologation d’un produit antiparasitaire, alors que l’article 8 accorde au ministre le pouvoir de déterminer l’issue de la demande, notamment celui de modifier une homologation. Ce pouvoir, bien qu’il soit régi par des exigences semblables, diffère du pouvoir de modifier une homologation à la suite d’une réévaluation, qui est conféré au ministre par l’article 21. Je suis donc d’accord avec la manière dont les demandeurs décrivent le processus employé par l’ARLA pour modifier les étiquettes à la suite d’une décision rendue en application de l’article 21, celui-ci étant défini comme un processus adopté aux termes de la Politique (sans doute parce qu’il s’apparente au processus législatif s’appliquant à une demande de modification au titre de l’article 6). Il ne s’agit pas en soi d’un processus prescrit par la loi.

[118]  S’appuyant sur cette interprétation, les demandeurs soutiennent que l’ARLA pourrait peut-être préparer les versions modifiées des étiquettes en cause de manière à ce que, une fois le processus de consultation publique terminé, les étiquettes modifiées approuvées puissent être communiquées dans le contexte de la décision de réévaluation définitive. En d’autres termes, si le paragraphe 6(2) du Règlement ne s’applique pas au processus de réévaluation, alors rien n’oblige le titulaire d’homologation à préparer l’étiquette proposée. Subsidiairement, le titulaire d’homologation pourrait, durant le processus de consultation publique, être tenu de soumettre des projets d’étiquette conformes au projet de décision, et l’ARLA pourrait ensuite approuver ces projets d’étiquette (ou y apporter les correctifs nécessaires) au moment de rendre sa décision définitive.

[119]  Sur ce point également, je conviens avec les demandeurs que le paragraphe 6(2) du Règlement n’empêche pas l’ARLA d’adopter un processus s’apparentant à celui proposé par les demandeurs. Cependant, les défendeurs soulèvent également d’autres aspects du régime législatif qui, selon eux, seraient contraires à un tel processus. Le ministre soutient plus précisément que la préparation, durant le processus de réévaluation, d’étiquettes conformes au projet de décision rendu avant la tenue des consultations publiques irait à l’encontre de l’obligation de tenir des consultations publiques prévue à l’article 28. Une telle approche pourrait être interprétée comme laissant supposer que la consultation ne modifierait pas le projet de décision. À tout le moins, cette approche risque d’être très inefficace, si l’on entreprend la préparation d’étiquettes conformes au projet de décision, mais que les projets d’étiquettes doivent par la suite être modifiés pour respecter une décision définitive différente, résultant des commentaires reçus durant la période de consultation.

[120]  Je trouve que ces arguments, et plus particulièrement ceux liés à l’efficacité du processus, sont convaincants. Plus important encore, eu égard à la norme de contrôle, je considère que l’adoption par l’ARLA d’un processus permettant d’éviter les inefficacités potentielles résultant du besoin de modifier les étiquettes une première fois, puis de les modifier de nouveau, et exigeant du titulaire d’homologation la préparation d’étiquettes modifiées qui soient conformes au paragraphe 6 du Règlement, même si cette disposition ne l’exige pas, s’inscrit dans les issues raisonnables.

[121]  Si le processus proposé par les demandeurs permettait d’éliminer les préoccupations quant au risque que des membres de l’industrie des produits antiparasitaires et des utilisateurs de ces produits se trouvent à enfreindre la Loi au moment où est rendue une décision de réévaluation modifiant une homologation avec prise d’effet immédiate, cela pourrait alors limiter l’éventail des processus s’offrant raisonnablement à l’ARLA. Cependant, même le processus proposé par les demandeurs n’éliminerait pas ces préoccupations. Enfin, même si la décision de réévaluation définitive modifiant une homologation était accompagnée d’une forme d’étiquette approuvée, il faudrait toujours un certain temps pour produire et distribuer des exemplaires de cette étiquette aux personnes stockant les produits visés. Ces personnes se trouveraient donc à enfreindre la Loi, tant et aussi longtemps qu’elles n’auraient pas eu le temps de réétiqueter les produits stockés.

[122]  Si je reviens au cadre d’application de la norme de la décision raisonnable pour l’examen de l’interprétation de la Loi, je conclus que les nécessités pratiques du processus de réévaluation, examinées dans le contexte de la doctrine de la compétence par déduction nécessaire, constituent un argument en faveur de l’interprétation que l’ARLA a faite de ses pouvoirs.

c)  Paragraphe 21(5) de la Loi

[123]  En examinant le contexte législatif défini par d’autres dispositions de la Loi susceptibles d’étayer l’interprétation de l’alinéa 21(2)a), toutes les parties se sont fondées sur le paragraphe 21(5) qui a été reproduit précédemment dans les présents motifs. Les parties reconnaissent que l’effet immédiat de ce paragraphe est de permettre au ministre, au moment de la révocation d’une homologation à la suite d’une réévaluation, d’autoriser que se poursuivent certaines activités visant des stocks existants du produit révoqué. En d’autres termes, le ministre est expressément habilité à introduire des mesures transitoires, mais uniquement à la suite d’une révocation. Nul ne conteste le fait que le paragraphe 21(5) ne s’applique pas à la suite d’une modification.

[124]   Les demandeurs font valoir que l’alinéa 21(5)a) appuie leur thèse, précisément parce qu’il ne s’applique pas à une modification faisant suite à une réévaluation. Les défendeurs allèguent au contraire que l’alinéa 21(5)a) appuie leur position. Ils soutiennent qu’il serait illogique que le ministre ait un pouvoir discrétionnaire moindre (voire nul) pour examiner des questions transitoires dans le contexte de la modification d’une homologation (où les risques peuvent être atténués de manière à devenir acceptables), alors qu’il possède un tel pouvoir discrétionnaire dans le contexte vraisemblablement plus grave d’une révocation (où les risques ne peuvent devenir acceptables).

[125]  Je suis d’avis que l’argument des défendeurs est beaucoup plus solide. Les demandeurs n’ont présenté aucun argument convaincant quant aux raisons pour lesquelles le législateur aurait accordé au ministre le pouvoir d’autoriser des mesures transitoires lors de la révocation d’une homologation, mais non d’une modification. De toute évidence, le paragraphe 21(5) n’accorde un tel pouvoir que dans le contexte d’une révocation. Il serait donc raisonnable de conclure qu’un pouvoir semblable est conféré ailleurs dans la Loi, grâce à la possibilité d’assortir les conditions d’homologation prévues à l’alinéa 21(2)a) de composantes temporelles, à condition bien sûr que l’ARLA conclue que les conditions, y compris les composantes temporelles, auront pour effet de rendre les risques acceptables.

[126]  Je conclus que le contexte défini par l’alinéa 21(5)a) penche fortement en faveur de la thèse des défendeurs sur l’application de la norme de la décision raisonnable pour examiner l’interprétation que fait l’ARLA des pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi.

d)  Articles 35 et 36 de la Loi

[127]  J’ai examiné l’argument de chaque partie selon lequel le droit de s’opposer à une décision, et la possibilité pour le ministre de suspendre la décision en attendant qu’une décision soit rendue au sujet de cette opposition, favorise la thèse voulant que le ministre soit également habilité à prévoir une période de transition dans la décision proprement dite. Je juge que ces arguments ne sont pas concluants. Par conséquent, l’argument des demandeurs ne mine pas le caractère raisonnable de l’interprétation faite par l’ARLA de ses pouvoirs.

e)  Paragraphe 21(3) de la Loi

[128]  J’ai choisi d’examiner cette série d’arguments dans la conclusion de la présente analyse, car je considère qu’il s’agit sans doute de l’élément le plus percutant de l’ensemble d’arguments soulevés par les demandeurs. Aucun des arguments examinés jusqu’à maintenant ne l’emporte sur la retenue que l’on doit à l’interprétation que fait l’ARLA de l’étendue de ses pouvoirs. Je dois toutefois déterminer si l’argument invoqué par les demandeurs relativement au paragraphe 21(3) représente un « argument massue » ayant cet effet.

[129]  Le paragraphe 21(3), qui a été reproduit précédemment dans les présents motifs, autorise le ministre à « différer » la modification (ou la révocation) si les deux conditions d’un critère conjonctif sont respectées. Premièrement, il ne doit y avoir aucune solution de rechange satisfaisante à l’utilisation du produit antiparasitaire. Deuxièmement, le ministre doit juger que la valeur du produit et les risques sanitaires et environnementaux qu’il présente sont acceptables jusqu’à la date d’entrée en vigueur de la modification.

[130]  Les demandeurs soutiennent que l’interprétation que préconisent les défendeurs concernant les pouvoirs conférés à l’ARLA selon l’alinéa 21(2)a) rendrait le paragraphe 21(3) redondant. Si l’alinéa 21(2)a) autorise l’ARLA à introduire une période de transition pour la mise en œuvre d’une modification, lorsqu’elle conclut (comme c’est le cas dans la Décision) que les risques environnementaux seront acceptables durant la période de transition requise pour la mise en œuvre des mesures d’atténuation, alors le paragraphe 21(3), qui exige à la fois que les risques soient acceptables et qu’il n’existe aucune solution de rechange satisfaisante, n’a aucune raison d’être. Comme le font remarquer les demandeurs, le législateur est présumé ne pas utiliser de mots superflus ou dénués de sens, ne pas se répéter inutilement ni s’exprimer en vain (voir Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd. (Markham: LexisNexis, 2014), p. 211 et 212).

[131]  Il s’agit à mon avis du plus solide argument des demandeurs. Si le paragraphe 21(3) doit être interprété comme le prétendent les demandeurs, et qu’il s’agit de la seule interprétation raisonnable, alors cet argument pourrait bien constituer un argument massue. Cependant, les défendeurs soutiennent que le paragraphe 21(3) porte sur des circonstances différentes de celles auxquelles s’applique le pouvoir implicite prévu, selon eux, au paragraphe 21(2). Ils prétendent que le pouvoir implicite d’établir une période de transition est lié à la possibilité de fixer la date initiale de mise en œuvre (c.-à-d. la date d’entrée en vigueur) d’une modification, alors que le pouvoir conféré par le paragraphe 21(3) porte sur la possibilité de reporter une date d’entrée en vigueur qui a déjà été fixée. Les défendeurs font remarquer que l’expression « effective date », utilisée dans la version anglaise du paragraphe 21(3), est définie dans le dictionnaire juridique Black’s Law Dictionary, 10e éd. comme signifiant [traduction] « [l]a date à laquelle une loi, un contrat, une police d’assurance ou tout autre instrument semblable devient exécutoire ou prend autrement effet. Cette date diffère parfois de la date à laquelle l’instrument a été adopté ou ratifié. [...] ».

[132]  Les demandeurs n’ont présenté aucune réponse convaincante à cet argument des défendeurs. Je conclus que les thèses des parties quant à l’effet visé par le paragraphe 21(3) représentent des interprétations possibles. Il n’appartient pas à la Cour de faire un examen selon la norme de la décision raisonnable pour choisir entre deux interprétations possibles. Lorsque j’examine ces interprétations contraires dans le contexte plus global des autres arguments textuels, contextuels et téléologiques examinés précédemment, je conclus que l’argument des demandeurs peut être réfuté par des arguments contraires de force semblable en faveur de l’interprétation de l’ARLA. Dans cette optique, ma conclusion générale est que l’interprétation de l’ARLA est raisonnable et qu’elle ne devrait pas être modifiée par notre Cour lors d’un contrôle judiciaire. Cette conclusion s’applique au choix par l’ARLA de cette interprétation pour appuyer la Décision et adopter la Politique.

C.  Si l’ARLA a qualité pour agir en ce sens, a-t-elle néanmoins commis une erreur susceptible de révision en prévoyant une période de transition dans la Décision, que ce soit par l’adoption de cette mesure ou par la manière dont elle a appliqué le critère pour juger du caractère acceptable du risque?

[133]  Les demandeurs font valoir que, même si l’ARLA possède le pouvoir contesté d’accorder une période de transition, elle a commis une erreur dans l’exercice de ce pouvoir en l’espèce. Ils allèguent que l’ARLA a commis une erreur dans le choix du critère utilisé pour l’exercice de ce pouvoir et que sa décision n’est pas corroborée par les éléments de preuve qui lui ont été présentés. J’ai déjà établi que ces arguments doivent tous être examinés selon la norme de la décision raisonnable.

[134]  En faisant valoir que l’ARLA a commis une erreur dans le choix du critère utilisé, les demandeurs renvoient à la conclusion dans la Décision selon laquelle les risques relevés « ne sont pas jugés imminents, car ils ne devraient pas causer de préjudice irréversible au cours de cette période ». Les demandeurs invoquent également le libellé suivant de la section 6.2 de la Politique :

En l’absence de risque imminent et grave pour la santé humaine ou l’environnement, les titulaires ont habituellement jusqu’à deux (2) ans à partir de la date de la décision pour commencer à vendre le produit avec les étiquettes nouvellement modifiées.

[135]  Les demandeurs soutiennent que la Décision et la Politique montrent que l’ARLA utilise une norme fondée sur l’absence de risque de « préjudice irréversible » ou de « risque imminent et grave », ce qui va à l’encontre du critère d’« aucun dommage » prescrit par le paragraphe 2(2) de la Loi pour évaluer les risques acceptables. Ils soutiennent en outre que les normes employées par l’ARLA sont le fruit de sa propre invention, découlant peut-être du libellé du paragraphe 20(2) de la Loi. L’article 20, qui confère au ministre le pouvoir de prendre des mesures intérimaires lors du processus de réévaluation, est ainsi libellé :

Révocation ou modification

Cancellation or amendment

20 (1) Le ministre peut révoquer l’homologation ou la modifier dans les cas suivants :

20 (1) The Minister may cancel or amend the registration of a pest control product if

a) le titulaire ne satisfait pas à une des exigences posées par les paragraphes 16(3) ou 18(1) ou l’alinéa 19(1)a);

(a) the registrant fails to satisfy a requirement under subsection 16(3) or 18(1) or paragraph 19(1)(a); or

b) le ministre a des motifs raisonnables de croire que ces mesures sont nécessaires, dans le cadre du processus de réévaluation ou d’examen spécial, pour régler une situation qui présente un danger pour la santé ou la sécurité humaines ou pour l’environnement, en prenant en compte le principe de prudence.

(b) in the course of a re-evaluation or special review, the Minister has reasonable grounds to believe that the cancellation or amendment is necessary to deal with a situation that endangers human health or safety or the environment, taking into account the precautionary principle set out in subsection (2).

Principe de prudence

Precautionary principle

(2) En cas de risques de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard la prise de mesures rentables visant à prévenir toute conséquence néfaste pour la santé ou la dégradation de l’environnement.

(2) Where there are threats of serious or irreversible damage, lack of full scientific certainty shall not be used as a reason for postponing cost-effective measures to prevent adverse health impact or environmental degradation.

[136]  Les demandeurs soutiennent que les renvois aux notions de préjudice « irréversible » et de risque « grave », dans la Décision et la Politique, rappellent les termes employés au paragraphe 20(2) et laissent croire que l’ARLA a utilisé, à tort, les critères énoncés à l’article 20 dans son analyse fondée sur l’article 21.

[137]  Je ne suis pas d’accord pour dire que la Décision indique une combinaison des critères applicables selon les articles 20 et 21. L’ARLA conclut que, dans l’ensemble, le risque pour les insectes pollinisateurs est acceptable au cours de la période nécessaire à la mise en œuvre des mesures d’atténuation. Pour parvenir à cette conclusion, l’ARLA a établi que les risques relevés ne sont pas jugés imminents, car ils ne devraient pas causer de préjudice irréversible durant la période de transition. Contrairement à ce que prétendent les demandeurs, je n’interprète pas cette constatation comme signifiant l’adoption d’une norme ou d’un critère particulier. Cette constatation représente plutôt une partie de l’analyse de l’ARLA qui sous-tend sa conclusion, à savoir que le risque pour les insectes pollinisateurs est acceptable à la suite des modifications proposées. Je reconnais que la section 6.2 de la Politique n’exige pas expressément qu’il soit confirmé que les risques seront acceptables à la suite des modifications proposées. Cependant, comme l’ARLA a examiné cette exigence dans la partie de la Décision donnant effet à la section 6.2 de la Politique, il n’y a là encore aucun motif permettant de conclure que l’ARLA a adopté une pratique qui s’écarte du critère énoncé au paragraphe 21(2).

[138]  Enfin, les demandeurs soutiennent qu’aucun élément de preuve présenté à l’ARLA n’appuie l’adoption d’une période de transition de 24 mois dans la Décision. Ils prétendent qu’aucune raison n’a été fournie dans la Décision ou la Politique pour expliquer la nécessité d’une période de transition de deux ans pour assurer une mise en œuvre harmonieuse et en toute sécurité des mesures d’atténuation des risques. Ils font valoir que les délais qui sont prévus par la Politique, et qui sont à la base de la durée de la période de transition fixée dans la Décision, sont déraisonnables.

[139]  Les défendeurs font quant à eux valoir, à titre de critère déterminant de cette question, que de tels arguments n’entrent pas dans les paramètres de la présente demande de contrôle judiciaire. Le ministre note ainsi que les demandeurs, au paragraphe 57 de l’avis de demande en l’espèce, mentionnent qu’ils ne contestent pas, par cette demande, les conclusions scientifiques énoncées par l’ARLA dans la Décision. Les demandeurs rétorquent que leurs arguments concernant le caractère raisonnable de la Décision ne reposent pas sur une contestation des conclusions scientifiques, mais plutôt sur l’absence d’élément de preuve corroborant cet aspect de la Décision.

[140]  Les défendeurs soutiennent que les demandeurs contestent simplement le caractère suffisant des motifs de l’ARLA et qu’on ne peut dissocier l’analyse faite par l’ARLA à l’appui de la période de transition proposée des conclusions scientifiques auxquelles elle en est arrivée. Ils insistent sur le fait que, compte tenu des paramètres de l’avis de demande, aucune partie n’a demandé la production d’un dossier certifié du tribunal qui inclurait le dossier scientifique qui sous-tend la Décision. De ce fait, la Cour n’a pas en sa possession le dossier nécessaire pour passer en revue l’analyse scientifique de l’ARLA.

[141]  Je suis d’accord avec la thèse des défendeurs sur cette question. En concluant que le risque pour les insectes pollinisateurs sera acceptable durant la période de transition, l’ARLA a tenu compte des effets potentiels sur des colonies d’abeilles ou des abeilles solitaires durant cette période, ainsi que du rétablissement prévu après la période de transition et des motifs justifiant cette prévision. J’interprète cette partie de la Décision comme s’appuyant sur l’analyse globale des risques, réalisée selon l’approche s’appuyant sur une base scientifique prescrite au paragraphe 19(2) de la Loi, qui est l’objet de la Décision. L’argument des demandeurs, selon lequel aucun élément de preuve n’appuie l’établissement par l’ARLA d’une période de transition, comporte inévitablement une contestation des conclusions scientifiques de l’ARLA; or, dans leur avis de demande, les demandeurs ont précisé qu’une telle contestation ne ferait pas partie de la présente demande de contrôle judiciaire.

[142]  Syngenta soutient que même le projet de décision comporte des renvois à des composantes temporelles de l’analyse scientifique, ce qui prouve l’existence d’un fondement probatoire à l’appui de la conclusion de l’ARLA quant à l’acceptabilité du risque. À titre d’exemple, l’évaluation du risque tient compte à la fois du degré de toxicité du produit et de la durée pendant laquelle les insectes pollinisateurs seront exposés à ce produit. Il y a également des renvois au temps qu’il a fallu à des colonies d’insectes pollinisateurs pour se rétablir au terme d’une étude. Même si je devais conclure que les paramètres de l’avis de demande n’empêchaient pas les demandeurs d’invoquer le caractère insuffisant du fondement probatoire étayant la période de transition établie, les portions limitées du dossier dont la Cour a été saisie n’appuieraient pas une conclusion quant au caractère déraisonnable de la Décision.

[143]  Les demandeurs contestent également la durée de la période de transition accordée par l’ARLA, alléguant ainsi qu’aucun élément de preuve ni aucune analyse n’appuie la conclusion voulant qu’une période de 24 mois soit nécessaire pour assurer une mise en œuvre harmonieuse et en toute sécurité des mesures d’atténuation des risques. Je note que la Politique, qui prévoit que les titulaires d’homologation bénéficieront généralement d’une période de transition maximale de deux ans, a été adoptée après avoir tenu compte des commentaires reçus durant une période de consultation publique de 60 jours. Ces commentaires ne font pas partie du dossier qui a été présenté à la Cour. Plus important encore, je ne suis pas convaincu que la durée précise de la période de transition adoptée par l’ARLA représente un fondement permettant de contester le caractère raisonnable d’une décision de réévaluation, en l’absence d’erreur dans l’évaluation par l’ARLA de l’acceptabilité des risques. Je conclus que l’ARLA : a) a fait une interprétation raisonnable de la Loi en concluant que la Loi l’autorisait à établir une période de transition pour la mise en œuvre d’une modification et b) a jugé, après avoir fait un emploi raisonnable du critère applicable et pris en compte la période de transition qu’elle avait fixée, que la modification rendrait le risque acceptable pour les insectes pollinisateurs. La Cour n’a donc aucune raison de modifier cette conclusion.

VIII.  Conclusion et dépens

[144]  Ayant conclu que la portion contestée de la Décision est raisonnable, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Il n’y a donc pas lieu pour notre Cour d’examiner la dernière question, à savoir si la Cour devrait annuler seulement la portion contestée de la Décision ou la Décision dans son intégralité.

[145]  Lors de l’audition de la présente demande, les demandeurs et les défendeurs ont demandé que leur soit allouée une courte période pour la présentation d’observations écrites post-audience sur les dépens. Les parties ont par la suite présenté ces observations conjointes précisant qu’elles avaient convenu que : a) des dépens d’un montant global tout compris de 2 000 $ soient payés aux demandeurs ou à Syngenta, relativement à la requête en radiation de l’affidavit de Mme Tout, selon l’issue de la requête et b) des dépens de 8 000 $ soient adjugés à la partie qui aura gain de cause au sujet de demande principale (cette somme devant être divisée également entre chacun des deux défendeurs si ceux-ci ont gain de cause).

[146]   J’accepte ces observations et j’adjugerai des dépens en conséquence. Comme le prévoit l’ordonnance ayant accordé à CropLife le statut d’intervenante en l’espèce, CropLife n’a pas droit à l’adjudication de dépens dans le contexte de la présente demande et ne peut en faire l’objet.

IX.  Annexe A : Dispositions applicables

Loi sur les produits antiparasitaires, LC 2002, ch 28

Pest Control Products Act, SC 2002, c 28

Définitions et interprétation

Interpretation

Définitions

Definitions

2 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2 (1) The definitions in this subsection apply in this Act.

[…]

[…]

environnementEnsemble des conditions et éléments naturels de la terre, notamment :

environment means the components of the Earth and includes

a) l’air, l’eau et le sol;

(a) air, land and water;

b) les couches de l’atmosphère;

(b) all layers of the atmosphere;

c) les matières organiques et inorganiques ainsi que les êtres vivants;

(c) all organic and inorganic matter and living organisms; and

d) les systèmes naturels en interaction qui comprennent les éléments visés aux alinéas a) à c). (environment)

(d) the interacting natural systems that include components referred to in paragraphs (a) to (c). (environnement)

risque environnemental Risque de dommage à l’environnement, notamment à sa diversité biologique, résultant de l’exposition au produit antiparasitaire ou de l’utilisation de celui-ci, compte tenu des conditions d’homologation proposées ou fixées. (environmental risk)

environmental risk, in respect of a pest control product, means the possibility of harm to the environment, including its biological diversity, resulting from exposure to or use of the product, taking into account its conditions or proposed conditions of registration. (risque environnemental)

[…]

[…]

risque sanitaire Risque pour la santé humaine résultant de l’exposition au produit antiparasitaire ou de l’utilisation de celui-ci, compte tenu des conditions d’homologation proposées ou fixées. (health risk)

health risk, in respect of a pest control product, means the possibility of harm to human health resulting from exposure to or use of the product, taking into account its conditions or proposed conditions of registration. (risque sanitaire)

[…]

[…]

parasite Animal, plante ou autre organisme qui est, directement ou non, nuisible, nocif ou gênant, ainsi que toute fonction organique ou condition nuisible, nocive ou gênante d’un animal, d’une plante ou d’un autre organisme. (pest)

pest means an animal, a plant or other organism that is injurious, noxious or troublesome, whether directly or indirectly, and an injurious, noxious or troublesome condition or organic function of an animal, a plant or other organism. (parasite)

produit antiparasitaire

pest control productmeans

a) Produit, substance ou organisme — notamment ceux résultant de la biotechnologie — constitué d’un principe actif ainsi que de formulants et de contaminants et fabriqué, présenté, distribué ou utilisé comme moyen de lutte direct ou indirect contre les parasites par destruction, attraction ou répulsion, ou encore par atténuation ou prévention de leurs effets nuisibles, nocifs ou gênants;

(a) a product, an organism or a substance, including a product, an organism or a substance derived through biotechnology, that consists of its active ingredient, formulants and contaminants, and that is manufactured, represented, distributed or used as a means for directly or indirectly controlling, destroying, attracting or repelling a pest or for mitigating or preventing its injurious, noxious or troublesome effects;

b) tout principe actif servant à la fabrication de ces éléments;

(b) an active ingredient that is used to manufacture anything described in paragraph (a); or

c) toute chose désignée comme tel par règlement. (pest control product)

(c) any other thing that is prescribed to be a pest control product. (produit antiparasitaire)

[…]

[…]

Registre Le Registre des produits antiparasitaires établi et tenu en application de l’article 42. (Register)

Registermeans the Register of Pest Control Products established and maintained under section 42. (Registre)

 

 

Risques acceptables

Acceptable risks

(2) Pour l’application de la présente loi, les risques sanitaires ou environnementaux d’un produit antiparasitaire sont acceptables s’il existe une certitude raisonnable qu’aucun dommage à la santé humaine, aux générations futures ou à l’environnement ne résultera de l’exposition au produit ou de l’utilisation de celui-ci, compte tenu des conditions d’homologation proposées ou fixées.

(2) For the purposes of this Act, the health or environmental risks of a pest control product are acceptable if there is reasonable certainty that no harm to human health, future generations or the environment will result from exposure to or use of the product, taking into account its conditions or proposed conditions of registration.

[…]

[…]

Mission

Mandate

Objectif premier

Primary objective

4 (1) Pour l’application de la présente loi, le ministre a comme objectif premier de prévenir les risques inacceptables pour les individus et l’environnement que présente l’utilisation des produits antiparasitaires.

4 (1) In the administration of this Act, the Minister’s primary objective is to prevent unacceptable risks to individuals and the environment from the use of pest control products.

Objectifs connexes

Ancillary objectives

(2) À cet égard, le ministre doit :

(2) Consistent with, and in furtherance of, the primary objective, the Minister shall

a) promouvoir le développement durable, soit un développement qui permet de répondre aux besoins du présent sans compromettre la possibilité pour les générations futures de satisfaire les leurs;

(a) support sustainable development designed to enable the needs of the present to be met without compromising the ability of future generations to meet their own needs;

b) tenter de réduire au minimum les risques sanitaires et environnementaux que présentent les produits antiparasitaires et d’encourager le développement et la mise en oeuvre de stratégies de lutte antiparasitaire durables et innovatrices — en facilitant l’accès à des produits antiparasitaires à risque réduit — et d’autres mesures indiquées;

(b) seek to minimize health and environmental risks posed by pest control products and encourage the development and implementation of innovative, sustainable pest management strategies by facilitating access to pest control products that pose lower risks and by other appropriate measures;

c) sensibiliser le public aux produits antiparasitaires en l’informant, en favorisant son accès aux renseignements pertinents et en encourageant sa participation au processus de prise de décision;

(c) encourage public awareness in relation to pest control products by informing the public, facilitating public access to relevant information and public participation in the decision-making process; and

d) veiller à ce que seuls les produits antiparasitaires dont la valeur a été déterminée comme acceptable soient approuvés pour utilisation au Canada.

(d) ensure that only those pest control products that are determined to be of acceptable value are approved for use in Canada.

[…]

[…]

Interdictions

Prohibitions

Produits antiparasitaires non homologués

6 (1) Sauf dans les cas autorisés par les paragraphes 21(5) et 41(1), les articles 48 et 51 et 53 à 59 et les règlements, il est interdit de fabriquer, de posséder, de manipuler, de stocker, de transporter, d’importer, de distribuer ou d’utiliser un produit antiparasitaire non homologué en vertu de la présente loi.

[…]

Emballage et étiquetage

Unregistered pest control products

6 (1) No person shall manufacture, possess, handle, store, transport, import, distribute or use a pest control product that is not registered under this Act, except as otherwise authorized under subsection 21(5) or 41(1), section 48 or 51, any of sections 53 to 59 or the regulations.

[…]

Packaging and labelling

Produits antiparasitaires non homologués

6 (1) Sauf dans les cas autorisés par les paragraphes 21(5) et 41(1), les articles 48 et 51 et 53 à 59 et les règlements, il est interdit de fabriquer, de posséder, de manipuler, de stocker, de transporter, d’importer, de distribuer ou d’utiliser un produit antiparasitaire non homologué en vertu de la présente loi.

[…]

Unregistered pest control products

6 (1) No person shall manufacture, possess, handle, store, transport, import, distribute or use a pest control product that is not registered under this Act, except as otherwise authorized under subsection 21(5) or 41(1), section 48 or 51, any of sections 53 to 59 or the regulations.

[…]

(3) Sauf dans les cas autorisés par les articles 53, 53.3 et 54, il est interdit de stocker, d’importer, d’exporter ou de distribuer un produit antiparasitaire s’il n’est pas emballé et étiqueté conformément aux règlements et, dans le cas où il est homologué, aux conditions d’homologation.

(3) Except as otherwise authorized under section 53, 53.3 or 54, no person shall store, import, export or distribute a pest control product that is not packaged and labelled in accordance with the regulations and, if it is registered, the conditions of registration.

[…]

[…]

Utilisation non conforme

Misuse of pest control products

(5) Il est interdit de manipuler, de stocker, de transporter ou d’utiliser un produit antiparasitaire, ou d’en disposer, d’une manière non conforme :

(5) No person shall handle, store, transport, use or dispose of a pest control product in a way that is inconsistent with

a) soit aux règlements;

(a) the regulations; or

b) soit, si le produit est homologué, aux instructions de l’étiquette figurant dans le Registre, sous réserve des règlements.

(b) if the product is registered, the directions on the label recorded in the Register, subject to the regulations.

[…]

[…]

Infraction et peine

Offence and punishment

(9) Quiconque contrevient à toute disposition du présent article commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité :

(9) A person who contravenes any provision of this section is guilty of an offence and liable

a) par procédure sommaire, une amende maximale de 200 000 $ et un emprisonnement maximal de six mois, ou l’une de ces peines;

(a) on summary conviction, to a fine of not more than $200,000 or to imprisonment for a term of not more than six months, or to both; or

b) par mise en accusation, une amende maximale de 500 000 $ et un emprisonnement maximal de trois ans, ou l’une de ces peines.

(b) on conviction on indictment, to a fine of not more than $500,000 or to imprisonment for a term of not more than three years, or to both.

Homologation des produits antiparasitaires

Registration of Pest Control Products

Demande d’homologation ou de modification d’homologation

Applications for Registration or Amendment

Demande au ministre

Application to Minister

7 (1) Les demandes d’homologation ou de modification d’homologation d’un produit antiparasitaire sont présentées au ministre, selon les modalités qu’il précise, et doivent être accompagnées des renseignements et autres éléments prévus par règlement.

7 (1) An application to register a pest control product or to amend the product’s registration must be made to the Minister in the form and manner directed by the Minister and must include any information or other thing that is required by the regulations to accompany the application.

[…]

[…]

Évaluation du produit

Evaluation of pest control product

(3) Si le ministre est convaincu que la demande a été faite conformément aux paragraphes (1), (2) ou (2.1), il procède :

(3) If the Minister is satisfied that the application has been made in accordance with subsection (1), (2) or (2.1), the Minister shall

a) en conformité avec les éventuels règlements, aux évaluations qu’il juge nécessaires en ce qui concerne la valeur du produit ou les risques sanitaires ou environnementaux qu’il présente;

(a) in accordance with the Regulations, if any, conduct any evaluations that the Minister considers necessary with respect to the health or environmental risks or the value of the pest control product;

b) à l’exécution rapide des évaluations qui concernent un produit antiparasitaire dont il peut raisonnablement prévoir des risques sanitaires ou environnementaux réduits;

(b) expedite evaluations with respect to a pest control product that may reasonably be expected to pose lower health or environmental risks; and

c) s’il y a lieu, aux consultations exigées par l’article 28.

(c) carry out any consultation required by section 28.

[…]

[…]

(7) Lorsqu’il évalue les risques sanitaires et environnementaux d’un produit antiparasitaire et détermine s’ils sont acceptables, le ministre :

(7) In evaluating the health and environmental risks of a pest control product and in determining whether those risks are acceptable, the Minister shall

a) adopte une approche qui s’appuie sur une base scientifique;

(a) apply a scientifically based approach; and

[…]

[…]

Délivrance et modification de l’homologation

Registration or amendment

8 (1) Si, au terme des évaluations et des consultations requises, il conclut que la valeur du produit antiparasitaire ainsi que les risques sanitaires et environnementaux qu’il présente sont acceptables, le ministre homologue le produit ou apporte les modifications demandées, en conformité avec les éventuels règlements, et pour ce faire :

8 (1) If the Minister considers that the health and environmental risks and the value of the pest control product are acceptable after any required evaluations and consultations have been completed, the Minister shall register the product or amend its registration in accordance with the Regulations, if any, by

a) il détermine les conditions relatives à la fabrication, à la manipulation, au stockage, au transport, à l’importation, à l’exportation, à l’emballage, à la distribution, à l’utilisation ou à la disposition du produit, notamment celles relatives à sa composition, et, sous réserve du paragraphe (2), les conditions relatives à son étiquette;

(a) specifying the conditions relating to its manufacture, handling, storage, transport, import, export, packaging, distribution, use or disposition, including conditions relating to its composition, and, subject to subsection (2), the conditions relating to its label;

[…]

[…]

Rejet de la demande

Denial of application

(4) Le ministre rejette la demande visée au paragraphe 7(1) s’il n’arrive pas aux conclusions visées au paragraphe (1).

(4) The Minister shall deny an application referred to in subsection 7(1) if the Minister does not consider that the health or environmental risks of a pest control product are, or its value is, acceptable.

[…]

[…]

Réévaluation et examen spécial

Re-evaluation and Special Review

Réévaluation

Minister’s discretion to initiate re-evaluation

16 (1) Le ministre peut procéder à la réévaluation d’un produit antiparasitaire homologué s’il estime que, depuis son homologation, il y a eu un changement en ce qui touche les renseignements exigés ou la procédure à suivre pour l’évaluation de la valeur des produits de même catégorie ou de même nature ou des risques sanitaires ou environnementaux qu’ils présentent.

16 (1) The Minister may initiate the re-evaluation of a registered pest control product if the Minister considers that, since the product was registered, there has been a change in the information required, or the procedures used, for the evaluation of the health or environmental risks or the value of pest control products of the same class or kind.

[…]

[…]

Approche scientifique

Scientific approach

19 (2) Lorsqu’il évalue les risques sanitaires et environnementaux d’un produit antiparasitaire et détermine s’ils sont acceptables, le ministre :

19 (2) In evaluating the health and environmental risks of a pest control product and in determining whether those risks are acceptable, the Minister shall

a) adopte une approche qui s’appuie sur une base scientifique;

(a) apply a scientifically based approach; and

b) à l’égard des risques sanitaires :

(b) in relation to health risks,

(i) prend notamment en considération les renseignements disponibles sur l’exposition globale au produit antiparasitaire, soit l’exposition alimentaire et l’exposition d’autres sources ne provenant pas du milieu de travail, notamment l’eau potable et l’utilisation du produit dans les maisons et les écoles et autour de celles-ci, ainsi que les effets cumulatifs du produit antiparasitaire et d’autres produits antiparasitaires ayant un mécanisme de toxicité commun,

(i) among other relevant factors, consider available information on aggregate exposure to the pest control product, namely dietary exposure and exposure from other non-occupational sources, including drinking water and use in and around homes and schools, and cumulative effects of the pest control product and other pest control products that have a common mechanism of toxicity,

(ii) applique des marges de sécurité appropriées pour prendre notamment en compte l’utilisation de données d’expérimentation sur les animaux et les différentes sensibilités aux produits antiparasitaires des principaux sous-groupes identifiables, notamment les femmes enceintes, les nourrissons, les enfants, les femmes et les personnes âgées,

(ii) apply appropriate margins of safety to take into account, among other relevant factors, the use of animal experimentation data and the different sensitivities to pest control products of major identifiable subgroups, including pregnant women, infants, children, women and seniors, and

(iii) dans le cas d’un effet de seuil et si le produit est utilisé dans les maisons ou les écoles ou autour de celles-ci, applique une marge de sécurité supérieure de dix fois à celle qui serait autrement applicable en vertu du sous-alinéa (ii) relativement à cet effet de seuil pour tenir compte de la toxicité prénatale et postnatale potentielle et du degré de complétude des données d’exposition et de toxicité relatives aux nourrissons et aux enfants, à moins que, sur la base de données scientifiques fiables, il ait jugé qu’une marge de sécurité différente conviendrait mieux.

(iii) in the case of a threshold effect, if the product is used in or around homes or schools, apply a margin of safety that is ten times greater than the margin of safety that would otherwise be applicable under subparagraph (ii) in respect of that threshold effect, to take into account potential pre- and post-natal toxicity and completeness of the data with respect to the exposure of, and toxicity to, infants and children, unless, on the basis of reliable scientific data, the Minister has determined that a different margin of safety would be appropriate.

[…]

[…]

Révocation ou modification

Cancellation or amendment

20 (1) Le ministre peut révoquer l’homologation ou la modifier dans les cas suivants :

20 (1) The Minister may cancel or amend the registration of a pest control product if

a) le titulaire ne satisfait pas à une des exigences posées par les paragraphes 16(3) ou 18(1) ou l’alinéa 19(1)a);

(a) the registrant fails to satisfy a requirement under subsection 16(3) or 18(1) or paragraph 19(1)(a); or

b) le ministre a des motifs raisonnables de croire que ces mesures sont nécessaires, dans le cadre du processus de réévaluation ou d’examen spécial, pour régler une situation qui présente un danger pour la santé ou la sécurité humaines ou pour l’environnement, en prenant en compte le principe de prudence.

(b) in the course of a re-evaluation or special review, the Minister has reasonable grounds to believe that the cancellation or amendment is necessary to deal with a situation that endangers human health or safety or the environment, taking into account the precautionary principle set out in subsection (2).

Principe de prudence

Precautionary principle

(2) En cas de risques de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard la prise de mesures rentables visant à prévenir toute conséquence néfaste pour la santé ou la dégradation de l’environnement.

(2) Where there are threats of serious or irreversible damage, lack of full scientific certainty shall not be used as a reason for postponing cost-effective measures to prevent adverse health impact or environmental degradation.

[…]

[…]

Confirmation

Confirmation

21 (1) Si, au terme des évaluations et des consultations requises, il conclut que la valeur du produit antiparasitaire et les risques sanitaires et environnementaux qu’il présente sont acceptables, le ministre confirme l’homologation.

21 (1) If the Minister considers that the health and environmental risks and the value of a pest control product are acceptable after any required evaluations and consultations have been completed, the Minister shall confirm the registration.

Modification ou révocation

Amendment or cancellation

(2) Dans le cas où il n’arrive pas à cette conclusion, le ministre modifie l’homologation s’il estime qu’à la suite de la modification la valeur du produit et les risques sanitaires et environnementaux qu’il présente seraient acceptables, ou il la révoque.

(2) If the Minister does not consider that the health or environmental risks or value of a pest control product are acceptable, the Minister shall

[En blanc]

(a) amend the registration if the Minister considers that the health and environmental risks and value of the product would be acceptable after the amendment; or

[En blanc]

(b) cancel the registration.

Report de la modification ou de la révocation

Delay of effective date

(3) Le ministre peut différer la modification ou la révocation de l’homologation lorsqu’il n’existe aucune solution de rechange satisfaisante à l’utilisation du produit antiparasitaire et qu’il juge que la valeur du produit et les risques sanitaires et environnementaux qu’il présente sont, jusqu’à la date de modification ou de révocation, acceptables.

(3) The Minister may delay the effective date of the amendment or cancellation if

 

(a) no suitable alternative to the use of the pest control product is available; and

 

(b) the Minister considers that the health and environmental risks and value of the product are acceptable until the effective date of the amendment or cancellation.

[…]

[…]

Produits existant à la date de révocation

Continued possession, etc., of existing stocks

(5) Lorsqu’il révoque l’homologation, en application du présent article ou de toute autre disposition de la présente loi, le ministre peut :

(5) When cancelling the registration of a pest control product under this section or any other provision of this Act, the Minister may

a) soit, aux conditions qu’il estime nécessaires pour l’application de la présente loi — notamment quant à la façon d’éliminer le produit — autoriser que se poursuivent la possession, la manipulation, le stockage, la distribution ou l’utilisation des stocks du produit se trouvant au Canada à la date de la révocation;

(a) allow the continued possession, handling, storage, distribution and use of stocks of the product in Canada at the time of cancellation, subject to any conditions, including disposal procedures, that the Minister considers necessary for carrying out the purposes of this Act;

b) soit obliger le titulaire à faire le rappel du produit et à procéder à sa disposition de la manière qu’il précise;

(b) require the registrant to recall and dispose of the product in a manner specified by the Minister; or

c) soit confisquer le produit et procéder à sa disposition.

(c) seize and dispose of the product.

[…]

[…]

Consultation publique

Minister to consult

28 (1) Le ministre consulte le public et les ministères et organismes publics fédéraux et provinciaux dont les intérêts et préoccupations sont en jeu avant de prendre une décision concernant :

28 (1) The Minister shall consult the public and federal and provincial government departments and agencies whose interests and concerns are affected by the federal regulatory system before making a decision

a) l’acceptation ou le rejet :

(a) to grant or deny an application

(i) d’une demande d’homologation d’un produit antiparasitaire qui est ou contient un principe actif non homologué,

(i) to register a pest control product that is or contains an unregistered active ingredient, or

(ii) d’une demande d’homologation ou de modification de l’homologation d’un produit antiparasitaire, s’il est d’avis que l’homologation ou sa modification risque d’augmenter sensiblement les risques sanitaires ou environnementaux;

(ii) to register, or amend the registration of, a pest control product if the Minister considers that registration or amendment of the registration may result in significantly increased health or environmental risks;

b) l’homologation d’un produit après une réévaluation ou un examen spécial;

(b) about the registration of a pest control product on completion of a re-evaluation or special review; or

c) toute autre question, s’il juge qu’il est dans l’intérêt public de tenir une telle consultation.

(c) about any other matter if the Minister considers it in the public interest to do so.

[…]

[…]

Mesures pour faire observer la loi

Compliance Measures

Mesures requises par l’inspecteur

Inspector may order measures

57 (1) S’il a des motifs raisonnables de croire qu’il y a eu contravention à la présente loi ou aux règlements, l’inspecteur peut ordonner au contrevenant :

57 (1) If an inspector has reasonable grounds to believe that a person has contravened this Act or the regulations, he or she may order the person

a) d’une part, d’arrêter ou de cesser les activités ou choses qui font l’objet de la contravention;

(a) to stop or shut down any activity or thing involved in the contravention; and

b) d’autre part, de prendre les correctifs qui, à son avis, sont nécessaires pour prévenir toute récidive, notamment :

(b) to take any other measures that the inspector considers necessary to prevent further contravention, including

(i) modifier un produit antiparasitaire ou son étiquetage, ou en disposer, de façon à se conformer à la présente loi ou aux règlements,

(i) modifying a pest control product or its labelling or disposing of the product so as to comply with this Act and the regulations, and

(ii) fabriquer, manipuler, stocker, transporter, importer, exporter, emballer, étiqueter, distribuer ou utiliser un produit homologué en conformité avec les conditions d’homologation.

(ii) manufacturing, handling, storing, transporting, importing, exporting, packaging, labelling, distributing or using a registered pest control product in accordance with the conditions of registration.

[…]

[…]

Disculpation — précautions voulues

Due diligence

69.1 Nul ne peut être déclaré coupable d’une infraction prévue par la présente loi — autre qu’une infraction prévue à l’article 30 ou aux paragraphes 33(8), 40(1) ou 44(7), une infraction prévue au paragraphe 47(4) en ce qui concerne une contravention au paragraphe 47(3) ou une infraction prévue aux paragraphes 68(3) ou 70(3) — s’il prouve qu’il a pris toutes les précautions voulues pour prévenir sa perpétration.

69.1 A person is not to be found guilty of an offence under this Act — other than an offence under section 30 or subsection 33(8), 40(1) or 44(7), an offence under subsection 47(4) as it relates to a contravention of subsection 47(3) or an offence under subsection 68(3) or 70(3) — if they establish that they exercised all due diligence to prevent the commission of the offence.

[Blank]

[Blank]

Règlement sur les produits antiparasitaires, DORS/2006-124

Pest Control Products Regulations, SOR/2006-124

Demande d’homologation

Application for Registration

Copie électronique de l’étiquette

Electronic copy of label

6 (2) Le demandeur joint à la demande d’homologation une copie électronique de l’étiquette proposée pour le produit antiparasitaire. Il fait de même pour la demande de modification d’homologation, si celle-ci entraîne une modification de l’étiquette.

6 (2) The applicant must include an electronic copy of the proposed label with every application to register a pest control product and with any application to amend the registration of a pest control product that would result in a change to the label.

[Blank]

[Blank]

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106

Federal Courts Rules, SOR/98-106

Contenu

Content of affidavits

81 (1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête – autre qu’une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire – auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui.

81 (1) Affidavits shall be confined to facts within the deponent’s personal knowledge except on motions, other than motions for summary judgment or summary trial, in which statements as to the deponent’s belief, with the grounds for it, may be included.

Poids de l’affidavit

Affidavits on belief

(2) Lorsqu’un affidavit contient des déclarations fondées sur ce que croit le déclarant, le fait de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels peut donner lieu à des conclusions défavorables.

(2) Where an affidavit is made on belief, an adverse inference may be drawn from the failure of a party to provide evidence of persons having personal knowledge of material facts.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-784-19

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les demandeurs paieront au défendeur, Syngenta Canada Inc., des dépens de 2 000 $, tout compris, relativement à la requête qu’ils ont déposée en vue faire radier l’affidavit de Mme Tout.

  3. Les demandeurs paieront également des dépens liés à la présente demande de contrôle judiciaire de 8 000 $, tout compris, répartis comme suit :

  1. 4 000 $ à la défenderesse, Syngenta Canada Inc., et

  2. 4 000 $ au défendeur, le ministre de la Santé.

 « Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-784-19

INTITULÉ :

FONDATION DAVID SUZUKI, LES AMI(E)S DE LA TERRE CANADA, ÉQUITERRE ET LE WILDERNESS COMMITTEE C LE MINISTRE DE LA SANTÉ, SYNGENTA CANADA ET CROPLIFE CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 5 ET 6 DÉCEMBRE 2019

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 18 DÉCEMBRE 2019

COMPARUTIONS :

Robert Wright

Sue Tan

POUR LES DEMANDEURS

Andrea Bourke

Karen Lovell

POUR LES DÉFENDEURS

(représentant le ministre de la Santé)

John P. Brown

Stephanie Sugar

 

POUR LES DÉFENDEURS

(représentant Syngenta Canada Inc.)

Martin Masse

Benedict Wray

POUR L’INTERVENANTE

(représentant CropLife Canada)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ecojustice

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

(représentant le ministre de la Santé)

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

(représentant Syngenta Canada Inc.)

Norton Rose Fulbright

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTERVENANTE

(représentant CropLife Canada)

 

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