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Date : 20050210

Dossier : T-2209-00

Référence : 2005 CF 216

Toronto (Ontario), le 10 février 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

                                                             ELVIO DEL ZOTTO

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                          LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée aux termes de l'article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C., ch. P-21 (la Loi), à l'égard de la décision par laquelle la Gendarmerie royale du Canada (la GRC), en date du 7 avril 2000, refusait de confirmer ou de nier l'existence de renseignements personnels concernant le demandeur conformément au pouvoir que lui accorde le paragraphe 16(2) de la Loi. Dans la décision, il était également affirmé que si ces renseignements existaient, ils seraient intégralement protégés aux termes du sous-alinéa 22(1)a)(i) de la Loi à titre de renseignements personnels relatifs à la détection, la prévention et la répression du crime (dossier de demande du demandeur (DD), p. 17).


[2]                La principale question en litige est celle de savoir si la GRC a exercé ses pouvoirs discrétionnaires dans les limites appropriées et selon les principes appropriés.

A. Le contexte factuel

[3]                Dans une demande datée du 23 février 2000, le demandeur a sollicité la communication des renseignements personnels concernant ses activités qui pourraient être en la possession de la GRC, peu importe l'endroit où ces renseignements peuvent se trouver (DD, onglet 3F, p. 20).

[4]                Le 2 mars 2000, la GRC a pris contact avec l'avocat du demandeur pour l'informer que la demande serait traitée aux termes de la Loi et pour lui demander de préciser l'endroit où pouvaient se trouver les renseignements personnels demandés. L'avocat du demandeur a été invité à circonscrire la recherche sollicitée compte tenu du fait que la GRC utilise 126 bases de données distinctes. L'avocat du demandeur a informé la GRC que la demande englobait Ottawa, la région urbaine de Toronto, y compris Mississauga et l'Aéroport international Pearson, et Vancouver.


[5]                Dans une lettre datée du 7 avril 2000, la GRC a informé le demandeur que sa demande avait été traitée et que la GRC n'était pas en mesure de confirmer ou de nier l'existence des renseignements demandés. La GRC déclarait également que si ces renseignements existaient, ils seraient protégés intégralement aux termes du sous-alinéa 22(1)a)(i) de la Loi (DD, onglet 3D, p. 17).

[6]                Dans une lettre datée du 4 mai 2000, le demandeur a déposé une plainte auprès du Bureau du Commissaire à la protection de la vie privée du Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) (DD, onglet 3C, p. 15).

[7]                Afin de répondre à la plainte logée devant le Commissaire à la protection de la vie privée, la GRC a effectué un deuxième examen touchant tous les renseignements personnels concernant le demandeur. Dans une lettre datée du 31 août 2000, la GRC a une nouvelle fois informé le demandeur que la GRC n'était pas en mesure de confirmer ou de nier l'existence de ces renseignements et que si ces renseignements existaient, ils seraient protégés intégralement aux termes du sous-alinéa 22(1)a)(i) de la Loi (dossier du défendeur (DDEF), affidavit public du caporal Piquette, par. 10, p. 8; DD, onglet 3B, p. 14).

[8]                Dans une lettre datée du 13 octobre 2000, le Commissaire à la protection de la vie privée a informé le demandeur qu'un examen avait été effectué et que la réponse fournie par la GRC était conforme à la Loi. Le Commissaire à la protection de la vie privée a en outre déclaré ce qui suit :


[TRADUCTION] Le paragraphe 16(2) énonce qu'une institution fédérale n'est pas tenue de faire état de l'existence des renseignements personnels demandés. Le paragraphe 16(1) énonce que l'institution doit néanmoins mentionner la disposition de la Loi sur laquelle se fonde le refus ou sur laquelle elle « pourrait vraisemblablement se fonder si les renseignements existaient » . La Loi lui interdit également de confirmer ou de nier l'existence des dossiers demandés, mais j'ai examiné la question et je suis convaincu que si ces renseignements existaient, il serait raisonnable de s'attendre à ce qu'ils soient protégés par le sous-alinéa 22(1)a)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Je suis également convaincu que la GRC a correctement exercé le pouvoir discrétionnaire que lui accorde le paragraphe 16(2).

(DD, onglet 3A, p. 12 et 13)

[9]                Le 19 septembre 2001, le demandeur a déposé un avis de demande de contrôle judiciaire modifié aux termes de l'article 41 de la Loi.

B. Les preuves par affidavit


[10]            En réponse à l'avis de demande du demandeur, le sergent Estabrooks, chef intérimaire de la Section de la divulgation, a préparé des affidavits publics, déposés le 19 février 2001, dans lesquels il décrivait le traitement de la demande de renseignements personnels présentée par le demandeur. En outre, le sergent Jones, un analyste, a préparé un affidavit public et un affidavit confidentiel. Cependant, étant donné que le sergent Jones ne pouvait pas subir un contre-interrogatoire sur ses affidavits en raison d'une maladie grave, ses affidavits ont été retirés aux termes de l'ordonnance prononcée par la juge Heneghan, datée du 19 septembre 2002 (DD, onglet 2, p. 5). Pour remplacer les affidavits du sergent Jones, le caporal Piquette a préparé un affidavit public, déposé le 11 octobre 2002, et un affidavit confidentiel, également déposé le 11 octobre 2002, dans lequel est expliquée la façon dont a été traitée la demande du demandeur et les motifs à l'origine de la réponse à la demande. En outre, à la suite des questions de compétence soulevées par l'avocat du demandeur au cours de l'instruction de la présente demande, le sergent Estabrooks a également déposé un deuxième affidavit public daté du 22 avril 2004 (dossier de demande supplémentaire du demandeur, onglet 1).

C. Décisions

1. Le pouvoir d'agir

[11]            Au cours de l'instruction de la présente demande, la question de savoir si le caporal Piquette avait le pouvoir d'agir aux termes de la Loi a été soulevée. Après un examen approfondi, il a été admis que le caporal Piquette, en qualité d'enquêteur chargé d'examiner la demande d'accès à l'information, n'avait pas le pouvoir de rendre une décision au sujet des renseignements demandés. Il est également admis que seul le sergent Estabrooks possédait ce pouvoir.

2. L'admissibilité de l'affidavit de Jones


[12]            De plus, au cours de l'instruction, l'avocat du demandeur a présenté un deuxième argument selon lequel il existait un doute sur la question de savoir si le sergent Estabrooks avait légalement exercé son pouvoir discrétionnaire. Le demandeur soutient, en comparant l'affidavit public du sergent Jones qui a été retiré et les affidavits publics du caporal Piquette et du sergent Estabrooks, que certains éléments indiquent qu'aucun renseignement personnel n'a été découvert dans les banques de données examinées. Par conséquent, le demandeur soutient que le pouvoir discrétionnaire du sergent Estabrooks n'a pas pu être légalement exercé.

[13]            Au cours de l'instruction, j'ai rejeté le second argument du demandeur. Étant donné que l'affidavit du sergent Jones a été retiré, je conclus qu'il ne constitue pas une preuve figurant au dossier et que par conséquent il n'existe aucune preuve permettant d'examiner l'argument fondé sur une comparaison.

3. L'exercice du pouvoir discrétionnaire par le sergent Estabrooks

[14]            Pour ce qui est de la question essentielle de savoir si le sergent Estabrooks était autorisé à exercer le pouvoir discrétionnaire comme il l'a fait à l'égard de la demande d'accès à l'information présentée par le demandeur, je tiens compte de l'article 46 de la Loi qui m'oblige à prendre toutes les précautions possibles pour éviter la divulgation des renseignements personnels, en particulier lorsque, comme c'est le cas ici, le paragraphe 16(2) de la Loi est invoqué. Je prends également en compte l'opinion de la Cour d'appel fédérale exposée au paragraphe 39 de Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2000] 3 C.F. 589 (C.A.F.), de la façon suivante :


Il incombe à la Cour, dans un recours en révision fondé sur l'article 41 de la Loi, de s'assurer que le pouvoir discrétionnaire conféré aux autorités administratives « a été exercé dans les limites appropriées et selon les principes appropriés » [voir Note 11 ci-dessous]. C'est pourquoi la Cour qui exerce le contrôle a accès aux documents en question en vertu de l'article 45 de la Loi. À notre avis, le demandeur qui, conformément à l'article 41 de la Loi, exerce un recours en révision du refus de communication des renseignements personnels, remet par définition en question le bien-fondé de l'exercice du pouvoir discrétionnaire en question; il n'a pas à en faire plus. Dans ces conditions, le demandeur ne peut pas faire mieux et on ne peut lui demander d'en faire plus.

Note 11 : Rubin, précité, note 9, à la p. 276. [Rubin c. Canada (Société canadienne d'hypothèques et de logement), [1989] 1 C.F. 265 (C.A.), à la p. 276.]

[15]            Par conséquent, tout ce que je peux dire est que, compte tenu des arguments de l'avocat du demandeur qui figurent dans le [traduction] Mémoire des faits et du droit conforme à la décision du juge Campbell datée du 8 novembre 2004 et compte tenu des arguments de l'avocat du défendeur contenus dans le [traduction] Nouveau mémoire des faits et du droit daté du 21 janvier 2005, je suis convaincu que le sergent Estabrooks a exercé le pouvoir discrétionnaire que lui accordait le paragraphe 16(2) de la Loi dans les limites appropriées et selon les principes appropriés.

4. L'uniformité de l'application du paragraphe 16(2) de la Loi

[16]            Outre les circonstances de la présente affaire, l'avocat du demandeur soutient qu'il existe au dossier de la présente affaire des éléments qui indiquent que la GRC n'applique pas de façon uniforme le paragraphe 16(2) pour ce qui est de la banque de données 005 (voir : contre-interrogatoire du caporal Piquette, DD, p. 148, Q. 83). L'avocat du demandeur cite les passages suivants de Ruby pour soutenir que la GRC doit utiliser une pratique uniforme :


66. Dans ces circonstances, la nature et le but particuliers de la Loi et du paragraphe 16(2) montrent que l'adoption d'une politique générale selon laquelle on ne confirme jamais l'existence de renseignements dans le fichier en question constitue un exercice raisonnable d'un pouvoir discrétionnaire. Ailleurs dans la Loi, le gouvernement s'est vu conférer des pouvoirs étendus visant à protéger le caractère secret des fichiers ayant trait aux activités destinées à faire respecter les lois lorsque la chose est jugée opportune. En offrant le choix énoncé au paragraphe 16(2), à savoir refuser de confirmer ou de nier l'existence de renseignements personnels, le législateur a prévu un mécanisme additionnel, en donnant aux institutions fédérales la possibilité d'assurer la confidentialité des documents non seulement quant à leur contenu, mais aussi quant à leur existence. Étant donné que les espions et les criminels jouent au chat et à la souris avec les organismes d'application de la loi, si l'organisme en cause estimait être tenu de divulguer des renseignements dans certaines circonstances, cela permettrait de faire des conjectures raisonnées au sujet du contenu des fichiers de renseignements en se fondant sur le genre de réponses données. Cette menace est éliminée par l'adoption de la politique générale voulant que l'on refuse toujours de confirmer l'existence de renseignements personnels.

Et :

49. Nous sommes d'accord avec le défendeur pour dire que révéler au demandeur que le fichier contient des renseignements le concernant, ce serait lui révéler qu'il fait l'objet d'une enquête, ce qui pourrait compromettre le déroulement d'enquêtes en cours de nature délicate. De plus, si le pouvoir de faire état de l'existence de renseignements personnels conféré au paragraphe 16(2) était exercé sur une base individuelle, de sorte que l'on confirmerait parfois et que l'on nierait parfois l'existence de renseignements, il ne serait pas difficile d'imaginer que, compte tenu de la nature du fichier lui-même, un individu ou un groupe d'individus parviendraient à déterminer le champ, la portée, la longueur et l'envergure d'enquêtes en cours ou d'enquêtes connexes. [Voir Note 13 ci-dessous.]

Note 13 : Voir Henrie c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), [1989] 2 C.F. 229 (1re inst.), aux p. 242 et 243; conf. par (1992), 88 D.L.R. (4th) 575 (C.A.F.).

[17]            Je ne souscris pas à l'argument de l'avocat du demandeur selon lequel les observations tirées de Ruby établissent l'existence d'une telle obligation. Je retiens l'argument de l'avocat du défendeur selon lequel l'adoption d'une pratique variable en matière d'application du paragraphe 16(2) permet d'obtenir l'objet recherché par le recours au paragraphe 16(2), à savoir protéger contre la menace de divulgation le contenu des banques de renseignements.


                                        ORDONNANCE

Pour ces motifs, je rejette la demande.

À la demande des avocats, je réserve la décision relative aux dépens en attendant d'autres observations, qui devront être déposées dans les 30 jours de la date de la présente ordonnance.

                                                                      « Douglas R. Campbell »        

                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                          T-2209-00

INTITULÉ :                                         ELVIO DEL ZOTTO

demandeur

et

SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 8 FÉVRIER 2005

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                         LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                        LE 10 FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS :

William C. McDowell

Robert Calderwood                                                                   pour le demandeur

Suzanne Duncan                                                                        pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tetrault Srl

Toronto (Ontario)

Del Zotto, Zorzi, Srl

Toronto (Ontario)                                                                      pour le demandeur

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                            pour le défendeur

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