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Date : 20191218


Dossier : IMM‑2288‑19

Référence : 2019 CF 1630

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Winnipeg (Manitoba), le 18 décembre 2019

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

KULDEEP KAUR POONI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse est une citoyenne de l’Inde. Elle a demandé un permis de travail dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires après qu’on lui eut offert un emploi de gardienne d’enfants au Canada. 

[2]  Après une entrevue, un agent d’immigration du haut‑commissariat du Canada en Inde a rejeté sa demande. L’agent a conclu que la demanderesse n’était pas en mesure d’exercer un emploi de gardienne d’enfants au Canada et a exprimé des préoccupations en ce qui concerne son incapacité à comprendre ou même à dire des phrases simples en anglais, à comprendre des termes liés aux problèmes touchant les enfants, et à décrire les mesures à prendre pour gérer ces problèmes.

[3]  La demanderesse sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. La demanderesse soulève deux questions :

  1. L’agent a‑t‑il entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en exigeant une note d’au moins 5,5 à l’examen du Système international de tests de la langue anglaise [IELTS]?

  2. L’agent a‑t‑il rejeté de façon déraisonnable la demande parce que la demanderesse ne répondait pas à une exigence linguistique minimale?

[4]  Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincu que l’agent a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ou que la décision est déraisonnable. La demande est rejetée.

II.  Norme de contrôle

[5]  La jurisprudence n’est pas tout à fait constante en ce qui a trait à la norme de contrôle à appliquer lorsqu’il est allégué qu’un décideur administratif a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Les parties sont d’avis que l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire soulève une question d’équité qui est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Dans l’arrêt Stemijon Investments Ltd. c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, au par. 24 [Stemijon], le juge Stratus a conclu que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable, mais il a toutefois déclaré ce qui suit : « Une décision qui découle d’un pouvoir discrétionnaire limité est être [sic] en soi déraisonnable ». Lorsque j’examinerai les observations au sujet de l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire, j’appliquerai la norme de la décision raisonnable, tel qu’il a été établi dans l’arrêt Stemijon.

[6]  La deuxième question concernant la décision de rejeter la demande est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Akomolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 472, au par. 9). La norme de la décision raisonnable est empreinte de déférence. Une cour de révision doit se demander si (1) le processus décisionnel tient compte des éléments de justification, de transparence et d’intelligibilité et si (2) la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Lorsqu’une cour de révision examine une décision selon la norme de la décision raisonnable, elle reconnaît que son rôle n’est pas de soupeser ou d’apprécier à nouveau la preuve et qu’il peut y avoir différentes issues raisonnables (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47, Grewal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 627, au par. 22).

III.  Analyse

A.  L’agent a‑t‑il entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en exigeant une note d’au moins 5,5 à l’examen de l’IELTS?

[7]  Je ne suis pas convaincu que l’agent a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en rejetant la demande.

[8]  La demanderesse a obtenu une note de 4,5 à l’examen de l’IELTS. Le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR] n’exige pas l’obtention d’une note minimale à l’examen de l’IELTS (RIPR, à l’al. 200(3)(a)).

[9]  Dans son affidavit, la demanderesse a mentionné que l’agent lui avait dit qu’elle devait obtenir une note de 5,5 à l’examen de l’IELTS. Elle avait également noté ce renseignement pendant qu’elle discutait avec sa sœur qui vit au Canada le lendemain de son entrevue. La demanderesse soutient que l’agent a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en exigeant une note minimale, ce qui justifie l’intervention de la Cour.

[10]  L’agent a souscrit un affidavit dans la présente instance et a été contre‑interrogé par l’avocat de la demanderesse. Dans son affidavit, l’agent a déclaré qu’il ne se souvient pas d’avoir mentionné que la demanderesse devait obtenir une note minimale à l’examen de l’IELTS. Pendant son contre‑interrogatoire, il a reconnu qu’il n’avait aucun souvenir précis sur ce point. Cependant, en s’appuyant sur ses huit années d’expérience et sur la procédure qu’il suit normalement lorsqu’il mène des entrevues pour l’obtention d’un visa, et sachant qu’aucune note minimale à l’examen de l’IELTS n’est exigée et que, par le passé, il a approuvé des demandes de visa alors que la note du demandeur à l’examen de l’IELTS était faible et qu’il a rejeté des demandes de visa alors que la note du demandeur à l’examen de l’IELTS était élevée, il a affirmé qu’il est convaincu qu’il n’avait pas dit qu’une note minimale était exigée.

[11]  La preuve sur ce point n’est pas uniforme. Je constate que la demanderesse a une connaissance limitée de l’anglais. Je constate également que le témoignage de l’agent concernant sa façon de procéder n’a pas été contesté et je reconnais que cette preuve est probante même si elle est circonstancielle (Ronald Joseph Delisle et al., Evidence: Principles and Problems, à la page 209 (Toronto : Thompson Reuters, 2018)). Dans les circonstances, je choisis de retenir le témoignage de l’agent.

[12]  Même si j’acceptais le témoignage de la demanderesse, la décision et les notes à l’appui ne m’amènent pas à conclure que l’agent a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Selon les notes à l’appui, la demanderesse avait obtenu une note faible à l’examen de l’IELTS. L’agent a ensuite évalué son expérience et ses compétences. Il lui aurait été inutile de procéder ainsi s’il avait conclu, comme il a été allégué, que la demanderesse n’avait pas obtenu une note minimale à l’examen de l’IELTS.

B.  L’agent a rejeté de façon déraisonnable la demande parce que la demanderesse ne répondait pas à une exigence linguistique minimale.

[13]  Les circonstances dans lesquelles un agent ne doit pas délivrer un permis de travail sont énoncées au paragraphe 200(3) du RIPR. En l’espèce, l’agent s’est appuyé sur l’alinéa a), qui est ainsi libellé :

Exceptions

(3) Le permis de travail ne peut être délivré à l’étranger dans les cas suivants :

a) l’agent a des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé;

[…]

Exceptions

(3) An officer shall not issue a work permit to a foreign national if

(a) there are reasonable grounds to believe that the foreign national is unable to perform the work sought;

 

 

[…]

[14]  La demanderesse soutient qu’en concluant qu’elle n’était pas en mesure d’exercer un emploi de gardienne d’enfants, l’agent n’a pas évalué ses compétences linguistiques en tenant compte des circonstances dans lesquelles elle exercerait l’emploi qui lui avait été offert, qui consistait à garder des enfants dans une famille parlant le pendjabi pour un employeur qui était membre de sa famille élargie.

[15]  La demanderesse fait remarquer qu’elle est une infirmière diplômée, qu’elle a suivi un cours d’aide familial résidant, et qu’elle a de l’expérience de travail auprès des enfants. Elle soutient que ses réponses aux questions de l’agent démontrent qu’elle est capable de demander de l’aide en anglais en cas d’urgence impliquant un enfant, et ce, même si son anglais n’est pas parfait. Elle affirme que le fait que l’agent se soit demandé si elle possédait un niveau de compétences linguistiques particulier en anglais n’était rationnellement pas lié à sa capacité d’exercer l’emploi en question.

[16]  Il ne fait aucun doute que la décision de l’agent soulève des préoccupations en ce qui a trait aux compétences linguistiques de la demanderesse en anglais. Cependant, je ne crois pas que sa décision soit fondée sur le fait qu’elle ne possède pas le niveau de compétences linguistiques nécessaire pour fonctionner en anglais comme il a été allégué. La décision démontre plutôt que l’agent avait des inquiétudes à propos de la capacité de la demanderesse à exercer le travail de gardienne d’enfants pour diverses raisons, dont ses compétences linguistiques en anglais.

[17]  L’agent a soulevé les préoccupations suivantes : (1) la demanderesse a eu de la difficulté à comprendre la plupart des questions et à y répondre; (2) la plupart des questions ont dû être répétées et traduites en pendjabi avant que la demanderesse puisse dire quelques mots en anglais ou répondre en pendjabi; (3) la demanderesse n’avait aucune expérience de travail à titre d’infirmière; (4) son expérience à titre d’enseignante se limitait à deux ou trois mois; (5) la demanderesse a été incapable de répondre à des questions sur la gestion d’urgences; (6) la demanderesse a été incapable de répondre à des questions sur les symptômes d’affections bénignes; (7) la demanderesse ne comprenait pas ce qu’est la violence faite aux enfants ou ce qui constituait des signes de ce type de violence.

[18]  Contrairement à la situation dans l’affaire Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 782, l’agent a décrit ses préoccupations, qui était liées à sa conclusion selon laquelle il [traduction] « n’était pas convaincu qu’elle était capable d’exercer ses fonctions dans un environnement non supervisé au Canada ». Enfin, la demanderesse a eu l’occasion de répondre aux préoccupations de l’agent.

[19]  L’agent s’est appuyé sur l’effet cumulatif des préoccupations qu’il avait soulevées pour arriver raisonnablement à la conclusion qu’il a tirée. Comme il a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle serait capable d’exercer l’emploi qui lui avait été offert, le paragraphe 200(3) du RIPR exigeait qu’il ne délivre pas de visa. 

IV.  Conclusion

[20]  La demande est rejetée. Les parties n’ont pas relevé de question grave de portée générale aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑2288‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 24e jour de décembre 2019

Caroline Tardif, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM‑2288‑19

 

INTITULÉ :

KULDEEP KAUR POONI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 17 décembre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge GLEESON

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

 

Le 18 décembre 2019

 

COMPARUTIONS :

David H. Davis

 

pour la demanderesse

 

David Grohmueller

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davis Immigration Law Office

Avocat et notaire

Winnipeg (Manitoba)

 

pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR le défendeur

 

 

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