Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040127

Dossier : T-900-02

Référence : 2004 CF 125

Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2004

En présence de Monsieur le juge von Finckenstein

ENTRE :

                                                               ALISON DAVIES

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                            ET

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, YVETTE MULDER, DENISE PARKS, ANNA GALLANT ET LOUISE BERKETA

                                                                                                                                          défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision du Comité d'appel de la Commission de la fonction publique (le Comité d'appel), en date du 6 mai 2002, rejetant en partie l'appel de la demanderesse.


CONTEXTE

[2]                En mai 2001, la demanderesse a posé sa candidature au poste d'agent d'administration des marchés (AS-02), en réponse à un concours par affichage de Ressources humaines et Développement Canada. Au total, 14 candidatures ont été reçues. Un jury de sélection a effectué un premier tri en procédant à un examen des demandes et des curriculum vitae des candidats, en vérifiant leurs références ainsi que leurs réponses à des questions orales et écrites. À l'issue de ce premier tri, cinq candidats ont été jugés qualifiés pour occuper le poste, et ont été convoqués à une entrevue par le jury de sélection. À la fin de cette entrevue, les cinq candidats ont été notés en fonction de leur mérite relatif. La demanderesse, qui s'est classée au quatrième rang, n'a pas été retenue pour le poste et elle en appelle devant le Comité d'appel aux termes de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-33 (la Loi).

[3]                Dans ses motifs en date du 6 mai 2002, le Comité d'appel a accepté les arguments de la demanderesse sur l'évaluation du jury de sélection concernant son mérite relatif par rapport au candidat qui s'est classé au troisième rang. Toutefois, il a jugé qu'elle n'avait pas réussi à établir que le processus de sélection s'était fait d'une manière qui ne respectait pas le principe du mérite. La demanderesse réclame maintenant le contrôle judiciaire de la décision du Comité d'appel concernant cette deuxième partie de son appel.


QUESTIONS EN LITIGE

[4]                La demanderesse soulève les questions suivantes :

1. Le Comité d'appel a-t-il omis d'examiner toutes les allégations soulevées par la demanderesse?

2. Le Comité d'appel a-t-il commis une erreur en concluant que le jury de sélection avait agi raisonnablement en éliminant une partie de l'une des questions de l'entrevue?

3. Le Comité d'appel a-t-il commis une erreur en concluant que des renseignements suffisants avaient été fournis au moyen de la vérification des références et de la connaissance personnelle de ses membres pour traiter des parties du guide de réponses dont n'avaient pas traité directement les candidats?

4. Le Comité d'appel a-t-il commis une erreur en concluant que les méthodes choisies par le jury de sélection pour évaluer la connaissance des candidats sur les pratiques commerciales et comptables n'étaient pas déraisonnables?

5. Le Comité d'appel a-t-il commis une erreur en concluant qu'il n'avait pas compétence pour examiner le seuil de connaissance établi par le jury de sélection pour deux de ses questions?

NORME DE CONTRÔLE

[5]                À l'exception de la dernière question, toutes les questions soulevées dans la présente instance ont trait à l'évaluation de la preuve par le Comité d'appel quant à savoir si le principe du mérite a ou non été respecté dans les formalités de sélection. Des questions semblables ont été soulevées dans la décision Hains c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. no 1238. Au paragraphe 24 de son jugement dans cette affaire, la juge Heneghan a conclu en ces termes :


À mon avis, la présente demande concerne le contrôle de la décision du Comité d'appel au regard de ses conclusions de fait sur la décision du jury de sélection, et le contrôle de l'application, par le Comité d'appel, du principe du mérite conformément à l'article 10 de la Loi. Le Comité d'appel a examiné la preuve qui lui a été présentée. La question est de savoir si les conclusions du Comité d'appel sont justifiées par cette preuve. La norme applicable est donc celle de la décision raisonnable.

Le même raisonnement s'applique en l'espèce. Donc, la norme de contrôle pour les questions 1 à 4 est celle de la décision raisonnable. La question 5 a trait à la compétence du Comité et exige une interprétation de la Loi. La norme de contrôle appropriée pour cette question est donc celle de la décision juste (Maassen c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. no 961).

Question 1 : Le Comité d'appel a-t-il omis d'examiner toutes les allégations soulevées par la demanderesse?

[6]                La demanderesse prétend que le Comité d'appel a commis une erreur en ne traitant pas dans ses motifs de la totalité de ses allégations et en mettant l'accent uniquement sur les arguments qu'elle a soulevés en contre-preuve au cours de l'audience d'appel. En agissant ainsi, le Comité d'appel aurait, selon elle, appliqué une norme de preuve erronée à l'égard de ses allégations au sujet des formalités suivies par le jury de sélection.


[7]                Cet argument ne peut être retenu. Le Comité d'appel n'est tenu qu'à un degré modéré de déférence à l'égard de la décision d'un jury de sélection comme il en a été question dans la décision Scarizzi c. Marinaki, [1994] A.C.F. no 1881, au paragraphe 6 [Scarizzi], où il est dit ceci :

Il est évident que l'une des fonctions du Comité d'appel consiste à s'assurer [...] que les jurys de sélection respectent le principe du mérite [...] Il n'est toutefois pas autorisé à substituer son opinion à celle du jury de sélection en ce qui concerne l'évaluation ou l'examen d'un candidat. Ce n'est que lorsqu'un jury de sélection se fait une opinion à laquelle aucune personne raisonnable ne pourrait arriver qu'un comité d'appel peut modifier sa décision.

Autrement dit, le Comité d'appel ne peut modifier les conclusions d'un jury de sélection que quand celles-ci sont déraisonnables.

[8]                Dans ses motifs, le Comité d'appel a appliqué cette norme de la décision raisonnable aux formalités suivies par le jury de sélection quand il déclare ceci :

[TRADUCTION]

[...] Étant donné qu'il incombait à l'appelante de démontrer que l'évaluation effectuée par le jury de sélection était déraisonnable, je me contenterai de résumer ses arguments portant sur ces questions à l'égard desquelles les explications du ministère ont été contestées par elle en contre-preuve et à ces questions où le caractère raisonnable de l'évaluation du ministère exigeait clairement un examen détaillé (non souligné dans l'original).

Il ressort implicitement de cette partie des motifs que le Comité d'appel a choisi de discuter uniquement des allégations de la demanderesse qui soulevaient une question quant au caractère raisonnable des formalités et de la décision du jury de sélection.


[9]                Bien qu'il eut été préférable que le Comité d'appel ajoute les mots [TRADUCTION] « au vu des allégations de la demanderesse » , il est évident qu'il n'a examiné l'activité du jury de sélection qu'à la lumière des allégations de la demanderesse. Le Comité n'était pas obligé de discuter des allégations qui, à son avis, n'étaient pas fondées. Par conséquent, la demanderesse n'a pas réussi à établir que le Comité a commis une erreur susceptible de contrôle à cet égard.

Question 2 : Le Comité d'appel a-t-il commis une erreur en concluant que le jury de sélection avait agi raisonnablement en éliminant une partie de l'une des questions de l'entrevue?

[10]            La demanderesse soutient que le jury de sélection a commis une erreur en éliminant la partie « Pourquoi » d'une question dans laquelle on demandait aux candidats quel genre de renseignements ils devaient fournir à leur interlocuteur au cours de négociations contractuelles et pourquoi ils devaient fournir ces renseignements. Il convient de noter qu'aucun des candidats n'a répondu à la question « Pourquoi » au cours de l'entrevue.

[11]            Dans ses motifs, le Comité d'appel a conclu que le jury de sélection avait agi raisonnablement en éliminant cette partie de la question parce que, comme aucun des candidats n'y avait répondu, cela ne devait pas avoir de répercussion sur l'évaluation de leur mérite relatif.


[12]            Dans l'arrêt MacKintosh c. Canada (Comité d'appel de la Commission de la fonction publique), [1990] A.C.F. no 834, la Cour d'appel fédérale a statué que l'élimination d'une question au cours d'un processus de sélection constituait une erreur dans les cas où le jury de sélection ne pouvait être convaincu que cette élimination « n'influait aucunement sur l'évaluation des mérites relatifs des candidats [...] » .

[13]            Ce n'est pas le cas en l'espèce. Comme aucun des candidats n'a répondu à cette partie de la question, son élimination ne pouvait pas influer sur l'évaluation du mérite relatif des candidats au poste. Par conséquent, le Comité d'appel n'a pas commis d'erreur en concluant que le jury de sélection avait agi raisonnablement en éliminant la question.

Question 3 : Le Comité d'appel a-t-il commis une erreur en concluant que des renseignements suffisants avaient été fournis au moyen de la vérification des références et de la connaissance personnelle de ses membres pour traiter des parties du guide de réponses dont n'avaient pas traité directement les candidats?

[14]            La demanderesse soutient que le Comité d'appel a commis une erreur en concluant que des renseignements suffisants avaient été fournis au moyen de la vérification des références et de la connaissance personnelle du jury de sélection pour fournir des réponses aux questions auxquelles certains des candidats n'ont pas répondu de façon complète au cours de leur entrevue. Elle soutient que le ministère aurait dû démontrer la manière précise dont des renseignements additionnels traitaient des parties du guide des réponses auxquelles on n'a pas répondu.


[15]            Cet argument ne peut être retenu. La demanderesse n'a pas réussi à démontrer à la Cour que la décision du Comité d'appel était déraisonnable et que le jury de sélection n'a pas appliqué le principe du mérite en complétant les réponses des candidats au moyen de renseignements obtenus d'autres sources.

[16]            Dans la décision Field c. Canada (Procureur général), [1995] A.C.F. no 458, le juge McGillis a conclu que le Comité d'appel avait commis une erreur en concluant que le principe du mérite avait été respecté parce que le dossier d'appel « ne [faisait] état d'aucune preuve convaincante, orale ou écrite, indiquant la manière dont le Comité de sélection a évalué la compatibilité personnelle des candidats » . (Non souligné dans l'original.)

[17]            En l'espèce, il y avait des éléments de preuve dans le dossier d'appel sur la façon dont les vérifications de références et la connaissance personnelle des membres du jury de sélection ont été utilisées pour compléter les réponses des candidats. Plus précisément, le Comité d'appel a examiné les réponses des membres du jury de sélection sur la manière dont les renseignements ont été utilisés quand ils ont été interrogés sur la question à l'étape de la communication de la preuve. Par conséquent, la demanderesse n'a pas réussi à démontrer que les circonstances de l'espèce sont semblables à celles de la décision Field, précitée, et que les conclusions du Comité d'appel renfermaient des éléments déraisonnables.


Question 4 : Le Comité d'appel a-t-il commis une erreur en concluant que les méthodes choisies par le jury de sélection pour évaluer la connaissance des candidats sur les méthodes commerciales et comptables n'étaient pas déraisonnables?

[18]            Selon la prétention de la demanderesse, le jury de sélection a choisi des méthodes insuffisantes et inappropriées pour évaluer la connaissance des candidats sur les méthodes commerciales et comptables. Plus précisément, elle conteste cette partie du processus de sélection au cours de laquelle on a demandé aux candidats d'identifier et de placer par ordre chronologique certaines factures commerciales et au cours de laquelle la capacité des candidats à utiliser certains logiciels a été examinée au regard de leur capacité d'analyser des données.

[19]            La question précise en cause se lit comme suit :

[TRADUCTION]

À l'aide des logiciels (MS Word et Excel), faites une analyse financière et statistique comparative des photocopieurs pour les bureaux de Smithers, Prince Rupert et Terrace pour la période de trois mois indiquée sur les factures ci-incluses. Votre analyse devrait inclure des observations ou les recommandations que vous souhaitez faire. Donnez également une brève description du processus que vous utilisez pour effectuer votre analyse.

[20]            Il n'y avait rien de déraisonnable dans les méthodes retenues par le jury de sélection pour évaluer les connaissances des candidats dans ces domaines. La capacité d'effectuer des fonctions comme identifier et organiser des factures et utiliser des logiciels qui permettent d'effectuer une analyse efficace des données était pertinente à une analyse du mérite relatif des candidats pour le poste d'administrateur des marchés. Ce n'était pas le rôle du Comité d'appel de substituer son choix des méthodes de sélection à celles retenues par le jury de sélection (voir Scarizzi, précité.)


Question 5 : Le Comité d'appel a-t-il commis une erreur en concluant qu'il n'avait pas compétence pour examiner le seuil de connaissance établi par le jury de sélection pour deux de ses questions?

[21]            Le dernier argument de la demanderesse fait valoir que le Comité d'appel a commis une erreur en concluant qu'il n'avait pas compétence pour examiner si le seuil de connaissance établi pour certaines questions avait ou non été établi trop bas par le jury de sélection. À l'appui de cette prétention, elle cite les affaires Laberge c. Canada (Procureur général), [1988] 2 C.F. 137 (C.A.) [Laberge] et Nelson c. Canada (Procureur général) (2001), 204 F.T.R. 287 [Nelson].

[22]            La Loi indique clairement que c'est le rôle exclusif de la Commission de la fonction publique et du ministère en question d'établir les qualités nécessaires pour un poste. Le paragraphe 12(1) de la Loi indique donc ce qui suit :

Pour déterminer, conformément à l'article 10, les principes de la sélection au mérite, la Commission peut fixer des normes de sélection et d'évaluation touchant à l'instruction, aux connaissances, à l'expérience, à la langue, au lieu de résidence ou à tout autre titre ou qualité nécessaire ou souhaitable à son avis du fait de la nature des fonctions à exécuter et des besoins, actuels et futurs, de la fonction publique. (Non souligné dans l'original.)

En outre, le paragraphe 16 (1) est rédigé dans les termes suivants :

La Commission étudie toutes les candidatures qui lui parviennent dans le délai fixé à cet égard. Après avoir pris connaissance des autres documents qu'elle juge utiles à leur égard, et après avoir tenu les examens, épreuves, entrevues et enquêtes qu'elle estime souhaitables, elle sélectionne les candidats qualifiés pour le ou les postes faisant l'objet du concours. (Non souligné dans l'original.)


[23]            Ainsi, comme le dit le juge Marceau, dans Canada (Procureur général) c. Blashford, [1991] A.C.F. no 23 (C.A.F.), au paragraphe 4, ce n'est pas au Comité d'appel qu'il revient de vérifier les exigences de base quand il examine si le processus de sélection s'est ou non déroulé d'une manière qui respectait le principe du mérite :

Le « principe du mérite » doit présider au processus de sélection que la Commission de la fonction publique doit observer dans l'exercice de ses attributions qui consistent à juger et à classer les candidats; ce « principe » n'a rien à voir avec la définition des exigences de base pour pouvoir participer au concours, laquelle relève de la prérogative exclusive du ministère intéressé. (Non souligné dans l'original.)

[24]            Le seuil de connaissance exigé pour un poste fait partie intégrante des exigences de base établies par le ministère et la Commission. Par conséquent, le Comité d'appel a conclu à bon droit qu'il n'avait pas compétence pour examiner le niveau auquel le seuil a été fixé.

[25]            Il va sans dire que les causes citées par la demanderesse peuvent être distinguées de l'espèce. Dans l'arrêt Laberge, précité, la Cour d'appel a conclu que le jury avait examiné certains candidats à l'égard de certaines des exigences établies dans l'avis d'emploi. En l'espèce, le mérite relatif de tous les candidats a été évalué au regard des trois conditions établies dans l'avis de concours. Dans la décision Nelson, précitée, la Cour a jugé que le Comité avait modifié les qualités énoncées dans l'avis de concours après qu'il fut rendu public. On ne laisse aucunement entendre que la même chose s'est produite en l'espèce.


CONCLUSION

[26]            Au vu des conclusions précitées, la présente demande est rejetée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée.

                                                                                                                       « K. von Finckenstein »         

                                                                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               T-900-02

INTITULÉ :                                              ALISON DAVIES

                                                                                                                                    demanderesse

ET

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, YVETTE MULDER, DENISE PARKS, ANNA GALLANT ET LOUISE BERKETA

                                                                                                                                          défendeurs

LIEU DE L'AUDIENCE :                        Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                      le 21 janvier 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                              le juge von Finckenstein

DATE :                                                      le 27 janvier 2004

COMPARUTIONS :

M. Cameron                                                                  POUR LA DEMANDERESSE

M. Roach                                                                      POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Yazbeck                                            POUR LA DEMANDERESSE

Raven Allen Cameron & Ballantyne

Morris Rosenberg                                                          POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.