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Date : 20050516

Dossier : IMM-1800-04

Référence : 2005 CF 703

Ottawa, Ontario, ce 16ièmejour de mai 2005

Présent :        Monsieur le juge Rouleau

ENTRE :

                                         GIOVANA GRISEL FLEITAS SEGUNDO

                                            LUCAS FEDERICO LOPEZ FLEITAS

                                                                                                                    partie demanderesse

                                                                            et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                  défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue le 29 janvier 2004 par la Section de la protection des réfugiés (tribunal) qui ne reconnaissait pas à Mme Fleitas Segundo, ni à son enfant Lucas Federico Lopez Fleitas, la qualité de réfugiés au sens de la Convention, ni de personnes à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (Loi).


[2]                La demanderesse et son enfant sont citoyens de l'Uruguay. Ses problèmes auraient commencé le soir du 2 mai 2002 lorsqu'elle fut témoin d'un meurtre à quelques rues de son domicile. Elle aurait réveillé son père pour lui raconter ce qui s'était passé et il lui aurait conseillé de faire une déclaration à la police dès le lendemain.

[3]                Le 3 mai 2002, après avoir fait sa déclaration au poste de police, elle aurait reçu une lettre de menace chez elle, qui aurait été déposée par deux policiers, indiquant que, si elle continuait à les déranger, cela pourrait aller très mal pour elle et son fils. C'est à ce moment qu'elle aurait compris que les assassins étaient des policiers.

[4]                Elle prétend avoir détruit cette lettre pour que les membres de sa famille ne soient pas mis en danger. La demanderesse allègue que les policiers ont continué leur harcèlement par téléphone et en personne.

[5]                Le 7 mai 2002, la demanderesse soumet qu'elle aurait reçu un appel des deux hommes qui auraient commis le meurtre, lui indiquant que son fils de quatre ans avait été enlevé. Plus tard dans la journée, un véhicule policier lui aurait ramené son fils. Les deux assassins étaient dans le véhicule et lui auraient dit qu'ils avaient kidnappé son fils pour lui montrer de quoi ils étaient capables.

[6]                Le lendemain de cet incident, la demanderesse aurait quitté la ville où elle habitait pour se rendre chez sa cousine, où elle demeura pour une période d'un mois. Le 10 juin 2002, elle quitta l'Uruguay pour se rendre à New-York. De là, elle a pris un autobus pour le Canada et demanda le statut de réfugié à la frontière.

[7]                Le tribunal se base principalement sur le principe qu'un demandeur d'asile se doit d'avoir demandé l'aide de son pays avant de s'adresser à la protection internationale. Or, le tribunal a conclu qu'elle ne s'est jamais adressée à la police et, si elle l'a fait comme elle le prétend, elle ne l'a pas fait de façon sérieuse puisqu'elle reconnaît elle-même ne pas avoir tenu la police informée des développements survenus par la suite et qui auraient pu contribuer à l'enquête policière sur le crime du 2 mai 2002.

[8]                Le tribunal mentionne aussi l'arrêt Canada (Procureur Général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, qui indique qu'il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté. En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur.


[9]                Le tribunal ne peut donc pas conclure, compte tenu de la preuve documentaire indépendante indiquant qu'il existe un système policier efficace, qu'il existe une preuve claire et convaincante que l'Uruguay ne tenterait pas sérieusement d'assurer une protection adéquate, bien qu'imparfaite, à la demanderesse et son enfant s'ils devaient retourner en Uruguay et faire part de leurs problèmes aux autorités.

[10]            L'argumentation de la demanderesse est très brève. Elle soutient qu'elle n'était pas en mesure de s'opposer à des policiers sans mettre la vie de son fils en danger. De plus, elle soutient qu'elle n'avait pas à faire des efforts exceptionnels pour obtenir la protection des autorités de son pays.

[11]            La question en litige est à savoir si le tribunal a commis une faute manifestement déraisonnable dans sa conclusion concernant la protection de l'État.

[12]            Dans l'arrêt Canada (Procureur Général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême du Canada a déclaré qu'en absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger ses citoyens. En raison de cette présomption, "il faut confirmer d'un façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection" (Canada (PG) c. Ward (supra) au paragraphe 50).

[13]            Je suis d'avis que la décision du tribunal est entièrement raisonnable du fait que la demanderesse n'a pas présenté de preuve claire et convaincante à cet effet.

[14]            Premièrement, il n'existe aucune preuve que la demanderesse s'est présentée au poste de police le lendemain du meurtre. Elle aurait pu présenter une copie du rapport, un numéro de celui-ci, ou au moins tenter de faire des démarches pour les obtenir. Or, non seulement indique-t-elle ne rien posséder, mais elle déclare avoir détruit la seule preuve documentaire, soit une lettre de menace des assassins.

[15]            Il était raisonnable pour le tribunal, d'après sa connaissance spécialisée, de trouver invraisemblables les explications de la demanderesse à l'effet que les plaintes à la police sont consignées "n'importe comment, même avec des fautes... des fautes d'orthographe", et qu'il n'était pas possible de s'en procurer une copie. Il est à noter que la demanderesse se contredit en indiquant qu'il est possible d'obtenir une copie de la dénonciation:

Q. Um-hum, mais là vous êtes en train de nous expliquer que chez vous, les dénonciations sont colligées, c'est-à -dire sont assemblées dans des livres, oui?

R. Si.

Q. Mais pourquoi c'est... c'est le... c'est parce que là vous êtes en train de démontrer qu'on les note dans un livre, elles sont colligées et que de là c'est facile d'en avoir une copie.

R. Oui, c'est facile, mais ils... ils ne remettent pas de photocopie des dénonciations. La dénonciation est enregistrée dans ce livre et ils te disent... bien, on se fait dire : « Bon, la dénonciation est inscrite dans ce registre, si vous en avez besoin, vous pouvez toujours vous référer au registre » , mais ils ne remettent pas de copie, ils ne te remettent pas une copie.

Q. Encore récemment, là , ce tribunal recevait des preuves de dénonciations, preuves de dépositions faites. Vous, avez-vous fait la demande spécifique d'obtenir une preuve de cotre déposition à la police?

R. Non, mais je sais qu'on ne te remet pas une copie et que c'est... que c'est très difficile d'obtenir une copie de la police.


(Voir le procès-verbal du 27 janvier 2004 aux pages 29 et 30)

[16]            Le tribunal a correctement appliqué son expertise dans ce domaine, puisqu'il peut apprécier le récit d'un revendicateur en fonction de ce à quoi on pourrait vraisemblablement s'attendre dans une situation semblable (Mutinda c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2004] A.C.F. no 429 au paragraphe 12).

[17]            De plus, la demanderesse allègue s'être présentée au bureau de police seulement à une reprise, soit le lendemain du meurtre du 2 mai 2002, et ce pour y déposer un rapport de témoin. Or, ses problèmes auraient commencé après qu'elle se soit présentée au poste de police. Donc, elle n'a aucunement dénoncé ses problèmes aux autorités policières, puisque la seule fois où elle s'y est présentée, c'était pour déposer une dénonciation et non pas pour loger plainte contre ceux qui proféraient des menaces contre elle durant les semaines subséquentes.

[18]            La demanderesse prétend qu'elle n'avait pas à faire d'efforts exceptionnels pour obtenir la protection des autorités de son pays. Or, le tribunal ne lui reproche pas de ne pas avoir fait d'efforts exceptionnels mais plutôt de ne même pas avoir présenté une seule plainte.


De plus, les faits en l'instance ne démontrent pas que le requérant rencontre les critères énoncés dans Ward dans la mesure où il n'a pas prouvé d'un façon claire et convaincante l'incapacité de son pays d'origine, l'Algérie, d'assurer sa protection, qu'il n'a d'ailleurs jamais demandée. (...) Avant de prétendre que ses démarches n'avaient aucune chance de succès, tant auprès des autorités algériennes pour assurer sa protection qu'auprès des autorités italiennes pour obtenir le statut de réfugié, encore fallait-il que le requérant ait fait ces démarches à moins, comme la Cour suprême l'a énoncé dans Ward, d'établir le caractère raisonnable de son omission de se prévaloir de cette protection, le cas échéant. En l'occurrence, le requérant n'a pas fait cette preuve. (Madoui c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1372 au paragraphe 5)

[19]            De plus, le tribunal s'est basé sur la preuve documentaire devant lui indiquant que:

·                  The Government generally respected the human rights of its citizens, and the law and judiciary generally provided effective means of dealing with individual instances of abuse.

·                  At least eight police officers were jailed for abusing detainees in Maldonado and Salto. Over 400 police officers reportedly have been indicted in the last 3 years for violations ranging from corruption to abuse.

(Voir le dossier du tribunal, aux pages 103 et 104.)

[22]            Le tribunal ayant constaté que l'Uruguay n'est pas un pays où il y a effondrement complet de l'appareil étatique, il était donc justifié de conclure que l'Uruguay était en mesure d'assurer la protection de la demanderesse et de son enfant.


                                                                ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

P. Rouleau

      JUGE


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                             

DOSSIER :                                       IMM-1800-04              

INTITULÉ:                                       GIOVANA GRISEL FLEITAS SEGUNDO

LUCAS FEDERICO LOPEZ FLEITAS c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :               Montréal, Qc

DATE DE L'AUDIENCE :             3 mai 2005

MOTIFS :                                          L'honorable juge Rouleau

DATE DES MOTIFS :                     16 mai 2005

COMPARUTIONS:                       

Me Manuel Centurion                       POUR LES DEMANDEURS

Me Lynne Lazaroff                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Manuel Centurion                       POUR LES DEMANDEURS

1231 ouest, rue Ste-Catherine

Suite 508

Montréal, Qc

H3G 1P5

Justice Canada                                POUR LE DÉFENDEUR

Complexe Guy-Favreau

200 ouest, boul. René-Lévesque

Tour Est, 5e étage

Montréal, Qc

H2Z 1X4


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