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Date : 20050307

Dossier : T-1760-04

Référence : 2005 CF 325

Ottawa (Ontario), le 7 mars 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

ENTRE :

                                          ADVANTAGE CAR & TRUCK RENTALS

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

          1611864 ONTARIO INC. exerçant son activité sous le nom de RENT FOR LESS

                                              et ADVANTAGE RENT-A-CAR, INC.

                                                                                                                                    défenderesses

ET ENTRE :

                                                ADVANTAGE RENT-A-CAR, INC.

                                                                                                      demanderesse reconventionnelle

                                                                             et

                                          ADVANTAGE CAR & TRUCK RENTALS

                                                                                                       défenderesse reconventionnelle

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                La demanderesse, Advantage Car and Truck Rentals, a engagé une action en vertu de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, chapitre 18, contre la défenderesse Advantage Rent-A-Car, grande société américaine qui exerce son activité à Toronto par l'entremise d'une société de son groupe, la défenderesse Rent for Less. La demanderesse s'adresse à la Cour pour obtenir une injonction interdisant aux défenderesses d'utiliser le nom « Advantage » jusqu'au procès.

[2]                J'ai conclu que la demanderesse n'a pas satisfait au critère à trois volets de l'injonction et, par conséquent, je dois rejeter la demande.

I. Les questions soulevées

1.          La Cour est-elle compétente pour prononcer une injonction interlocutoire empêchant la titulaire d'une marque de commerce déposée d'utiliser sa marque?

2.          La demanderesse a-t-elle satisfait au critère de l'injonction?

[3]                Les défenderesses ont soulevé une troisième question, à savoir si la demanderesse avait perdu son droit à une réparation en equity du fait d'un comportement dont on alléguait qu'il était répréhensible. Compte tenu de ma conclusion sur la deuxième question, il est inutile que je traite ce point.


II. L'analyse

1. La Cour est-elle compétente pour prononcer une injonction interlocutoire empêchant la titulaire d'une marque de commerce déposée d'utiliser sa marque?

[4]                La défenderesse Advantage Rent-A-Car a fait enregistrer sa marque de commerce en 1995. La demanderesse a dans le passé été titulaire d'une marque de commerce, « Advantage Leasing » , mais ne l'a pas renouvelée. Cependant, elle exerce son activité en Ontario sous la dénomination « Advantage Car and Truck Rentals » depuis 1991.

[5]                La défenderesse fait valoir que la Loi sur les marques de commerce lui confère clairement le droit d'employer sa marque de commerce tant que cette marque n'aura pas été déclarée invalide. Étant donné que la Cour ne peut se prononcer sur la validité d'une marque de commerce dans une demande d'injonction, la Cour, selon la défenderesse, n'a pas le pouvoir de prononcer une injonction interdisant l'emploi d'une marque déposée. La défenderesse dit qu'il n'y a en fait aucun précédent d'une injonction prononcée dans ces circonstances.

[6]                L'article 19 de la Loi dispose :


19. ...[L]'enregistrement d'une marque de commerce à l'égard de marchandises ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l'emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces marchandises ou services.

19. ...[T]he registration of a trade-mark in respect of any wares or services, unless shown to be invalid, gives to the owner of the trade-mark the exclusive right to the use throughout Canada of the trade-mark in respect of those wares or services.

[7]                Il est clair que la Loi exprime avec force les droits des propriétaires de marques de commerce déposées (voir, par exemple, l'arrêt Molson Canada c. Oland Breweries Ltd. (2002), 19 C.P.R. (4th) 201 (C.A. Ont), conf. par (2001) 11 C.P.R. (4th) 199). Mais la Loi peut-elle être interprétée comme interdisant à la Cour de prononcer une injonction interdisant l'emploi d'une marque de commerce déposée dans le cas où la validité de la marque est attaquée? Je ne le pense pas.

[8]                La personne qui demande une injonction doit établir a) qu'il y a une question sérieuse à juger; b) qu'elle subira un préjudice irréparable en cas de refus de l'injonction et c) qu'elle subira plus d'inconvénients que le défendeur : RJR-MacDonald c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311.

[9]                En réalité, accepter les arguments des défenderesses serait reconnaître que les titulaires de marques de commerce sont à l'abri des injonctions parce que la Loi protège leurs droits jusqu'à ce que la marque soit déclarée invalide de manière définitive. À mes yeux, cette proposition restreint de manière trop importante les pouvoirs de la Cour de prononcer des injonctions tout en élargissant excessivement la protection prévue par la Loi.

[10]            En général, la Cour fait preuve de réserve à l'égard des droits d'un titulaire de marque de commerce dans une demande d'injonction. D'ailleurs, la même retenue s'appliquerait à d'autres catégories de droits de propriété. Mais ces considérations sont compatibles avec les critères bien établis du redressement par voie d'injonction. Selon ces critères, la Cour doit évaluer de manière préliminaire la valeur de la cause du demandeur contre le titulaire de la marque de commerce et évaluer le dommage éventuel causé aux intérêts respectifs des parties. Dans cette opération de mise en équilibre, il se peut que la Cour conclue rarement que la balance penche d'une manière défavorable au titulaire d'une marque de commerce déposée. Cela explique peut-être la rareté des précédents. Mais cela n'entraîne pas que le Cour n'ait pas compétence, à tout le moins pour entreprendre l'analyse.

[11]            En outre, la position de la défenderesse équivaudrait à interpréter l'article 19 de la Loi comme s'il prévoyait que le titulaire de la marque de commerce a droit à l'usage exclusif de sa marque « sauf si elle est déclarée invalide et jusqu'à ce qu'elle le soit » . Je n'interpréterais pas la disposition de manière si large qu'elle éliminerait la possibilité qu'un titulaire de marque de commerce fasse l'objet d'une injonction.


2. La demanderesse a-t-elle satisfait au critère de l'injonction?

[12]            J'ai exposé ci-dessus les trois critères de l'injonction. Je conclus que la demanderesse a établi l'existence d'une question sérieuse, mais non le dommage irréparable. Par conséquent, il n'est donc pas nécessaire que je me penche sur la prépondérance des inconvénients.

a) La question sérieuse

[13]            La cause de la demanderesse à l'encontre des défenderesses se fonde sur trois prétentions. 1) La marque de commerce déposée « Advantage Rent-A-Car » est invalide parce qu'elle n'était pas enregistrable à la date de l'enregistrement (en vertu des alinéas 18(1)a) et 12(1)d) de la Loi (les dispositions pertinentes sont énumérées à l'annexe ci-jointe)). Cette prétention est fondée sur la confusion avec la marque « Advantage Leasing » de la demanderesse, qui était courante au moment où la défenderesse a demandé l'enregistrement de sa marque. 2) La marque de commerce de la défenderesse ne possède pas le caractère distinctif essentiel (en vertu de l'alinéa 18(1)b) de la Loi). 3) Les défenderesses ont fait de la commercialisation trompeuse, ce qui contrevient à l'alinéa 7b) de la Loi. De leur côté, les défenderesses soutiennent que la demanderesse contrefait la marque déposée « Advantage Rent-A-Car » .

[14]            Je n'ai pas à décider du bien-fondé de toutes les prétentions de la demanderesse au sujet de la question sérieuse. L'existence d'une seule question sérieuse suffirait.


[15]            À mon avis, la demanderesse a établi que l'enregistrabilité de la marque « Advantage Rent-A-Car » de la défenderesse soulève une question réelle.

[16]            La demanderesse a produit une preuve par affidavit établissant qu'elle était propriétaire de la marque de commerce « Advantage Leasing » à l'époque pertinente. Elle a également fourni une preuve de l'existence d'une confusion entre sa marque et la marque Advantage Rent-A-Car de la défenderesse (point qui sera discuté plus loin). La défenderesse reconnaît elle-même l'existence d'une confusion.

[17]            Je suis conscient que la demanderesse n'emploie plus le nom « Advantage Leasing » , en supposant qu'elle l'ait déjà fait. Je note également que la demanderesse n'a pas produit de preuve directe qu'elle était propriétaire de la marque « Advantage Leasing » . Néanmoins, je suis convaincu que la demanderesse a satisfait au critère relativement peu exigeant de la question sérieuse à juger. On ne pourra se prononcer sur le bien-fondé réel de la prétention de la demanderesse qu'après avoir examiné les éléments de preuve qui pourront être produits au procès.

b) Le dommage irréparable


[18]            La demanderesse a fourni des éléments de preuve attestant que des clients de la défenderesse ont appelé ou se sont présentés aux bureaux de la demanderesse en croyant avoir réservé une voiture chez cette dernière. En réalité, dans un grand nombre de cas, ces clients avaient réservé des voitures chez la défenderesse Advantage Rent-A-Car sur l'Internet, étaient arrivés à l'aéroport Pearson, n'avaient pu y trouver la défenderesse ni aucun numéro de téléphone sur elle ou sur la société de son groupe Rent-for-Less, et avaient contacté la demanderesse après avoir cherché « Advantage » dans un annuaire téléphonique. Souvent, ces clients sont injurieux, en colère et contrariés quand ils se rendent compte que la demanderesse n'a pas de voiture pour eux. Parfois, ils accusent la demanderesse d'incompétence ou de tromperie. Quelques-uns lui ont dit qu'ils ne loueraient plus de voiture de la demanderesse.

[19]            La demanderesse a également fourni des éléments de preuve établissant d'autres cas de confusion occasionnels entre la demanderesse et la défenderesse : un atelier de mécanique automobile, un hôtel et des personnes assistant les voyageurs à l'aéroport.

[20]            La demanderesse s'inquiète, si les défenderesses continuent d'utiliser le nom « Advantage » dans la région géographique d'exploitation de la demanderesse (c'est-à-dire le Sud de l'Ontario), que la confusion augmente et cause un dommage important à sa réputation, à son achalandage et à sa base de clientèle. Encore une fois, les défenderesses conviennent avec la demanderesse de l'existence d'une confusion. Mais elles contestent la prétention de la demanderesse que cette confusion cause un dommage irréparable.

[21]            Je partage l'avis des défenderesses. La preuve de la demanderesse établit que des clients sont contrariés par la façon dont les défenderesses mènent leur entreprise. Les clients croient à tort que la demanderesse est liée aux défenderesses. Les accusations formulées contre la demanderesse sont en fait destinées aux défenderesses. Ce sont les défenderesses, principalement, qui subissent le dommage créé par la confusion et ce sont elles qui finissent par recevoir les plaintes des voyageurs mécontents.

[22]            La situation est certainement préoccupante pour la demanderesse. Mais je ne vois aucun type de dommage qui ne puisse être compensé par des dommages-intérêts si la demanderesse a gain de cause au procès. Les clients malheureux qui ont communiqué avec la demanderesse sont des personnes qui ne loueraient de voiture que dans le Sud de l'Ontario, à leur arrivée à l'aéroport Pearson, après avoir effectué une réservation sur l'Internet. La demanderesse concède que ces personnes ne sont pas dans son marché cible. La demanderesse se montre préoccupée de l'expansion potentielle des défenderesses, ce qui créerait davantage de chevauchement entre les circuits commerciaux des parties. Mais je ne dispose d'aucun élément de preuve de cette possibilité. Tout dommage résultant d'un tel scénario serait hypothétique à l'heure actuelle et, par conséquent, échapperait à la sphère du « dommage irréparable » . En outre, la demanderesse peut atténuer tout dommage qu'elle subit en dirigeant les clients victimes de la confusion vers les défenderesses.


[23]            En résumé, la demanderesse n'a pas établi un dommage d'une nature ou d'une importance telles qu'il satisferait au critère du dommage irréparable de la jurisprudence : Effem Foods Ltd. c. H.J. Heinz Co. of Canada Ltd., [1997] A.C.F. no 935 (1re inst.); Centre Ice Ltd. c. National Hockey League, [1994] A.C.F. no 68 (C.A.) (QL); Sports Authority, Inc. c. Vineberg, [1995] A.C.F. no 622 (1re inst.) (QL). Par conséquent, je dois rejeter la demande et laisser les dépens suivre l'issue de la cause.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La requête en injonction interlocutoire est rejetée et les dépens suivront l'issue de la cause.

                                                                                                                          « James W. O'Reilly »           

                                                                                                                                                     Juge                      

Traduction certifiée conforme

_______________________

Richard Jacques, LL.L.


                                                                        Annexe


Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. 18

Interdictions

7. Nul ne peut_:

                                               ...

b) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre;

Marque de commerce enregistrable

12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l'un ou l'autre des cas suivants_:

                                               ...

d) elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée;

Quand l'enregistrement est invalide

18. (1) L'enregistrement d'une marque de commerce est invalide dans les cas suivants_:

a) la marque de commerce n'était pas enregistrable à la date de l'enregistrement;

b) la marque de commerce n'est pas distinctive à l'époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l'enregistrement;                                  

Droits conférés par l'enregistrement

19. Sous réserve des articles 21, 32 et 67, l'enregistrement d'une marque de commerce à lgard de marchandises ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l'emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces marchandises ou services.

Trade-marks Act, R.S.C. 1985, c. 18

Prohibitions

7. No person shall

                                              [...]

(b) direct public attention to his wares, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his wares, services or business and the wares, services or business of another;

When trade-mark registrable

12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

                                              [...]

(d) confusing with a registered trade-mark;

When registration invalid

18. (1) The registration of a trade-mark is invalid if

(a) the trade-mark was not registrable at the date of registration,

(b) the trade-mark is not distinctive at the time proceedings bringing the validity of the registration into question are commenced,

Rights conferred by registration

19. Subject to sections 21, 32 and 67, the registration of a trade-mark in respect of any wares or services, unless shown to be invalid, gives to the owner of the trade-mark the exclusive right to the use throughout Canada of the trade-mark in respect of those wares or services.



COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-1760-04

INTITULÉ :                                        ADVANTAGE CAR & TRUCK RENTALS

c. 1611864 ONTARIO INC. exerçant son activité sous le nom de RENT FOR LESS et ADVANTAGE RENT-A-CAR, INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 28 février 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS

ET DE L'ORDONNANCE : Le 7 mars 2005

COMPARUTIONS :

James Buchan

Stewart Hayne                           Pour la demanderesse/défenderesse reconventionnelle

Lynn Cassan

Christopher Desjardins              Pour les défenderesses/demanderesses reconventionnelles

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling Lafleur Henderson LLP

Avocats

Toronto (Ontario)                                  Pour la demanderesse/défenderesse reconventionnelle

Cassan McLean

Avocats

Ottawa (Ontario)                                   Pour les défenderesses/demanderesses reconventionnelles


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