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Date : 20191217


Dossier : T-2015-18

Référence : 2019 CF 1611

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 17 décembre 2019

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

VALENTINA HRISTOVA

demanderesse

et

CMA CGM (CANADA) INC.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La décision de l’arbitre en ressources humaines en cause dans la présente demande de contrôle judiciaire met à l’épreuve les limites de ce qui peut être considéré comme des motifs suffisamment adéquats pour permettre à une cour de révision d’évaluer le caractère raisonnable d’une décision. Même si les motifs de la décision comportaient 252 paragraphes sur 87 pages, toute la décision, mis à part quelques paragraphes, n’était qu’une simple reproduction des éléments de preuve et des arguments des parties, souvent mot pour mot.

[2]  Les motifs ne contiennent aucune discussion sur des questions de fait en litige, aucune analyse des règles de droit ou du fardeau de la preuve, et peu d’analyse des éléments de preuve. Ils ne constituent pas, pour le moins, un modèle de rédaction des décisions administratives. Ils sont pratiquement déraisonnablement insuffisants. Cependant, après avoir examiné les motifs dans le contexte du dossier et de l’affaire telle qu’elle a été présentée, je conclus qu’ils sont suffisants pour satisfaire aux exigences juridiques minimales pour les motifs de décision : de comprendre le fondement de la décision de l’arbitre et de permettre à la Cour de déterminer si la conclusion fait partie des issues acceptables. L’arbitre a tiré une conclusion claire sur la crédibilité des témoins – une question centrale et largement déterminante de la plainte dont il était saisi – et il a tiré des conclusions subséquentes justifiant une conclusion selon laquelle le congédiement en cause était justifié.

[3]  Je conclus donc que la décision n’est pas déraisonnable faute de motifs suffisants. La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

II.  Question en litige : le caractère suffisant des motifs de l’arbitre

[4]  Mme Valentina Hristova a été congédiée par son employeur, CMA CGM (Canada) Inc., après six années de service où elle a commencé comme représentante du service à la clientèle et a évolué pour occuper le poste de gestionnaire des dossiers du service de conteneurs frigorifiques. CMA CGM a fondé le congédiement sur la conduite et l’attitude grossières et irrespectueuses de Mme Hristova envers ses collègues et superviseurs, qui ont conduit à la remise par une subordonnée de sa démission en raison de problèmes de santé liés au stress causés par Mme Hristova. CMA CGM a mentionné des violations de sa politique en matière de harcèlement et de son code de conduite, et a fait référence à des tentatives infructueuses sur plusieurs années pour essayer de changer ce comportement.

[5]  Mme Hristova a jugé le congédiement injuste et a déposé plainte au titre de la section XIV du Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2. Mme Hristova croyait que les motifs du congédiement avaient été fabriqués pour dissimuler le souhait d’une nouvelle gestionnaire de se débarrasser d’elle. Se représentant elle-même devant l’arbitre, elle a nié les allégations de CMA CGM et a accusé les témoins de la société de mentir, tout en soulignant ses évaluations d’emploi positives, ses promotions et l’absence de mesures disciplinaires progressives ou d’avertissements.

[6]  Après six jours d’audience ainsi que des éléments de preuve et des observations écrites, l’arbitre nommé a rejeté la plainte de Mme Hristova. L’exposé des motifs de la décision consistait principalement dans la présentation en détail des éléments de preuve et des arguments de chaque partie, sans analyse ni commentaire de fond. Puis, en quelques courts paragraphes, l’arbitre : i) a tiré des conclusions sur la crédibilité en faveur de CMA CGM; ii) a conclu que le comportement de Mme Hristova constituait du harcèlement et de l’insubordination; iii) a conclu que CMA CGM n’avait d’autre choix que de congédier Mme Hristova, car sa conviction qu’elle ne changerait pas de comportement était bien fondée; et iv) a rejeté la plainte pour congédiement injuste.

[7]  Outre une brève introduction procédurale, les premiers 248 paragraphes et 84 pages de la sentence étaient constitués d’une répétition textuelle ou d’un résumé des éléments de preuve et des arguments des parties. Ces documents comprenaient :

  • - une reproduction intégrale des déclarations assermentées de deux employés de CMA CGM;

  • - des résumés des témoignages de cinq autres employés ou anciens employés de CMA CGM;

  • - un résumé en deux paragraphes du témoignage initial de Mme Hristova, suivi de ce long titre descriptif :

[traduction]

8.  COMME LA DÉFENSE DE LA DEMANDERESSE PROGRESSAIT TRÈS LENTEMENT ET ÉTAIT LABORIEUSE, IL A ÉTÉ DISCUTÉ ENTRE LA DEMANDERESSE, L’AVOCAT DE L’EMPLOYEUR ET L’ARBITRE SOUSSIGNÉ QUE LA DEMANDERESSE POUVAIT PRÉSENTER SA DÉFENSE PAR ÉCRIT. LA DEMANDERESSE ET L’AVOCAT DE L’EMPLOYEUR ONT CONVENU DE CETTE PROCÉDURE PAR COURRIELS. IL A ÉTÉ CONVENU QUE LA DEMANDERESSE AURAIT JUSQU’À UN MOIS POUR ENVOYER SA DÉFENSE ÉCRITE À L’AVOCAT DE L’EMPLOYEUR ET À L’ARBITRE SOUSSIGNÉ

  • - une reproduction de la quasi-totalité du témoignage écrit ultérieur de Mme Hristova, modifié uniquement pour supprimer les titres, les dates et les références des pièces (d’après mon examen, un seul paragraphe du témoignage écrit de Mme Hristova n’était pas inclus dans cette reproduction, ce qui semble avoir été un simple oubli);

  • - une reproduction de toutes les observations écrites de CMA CGM, qui semblent avoir été une forme d’aide à l’argumentation des observations orales à la fin de l’audience;

  • - une reproduction de toutes les observations finales de Mme Hristova, qui ont été présentées par écrit après la clôture de l’audience.

[8]  Après cette longue répétition de la preuve et des arguments, l’arbitre a procédé à l’analyse de l’affaire dont il avait été saisi. Étant donné sa brièveté et son importance pour cette demande de contrôle judiciaire, je l’expose dans son intégralité :
[traduction]

DÉCISION

[249]  Après examen des témoignages et des documents déposés, après avoir considéré les positions de chacune des parties à cette plainte, après avoir examiné la doctrine et la jurisprudence et après avoir dûment examiné la question :

[250]  Je conclus :

1.  Que tous les témoins de l’employeur ont fait, sous serment, des déclarations crédibles et cohérentes. Bon nombre de ces déclarations sont en grande partie corroborées par d’autres témoins et beaucoup reposent sur des documents écrits;

2.  Que la défense du demandeur consiste en une négation globale de tout acte répréhensible et en des accusations selon lesquelles tous les témoins de l’employeur ont menti sous serment et soutenant que certains documents ont été fabriqués. Les accusations ont atteint leur paroxysme lorsque la demanderesse écrit : [traduction] « Romain a menti lorsqu’il a déclaré que mon travail était “impeccable” ». (Paragraphe 121);

[251]  J’EN ARRIVE DONC À LA CONCLUSION SUIVANTE :

1.  Que le comportement de la demanderesse envers Mme Cagno et Mme Squires constituait du harcèlement;

2.  Que le comportement de la demanderesse envers Mme Schaff et Mme Squires constituait de l’insubordination;

3.  Que, même lorsqu’elle a été avertie à plusieurs reprises verbalement ou par écrit par ses supérieurs, la demanderesse n’a pas modifié son comportement et son attitude grossière parce qu’elle n’a jamais reconnu de harcèlement ou  d’attitude grossière de sa part;

4.  Que l’employeur était en droit de croire qu’aucun changement du comportement de la demanderesse ne surviendrait un jour et qu’en raison de toutes les circonstances, l’employeur n’avait d’autre choix que de mettre fin à l’emploi de la demanderesse;

[252]  EN CONSÉQUENCE :

JE DÉCIDE CE QUI SUIT :  La plainte de congédiement injuste allégué de la demanderesse (YM 2007-10876) est rejetée.

[9]  La seule question soulevée par Mme Hristova dans cette demande est de savoir si les motifs de l’arbitre sont insuffisants pour étayer une décision raisonnable.

III.  Cadre analytique : Motifs, déférence, suffisance et raisonnabilité

[10]  Il n’est pas contesté que l’arbitre était tenu de fournir les motifs de sa décision. Cette obligation est énoncée au paragraphe 242(3) du Code canadien du travail. Au moment de la décision, cet article exigeait qu’un arbitre saisi d’une plainte de congédiement injuste rende une décision et envoie une copie de la décision, « motifs à l’appui », aux parties et au ministre du Travail :

Décision de l’arbitre

Decision of adjudicator

(3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l’arbitre :

(3) Subject to subsection (3.1), an adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1) shall

a) décide si le congédiement était injuste;

(a) consider whether the dismissal of the person who made the complaint was unjust and render a decision thereon; and

b) transmet une copie de sa décision, motifs à l’appui, à chaque partie ainsi qu’au ministre.

(b) send a copy of the decision with the reasons therefor to each party to the complaint and to the Minister

[11]  L’article 243 du Code canadien du travail contient une clause privative indiquant que les ordonnances de l’arbitre à l’égard d’une plainte pour congédiement injuste sont « définitives et non susceptibles de recours judiciaires ». Pour éviter tout doute supplémentaire, il indique également « [qu’i]l n’est admis aucun recours ou décision judiciaire — notamment par voie d’injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto — visant à contester, réviser, empêcher ou limiter » l’action de l’arbitre. Sans écarter la compétence en matière de contrôle judiciaire de la Cour, cet indicateur appréciable de la volonté du législateur relativement à une déférence renforce l’applicabilité de la norme de contrôle de la décision raisonnable : Transport Dessaults inc. c Arel, 2019 CF 8 aux para 17 à 20; Caron Transport Ltd c Williams, 2018 CF 206 au para 24; Payne c Banque de Montréal, 2013 CAF 33 aux para 32-34, 81.

[12]  Je note en passant que les modifications au Code canadien du travail qui sont récemment entrées en vigueur confèrent désormais la responsabilité de juger les plaintes de congédiement injuste au Conseil canadien des relations industrielles plutôt qu’aux arbitres désignés. Cependant, l’obligation de donner les motifs et la clause privative demeurent les mêmes : Loi no 1 d’exécution du budget de 2017, LC 2017, c 20, art 354(2); Code canadien du travail, arts 242-243.

[13]  En l’espèce, l’arbitre a donné les motifs de sa décision. La question en litige est de savoir si ces motifs sont suffisants ou adéquats. La démarche appropriée pour le contrôle judiciaire de cette question a été établie par la juge Abella, rédigeant le jugement unanime de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses]. Les paragraphes 14 et 22 de cette décision sont particulièrement instructifs :

Je ne suis pas d’avis que, considéré dans son ensemble, l’arrêt Dunsmuir [c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9] signifie que l’« insuffisance » des motifs permet à elle seule de casser une décision, ou que les cours de révision doivent effectuer deux analyses distinctes, l’une portant sur les motifs et l’autre, sur le résultat[.]  Il s’agit d’un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. Il me semble que c’est ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir en invitant les cours de révision à se demander si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » (par. 47).

[…]

Le manquement à une obligation d’équité procédurale constitue certes une erreur de droit. Or, en l’absence de motifs dans des circonstances où ils s’imposent, il n’y a rien à contrôler. Cependant, dans les cas où, comme en l’espèce, il y en a, on ne saurait conclure à un tel manquement. Le raisonnement qui sous‑tend la décision/le résultat ne peut donc être remis en question que dans le cadre de l’analyse du caractère raisonnable de celle‑ci.

[Je souligne; en italiques dans l’original; renvois omis.]

[14]  La Cour suprême a fait sienne l’observation de M. David Dyzenhaus selon laquelle lors de cet examen du caractère raisonnable, « même si les motifs qui ont en fait été donnés ne semblent pas tout à fait convenables pour étayer la décision, la cour de justice doit d’abord chercher à les compléter avant de tenter de les contrecarrer » : Newfoundland Nurses au para 12 [Souligné dans l’original]. L’arrêt Newfoundland Nurses indique également que la cour de justice ne doit pas substituer ses propres motifs à ceux du décideur, mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, « examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat » : Newfoundland Nurses au para 15. En même temps, je note la reconnaissance presque simultanée de la Cour suprême que la déférence ne confère pas à la cour de justice le « pouvoir absolu » de réécrire la décision du décideur : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 au para 54, citant le juge Groberman dans l’arrêt Petro-Canada v British Columbia (Workers’ Compensation Board), 2009 BCCA 396 au para 56.

[15]  Comme l’a souligné Mme Hristova, le juge Stratas de la Cour d’appel fédérale a discuté des objectifs des motifs dans la prise de décisions administratives dans l’arrêt Administration de l’aéroport international de Vancouver c Alliance de la fonction publique du Canada, 2010 CAF 158 aux para 11-18 [AAIV]. Le juge Stratas a mentionné et abordé l’objectif sur le plan du fond, de la procédure, de la responsabilité judiciaire et de la « justification, de la transparence et de l’intelligibilité » des motifs, en soulignant que le caractère suffisant doit être évalué au regard de ces quatre objectifs : AAIV aux para 11, 16. Toutefois, dans Newfoundland Nurses, la Cour suprême a établi que l’exigence de motifs suffisants est satisfaite si les motifs permettent à la Cour i) de comprendre le fondement de la décision du tribunal; et ii) de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables : Newfoundland Nurses au para 16.

[16]  Bien que cette norme soit modeste, elle garantit que les décisions administratives satisfont aux exigences de base minimales afin de communiquer à la fois le résultat et la raison pour laquelle la décision a été prise, et renforce le mandat de surveillance limité dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Il y a lieu néanmoins de reprendre l’observation de la Cour d’appel fédérale, toujours dans les termes du juge Stratas, selon laquelle les meilleurs décideurs administratifs vont au-delà de la norme minimale et s’efforcent de remplir les autres objectifs des motifs de décision énoncés dans AAIV : Maple Lodge Farms Ltd c Canada (Agence d’inspection des aliments), 2017 CAF 45, au para 28; AAIV aux para 11-18.

[17]  Enfin, je note qu’en examinant la suffisance des motifs en tant qu’aspect du caractère raisonnable, il y a lieu de reconnaître que le caractère raisonnable « s’adapte au contexte » : Wilson c Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29 aux para 22, 73. Les motifs qui peuvent être suffisants pour satisfaire à la norme de l’arrêt Newfoundland Nurses dans un contexte peuvent ne pas être suffisants dans un autre. Le contexte actuel est celui des relations de travail, domaine dans lequel l’expertise, la volonté du législateur à une déférence et l’importance d’un processus décisionnel efficace et final permettent tous de donner une large latitude aux arbitres dans leur raisonnement et la manière dont il est exprimé.

[18]  À l’aide de ces principes directeurs, je passe à une évaluation des motifs donnés par l’arbitre.

IV.  Les motifs de l’arbitre sont peu détaillés, mais suffisants

A.  Comprendre les motifs de la décision de l’arbitre

[19]  La plainte dont était saisi l’arbitre portait sur un congédiement injuste. Il est donc nécessaire d’évaluer toutes les circonstances d’une affaire particulière pour déterminer si la conduite d’un employé a eu pour effet de rompre la relation employeur‑employé : Payne aux para 44-48. Comme CMA CGM l’a reconnu devant l’arbitre et devant notre Cour, c’est à l’employeur qu’il incombe de démontrer que le congédiement était justifié : Wilson au para 51.

[20]  Bien qu’il s’agisse du cadre juridique, l’affaire devant l’arbitre était principalement factuelle. La crédibilité était une question centrale. CMA CGM a allégué que le comportement grossier et irrespectueux de Mme Hristova envers les autres employés était inacceptable et persistant, au point d’obliger une subordonnée, Mme Cagno, à démissionner. Cela comprenait des allégations selon lesquelles Mme Hristova :

  • - a communiqué de façon brutale et agressive avec d’autres employés, notamment Mme Cagno; a refusé de les saluer le matin, a souvent utilisé des insultes telles que [traduction] « idiot » ou [traduction] « enculé »; et a répondu avec rudesse aux demandes de renseignements avec des réponses telles que [traduction] « je n’ai pas le temps pour ça », [traduction] « ne m’envoyez pas de courriels » ou en se retournant sans répondre;

  • - a répondu aux demandes de sa supérieure, Mme Squires, en l’ignorant, en utilisant les termes « fatiguant » ou [traduction] « harcèlement » d’une voix haute et perturbatrice, ou en disant [traduction] « j’ai d’autres choses à faire »;

  • - a microgéré les tâches qui faisaient partie des fonctions de Mme Cagno, y compris exiger des rapports lors de chaque appel avec un client, et a régulièrement changé ses instructions à Mme Cagno concernant les prix relevés;

  • - a fréquemment demandé à Mme Cagno d’accomplir des tâches de Mme Hristova à la dernière minute et n’a pas respecté les heures de travail de Mme Cagno;

  • - a conseillé à Mme Cagno de ne pas être agréable avec les autres employés et de ne pas parler à certains employés, créant ainsi un environnement toxique;

  • - a parlé négativement au sujet d’autres employés, notamment en décrivant l’équipe de vente comme des [traduction] « macaques qui appuient sur des boutons » et en faisant des commentaires désagréables sur les supérieurs ou ceux qui ont autorité dans le bureau;

  • - a supervisé et critiqué le travail et les habitudes de travail des employés d’autres services ne relevant pas d’elle;

  • - est allée à l’encontre d’une méthode de travail mise en œuvre par son supérieur, Mme Schaff, pour calmer la situation avec Mme Cagno, et a continué la microgestion lorsqu’il lui a été demandé de ne pas le faire; et

  • - a refusé de reconnaître toute faute ou responsabilité quant à sa conduite.

[21]  CMA CGM a allégué que ces actions constituaient du harcèlement et allaient à l’encontre de la politique de harcèlement énoncée dans le guide de l’employé de CMA CGM. Cette politique [traduction] « interdit le harcèlement sous toutes ses formes, y compris le harcèlement verbal, physique et visuel », et indique qu’un employé réputé avoir enfreint la politique peut faire l’objet de mesures disciplinaires, pouvant aller jusqu’au congédiement.

[22]  CMA CGM a également allégué que des efforts avaient été déployés pour régler ces problèmes avec Mme Hristova à plusieurs reprises. Des rencontres avec Mme Hristova et Mme Cagno ont notamment eu lieu jusqu’à deux à trois fois par semaine pour résoudre les problèmes et essayer de mettre en œuvre de nouvelles méthodes de travail, auxquelles Mme Hristova s’est opposée. Les problèmes de communication ont également été abordés lors de l’évaluation annuelle de Mme Hristova en mars 2016.

[23]  Des témoignages pour appuyer ces allégations ont été présentés par sept employés ou anciens employés de CMA CGM, dans lesquels il est fait référence à une variété de documents de la même époque, tels que des courriels et des notes de réunions.

[24]  La réponse principale de Mme Hristova à ces allégations n’a pas été d’admettre que la conduite décrite s’était produite mais ne constituait pas du harcèlement, de l’insubordination ou un motif d’un congédiement juste. Elle a plutôt présenté une version très différente des événements et accusé chacun des témoins de CMA CGM de mentir sous serment. Son témoignage, déposé par écrit, était rempli de déclarations selon lesquelles d’autres témoins avaient menti, qu’elle n’avait jamais été grossière ni irrespectueuse, et que les notes de réunions étaient fausses, fabriquées et préparées à une date beaucoup plus tardive que celle indiquée.

[25]  Mme Hristova a également contredit les témoins de CMA CGM en alléguant qu’elle n’avait reçu aucun avertissement et que son licenciement n’était pas dû à une inconduite, mais à des opinions divergentes de son superviseur sur la manière dont l’entreprise du service de conteneurs frigorifiques devait se développer. Dans le même temps, elle a allégué avoir été congédiée [traduction] « au motif qu’une employée [était] stressée et dépassée ». Elle a également allégué que, contrairement au témoignage d’un directeur administratif de CMA CGM responsable de l’embauche des employés, elle n’avait jamais reçu le guide de l’employé de l’entreprise, qui énonçait la politique de harcèlement.

[26]  C’est dans ce contexte que la décision de l’arbitre doit être revue. La crédibilité des différents témoins était cruciale et elle a été rendue cruciale par la manière dont Mme Hristova a présenté son dossier et sa réponse aux éléments de preuve de CMA CGM.

1)  Conclusions au sujet de la crédibilité

[27]  Il ressort clairement du paragraphe 250(1) des motifs de l’arbitre qu’il a admis le témoignage des témoins de CMA CGM. Il a motivé sa décision, notant que leurs déclarations étaient crédibles, cohérentes et corroborées par d’autres témoins et documents. Bien qu’elle ne soit pas détaillée, on peut facilement comprendre à partir de cette déclaration pourquoi l’arbitre a admis le témoignage de ces témoins.

[28]  Mme Hristova note à juste titre que l’arbitre n’a pas explicitement déclaré au paragraphe 250(2) que sa version des événements n’était pas crédible. Il a plutôt noté la nature de la réponse de Mme Hristova comme une [traduction] « négation globale de tout acte répréhensible », accompagnée d’allégations selon lesquelles les autres témoins mentaient, au point qu’elle a même accusé un employé de mentir quand il a décrit son travail comme étant [traduction] « impeccable ».

[29]  Néanmoins, je conclus, après avoir examiné le paragraphe 250 dans son ensemble et cherchant à compléter plutôt qu’à contrecarrer, que l’admission des éléments de preuve de CMA CGM et les commentaires défavorables concernant la position de Mme Hristova constituent un rejet implicite de son témoignage. Compte tenu de la nature des éléments de preuve, des dénégations et des allégations de Mme Hristova selon lesquels les autres témoins mentaient, la version des événements de CMA CGM et celle de Mme Hristova ne peuvent raisonnablement coexister relativement aux questions centrales concernant sa conduite au travail. En l’espèce, l’admission de l’une implique nécessairement le rejet de l’autre.

[30]  Mme Hristova soutient qu’il est impossible de déterminer le raisonnement de l’arbitre concernant le fardeau de la preuve et qu’il existe une confusion apparente entre la crédibilité et le fardeau de la preuve. Mme Hristova note qu’un arbitre doit encore déterminer si un employeur s’est déchargé de son fardeau de démontrer que l’employé a bel et bien commis les actes répréhensibles allégués, et qu’il ne s’agit pas simplement de choisir laquelle des deux versions de la vérité est la plus probable, citant la décision Kirkland Lake (Town) v Canadian Union of Public Employees, Local 26 (Boyce Grievance), [2009] OLAA No 156 (QL), 183 LAC (4th) 74 aux para 28, 29, 38.

[31]  Il y a deux raisons pour lesquelles je n’accepte pas cette observation. Premièrement, le fardeau de la preuve n’a pas été contesté devant l’arbitre. CMA CGM a expressément reconnu dans ses observations qu’elle assumait le fardeau. Comme il est reconnu dans Newfoundland Nurses, il se peut que les motifs ne fassent pas référence à toutes les dispositions législatives ou autres détails que le juge siégeant en révision (ou une partie) aurait voulu y lire, mais cela ne rend pas la décision déraisonnable : Newfoundland Nurses au para 16. De plus, comme la Cour suprême du Canada l’a fait remarquer dans FH c McDougall (une décision citée par l’arbitre dans l’affaire Boyce Grievance), même en l’absence de déclaration expresse de la norme de preuve, il faut présumer que la bonne norme a été appliquée à moins qu’il puisse être démontré qu’elle ne l’a pas été : FH c McDougall, 2008 CSC 53 au para 54. Les conclusions de l’arbitre sur la crédibilité ne révèlent aucune confusion entre la crédibilité et la norme de preuve, et rien dans les motifs ne démontre que le mauvais fardeau a été appliqué.

[32]  Deuxièmement, l’arbitre n’a pas simplement choisi laquelle des deux versions de la vérité était la plus probable. Il a expressément admis le témoignage des employés de CMA CGM, en se fondant sur leur crédibilité. Il a également formulé des commentaires négatifs sur le témoignage de Mme Hristova, le rejetant implicitement. L’arbitre n’a pas alors dit que CMA CGM s’était acquittée de son fardeau de prouver que la conduite avait eu lieu. Cependant, dans les circonstances, cela ne rend pas la décision déraisonnable. Cette conclusion ressort de manière assez claire des conclusions au sujet de la crédibilité formulées dans le contexte de l’affaire telle qu’elle a été présentée.

2)  Conclusions de harcèlement et d’insubordination

[33]  Après avoir tiré cette conclusion sur la question cruciale de la crédibilité, l’arbitre a ensuite conclu que les actes de Mme Hristova constituaient du harcèlement et de l’insubordination. Ce sont des constatations importantes compte tenu des motifs invoqués pour le congédiement. Elles sont présentées par l’arbitre sans analyse juridique ou factuelle, sans discussion sur la politique en matière de harcèlement ou le code de conduite de CMA CGM, et sans discussion sur les décisions citées par CMA CGM comme des situations comparables dans lesquelles du harcèlement a été constaté.

[34]  Malgré cette absence d’analyse qui aiderait à expliquer le raisonnement de l’arbitre aux parties et à la cour de révision, je conclus que dans le contexte de la présente instance, les motifs sont suffisants pour comprendre le fondement de la décision de l’arbitre. Je dis cela pour trois raisons.

[35]  Premièrement, l’affaire dont l’arbitre était saisi a été présentée comme un différend principalement factuel. Bien que cela ne dispense pas l’arbitre d’être convaincu que le congédiement était justifié dans toutes les circonstances, le conflit principal que l’arbitre était appelé à résoudre concernait la version des événements présentée par CMA CGM et celle présentée par Mme Hristova. L’argument de Mme Hristova selon lequel elle ne s’était pas livrée à du harcèlement reposait sur une affirmation selon laquelle elle n’avait jamais été grossière ni irrespectueuse, n’avait pas adopté le comportement allégué et que et les autres témoins mentaient. L’arbitre n’a pas accepté ceci comme une conclusion de fait. Même si Mme Hristova se représentait elle-même, la manière dont elle a présenté sa cause et ses arguments doit être prise en considération pour évaluer le bien-fondé des motifs de l’arbitre.

[36]  Deuxièmement, comme le souligne CMA CGM, il y a un aspect des faits qui parlent pour eux-mêmes dans cette affaire. Ayant admis les faits tels qu’ils ont été présentés par les témoins de CMA CGM, la conclusion selon laquelle le comportement de Mme Hristova constituait du harcèlement envers Mme Cagno et Mme Squires est à tous le moins clairement compréhensible, même si elle n’est pas nécessairement inévitable. À cet égard, j’accorde une reconnaissance très limitée au fait que l’arbitre n’a pas seulement conclu que le comportement de Mme Hristova constituait du harcèlement, mais plutôt que son [traduction] « comportement envers Mme Cagno et Mme Squires » constituait du harcèlement, désignant ainsi le comportement particulier reconnu comme du harcèlement.

[37]  De même, l’arbitre a admis le témoignage de Mme Squires selon lequel Mme Hristova l’ignorait parfois et à d’autres moments lui parlait fort et de manière agressive, elle lui adressait des commentaires désagréables et l’accusait d’être « fatiguant »; ainsi que le témoignage de Mme Schaff selon lequel Mme Hristova refusait de respecter les méthodes de travail que Mme Schaff a mises en œuvre et intimidait Mme Cagno lorsque cette dernière les respectait. Ayant admis cette preuve, la conclusion de l’arbitre selon laquelle [traduction] « le comportement de la demanderesse envers Mme Schaff et Mme Squires constituait un acte d’insubordination » est compréhensible sans nécessiter d’explication supplémentaire.

[38]  Troisièmement, les conclusions de harcèlement et d’insubordination, bien qu’importantes, n’étaient pas la conclusion ultime de l’arbitre. La question en litige dont il était saisi était de savoir si le congédiement était injuste. Les conclusions de harcèlement et d’insubordination font elles-mêmes partie des motifs pour expliquer la conclusion générale selon laquelle le congédiement était juste. Les parties et la Cour doivent pouvoir évaluer pourquoi l’arbitre a décidé que le congédiement était juste. Bien que chaque raison donnée puisse à son tour conduire à une autre question, celle de savoir « pourquoi? », l’exigence d’explication s’atténue à mesure que l’on s’éloigne de la question principale.

3)  Conclusions concernant la sanction

[39]  Les deux dernières conclusions de l’arbitre, énoncées aux paragraphes 251(3) et (4), se rapportent à la sanction de congédiement. L’arbitre a conclu que Mme Hristova n’avait pas modifié son comportement ni reconnu aucun acte répréhensible malgré plusieurs avertissements. Il a donc admis comme bien fondée la conviction de CMA CGM qu’aucun changement de comportement ne se produirait et qu’elle n’avait pas d’autre choix que de congédier Mme Hristova.

[40]  Je conclus que ces conclusions, bien que brèves, sont suffisantes pour comprendre pourquoi l’arbitre a reconnu que le congédiement était juste, même si les avertissements étaient la seule forme défendable de mesures disciplinaires progressives mise en œuvre.

[41]  Les motifs de l’arbitre sur cette question sont différents de ceux en cause dans l’arrêt Lloyd c Canada (Procureur général), 2016 CAF 115, soulevés par Mme Hristova dans ses observations. Dans cette affaire, l’arbitre a fourni des raisons de conclure que l’employeur a eu raison de procéder à « l’imposition d’une mesure disciplinaire », mais n’a fourni aucune raison pour laquelle la suspension en question était justifiée, même si seulement deux des actes d’inconduite pour lesquels la sanction avait été imposée avaient été établis. En l’absence de tels motifs, la Cour d’appel a conclu que les motifs ne satisfaisaient pas aux exigences de l’arrêt Newfoundland Nurses : Lloyd aux para 10, 19, 24. En l’espèce, l’arbitre a énoncé aux paragraphes 251(3) et (4), quoique brièvement, ses motifs de conclure que la sanction était justifiée dans le contexte des faits qu’il avait établis.

4)  Comprendre les motifs de la conclusion de congédiement juste

[42]  Dans l’ensemble, je suis satisfait que les motifs donnés par l’arbitre sont juste assez pour comprendre pourquoi la plainte a été rejetée. Les allégations de harcèlement et d’actes d’insubordination avancées par CMA CGM à l’encontre de Mme Hristova ont été admises comme véridiques, tandis que la négation de ces faits par Mme Hristova et ses allégations selon lesquelles tous les témoins de CMA CGM mentaient ont été rejetées. L’arbitre a accepté que CMA CGM avait tenté de régler ces problèmes avec Mme Hristova dans le cadre de son emploi continu, mais qu’elle a nié catégoriquement qu’il y avait un problème, de sorte que le congédiement était justifié dans les circonstances. Je conclus qu’il y a juste assez de « points sur la page », pour utiliser l’expression évocatrice du juge Rennie, pour permettre à la Cour de les relier et de comprendre le fondement de la décision de l’arbitre : Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431 aux para 9-11; Caron Transport au para 72.

B.  Décider si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables

[43]  Pour des raisons similaires, je suis satisfait que les motifs sont suffisants pour permettre à la Cour de déterminer si la conclusion de l’arbitre fait partie des issues possibles acceptables. Comme indiqué dans Newfoundland Nurses, la cour de justice peut « examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat » : Newfoundland Nurses au para 15. Ce dossier, dont une grande partie est reprise dans le corps de la décision de l’arbitre, comprenait les éléments de preuve de harcèlement et d’actes d’insubordination décrits ci-dessus. Il comprenait également les décisions arbitrales en droit du travail soumises à l’arbitre. Bien qu’il soit peu satisfaisant que ces décisions n’aient pas été discutées ou analysées par l’arbitre, elles sont citées comme ayant été examinées et donnent des exemples de conclusions de harcèlement fondées sur des scénarios factuels comparables.

[44]  L’arbitre a suffisamment expliqué les motifs de ses conclusions sur la crédibilité pour permettre à la Cour de conclure qu’ils étaient raisonnables et a énoncé les étapes qui l’ont amené de ces conclusions sur la crédibilité à la conclusion que le congédiement était juste. Bien qu’il faille examiner le dossier et compléter les motifs pour le faire, la conclusion selon laquelle il y a eu conduite répréhensible et la conclusion selon laquelle la sanction de congédiement était juste peuvent être jugées raisonnables sur la base des motifs et du dossier tels qu’ils sont : Caron Transports aux para 73-74, adoptant Payne aux para 80-82.

C.  Défaut allégué d’avoir examiné les divergences factuelles

[45]  Mme Hristova soulève plusieurs questions qu’elle décrit comme des [traduction] « divergences factuelles importantes » qui n’ont pas été abordées par l’arbitre dans ses motifs. Comme il est indiqué ci-dessus, il est établi dans Newfoundland Nurses que les décisions administratives ne sont pas rendues déraisonnables par le simple fait que les motifs ne font pas référence à tous les arguments et les détails qui peuvent être souhaitables : Newfoundland Nurses au para 16. Bien que l’absence de discussion ou d’analyse sur une question factuelle ou juridique cruciale puisse certainement rendre une décision déraisonnable dans certains cas, je ne pense pas que les divergences soulevées par Mme Hristova soient de cette nature.

[46]  Par exemple, Mme Hristova soutient que l’arbitre n’a pas abordé une prétendue divergence entre la déclaration de Mme Schaff à la réunion de cessation d’emploi selon laquelle CMA CGM avait une politique de [traduction] « tolérance zéro » envers le harcèlement et le texte de la politique, qui fait référence aux violations comme étant [traduction] « passibles de sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement ». Mme Hristova n’a pas soulevé cette prétendue divergence au cours de l’audience, ni dans son témoignage ni dans son argument final. CMA CGM ne s’est appuyée sur une politique de [traduction] « tolérance zéro » ni dans sa lettre de licenciement ni dans ses observations à l’arbitre. Dans les circonstances, je ne vois aucune raison pour laquelle l’arbitre était tenu de tenir compte de la déclaration de [traduction] « tolérance zéro » de Mme Schaff dans ses motifs pour que la décision soit raisonnable.

[47]  Mme Hristova mentionne également un mémoire qu’elle a reçu lors de son embauche, dans lequel sont énumérés les documents qui lui ont été remis à l’époque. Le mémoire n’inclut pas le guide de l’employé ni la politique sur le harcèlement, ce qui, selon Mme Hristova, corrobore son témoignage selon lequel elle n’a pas reçu ces documents. Cependant, l’arbitre a clairement admis le témoignage du directeur administratif de CMA CGM selon lequel Mme Hristova avait bien reçu les documents et a rejeté la dénégation de Mme Hristova. Bien que de meilleurs motifs auraient pu faire référence au mémoire – ou au fait que Mme Hristova figurait sur la liste des employés qui ont suivi une formation sur le code d’éthique de la société, où toutes les formes de harcèlement sont également condamnées – l’omission de le faire ne rend pas la décision déraisonnable. Il n’incombe pas à la Cour de se livrer de nouveau à l’examen de certains éléments de preuve précis pour déterminer s’ils peuvent avoir influencé l’issue, en particulier lorsqu’ils se rapportent à un fait accessoire, par exemple si Mme Hristova avait reçu le guide de l’employé lorsqu’elle a été embauchée.

[48]  De même, les diverses questions rhétoriques que Mme Hristova pose pour tenter de miner le caractère raisonnable de la décision de l’arbitre (« Pourquoi a-t-elle été promue? » « Pourquoi la société n’est-elle pas intervenue si le comportement de Mme Hristova était si inadmissible? » « Pourquoi n’était-elle pas plus proactive pour essayer de freiner le comportement de Mme Hristova? ») auraient très bien pu être une défense convaincante devant l’arbitre, si on lui avait demandé à ce moment-là. Cependant, elles reviennent à demander à la Cour de soupeser les facteurs et les éléments de preuve favorables et défavorables à une conclusion de crédibilité tirée par l’arbitre. Encore une fois, même si ces questions auraient pu être explicitement traitées dans de meilleurs motifs, la décision n’est pas déraisonnable car on n’y a pas répondu. Étant donné que ces questions constituent essentiellement des sous-arguments selon lesquels la version des événements de Mme Hristova aurait dû être considérée comme crédible, une thèse rejetée par l’arbitre, je n’estime pas qu’elles font partie de la catégorie des « question[s] en litige fondamentales » à l’égard desquelles le silence peut rendre une décision déraisonnable : Rogers Communications Canada Inc c Metro Cable TV Maintenance, 2017 CAF 127 au para 23.

[49]  Enfin, Mme Hristova mentionne le fait que la « List of Exhibits » jointe aux motifs de l’arbitre ne fait état que des 38 premières pièces déposées par Mme Hristova et non les 65 pièces restantes. La question en litige a été soulevée dans l’avis de demande de Mme Hristova. En réponse, lors du dépôt des documents constituant le dossier du tribunal auprès de la Cour en réponse à la demande de Mme Hristova, au titre de l’article 317 du Règlement, l’arbitre s’est exprimé ainsi :

Pour une raison inexpliquée, l’énumération des pièces P-39 à P-103 inclusivement n’a pas été poursuivie à l’annexe List of Exhibits. Toutefois, ces pièces ont été reçues incluses à l’envoi du document Plaintiff’s Position reproduit au paragraphe 243 de la sentence arbitrale. J’ai lu toutes ces pièces et elles furent prises en compte lors de mon délibéré.

[50]  Je n’accorde aucun poids à la déclaration de l’arbitre déposée avec le dossier certifié du tribunal. La situation est semblable à celle dans Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2012 CF 445, dans laquelle un fonctionnaire du greffe du Tribunal canadien des droits de la personne a déposé une lettre d’accompagnement indiquant que certains rapports d’experts n’avaient pas été pris en considération par le fonctionnaire. La juge Mactavish n’a pas accordé le moindre poids à l’affirmation, indiquant qu’il s’agissait d’une tentative inappropriée de réponse aux arguments relatifs à l’équité soulevés dans la demande et « d’étoffer » la décision, et qu’elle figurait dans une lettre non assermentée d’une personne autre que le décideur : CCDP aux para 182-189. Bien que la déclaration présentée en l’espèce provienne du décideur lui-même, elle demeure une lettre non assermentée dans laquelle on se penche sur une question soulevée lors du contrôle judiciaire. Je ne suis pas prêt à lui accorder du poids.

[51]  Néanmoins, il ressort clairement de la décision de l’arbitre elle-même que les pièces, ainsi que les observations des parties les concernant, ont été bien soumises à l’arbitre. La longue énumération d’éléments de preuve et d’arguments comprend de la preuve et des observations portant à la fois sur les pièces énumérées dans la « List of Exhibits » et sur les pièces non répertoriées. Il ressort donc même à la lecture de la décision que l’absence des 65 dernières pièces de la liste était une question d’erreur administrative plutôt qu’un signe qu’elles n’avaient pas été examinées ou ne faisaient pas partie du dossier.

V.  Conclusion

[52]  Je comprends la frustration de Mme Hristova face aux motifs de l’arbitre. La cessation d’emploi est une question grave et d’importance cruciale pour Mme Hristova. Après s’être représentée au cours d’une longue procédure d’arbitrage, on comprend aisément pourquoi Mme Hristova s’attendait à ce que son témoignage et ses arguments soient traités de manière plus réfléchie et approfondie par le décideur chargé d’évaluer son cas. Toutefois, bien que le Code canadien du travail offre la possibilité de déposer une plainte, des restrictions claires à l’égard de la contestation d’une issue défavorable devant la Cour y sont également établies. En suivant ces directives législatives et en appliquant le seuil modeste pour des motifs établi par la Cour suprême du Canada, je conclus que les motifs de l’arbitre étaient juste assez suffisants pour être raisonnables.

[53]  Je comprends également les observations de Mme Hristova concernant le « message » envoyé par la Cour, reconnaissant ces motifs minimes comme étant adéquats. Le mieux que je peux faire pour ne pas dire que de tels motifs doivent être encouragés est de répéter la déclaration du juge Stratas, au paragraphe 28 de Maple Lodge :

Les meilleurs décideurs administratifs – ceux qui ont la meilleure réputation et inspirent la confiance du public – vont au‑delà du minimum. Ils s’efforcent de remplir les nombreux et importants objectifs de fond et de procédure des motifs de décision[.] Ils le font sans rien sacrifier à la rapidité, à l’efficacité, à la concision et au pragmatisme. [Renvoi omis.]

[54]  La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée, avec dépens. Les parties ont indiqué qu’elles s’attendaient à pouvoir parvenir à un accord sur le montant de ces dépens. Je les encourage à le faire.

[55]  Enfin, l’intitulé de la cause de la présente demande semble désigner la défenderesse de façon erronée comme « CMA CMG (Canada) Inc. » Dans l’intérêt d’assurer l’exactitude, l’intitulé de la cause est modifié pour désigner la défenderesse sous le nom « CMA CGM (Canada) Inc. »


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-2015-18

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

  2. L’intitulé de la cause dans la présente affaire est modifié pour désigner la défenderesse sous le nom de « CMA CGM (Canada) Inc. ».

« Nicholas McHaffie »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2015-18

 

INTITULÉ :

VALENTINA HRISTOVA c CMA CGM (CANADA) INC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 octobre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 décembre 2019

 

COMPARUTIONS :

Seyed-Farhad Shayegh

 

Pour la demanderesse

 

André Royer

Sandrine Mainville

 

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Melançon Marceau Grenier & Sciortino, société en nom collectif

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

Borden Ladner Gervais

Montréal (Québec)

 

Pour la défenderesse

 

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