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Date : 20050413

 

Dossiers : T ‑1027‑01

T-304-03

 

Référence : 2005 CF 501

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Dossier : T-1027-01

ENTRE :

  ROSITA HAYLOCK, CECILE ADAIR, DONALD BURGESS,

JENNIFER COLLEY, SOPHIE GEOFFRION, EILEEN HINKLEY,

JUDY MARCHE, HEATHER REARDIGAN,

DANIELLE SEGALL, LONNIE TYACKE

et IRENE WALD

demandeurs

et

 

NORWEGIAN CRUISE LINES LIMITED

et LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT DANS

LES NAVIRES « NORWAY », « NORWEGIAN CROWN »,

« NORWEGIAN DREAM » (anciennement « DREAMWARD »),

« CROWN DYNASTY » (anciennement « NORWEGIAN DYNASTY »),

« SUPERSTAR TAURUS » (anciennement « LEEWARD »),

« NORWEGIAN MAJESTY »,

« NORWEGIAN SEA » (anciennement « SEAWARD »),

« NORWEGIAN SKY »,

« NORWEGIAN STAR » (anciennement « ROYAL ODYSSEY »),

« NORWEGIAN WIND » (anciennement « WINDWARD ») et « SEAWING »

défendeurs

 

Dossier : T-304-03

ENTRE :

JO-ANNE GRAHAM, JUDE LISKOWICH,

JANE McCLAIN, DIANA PLANTE

et JULIA STRAUTMAN

demandeurs

et

 

NORWEGIAN CRUISE LINES LIMITED

et LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT DANS

LES NAVIRES « NORWAY », « CROWN ODYSSEY » (anciennement « NORWEGIAN CROWN »), « NORWEGIAN DREAM » (anciennement « DREAMWARD »),

« BRAEMAR » (anciennement « CROWN DYNASTY », anciennement « NORWEGIAN DYNASTY »),

« SILJA OPERA » (anciennement « SUPERSTAR TAURUS », anciennement « LEEWARD »),


« NORWEGIAN MAJESTY », « NORWEGIAN SEA » (anciennement « SEAWARD »),

« NORWEGIAN SKY », « NORWEGIAN STAR » (anciennement « ROYAL ODYSSEY »),

« NORWEGIAN SUN » et « NORWEGIAN WIND » (anciennement « WINDWARD »)

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

 

 

FAITS

 

  • [1] Les deux présentes actions, T-1027 (l’« action 01 ») et T-304-03 (l’« action 03 ») qui sont en cours depuis le 11 juin 2001 et le 20 février 2003 respectivement, touchent à des réclamations concernant des heures supplémentaires par onze infirmières à bord de navires dans l’action 01 et cinq infirmières à bord de navires dans l’action 03.

  • [2] Dans un effort de faire avancer l’action 01, on a ordonné une gestion du cas le 6 janvier 2003, avec le juge en chef désignant des juges de gestion de cas le 2 avril 2003, madame la juge McGillis ayant ordonné un échéancier, les parties et la cour, en janvier 2003 s’attendaient à voir une requête d’une conférence avant la première instance au plus tard au 26 septembre 2003. L’action 03 s’est interposée.

  • [3] Le 30 juillet 2003, dans un effort d’économiser, l’interrogatoire préalable pour les deux dossiers a été divisé en une phase initiale écrite, de sorte que les défendeurs puissent décider lesquels des plaignants interroger au préalable, étant donné que ces derniers étaient éparpillés partout dans le monde, y compris sur plusieurs navires; le résultat en était un calendrier modifié déposé auprès de la Cour le 25 août 2003 qui a mené à une demande de conférence préparatoire prévue le 30 septembre 2004 pour les dossiers 01 et 03. Au 25 août 2003, l’action 01 avait été en gestion de l’instance pendant un bon nombre de mois et l’action 03 était traitée comme l’objet d’un régime de gestion concurrent ad hoc. Avec le consentement de l’avocat et du gestionnaire de cas, un nouveau calendrier datant du 30 janvier 2004 a été déposé à la Cour le 21 avril 2004, qui prévoyait le dépôt d’une demande de conférence préparatoire au plus tard au 25 septembre 2004. Ce calendrier s’est avéré impossible : La Cour, après avoir consulté l’avocat, a délivré une ordonnance de gestion de cas le 15 juin 2004. L’ordonnance stipulait ce qui suit :

 

 


[traduction]

1er septembre 204 (sic)  Les affidavits des documents des demandeurs et des défendeurs et les documents énumérés à l’Annexe I doivent être échangés.

1er novembre 2004  Les réponses aux interrogatoires préalables des demandeurs au moyen d’examens écrits doivent être inscrites à l’affidavit.

14 avril 2005  Les interrogatoires préalables des demandeurs et des défendeurs au moyen d’un examen oral doivent être achevés.

15 septembre 2005  Des réponses aux demandes en suspens des interrogatoires préalables des demandeurs et des défendeurs doivent être fournies.

30 septembre 2005  La demande de conférence préalable à l’instruction doit être présentée.

 

Le calendrier ordonné le 15 juin 2004 devait s’appliquer à la fois à l’action 01 et à l’action 03.

 

  • [4] Les questions de l’interrogatoire préalable écrit ont été transmises à l’avocat des demandeurs le 2 septembre 2003, pour les deux actions, c’est-à-dire il y a environ un an et demi. Dans l’intérim, et avant le début de la présente requête, les demanderesses Rosita Haylock, Judy Marche, Sophie Geoffrion, Jennifer Colley, Irene Wald, Heather Reardigan, Jude Liskowich et Diana Plante ont fourni des réponses aux interrogatoires écrits.

  • [5] Le juge en chef a ordonné que l’action 03 soit poursuivie à titre d’instance à gestion spéciale le 8 mars 2005.

  • [6] Au 1er avril 2005, cinq des demandeurs de l’action 01 et trois des plaignants de l’action 03 n’avaient pas fourni de réponses d’affidavit aux interrogatoires écrits, réponses qui étaient dues le 1er novembre 2004. Le 1er avril 2005, les défendeurs, inquiets de perdre leurs droits à un interrogatoire oral, à exercer au plus tard au 14 avril 2005, ont déposé la présente requête en radiation des demandeurs en défaut, ou alternativement, pour un autre calendrier qui prolongerait le délai pour les différentes mesures restantes jusqu’à la présentation de la demande d’une conférence préparatoire au plus tard au 20 janvier 2006, avec dépens aux défendeurs.

  • [7] L’avocat des demandeurs était en mesure d’aviser, lors d’une audience de la présente requête, qu’au moins l’un des demandeurs devait recevoir un affidavit par courrier. Toutefois, il a également avisé que, selon lui, il n’était pas en mesure de fournir des éléments de preuve d’affidavits en ce qui concerne le progrès quant à la soumission des réponses sous serment à l’interrogatoire préalable, étant donné qu’il pensait que de le faire donnerait un certain avantage à l’autre partie : un plaideur ne peut gagner sur les deux tableaux, demandant des concessions qui portent atteinte aux droits de l’autre partie, mais refusant de soumettre des éléments de preuve d’affidavit pour appuyer la demande des concessions. L’une des demanderesses a bien quitté son navire il n’y a pas très longtemps, mais elle est partie en vacances en Afrique, et la meilleure estimation est que sa réponse à l’interrogatoire préalable écrit serait peut-être disponible vers la mi-avril.

  • [8] L’avocat des demandeurs soutient que l’ordonnance du 15 juin 2004, qui a été enfreint en ce qui concerne le délai du 1er novembre 2004 pour les réponses à l’interrogatoire préalable, contenait bien la liberté d’appliquer la disposition d’autoriser la divergence ou des ajouts au calendrier. Le concept de la liberté d’appliquer ne confère aucun droit de demander la modification d’une ordonnance, mais plutôt elle est insérée dans des ordonnances qui peuvent exiger, s’il existe des circonstances particulières ou spéciales, une exécution de l’ordonnance. Ce qui me préoccupe ici est que l’échéance du 1er novembre 2004 établie par une ordonnance est éloignée dans le passé, sans que les demandeurs soient venus à la Cour pour offrir leurs éléments de preuve à temps, afin d’obtenir une prolongation de l’échéance du 1er novembre 2004.

  • [9] En ce qui concerne la preuve de la raison d’avoir manqué l’échéance du 1er novembre 2004, l’avocat fournit des preuves d’affidavit que chaque série d’interrogatoires écrits pour les réponses aux interrogatoires variait entre 59 pages et 109 pages de documents à simple interligne et que le résultat en était, selon l’avocat des demandeurs, que l’assemblage des réponses des interrogatoires préalables a pris du temps. En outre, la majorité de ces documents devaient être organisés par courrier. Je note ici qu’à partir du 11 janvier 2005 un seul demandeur a fourni les réponses aux interrogatoires écrits, avec sept autres demandeurs soumettant leurs réponses entre le 1er février 2005 et le 18 mars 2005.

  • [10] Avant de me pencher sur un examen de la requête elle-même, il y a deux passages dans une lettre en date du 13 janvier 2005 de l’avocat des demandeurs à l’avocat des défendeurs, qui sont en rapport :

 

 

 


 

 

 

 


[traduction]

Comme nous vous avons avisé dans notre lettre du 5 novembre 2004, les réponses fournies par les demandeurs prennent plus de temps que prévu afin d’être aussi complètes et aussi utiles que possible. Nous avons actuellement des ébauches de réponses de toutes les infirmières et nous sommes en cours de mettre au point les réponses et les mettre sous forme d’affidavits. Nous ne pourrons fournir des réponses sous serment d’aucun des infirmiers d’ici au 19 janvier 2005, entre autres étant donné qu’aucun des infirmiers qui doivent fournir des réponses sous serment n’habite en Colombie-Britannique et un certain nombre n’est actuellement pas au Canada. Une partie importante de la correspondance avec les infirmiers doit toujours s’effectuer par courrier.

 

Ce qui fait souci, c’est que tandis qu’à partir du 13 janvier 2005, les demandeurs avaient tous fourni des ébauches de réponses aux questions de l’interrogatoire préalable du 2 septembre 2003, trois mois après avoir reçu les ébauches de réponses en main, huit réponses demeurent toujours en suspens. Ce délai est considérable, même si l’on admet que ceux dont les réponses sont toujours en suspens soit habitent ailleurs au Canada, soit ne sont actuellement pas au Canada. La lettre du 13 janvier 2005 se poursuit ainsi :

 

Nous n’avons pris en considération que tous les infirmiers ont respecté l’ordonnance du protonotaire Hargrave sans excuse valable et qu’il est prématuré pour l’heure d’envisager la radiation d’aucune de leurs demandes. Toutefois, si vous pensez qu’il serait utile pour faire avancer l’affaire, nous serons heureux à tout moment de participer à une conférence de gestion de cas avec le protonotaire Hargrave afin de lui montrer les réponses fournies et de décrire la situation actuelle.

 


Nous avons ici une observation qu’il y a des excuses raisonnables pour le manquement de se conformer à l’ordonnance du 15 juin 2004 et qu’il est prématuré d’envisager la radiation d’aucune des demandes. Toutefois, les seules excuses semblent être que les infirmiers ne sont pas bien situés; que le travail nécessaire pour organiser et traiter les réponses était plus important qu’anticipé; que l’une des plaignantes, alors qu’elle a quitté son navire le 20 février 2005, est en voyage en Afrique depuis; que l’ordonnance du 15 juin 2004 était fondée sur l’estimation de l’avocat que les interrogatoires préalables écrits pouvaient être achevés au 1er novembre 2004, et que radier la demande serait un remède radical qui devrait être réservé aux instances où il est manifeste que la conduite de la partie constituait un abus de procédure.

 

EXAMEN

 

  • [11] L’avocat des demandeurs soutient qu’il devrait y avoir un nouveau calendrier, non pas celui suggéré en alternative par les défendeurs dans leur requête, mais un autre qui laisse un peu plus de temps et en outre où les demandeurs conservent tout droit qu’ils puissent avoir à convertir les deux instances actuelles en recours collectif. La difficulté avec tout cela est que la demande des demanderesses d’avoir un délai supplémentaire n’offre pas une échéance plus éloignée qu’il n’y ait eu jusqu’ici, malgré une ordonnance prescrivant le calendrier, et que, pour les demandeurs, reconstituer les actions 01 et 03 en tant que recours collectifs entraînerait vraisemblablement une procédure prolongée davantage. Ma préoccupation ici est également que le côté économique de la présente action n’a pas été pris suffisamment au sérieux, bien que l’avocat des demandeurs ait convenu, lors de son argument oral, que les seize demandes, qui sont essentiellement des affaires séparées, devenaient coûteuses, étant donné que chacun des demandeurs finançait sa propre action.

  • [12] Il est important que les demandeurs aient non seulement une bonne compréhension initiale de leur affaire, mais qu’ils reconnaissent aussi leur obligation, sou réserve de circonstances atténuantes, de faire avancer l’affaire en vue d’une conclusion d’une manière opportune et diligente. Dans les présentes actions les motifs et excuses pour ne même pas avoir atteint le premier stade de l’interrogatoire préalable écrit, d’une manière opportune dans des actions parallèles, qui sont vieilles d’environ quatre et deux ans respectivement, sont minces, et effectivement indiquent que les actions ne constituent pas une priorité élevée pour certains des demandeurs et indique peut-être également un manque de ressources, ce qui n’aide pas les demandeurs en défaut. Le fait que les demandeurs en défaut ne peuvent donner aucune assurance concernant à quel moment ils pourraient être prêts pour une conférence préparatoire et le fait qu’ils envisagent la mesure additionnelle de demander à autoriser leur action en tant que recours collectif porte préjudice à leur demande d’un délai supplémentaire, qui constituerait une prolongation du délai de dépôt d’une demande de conférence préparatoire, d’une durée incertaine.

  • [13] Aucun des arguments ni les documents de l’affidavit sur lequel s’appuient les demandeurs en défaut ne traitent du délai et du manquement de l’échéancier énoncé dans l’ordonnance du 15 juin 2004 d’une manière significative ou opportune. Les ordonnances sont faites pour être suivies. Mais lorsqu’on a affaire à une requête en radiation des demandes de la moitié des demandeurs, je dois également garder à l’esprit que de radier un acte de procédure, mettant ainsi fin à une demande, est une issue radicale pour un échec procédural, et il ne faudrait pas y recourir à moins que la conduite contestée ne constitue un abus de procédure. Ici je pense à H. Smith Packing Corp. c Gainvir Transport Ltd. (1991) 46 F.T.R. 62, où le juge MacKay observe, à la p. 70, que la requête en radiation de la défense, dans une affaire où il s’agissait d’une omission de se conformer strictement aux règles en ce qui concerne la forme et la substance des documents, en raison d’un oubli, ne justifiait pas la radiation alors que la Cour pouvait accepter l’assurance de l’avocat que la présente affaire serait réglée le plus rapidement possible :

 


 

 


Après avoir entendu les avocats des parties, j’ai indiqué que la demande présentée pour la demanderesse, en vue de la radiation de la défense produite par la Hub Forwarding, serait rejetée par la voie d’une ordonnance accompagnant les présents motifs que les avocats avaient demandés. Ma conclusion repose sur les facteurs suivants. Le redressement demandé, soit la radiation de la défense produite, est une mesure très radicale pour des défauts de procédure et il ne faudrait y recourir que dans les cas où il est bien évident que la partie défenderesse, de par sa conduite, a abusé des procédures de la Cour. Je ne suis pas convaincu que c’est le cas en l’espèce. J’accepte l’assurance de l’avocat de la défenderesse que le défaut de satisfaire aux conditions expresses de l’ordonnance rendue par le juge Reed le 13 novembre 1990 était un oubli de sa part et qu’il avait bel et bien tenté de se conformer à cette ordonnance. J’accepte qu’il s’agît d’un oubli de sa part, mais cela n’excuse pas sa conduite en tant qu’officier de la Cour. Cependant, à ce stade-ci, je ne suis pas disposé à juger qu’un oubli justifie le fait de radier la défense de la partie que l’avocat représente. En outre, j’accepte l’assurance de l’avocat de la défenderesse qu’il souhaite que la présente affaire soit réglée aussi rapidement que possible.

 

L’espèce a été présentée tout à fait adéquatement à mon attention par l’avocat des défendeurs. La difficulté d’appliquer l’affaire Smith Packing aux circonstances en l’espèce tient au fait que le délai n’est pas le résultat d’un oubli, et qu’il n’y a aucune assurance significative ni des demandeurs en défaut ni de l’avocat que ce différend sera réglé bientôt ou à une date estimée donnée.

 

  • [14] Contrastant avec Smith Packing, l’avocat des défendeurs a renvoyé à Pioneer Grain Co. c Far Eastern Shipping Co, une décision non publiée du 15 décembre 1999, au T-891-94, confirmée (2000) 181 F.T.R. 161 par monsieur le juge Muldoon. La question en litige était la violation de quatre ordonnances consécutives concernant la production de documents dans une demande très conséquente :

 

15.  Le point litigieux se rapporte à la violation de quatre ordonnances judiciaires; des explications ont été fournies à ce sujet, sans toutefois qu’une excuse soit donnée. En général, les tribunaux ne radient pas une demande lorsque la production de documents n’est pas conforme à une ordonnance judiciaire, car cette mesure serait draconienne. Pourtant, il faut obéir aux ordonnances dans la mesure où il est raisonnable de le faire. Lorsque le défaut d’observation constitue une conduite équivalant à un abus, il sera mis fin à l’action, et je citerai ici la décision Smith Packing Corporation c Gainvir Transport Ltd. (1992), 46 F.T.R. 62, rendue par Monsieur le juge MacKay. Dans l’affaire Smith Packing, les demanderesses sollicitaient la radiation d’une défense parce qu’une liste de documents produite par la défenderesse, conformément à une ordonnance de la Cour, n’était pas conforme à l’ordonnance de la Cour et aux Règles de la Cour fédérale. Monsieur le juge MacKay a fait les remarques suivantes :

 

Le redressement demandé, soit la radiation de la défense produite, est une mesure très radicale pour des défauts de procédure et il ne faudrait y recourir que dans les cas où il est bien évident que la partie défenderesse, de par sa conduite, a abusé des procédures de la Cour. Page 70)

 


 

16.  En l’espèce, il y a clairement eu abus de la part d’une demanderesse qui n’a pas tenu compte de quatre ordonnances judiciaires visant à la production de documents, même si les documents existent et sont disponibles, comme les demanderesses l’ont elles-mêmes avoué. Les défendeurs ont le droit de voir cet ensemble précis de documents. Une demanderesse qui semble ne pas avoir intérêt à produire les documents et qui est prête à courir le risque associé à l’inobservation de quatre ordonnances judiciaires précises a à maintes reprises empêché les défendeurs de voir ces documents. Par conséquent, l’action est rejetée, un abus de procédure ayant été commis.

 

[Motifs non publiés du 15 décembre 1999]

 

Dans la décision Pioneer Grain, la déclaration des demandeurs a été radiée.

 

  • [15] L’affaire Zazula c Canada (2003) 234 F.T.R. 222, traitait du défaut de fournir des dates aux fins des interrogatoires préalables, bien qu’une directive ait été donnée et qu’une ordonnance ait été rendue et l’absence d’un plan visant à faire progresser l’affaire jusqu’à sa conclusion, ce qui constitue un abus. Dans Zazula j’ai eu l’occasion à renvoyer, en passant, à la page 224, à la fois d’une manière générale en ce qui concerne le respect des échéances et à ce que monsieur le juge Muldoon avait à dire à l’appel de l’affaire Pioneer Grain (précitée) :

 

Les délais fixés par la Cour, conformément aux Règles et par ordonnance, ne sont pas simplement des dates cibles. Ces délais doivent être respectés, parce qu’un retard peut causer un préjudice et parce qu’un litige doit arriver à une conclusion en temps opportun. Cela ne veut pas dire que les délais sont fixés d’une façon absolue, car il y a bien longtemps que les tribunaux judiciaires ne refusent plus d’entendre un plaideur simplement à cause d’une erreur ou de circonstances indépendantes de sa volonté qui l’ont empêché de respecter les délais. Toutefois, en l’espèce, les retards et les délais non respectés sont devenus chose courante. Ce genre d’approche à un litige, de la part d’un demandeur qui est tenu de faire progresser l’affaire jusqu’à sa conclusion d’une façon ordonnée et opportune, peut constituer un abus de procédure, comme l’a souligné Monsieur le juge Muldoon dans la décision Pioneer Grain Co. C. Far-Eastern Shipping Co. v. Far-Eastern Shipping Co. (FESCO) (2000), 181 F.T.R. 161, aux pages 165 et 166 :

 

[…] Assurément, le fait d’intenter une action en justice et de faire fi, par la suite, des ordonnances rendues par la Cour pour faciliter la gestion de l’instance constitue un abus du processus judiciaire. Dans les instances civiles où il est possible de remédier aux abus d’une partie en radiant simplement ses actes de procédure (par lesquels elle tente d’obtenir l’assistance de la Cour), la Cour est amplement justifiée, selon ses règles bien connues, de refuser son aide à l’auteur d’un abus.


 

 

Dans la décision Pioneer Grain, rien ne permettait de ne pas tenir compte des ordonnances de la Cour.

 

Le sens général de ce passage est qu’alors que les échéances n’ont pas nécessairement un caractère absolu, elles sont plus que des simples objectifs : les échéances, sauf en cas d’événements impossibles à contrôler, doivent être respectées, autrement le différend ne sera pas réglé en temps opportun. Le fait qu’un banal non-respect des échéances peut constituer un abus s’applique également en l’espèce. Dans le passage cité de Pioneer Grain ci‑dessus, monsieur le juge Muldoon fait valoir qu’ignorer les ordonnances de gestion constitue un abus de procédure, un abus qui peut être réglé en rejetant les plaidoyers dans lesquels une partie demande à obtenir l’aide de la Cour.

 

  • [16] Le protonotaire Morneau est allé encore plus loin dans Ferrostaal Metals Ltd. c Evdomon Corp. (2000) 181 F.T.R. 265. Dans cette affaire-là, les demanderesses avaient ignoré une ordonnance qui énonçait un échéancier de gestion de l’instance. Le protonotaire Morneau a écrit ce qui suit :

 

[traduction]

À mon avis, un manquement injustifié à une ordonnance de la Cour établissant un échéancier est en soi une chose sérieuse. Quand cette ordonnance vient suite à un exercice d’examen de l’instance, un manquement injustifié est encore plus sérieux et le degré de tolérance de la Cour sera d’autant moindre. Après tout, la Cour fait alors face à un dossier qui se trouve pour une deuxième occasion en état de délinquance. [...] À mon sens, une saine administration de la justice justifie que la constatation d’un manquement injustifié est alors suffisante en soi pour qu’un demandeur voie son action rejetée pour cause de retard.

 

Certes, une radiation d’action entraîne à coup sûr un préjudice certain pour un demandeur. Toutefois, en termes d’examen de l’état de l’instance, l’appréciation du préjudice pour une partie ne fait pas partie de l’équation à retenir (voir l’arrêt Multibond Inc. v. Duracoat Powder Manufacturing Inc., décision non publiée du 4 octobre 1999, dossier de la Cour T-1703-94). Ceci m’apparaît d’autant plus vrai lorsque l’on se situe, comme ici, dans une situation post-avis d’examen de l’état de l’instance. S’il y a un préjudice à prendre alors en considération, c’est celui de la Cour et de ses utilisateurs qui se conforment aux règles et aux ordonnances. Tel que l’a écrit mon confrère Hargrave dans l’arrêt Trusthouse Forte California Inc. et al. v. Gateway Soap & Chemical Co. (1998), 161 F.T.R. 88, en page 89 :

 


 

Ces motifs touchent au besoin des plaideurs de reconnaître qu’ils ne doivent pas retarder les instances d’une façon déraisonnable de sorte que les ressources de la cour soient mobilisées inutilement. Si un demandeur venait à le faire, il ou elle peut voir son action rejetée. Que la cour en fasse autrement engendre des instances stériles qui non seulement manquent de respect à la cour et au processus de gestion des cas, mais a une incidence sur, voire peut porter préjudice, aux autres plaideurs qui souhaitent un règlement rapide de leurs différends.

 

[pp. 273 - 274]

 

Le protonotaire Morneau a non seulement reconnu la portée d’ignorer une ordonnance de gestion, mais a poursuivi, à la p. 274, soulignant que le demandeur avait laissé s’écouler une ordonnance antérieure d’une prorogation du délai, sans rien faire. Par conséquent, il a rejeté l’action au motif du retard.

 

  • [17] Monsieur le juge Denault a confirmé l’arrêt Ferrostaal Metals à l’appel (2000) 196 F.T.R. 66, confirmé (2001) 283 N.R. 385 (C.A.F.). Il n’avait guère accepté le motif présenté pour le retard, à savoir, un nombre important de documents à réviser. Il pensait que les longs délais pour accomplir une tâche reflétaient [traduction] « […] tout au moins un manque sérieux de coopération des demandeurs avec leur avocat […] » (page 68), en particulier étant donné le temps qui s’est écoulé depuis que l’action avait été intentée, à savoir, un peu plus de quatre ans, toutefois, il a pris en considération les observations de la Cour suprême du Canada dans Bowen c Ville de Montréal [1979] 1 R.C.S. 511. Dans Bowen, la Cour suprême du Canada avait observé qu’une partie ne doit pas être privée de ses droits en raison d’une erreur de ses procureurs lorsqu’il est possible de remédier aux conséquences de cette erreur sans préjudice à la partie adverse. Malgré Bowen, monsieur le juge Denault a confirmé la radiation étant donné que non seulement les demandeurs n’ont pas expliqué leur délai [traduction] « […] mais ont manqué de façon flagrante et insouciante de respecter l’échéancier tout à fait raisonnable établi par la Cour se fondant sur leurs propres observations […] » (p. 70).

 


CONCLUSION

 

  • [18] Il existe deux points de vue opposés sur ce qui devrait être l’issue de cette requête. Les demandeurs soulignent que, comme il est établi dans H. Smith Packing Corp. (précitée), la radiation d’une déclaration est une mesure radicale pour des défauts de procédure : il ne faudrait y recourir que dans les cas où un abus de procédure est bien évident. Les demandeurs soutiennent que les réponses aux interrogatoires préalables continuent d’arriver, et qu’il est l’avis de l’avocat qu’il est possible que toutes les réponses soient disponibles d’ici quelques mois.

  • [19] L’avis contraire, exposé par les défendeurs, est que les demandeurs qui n’ont pas fourni leurs réponses aux interrogatoires écrits n’ont pas eux-mêmes fourni d’explication pour leur délai. En outre, il s’agit d’un délai de réponse aux interrogatoires écrits du 2 septembre 2003, avec des échéances sous forme de calendrier, déposé à la Cour à deux reprises, en lien avec la gestion du cas et compte tenu d’une ordonnance précise, établissant un calendrier, le 15 juin 2004. Les défendeurs soutiennent que la conduite de ces demandeurs qui sont en défaut, étant donné qu’ils n’ont pas fourni d’excuse pour le délai ni respecté une ordonnance de gestion de cas établissant un calendrier, constitue un abus de sorte que les demandes peuvent être radiées.

  • [20] La moitié des demandeurs ont pu respecter les échéances des réponses aux interrogatoires préalables écrits. Si j’avais reçu la moindre preuve des demandeurs en défaut que leurs demandes constituaient une priorité quelconque, ou qu’ils avaient une explication plausible pour leur délai de plusieurs mois depuis que les interrogatoires préalables sont en suspens, ou que les réponses seraient, avec un degré de certitude élevé, fournies à une date donnée, l’octroi d’un délai supplémentaire serait justifié. Cependant, de laisser les défendeurs et la Cour dans un état d’incertitude en ce qui concerne le moment où cette action de gestion d’instance serait prête pour une conférence préparatoire, une date de conférence reportée à plusieurs reprises, de plus avec la menace que plusieurs mois s’écoulent encore pour l’autorisation d’un recours collectif, constitue un abus.

  • [21] Les demandes des demandeurs qui n’ont pas, à la date d’une ordonnance ci-jointe de même date, produit leurs réponses sous serment aux interrogatoires préalables par écrit à l’avocat des défendeurs sont radiées.

 

 


 

Les dépens de la requête sont adjugés contre les demandeurs en défaut.

 

(Signé) « John A. Hargrave »

Protonotaire


COUR FÉDÉRALE

 

NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

DOSSIER :  T-1027-01 & T-304-03

 

INTITULÉ :  Rosita Haylock et al. c Norwegian Cruise Lines Limited et al.;

Jo-Anne Graham et al. c Norwegian Cruise Lines Limited et al.;

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Vancouver, Colombie‑Britannique

 

DATE DE L’AUDIENCE :   Le 11 avril 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

 

DATE DE L’ORDONNANCE :   Le 13 avril 2005

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Robert Margolis  POUR LES DEMANDEURS

 

Me Shane Nossal  POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Giaschi et Margolis  POUR LES DEMANDEURS

Vancouver

 

Bull Housser & Tupper    POUR LES DÉFENDEURS

Vancouver

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