Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20051107

Dossier : IMM-2302-05

Référence : 2005 CF 1491

Ottawa (Ontario), le 7 novembre2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE DE MONTIGNY

ENTRE :

SUKHWINDER KAUR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR), datée du 17 mars 2005, dans laquelle la SPR a rejeté la demande d'asile de Sukhwinder Kaur en lui refusant la qualité de réfugiée au sens de la Convention et de personne à protéger.

CONTEXTE

[2]                La demanderesse, Mme Sukhwinder Kaur, est une citoyenne de l'Inde âgée de 44 ans et une adepte du sikhisme. Elle et son mari, qui était président d'un temple sikh et membre de Shiromani Akali Dal, vivaient sur une terre agricole, au Punjab. Mme Kaur affirme que, le 15 juin 2002, trois terroristes sont arrivés chez eux et, en menaçant de tuer tous les membres de la famille, ils ont exigé des vivres, un abri, et de pouvoir entreposer leurs armes et munitions dans la maison de ferme. Mme Kaur et son mari ont acquiescé et, le 18 juin, les terroristes sont revenus récupérer les armes et munitions. Mme Kaur allègue que, le lendemain, la police a fait une descente à son domicile, qu'elle a arrêté son mari et l'a détenu et torturé pendant trois jours. La police a ensuite relâché le mari à condition qu'il l'aide à arrêter les terroristes.

[3]                Mme Kaur affirme que son mari a organisé une conférence de presse le 15 février 2004 pour s'objecter à la demande d'amnistie générale en faveur des agents de police accusés d'avoir assassiné des sikhs pendant la période de militantisme au Punjab. Pendant la conférence, le mari se serait prononcé contre les violations des droits de la personne et les atrocités commises par la police. Mme Kaur affirme que, le soir même, la police a fait une descente à leur domicile, qu'elle a accusé son mari d'avoir aidé les terroristes et incité la population à s'insurger contre le gouvernement et la police et qu'elle a ensuite mis son mari en état d'arrestation. Mme Kaur affirme n'avoir plus jamais revu son mari.

[4]                Mme Kaur prétend que, lorsqu'elle a tenté de retrouver son mari, la police a nié le détenir. Le 5 mars 2004, elle s'est présentée au comité de la Mission Khalra et on lui a dit qu'on l'aiderait à intenter une poursuite contre la police en invoquant la disparition de son mari. Le lendemain, selon Mme Kaur, des agents l'auraient arrêtée, accusée d'avoir tenu des propos diffamatoires à l'égard de la police, battue, harcelée et violée. Selon Mme Kaur, la police l'a relâchée à condition, notamment, qu'elle n'intente aucune poursuite contre la police.

[5]                Mme Kaur a demandé et obtenu un visa de visiteur qui lui a permis de venir au Canada le 21 juin 2004. Elle a demandé l'asile le 26 juin 2004 en invoquant une crainte bien fondée d'être persécutée en Inde du fait de son appartenance à deux groupes sociaux, la famille et les femmes, du fait des opinions politiques qu'on lui prêtait et du fait qu'elle était une sikh du Punjab et, pour les mêmes motifs, elle a allégué qu'elle était une personne à protéger.

LA DÉCISION CONTESTÉE

[6]                Le tribunal de la SPR a conclu que, dans l'ensemble, la preuve documentaire dont elle disposait révélait que depuis 1993, la situation s'était nettement améliorée au Punjab relativement à la persécution des sikhs et à l'impunité policière. Le tribunal a conclu que « [i]l n'existe aucune activité terroriste dans la région » et aucune indication que « des terroristes écument la campagne à la recherche de nourriture ou d'un abri » .

[7]                Le tribunal a également conclu qu'il était peu vraisemblable que des terroristes « aient pu laisser des armes et des munitions chez des inconnus qui auraient pu alerter la police [...] Tout cela n'a aucun sens » .

[8]                En se fondant sur la preuve documentaire qui ne mentionnait pas que des gens étaient arrêtés pour avoir critiqué la police au Punjab et sur le fait que Mme Kaur avait dit qu'elle ne savait pas si les journaux avaient mentionné l'arrestation de son mari, le tribunal a conclu que le mari de la demanderesse n'avait pas été arrêté pour avoir critiqué la police.

[9]                À la lumière des conclusions qu'il avait tirées concernant le mari de Mme Kaur, le tribunal a conclu qu'ellen'avait pas été arrêtée. Il a également jugé que le témoignage de Mme Kaur n'était pas crédible et il a donc conclu que la preuve documentaire produite par Mme Kaur concernant sa propre situation n'était pas probante et qu'il s'agissait soit de documents de complaisance, soit de faux. Le tribunal a également jugé que la preuve documentaire produite par l'avocat de la demanderesse concernant la situation générale au Punjab n'était pas liée aux événements décrits par la demanderesse et il a donc rejeté cette preuve.

[10]            Enfin, le tribunal a conclu que même s'il « choisissait de croire » le récit de Mme Kaur, cette dernière avait l'obligation de rechercher la protection des autorités de l'Inde puisque la preuve documentaire concernant les recours disponibles et les mesures prises par le gouvernement indien pour s'attaquer à la violence policière révélait que cela était possible. Le tribunal a déclaré que même si la preuve documentaire révélait que le dépôt d'une plainte pouvait amener la police à se livrer à des manoeuvres d'intimidation, il n'était indiqué nulle part que les gens qui portaient plainte étaient arrêtés ou disparaissaient par la suite. Selon le tribunal, Mme Kaur n'avait pas produit une preuve claire et convaincante de l'incapacité de l'État de la protéger.

LES QUESTIONS LITIGIEUSES

[11]            La demande soulève essentiellement deux questions :

a)          La SPR a-t-elle commis une erreur dans son examen de la preuve documentaire concernant le risque?

b)          La SPR a-t-elle commis une erreur dans ses conclusions au sujet de la protection de l'État?

LES OBSERVATIONS DE LA DEMANDERESSE

[12]            La demanderesse prétend que le tribunal a commis une erreur en concluant que la preuve documentaire qu'elle avait produite au sujet de la situation générale au Punjab n'était pas liée à la situation de la demanderesse. La demanderesse soutient que cette preuve a un lien indirect avec sa situation, tout comme les renseignements sur la situation du pays qui ont été soumis par l'agent de protection des réfugiés. Elle fait valoir que le tribunal ne peut pas écarter une preuve documentaire importante qui vient appuyer sa demande et qui est pertinente quant à la vraisemblance de celle-ci. La demanderesse allègue que le tribunal n'a pas tenu compte de toute la preuve et qu'il ne s'est pas acquitté de son obligation d'expliquer et d'analyser cette preuve.

[13]            La demanderesse soutient que la situation ne s'est pas suffisamment améliorée au Punjab pour que sa demande soit peu vraisemblable. Elle invoque, à l'appui, la preuve documentaire concernant des groupements activistes. La demanderesse prétend également que le tribunal a commis une erreur quand il a fait le lien entre la persécution et l'appartenance de Mme Kaur à la religion sikh. L'avocat prétend que la demande n'est pas fondée sur la religion de la demanderesse, mais sur le fait qu'elle et son mari étaient soupçonnés d'aider les terroristes.

[14]            La demanderesse prétend également que la conclusion du tribunal selon laquelle la police ne peut plus agir impunément est tout à fait contraire à la preuve. L'avocat cite divers rapports qui affirment que la torture et la violence policière se poursuivent au Punjab, que la police n'a pas été tenue responsable des actes commis pendant la période de militantisme, et d'autres preuves qui indiquent qu'il arrive que des gens décèdent pendant qu'ils sont détenus par la police.

[15]            La demanderesse prétend que le tribunal a commis une erreur en concluant que Mme Kaur n'était pas exposée à un risque puisqu'elle et son mari militaient activement en faveur des droits de la personne et condamnaient la police et qu'ils étaient donc susceptibles d'être agressés et assassinés par la police. Enfin, elle soutient que le tribunal a commis une erreur en tirant une inférence négative du fait que les journaux n'avaient pas mentionné l'arrestation de son mari.

[16]            Quant à la protection de l'État, la demanderesse est d'avis que le tribunal a commis une erreur en fondant sa décision sur la possibilité plutôt que sur la certitude d'obtenir la protection de l'État indien et elle dit que la preuve documentaire concernant l'absence de protection disponible est claire et convaincante.

[17]            La demanderesse soutient que le tribunal a commis une erreur en concluant qu'elle aurait dû demander l'aide de la police; la demanderesse allègue qu'elle avait peur de le faire et que cette crainte était bien fondée. La demanderesse allègue que si le tribunal a commis une erreur en appliquant le droit concernant la protection de l'État, sa décision doit faire l'objet d'un contrôle en conformité avec la norme de la décision correcte puisqu'il s'agit d'une question de droit.

LES OBSERVATIONS DU DÉFENDEUR

[18]            Le défendeur a centré ses observations sur la disponibilité de la protection de l'État puisque, selon lui, la question est déterminante en l'espèce. Par conséquent, l'avocat du défendeur a consacré très peu de temps à la situation réelle en Inde et il n'a pas débattu avec la demanderesse des questions de savoir : i) si les sikhs sont toujours persécutés en Inde; ii) si la police peut agir avec impunité; iii) si les terroristes sont encore actifs au Punjab. Non seulement le défendeur prétend que la demanderesse fait une lecture sélective de la preuve documentaire, mais il ajoute que la décision de la SPR ne doit pas être modifiée même si la Cour a un avis différent sur ces questions puisque les conclusions de la SPR au sujet de la protection de l'État sont raisonnables.

[19]            Le défendeur prétend que, compte tenu de la preuve documentaire concernant les moyens d'obtenir la protection de l'État, le tribunal n'a pas commis d'erreur en concluant que Mme Kaur aurait dû épuiser tous ses recours en Inde avant de demander l'asile au Canada. Autrement dit, le défendeur prétend que la demanderesse n'a pas fourni une preuve claire et convaincante que la protection de l'État ne lui était pas disponible.

ANALYSE

A)                 La conclusion en matière de crédibilité

[20]            Il n'appartient pas à une cour d'appel d'apprécier de nouveau la preuve dont disposait le tribunal. Comme l'a dit le juge Russell dans Thavarathinam c. Canada (M.C.I.), [2003] A.C.F. no 1866 (QL), 2003 CF 1469, au paragraphe 10 : « Pourvu qu'il existe des éléments de preuve au soutien de la conclusion du commissaire sur la crédibilité et qu'il ne se soit pas produit d'erreur manifeste, la décision ne devrait pas être touchée » . Cela dit, le tribunal doit soulever la bonne question, examiner toute la preuve dont il dispose et toute la preuve documentaire pertinente, particulièrement celle qui a des répercussions sur la vraisemblance du témoignage du demandeur (Gurjit Singh Malik c. Canada (M.C.I.), [2003] A.C.F. no 645 (QL), 2003 CFPI 453). Comme l'a dit ma collègue, la juge Snider, au paragraphe 6 de la décision Mundi c. Canada (M.C.I.), [2004] A.C.F. no 1525 (QL), 2004 CF 1260 : « La question sur laquelle doit se pencher la Cour est de savoir si la SAI a omis de prendre en considération des éléments de preuve pertinents ou importants pour tirer une conclusion de fait et a par la suite fondé sa décision sur cette conclusion de fait erronée » .

[21]            En l'espèce, la Commission a conclu, en se fondant sur le fait que la preuve documentaire n'étayait pas le récit de la demanderesse, que le mari de cette dernière n'avait jamais été arrêté et que, par conséquent, la demanderesse ne l'avait pas été non plus. Cette conclusion est problématique pour plusieurs raisons.

[22]            Premièrement, il est sans doute vrai que la situation globale au Punjab s'est beaucoup améliorée pendant les dernières années. Cependant, cela ne veut pas dire que les groupes terroristes aient été totalement supprimés comme le révèle une lecture attentive de la preuve documentaire examinée par la Commission. Il vaut également la peine de souligner que la demanderesse prétend qu'elle et son mari ont été arrêtés non seulement parce qu'ils étaient soupçonnés d'avoir aidé les terroristes, mais surtout, parce qu'ils s'étaient opposés à l'amnistie générale des agents de police accusés d'avoir assassiné des sikhs innocents. À cet égard, la preuve documentaire comprend beaucoup d'exemples de menaces, de harcèlement et d'attaques violentes de la police dans le but d'intimider et de faire taire les défenseurs des droits de la personne.

[23]            En outre, le tribunal a rejeté sommairement la preuve documentaire soumise par la demanderesse concernant la situation au Punjab quant au militantisme et à la violence policière, au motif que cette preuve n'était pas liée aux événements qu'avait vécus la demanderesse. À mon avis, cette preuve, qui comprend surtout des articles de journaux, est indirectement pertinente pour ce qui concerne la situation de la demanderesse tout comme d'autres documents d'information que le tribunal examine couramment et qui ont été utilisés en l'espèce pour miner la crédibilité de la demanderesse. Le tribunal a manifestement le droit de déterminer la valeur probante de telle preuve, mais, selon moi, il a commis une erreur en la rejetant sans même l'avoir appréciée.

[24]            Mais peut-être plus important encore, j'estime que le tribunal a commis une erreur grave en rejetant la preuve documentaire soumise par Mme Kaur au soutien de son récit sans même l'avoir examinée, au motif que la demanderesse n'était pas crédible. Cette preuve contient un affidavit du Sarpanch du village de Mme Kaur, une lettre du président d'un comité religieux, une lettre du comité de la Mission qui a reçu la plainte de Mme Kaur au sujet de la police ainsi qu'un rapport d'hôpital. Ces documents sont fort susceptibles d'influer sur la vraisemblance du témoignage de Mme Kaur parce qu'ils corroborent son exposé concernant les événements qui ont entraîné sa demande d'asile. Le tribunal a mentionné les documents, mais il a commis une erreur en rejetant sommairement cette preuve sans l'avoir évaluée dans son ensemble, compte tenu du poids éventuel et des répercussions de ladite preuve. Comme l'a dit le juge Evans dans Cepeda-Gutierrez c. Canada (M.C.I.) (1998), 157 F.T.R. 35, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en cause :

« [...] plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée " sans tenir compte des éléments dont il [disposait] "[...]Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés [...] » (paragraphe 17)

[25]            Pour tous ces motifs, j'estime que la Commission a commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité de la demanderesse. Quant au manque de vraisemblance du fait que des terroristes aient entreposé des armes chez une personne et que les journaux n'aient pas mentionné l'arrestation du mari de la demanderesse, les conclusions tirées par la Commission ne sont que pure conjecture. Non seulement la demanderesse ignorait si l'arrestation avait été signalée, ce qui est parfaitement légitime, mais il n'y a aucune preuve concernant les événements que les journaux indiens rapportent. On peut en dire autant de la possibilité que des activistes aient demandé l'aide de simples citoyens. Il est peut-être vrai que ces personnes pourraient alerter la police, mais il se peut également qu'elles soient effrayées par les menaces de mort et qu'elles s'en abstiennent. Par voie de conséquence, l'argument n'est pas très convaincant et c'est peut-être la raison pour laquelle le défendeur n'a pas défendu avec vigueur les conclusions de la Commission et qu'il a dit, dans son mémoire : [traduction] « la question qu'il faut trancher en l'espèce est celle de la protection de l'État » .

B)         La disponibilité de la protection de l'État

[26]            Il est reconnu en droit qu'un État démocratique, tel que l'Inde, est réputé pouvoir protéger ses citoyens. La Cour suprême a énoncé très clairement ce principe dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, dans lequel le juge La Forest a dit, au paragraphe 50 :

Il s'agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l'incapacité de l'État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection. D'après les faits de l'espèce, il n'était pas nécessaire de prouver ce point car les représentants des autorités de l'État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward. Toutefois, en l'absence de pareil aveu, il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes [page 725] qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée. En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté. En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur.

[27]            En l'espèce, le tribunal a appliqué cette présomption aux faits en décidant que Mme Kaur n'avait pas produit une preuve claire et convaincante permettant de réfuter la présomption de la protection d'un État démocratique. En se fondant sur le fait que l'Inde est un pays démocratique, que le gouvernement a mis en place des mécanismes légaux pour mettre fin aux abus de pouvoir des policiers, que les avocats et les groupes de défense des droits de la personne sont actifs, qu'il est possible d'obtenir l'aide juridique et que la Cour suprême a ordonné que la police fasse régulièrement l'objet de contrôles, le tribunal a conclu : « l'Inde a pris d'importantes mesures pour faire en sorte que les personnes qui sont persécutées par la police bénéficient d'une protection et [...] ce pays est donc tout à fait capable de protéger ses ressortissants [...] » .

[28]            Selon moi, cette conclusion découle d'une lecture tronquée de l'arrêt Ward, précité. La protection de l'État ne doit pas seulement être théorique, elle doit être pratique, réelle et efficace. Après avoir cité le professeur Hathaway qui a dit : [traduction] « Un réfugié peut prouver une crainte bien fondée d'être persécuté lorsque les autorités officielles ne le persécutent pas, mais qu'elles refusent ou sont incapables de lui offrir une protection adéquate contre ses persécuteurs [...] » , le juge La Forest a ajouté :

Comme Hathaway, je préfère formuler cet aspect du critère de crainte de persécution comme suit: l'omission du demandeur de s'adresser à l'État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l'État [TRADUCTION] « aurait pu raisonnablement être assurée » . En d'autres termes, le demandeur ne sera pas visé par la définition de l'expression « réfugié au sens de la Convention » s'il est objectivement déraisonnable qu'il n'ait pas sollicité la protection de son pays d'origine; autrement, le demandeur n'a pas vraiment à s'adresser à l'État.

[29]            La demanderesse, par l'entremise de son avocat, a présenté au tribunal une preuve crédible prima facie qui tend à établir l'incapacité de l'État de protéger adéquatement ses citoyens contre les abus de la police. Pourtant, le tribunal ne mentionne jamais cet aspect du problème sauf pour dire qu' « il n'est indiqué nulle part dans l'ensemble de la preuve documentaire qu'il arrive que des gens qui portent plainte soient ensuite arrêtés ou tués ou disparaissent » . Cette affirmation est carrément démentie non seulement par la preuve produite par l'avocat de la demanderesse, mais par précisément le rapport d'Amnistie Internationale sur lequel la Commission s'est fondée pour tirer sa conclusion. Ce rapport dit explicitement que : « [l]es défenseurs des droits humains continuaient d'être accusés d'activités �antinationales". Ils ont été harcelés et menacés par des agents de l'État, des groupes politiques et des particuliers; certains ont été arrêtés, placés en détention provisoire ou touchés par des actes de violence » (dossier de la SPR, page 121).

[30]            Cette preuve, qui tend à démontrer que les défenseurs des droits de la personne ainsi que ceux et celles qui se plaignent de la police font encore souvent l'objet de menaces, d'intimidation et de violence malgré les meilleurs efforts du gouvernement, ne méritait pas d'être écartée dans une simple phrase de la décision. Il s'agissait d'une preuve extrêmement pertinente pour apprécier s'il était objectivement raisonnable pour la demanderesse de ne pas se plaindre à la police dans les circonstances en cause.

[31]            Il me faut mentionner deux autres points avant de conclure. Premièrement, je pense que la Commission a commis une erreur en jugeant que la demanderesse aurait dû s'adresser à des organisations de défense des droits de la personne pour obtenir réparation. Comme l'a mentionné mon collègue, le juge Lemieux, dans Balogh c. Canada (M.C.I.), (2002), 22 Imm. L.R. (3d) 93, au paragraphe 44, « [...] il est de jurisprudence constante au Canada qu'un revendicateur n'est pas tenu de rechercher l'aide d'organisations de défense des droits de l'homme » .

[32]            Enfin, je crois qu'il était tout à fait légitime que la demanderesse ne porte pas plainte à la police dans les circonstances en cause puisque les policiers eux-mêmes étaient les agresseurs et les responsables des actes de violence. Comme l'a dit ma collègue, la juge Tremblay-Lamer, dans la décision Chaves c. Canada (M.C.I.), [2005] A.C.F. 232 (QL), 2005 CF 193, au paragraphe 15 : « [l]e fait même que les représentants de l'État soient les auteurs présumés de la persécution affaiblit la nature démocratique apparente des institutions de l'État, ce qui diminue d'autant le fardeau de la preuve » .

[33]            Pour tous ces motifs, je conclus que la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie. L'affaire est donc renvoyée pour nouvelle décision à un tribunal différemment constitué. Aucune question de portée générale n'est certifiée par la Cour.

« Yves de Montigny »

Juge

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-2302-05

INTITULÉ :                                        SUKHWINDER KAUR

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 12 OCTOBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE     LE JUGE DE MONTIGNY

DATE DES MOTIFS :                       LE 7 NOVEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Jean-Francois Bertrand

POUR LA DEMANDERESSE

Mario Blanchard

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jean-Francois Bertrand

POUR LA DEMANDERESSE

Bertrand, Deslauriers

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR


Date : 20051107

Dossier : IMM-2302-05

Ottawa (Ontario), le 7 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE YVES DE MONTIGNY

ENTRE :

SUKHWINDER KAUR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE QUE la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie. L'affaire est donc renvoyée devant un tribunal nouvellement constitué pour nouvelle décision. Aucune question de portée générale n'est certifiée par la Cour.

« Yves de Montigny »

Juge

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.