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Date : 20050427

Dossier : IMM-1574-04

Référence : 2005 CF 563

Ottawa (Ontario), le 27 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN                            

ENTRE :

ROMAN BASHTA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE KELEN

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui a jugé, en date du 26 janvier 2004, que le demandeur n'était pas un réfugié ou une personne à protéger au sens de la Convention.


LES FAITS

[2]                Le demandeur est un ressortissant ukrainien âgé de 29 ans, médecin en titre. Il prétend craindre avec raison d'être persécuté à cause de son implication au sein du « Bloc de Yulia Tymoshenko » , un parti politique national. Le demandeur prétend qu'il a joint les rangs du parti prédécesseur du « Bloc de Yulia Tymoshenko » en 1996, alors qu'il était étudiant à l'université. En 2000, le demandeur ainsi que d'autres membres de ce parti ont fait une apparition sur une chaîne locale de télévision afin de dénoncer l'université qui avait accepté des pots-de-vin d'étudiants potentiels. Le demandeur allègue que peu après cet incident, il a été arrêté par la police, interrogé sur ses activités politiques et battu. Au cours des deux années suivantes, le demandeur dit avoir été sauvagement battu à plusieurs reprises par des voisins, des collègues de travail et des membres de la police. Il a signalé ces incidents à la police qui a toutefois refusé de l'aider.

[3]                Le demandeur a également déclaré qu'il a été, avec d'autres membres du parti, arrêté par la police lors d'une réunion qui s'est tenue en janvier 2002. Lorsque le demandeur a refusé de promettre de ne plus critiquer le régime en place, il a été battu si violemment qu'il en a perdu connaissance. Il a signalé l'incident au bureau du procureur qui a refusé d'étudier sa plainte.

[4]                À la suite d'une autre agression survenue en juillet 2002, le demandeur a obtenu un visa du Canada à titre de visiteur pour assister à une conférence médicale qui avait lieu à Montréal. Il est arrivé au Canada le 20 septembre 2002 et a revendiqué le statut de réfugié en novembre de la même année.


[5]                Le demandeur a soumis des dossiers d'hospitalisation qui décrivent en détail des blessures graves correspondant à de brutaux passages à tabac survenus à trois reprises.

LA DÉCISION

[6]                La Commission a rejeté la revendication du demandeur pour deux raisons. Premièrement, elle a jugé que les preuves objectives étaient insuffisantes pour étayer ses allégations de persécution. Même si la preuve documentaire faisait référence au « Bloc de Yulia Tymoshenko » , et à sa dirigeante, Yulia Tymoshenko, aucun des documents n'indiquait que des membres du même parti étaient persécutés par l'État. La Commission a également examiné un document soumis par le demandeur et qui décrivait comment la police avait interrompu une manifestation politique pacifique. Toutefois, elle n'a pas jugé que cet incident appuyait l'allégation de persécution du demandeur car la police n'était intervenue que pour faire respecter une ordonnance judiciaire qui avait été violée.     

[7]                Indépendamment de la preuve objective, la Commission a également douté de la crédibilité du demandeur. Lors de son témoignage, celui-ci a affirmé qu'il n'était pas parti avec son passeport interne parce qu'il est illégal de le sortir d'Ukraine. Toutefois, selon la preuve documentaire, une personne peut prendre son passeport interne dans la mesure où elle ne prévoit pas quitter le pays définitivement. La Commission a également estimé que le demandeur avait omis de mentionner plusieurs détails importants dans son Formulaire d'information personnelle, dont sa participation aux élections de 2002.


[8]                La Commission a conclu qu'étant donné les doutes pesant sur sa crédibilité et la faiblesse de la preuve documentaire, les allégations du demandeur ne pouvaient être fondées.

QUESTION EN LITIGE

[9]                La Commission a-t-elle rendu une décision erronée lorsqu'elle a conclu à l'insuffisance de preuves crédibles pour étayer l'allégation de persécution du demandeur?

ANALYSE

[10]            La définition de réfugié au sens de la Convention comprend à la fois un élément subjectif et un élément objectif. Une personne n'a donc pas automatiquement droit au statut de réfugié si elle craint subjectivement d'être persécutée, à moins qu'elle ne démontre que cette crainte est objectivement fondée. Yusuf c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 629 (C.A.F.). Pour déterminer si une crainte est objectivement fondée, la Commission examine la plupart du temps la preuve documentaire décrivant les conditions de vie dans le pays d'origine du demandeur.


[11]            En l'espèce, la Commission a noté avec raison que la preuve documentaire objective ne faisait pas mention de persécutions contre des membres de second plan du « Bloc de Yulia Tymoshenko » , comme le demandeur. Je ne pense pas que la Commission ait commis une erreur en tirant une conclusion de l'absence de preuve sur ce point.

[12]            Cependant, la Commission disposait aussi de dossiers médicaux qui indiquaient que le demandeur avait été admis à l'hôpital à trois reprises à la suite de blessures graves comme des commotions, des côtes fracturées et des contusions multiples. Les dossiers montrent que le demandeur a été hospitalisé pendant 15 jours en mars 2000, 14 jours en juillet 2001, et 9 jours en janvier 2002. Ces dates correspondent aux agressions décrites dans la preuve soumise par le demandeur. La Commission n'examine ni même n'évoque les dossiers médicaux dans sa décision. À mon avis, il s'agit d'une erreur susceptible de révision qui justifie l'intervention de la Cour. Bien que la Commission ne soit pas tenue de mentionner chaque élément de preuve, elle ne peut ignorer des preuves hautement pertinentes et corroborantes comme les dossiers médicaux. Si elle avait estimé que les dossiers n'étaient pas dignes de foi ou peu probants, elle aurait alors dû le dire dans sa décision. Voir Bains c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l' Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F 1re inst.). Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

[13]            Aucun des avocats n'a proposé de question aux fins de certification. Aucune question ne sera donc certifiée.


                                                            ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

La présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de la Commission en date du 26 janvier 2004 soit annulée et que l'affaire soit renvoyée à la Commission pour réexamen par un tribunal différemment constitué.

                                     « Michael A. Kelen »               

Juge           

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


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