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Date : 20050321

Dossier : T-968-04

Référence : 2005 CF 392

Ottawa (Ontario), le 21 mars 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY                          

ENTRE :

                                                       MINISTRE DU TRAVAIL

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

GEORGE SMITH TRUCKING LIMITED,

FLORENCE SMITH, GEORGE SMITH

et NICK TALAGA

                                                                                                                                          défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La Cour est saisie d'une requête présentée par le ministre du Travail en vue de faire condamner les défendeurs pour outrage au tribunal en vertu de la règle 467 des Règles de la Cour fédérale, DORS/1998-106, pour avoir désobéi à une ordonnance de la Cour qui leur interdisait de se servir d'un chariot élévateur à fourche « Hyster » tant que les directives données par le demandeur n'auraient pas toutes été suivies.


QUESTION EN LITIGE

[2]                Les défendeurs George Smith Trucking Limited et George Smith sont-ils coupables d'outrage au tribunal?

[3]                Pour les motifs qui suivent, je dois répondre à cette question par l'affirmative.

RAPPEL DES FAITS

[4]                George Smith Trucking Ltd. (l'employeur) est une entreprise de camionnage interprovinciale située au 1975, boulevard Brookside, dans la ville de Winnipeg. Elle transporte des marchandises dans des conteneurs, soit au moyen de grandes remorques routières, soit au moyen de conteneurs universels d'expédition. C'est un employeur assujetti à la réglementation fédérale. George Smith est le directeur et le secrétaire de la compagnie et il est l'âme dirigeante de l'entreprise de camionnage. Son fils, David Smith, est le directeur adjoint de la compagnie.

[5]                Le ministre est chargé de l'application du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 (le Code), et du Règlement concernant la sécurité et la santé au travail (le Règlement) pris en vertu de la partie II du Code.


[6]                En tant qu'entreprise interprovinciale de camionnage assujettie à la réglementation fédérale, George Smith Trucking Ltd. est régie par le Code et ses règlements d'application en tant qu' « employeur » au sens du Code et elle doit par conséquent se plier aux directives du demandeur.

[7]                En mars 2004, Andrew McKechnie, un agent de santé et sécurité (l'agent) travaillant au Programme du travail, au ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences du Canada (RHDC), a entrepris l'inspection de l'établissement de l'employeur afin d'inspecter un chariot élévateur à fourche qui, selon le signalement qu'il avait reçu, se trouvait dans un état qui le rendait trop dangereux pour être utilisé par les travailleurs.

[8]                À la suite de cette inspection, l'agent McKechnie a, le 1er avril 2004, donné une directive enjoignant à l'employeur, en vertu de l'alinéa 125(1)k) du Code, de réparer le chariot élévateur défectueux. Une enquête plus poussée a conduit l'agent McKechnie, le 5 avril 2004, à donner une autre directive (A-4) enjoignant à l'employeur, en vertu de l'article 145 du Code, de ne pas utiliser le chariot élévateur en question avec la fourche y attenante et de ne pas s'en servir tant que le problème de direction ne serait pas corrigé.

[9]                Le 19 avril 2004, l'agent Alex Kozubal a donné à l'employeur une autre directive (A-10) au sujet du rail courbé et de la chaîné usée du chariot élévateur à fourche « Hyster » . Selon la directive, l'employeur devait retirer le chariot élévateur à fourche de la circulation jusqu'à ce qu'il soit réparé ou modifié de façon satisfaisante par un ingénieur compétent et il était interdit à ses employés de le conduire.


[10]            Le 3 mai 2004, l'agent McKechnie a observé, photographié et enregistré sur vidéocassette David Smith en train de conduire le chariot élévateur à fourche au mépris des directives données en avril. En conséquence, le 18 mai 2004, le demandeur a déposé une requête en vue d'obtenir une injonction interdisant à la défenderesse de conduire ou d'utiliser le chariot élévateur à fourche « Hyster » tant qu'elle ne se serait pas conformée à toutes les directives.

[11]            Le 26 mai 2004, les défendeurs George Smith Trucking Limited et George Smith ont, par l'entremise de leur avocat, acquiescé à la demande en s'engageant, aux termes d'une lettre de consentement, à s'abstenir de conduire ou d'utiliser le chariot élévateur à fourche « Hyster » .

[12]            Le 3 juin 2004, le juge Pinard, de la Cour fédérale, a rendu une ordonnance (A-7) aux termes de laquelle il accordait l'injonction aux conditions convenues par les parties. Malgré cette ordonnance de la Cour, les défendeurs ont continué d'utiliser le chariot élévateur à fourche « Hyster » .

[13]            Le 28 juin 2004, le demandeur a déposé une requête en vue de la tenue d'une audience sur l'outrage au tribunal. Cette audience a eu lieu le 5 juillet 2004 par voie de conférence téléphonique et la juge Heneghan de la Cour fédérale a ordonné la tenue d'une audience de justification.

[14]            En raison des risques que présentait le chariot élévateur à fourche et de la violation continue de l'injonction, l'agent McKechnie était extrêmement préoccupé par la sécurité de ceux qui conduisaient le chariot en question ou qui travaillaient dans les alentours. En conséquence, le 19 juillet 2004, il a demandé le prononcé d'une injonction interlocutoire ordonnant la confiscation immédiate de l'appareil pour assurer la protection et la sécurité des personnes qui le conduisaient ou qui travaillaient à proximité jusqu'à ce qu'une décision ait été rendue au sujet de la requête en vue de la tenue d'une audience sur l'outrage au tribunal.

[15]            Le 21 juillet 2004, le juge Shore a accordé l'injonction demandée et a ordonné que le chariot élévateur à fourche « Hyster » soit confisqué et qu'il soit confié à la garde du demandeur.

[16]            Le 5 octobre 2004, l'administrateur judiciaire de la Cour fédérale a fixé au jeudi 13 janvier 2005 à Winnipeg la tenue de l'audience sur l'outrage au tribunal.

ANALYSE

[17]            Voici comment lord Russell of Killowen définit l'outrage au tribunal dans l'arrêt R. c. Gray, [1900] Q.B. 36, à la page 40 :

[TRADUCTION] Tout acte ou toute publication propre à attirer le mépris sur un tribunal ou sur un juge ou à diminuer son autorité constitue une catégorie d'outrage au tribunal. De plus, tout acte ou toute publication propre à entraver la bonne marche de la justice ou les activités légales des tribunaux ou à y faire obstacle est également un outrage au tribunal. Il s'agit, dans le premier cas, d'actes que lord Hardwicke a qualifiés d' « agissements qui scandalisent le tribunal ou le juge » .


Cette définition classique a été citée dans de nombreux arrêts-clés canadiens tels que l'arrêt Poje c. Attorney General for British Columbia, [1953] 1 R.C.S. 516. Sa portée a par la suite été précisée à la règle 466 des Règles de la Cour fédérale, dont voici le texte :


ORDONNANCES POUR OUTRAGE

Outrage

466. Sous réserve de la règle 467, est coupable d'outrage au tribunal quiconque    :

a) étant présent à une audience de la Cour, ne se comporte pas avec respect, ne garde pas le silence ou manifeste son approbation ou sa désapprobation du déroulement de l'instance;

b) désobéit à un moyen de contrainte ou à une ordonnance de la Cour;

c) agit de façon à entraver la bonne administration de la justice ou à porter atteinte à l'autorité ou à la dignité de la Cour;

d) étant un fonctionnaire de la Cour, n'accomplit pas ses fonctions;

e) étant un shérif ou un huissier, n'exécute pas immédiatement un bref ou ne dresse pas le procès-verbal d'exécution, ou enfreint une règle dont la violation le rend passible d'une peine.

CONTEMPT ORDERS

Contempt

466. Subject to rule 467, a person is guilty of contempt of Court who

(a) at a hearing fails to maintain a respectful attitude, remain silent or refrain from showing approval or disapproval of the proceeding;

(b) disobeys a process or order of the Court;              

(c) acts in such a way as to interfere with the orderly administration of justice, or to impair the authority or dignity of the Court;

(d) is an officer of the Court and fails to perform his or her duty; or

(e) is a sheriff or bailiff and does not execute a writ forthwith or does not make a return thereof or, in executing it, infringes a rule the contravention of which renders the sheriff or bailiff liable to a penalty.


[18]            Dans le cas qui nous occupe, les défendeurs George Smith Trucking Limited et George Smith ont-il contrevenu à l'alinéa 466b) en désobéissant à une ordonnance de la Cour, en l'occurrence l'injonction en date du 3 juin 2004 par laquelle le juge Pinard leur a interdit de conduire ou d'utiliser le chariot élévateur à fourche « Hyster » tant que toutes les directives données en vertu du Code canadien du travail n'auraient pas été suivies?

[19]            En l'espèce, les défendeurs ont été mis au courant du détail de l'outrage au tribunal à la suite du prononcé de l'ordonnance de la juge Heneghan.

[20]            Le demandeur a communiqué tous les éléments de preuve défavorables aux défendeurs avant l'audience. À la date du procès, j'ai expliqué à George Smith qu'il ne pouvait être contraint à témoigner (paragraphe 470 (2)) mais qu'il pouvait demander à d'autres personnes de témoigner pour son compte. George Smith Limited n'était pas représentée à l'audience parce que le juge O'Keefe avait rejeté le 11 août 2004 la requête présentée par George Smith en vue d'obtenir une ordonnance l'autorisant à représenter sa compagnie, et aucun avocat n'était présent au procès.

[21]            La preuve et la norme de preuve applicables à l'audience sur l'outrage au tribunal sont précisées à la règle 469 : « La déclaration de culpabilité dans le cas d'outrage au tribunal est fondée sur une preuve hors de tout doute raisonnable » .

[22]            La preuve soumise par le demandeur ne pourrait être plus convaincante. Les défendeurs ont été enregistrés à plusieurs reprises sur vidéocassette en train de se servir du chariot élévateur à fourche « Hyster » . L'agent Andrew McKechnie est la première personne à avoir enregistré sur vidéocassette le chariot élévateur à fourche « Hyster » en train d'être utilisé en contravention des directives données en avril et malgré les étiquettes fixées sur le chariot qui portaient la mention [TRADUCTION] « DANGER - NE PAS UTILISER » (pièce A-5).

[23]            À la suite de cet incident, l'agent a déposé devant la Cour une requête en injonction interlocutoire pour s'assurer que les défendeurs se conforment aux directives. Les défendeurs étaient parfaitement au courant de l'ordonnance et ont convenu de ne pas utiliser le chariot élévateur à fourche « Hyster » . C'est sur la foi de cet engagement que le juge Pinard a prononcé l'ordonnance suivante :

[Traduction] Les défendeurs, leurs mandataires, préposés et toute autre personne agissant conformément à leurs instructions devront cesser et s'abstenir de conduire et d'utiliser le chariot élévateur à fourche HYSTER identifié dans la demande déposée par le demandeur le 17 mai 2004 tant que toutes les directives données en vertu du Code canadien du travail à son sujet n'auront pas été exécutées.

Ainsi qu'il est précisé dans la lettre du 2 juin 2004 adressée à la Cour par l'avocat du demandeur, « le prononcé de cette ordonnance de consentement règle également le sort de l'avis de requête déposé par le demandeur, compte tenu du fait qu'il vise essentiellement la même réparation que la demande » .

[24]            Cependant, indépendamment de l'injonction, en juin 2004, George Smith et George Smith fils ont été enregistrés sur vidéocassette (pièce A-1) par un détective privé agréé, Ian Houston, en train d'agir au mépris de l'ordonnance. Ces faits ont été confirmés par Andrew McKechnie. Alex Kozubal, un agent de santé et de sécurité qui a vu la vidéo (pièce A-1) et qui a affirmé qu'il avait reconnu George Smith fils, le directeur général adjoint de George Smith Trucking Limited, comme étant l'un des conducteurs. En contre-interrogatoire, le défendeur, George Smith, a admis avoir personnellement contrevenu à l'ordonnance.


[25]            Face à de tels éléments de preuve, je n'ai pas été convaincu par le témoignage de David Voth, un soudeur, qui a déposé pour le compte des défendeurs, que le chariot élévateur à fourche était capable de soulever un conteneur vide de 20 pieds d'environ 5 000 livres. Après examen, le certificat d'intégrité (pièce DGS-1) établi par le soudeur des défendeurs et envoyé en juillet 2004 a été jugé non conforme aux directives qui avaient été données. Les représentants du demandeur ont, le 21 juillet 2004, envoyé une lettre en ce sens aux défendeurs (pièce A-9).

[26]            En l'espèce, il est évident que les défendeurs étaient au courant des directives données par l'agent et de l'injonction prononcée par la Cour. Or, en dépit du fait que la Cour leur avait interdit d'utiliser le chariot élévateur à fourche « Hyster » tant qu'ils ne se seraient pas conformés à toutes les directives, les défendeurs ont délibérément transgressé une ordonnance de la Cour. Je suis d'avis que les défendeurs ont sciemment contrevenu à l'ordonnance de la Cour malgré le danger qu'ils faisaient ainsi courir au public et à la sécurité des employés. Je suis par conséquent convaincu au-delà de tout doute raisonnable que les défendeurs sont coupables d'outrage au tribunal.

[27]            Le chariot élévateur à fourche a été saisi le 22 juin 2004 et se trouve en la possession du demandeur depuis cette date.

[28]            En vertu de la règle 472 des Règles de la Cour fédérale et après avoir examiné les observations orales des défendeurs (aucune observation écrite n'a été envoyée au greffe), ainsi que les observations orales et écrites du demandeur sur la peine à infliger, la Cour rendra l'ordonnance qui suit :

1.         George Smith Trucking Limited est condamnée à une amende de 5000 $;


2.         George Smith est condamné à une amende de 5 000 $;

3.         George Smith Trucking Limited et George Smith sont condamnés à payer la somme de 5 300,99 $ au demandeur à titre de débours;

4.         Les défendeurs George Smith et George Smith Trucking Limited sont comdamnés à payer la somme de 15 000 $ à titre de dépens;

5.         Les défendeurs disposeront d'un délai de 120 jours pour payer l'amende, les débours et les dépens;

6.         À défaut de payer son amende, George Smith sera emprisonné pour une période de trente (30) jours;

7.         Le demandeur peut déposer une requête après l'expiration d'un délai de 180 jours suivant le prononcé de la présente ordonnance pour qu'il soit disposé du chariot élévateur à fourche aux frais des défendeurs si ceux-ci ne se sont pas conformés aux directives. Les défendeurs se chargeront des frais d'entreposage accumulés entre le 22 juin 2004 et la date à laquelle ils se seront conformés aux directives ou celle à laquelle il sera disposé du chariot élévateur à fourche.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         George Smith Trucking Limited est condamnée à une amende de 5000 $;


2.         George Smith est condamné à une amende de 5 000 $;

3.         George Smith Trucking Limited et George Smith sont condamnés à payer la somme de 5 300,99 $ au demandeur à titre de débours;

4.         Les défendeurs George Smith et George Smith Trucking Limited sont condamnés à payer la somme de 15 000 $ à titre de dépens;

5.         Les défendeurs disposeront d'un délai de 120 jours pour payer l'amende, les débours et les dépens;

6.         À défaut de payer son amende, George Smith sera emprisonné pour une période de trente (30) jours;

7.         Le demandeur peut déposer une requête après l'expiration d'un délai de 180 jours suivant le prononcé de la présente ordonnance pour qu'il soit disposé du chariot élévateur à fourche aux frais des défendeurs si ceux-ci ne se sont pas conformés aux directives. Les défendeurs se chargeront des frais d'entreposage accumulés entre le 22 juin 2004 et la date à laquelle ils se seront conformés aux directives ou celle à laquelle il sera disposé du chariot élévateur à fourche.

                                                                               « Michel Beaudry »                            

Juge


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                T-968-04

INTITULÉ :                                                                MINISTRE DU TRAVAIL c.

GEORGE SMITH TRUCKING,

FLORENCE SMITH, GEORGE

SMITH et NICK TALAGA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        Le 13 janvier 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                               Le juge Beaudry

DATE DES MOTIFS :                                               Le 21 mars 2005

COMPARUTIONS :

Duncan Fraser                                                   POUR LE DEMANDEUR

George Smith                                                                POUR LES DÉFENDEURS

(pour son propre compte)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :    

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

George Smith                                                                POUR LES DÉFENDEURS

(pour son propre compte)

Winnipeg (Manitoba)    


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