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Date : 20020328

Dossier : IMM-3225-01

Référence neutre : 2002 CFPI 350

ENTRE :

                                                   Esperanca ROCHA QUICHINDO

                                              Clauda Tifeny QUICHINDO MOREIRA

                                                   Jacira Liria QUIXINDO MOREIRA

                                                                                                                             Partie demanderesse

ET

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                             ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                               Partie défenderesse

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

[1]                 Les demanderesses, Esperanca Rocha Quichindo et ses deux filles mineures, sont citoyennes de l'Angola. Le 11 juin 2000, la Section du statut de réfugié (le « tribunal » ) décide qu'elles ne sont pas réfugiées au sens de la Convention. Cependant, le frère d'Esperanca, Eduardo Rocha Quixindo, âgé de 16 ans, obtient reconnaissance craignant d'être recruté par force dans l'UNITA.


[2]                 La requérante principale allègue qu'en novembre 1996, son conjoint de fait aurait été arrêté et emprisonné par le gouvernement (le « MPLA » ) pour avoir participé à une manifestation organisée par l'église catholique. Son conjoint aurait été transféré d'une prison à l'autre; elle ne sait où il est.

[3]                 Le 20 juin 1998, vers 3h00 du matin, des soldats se seraient présentés chez elle à la recherche de son conjoint qui s'était évadé de la prison. Certains soldats l'auraient abusée sexuellement. Elle se serait évanouie et aurait été hospitalisée pendant deux jours. Suite à cet incident, elle aurait porté plainte à la police qui lui indique, par la suite, que leur enquête est sans progrès.

[4]                 Les visites chez elle par des individus recherchant son conjoint persistent. Elle décide de quitter la capitale Luanda et s'enfuit à Malange où ses parents résident. En décembre 1999, ces derniers ont été tués lors d'un bombardement durant un combat entre les forces de l'UNITA et ceux du MPLA.

[5]                 Deux semaines plus tard, elle se retrouve dans un camp de réfugiés où elle rencontre une dame travaillant pour une organisation humanitaire qui lui aurait offert son aide afin qu'elle puisse quitter le pays. C'est le 7 avril 2000 que cette dame mène les demandeurs à l'aéroport de Luanda et facilite leur transport pour les États-Unis.

[6]                 Voici comment le tribunal décrit les événements que les demandeurs ont vécu par la suite:


En route to the United States, the claimant met another woman in the plane, who advised her not to claim in the United States, but to go to Canada, who were better at respecting human rights. This woman helped the claimant pass through Customs and Immigration in the United States and accompanied her to a bus station. While the claimant and the children were waiting for their bus, they fell asleep and woke up to find that their bag had been stolen. The bag contained all of their papers. Eventually, the claimant arrived at the Lacolle border crossing on April the 8th, 2000, and claimed refugee status at that time.

LA DÉCISION DU TRIBUNAL

[7]                 Le tribunal détermine que la requérante principale n'a pas démontré par une preuve crédible et fiable qu'elle a quitté l'Angola à cause d'une crainte bien-fondée de persécution. Selon le tribunal, la preuve de la demanderesse contient d'importantes contradictions dont elle ne peut expliquer de façon crédible.


[8]                 Cette conclusion d'absence de crédibilité se fonde sur 1) des contradictions entre son témoignage et son FPR et la fiche au point d'entrée signée par elle; 2) les explications données par la revendicatrice principale quant à la présence d'un interprète afin de répondre aux questions dans le formulaire du point d'entrée; 3) l'invraisemblance qu'une organisation humanitaire aurait facilité la fuite des demandeurs en leur remettant de faux documents; 4) l'invraisemblance qu'une organisation humanitaire qui aide les gens à fuir leur pays n'aurait aucun plan de suivi afin d'assurer la sécurité de ces personnes; 5) l'invraisemblance qu'un résident américain à bord l'avion qui les transportait à New-York lui recommande de soumettre sa revendication au Canada et que la revendicatrice principale, qui n'avait jamais voyagé à l'extérieur de l'Angola, accepte cette recommandation en dépit du fait que l'organisation humanitaire qui les a aidés à fuir semble-t-il avait fait des préparations pour leur entrée aux États-Unis; et 6) le manque total de tentative de corroboration: aucune lettre de l'organisation humanitaire et aucune lettre de l'église appuyant la participation de son conjoint de fait à des démonstrations contre le gouvernement en 1996.

ANALYSE

[9]                 Le tribunal ne croit pas la revendicatrice principale pour plusieurs raisons:

1)         contradiction entre son témoignage, son FRP et sa fiche au point d'entrée;

2)         contradiction à l'intérieur de son témoignage;

3)         plusieurs invraisemblances; et

4)         aucune tentative de sa part de corroborer son histoire.


[10]            Le refus de la revendication des demandeurs parce que le tribunal ne croit pas la revendicatrice principale pour les raisons énumérées est une décision fondée sur des conclusions de fait. L'article 18.1(4)(d) de la Loi sur la Cour fédérale, interdit l'intervention de cette Cour à moins que les conclusions de fait d'un tribunal soient erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont il dispose, ce qui équivaut à une conclusion manifestement déraisonnable.

[11]            La Cour suprême du Canada s'est exprimée très clairement sur le point dans son arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793 à la page 844, sous la plume du juge l'Heureux-Dubé au paragraphe 85:

Nous devons nous souvenir que la norme quant à la révision des conclusions de fait d'un tribunal administratif exige une extrême retenue... . Les cours de justice ne doivent pas revoir les faits ou apprécier la preuve. Ce n'est que lorsque la preuve, examinée raisonnablement, ne peut servir de fondement aux conclusions du tribunal qu'une conclusion de fait sera manifestement déraisonnable, par exemple, en l'espèce, l'allégation suivant laquelle un élément important de la décision du tribunal ne se fondait sur aucune preuve... .

[12]            Il faut se rappeler aussi des propos du juge Décary au nom de la Cour d'appel fédérale dans Aguebor c. le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315, et ceux du juge Pratte, au nom de la même Cour, dans Shahamati c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. No. 415.

[13]            Dans Aguebor, précité, le juge Décary écrit ceci au paragraphe 4:

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.


[14]            Dans Shahamati, précité, le juge Pratte écrit ceci:

. . .on ne nous a pas convaincus que la conclusion que la Commission a tirée au sujet de la crédibilité était abusive ou arbitraire. Contrairement à ce qu'on a parfois dit, la Commission a le droit, pour apprécier la crédibilité, de se fonder sur des critères comme la raison et le bon sens.

[15]            La preuve en l'espèce en application des principes énoncés ci-haut est déterminante et ne permet aucunement l'intervention de la cour dans ce dossier.

[16]            Il ne fait aucun doute que la crédibilité de la revendicatrice principale a été sérieusement minée par les réponses qu'elle a données au point d'entrée et ses tentatives de redressement une fois confrontée par le tribunal.

[17]            Le formulaire d'entrée pose une question sur l'état civil et donne cinq choix: célibataire, mariée, veuve, divorcée et séparée. « Célibataire » est coché.

[18]            La revendicatrice principale ne donne aucune réponse quant à la nature de la persécution subie mais à la question « expliquez » ceci est écrit:

Le père de ses enfants l'a quitté [sic] il y a trois ans, difficulté de survivre, de se trouver du travail, conditions de vie difficile [sic].


[19]            La preuve démontre que le formulaire à l'entrée a été rempli par un agent d'immigration et que la revendicatrice principale l'a signé. Tout le débat devant le tribunal était de savoir si cette fiche avait été complétée par l'agent après qu'un interprète, au téléphone, lui avait relayé les réponses reçues d'Esperanca Rocha Quichindo.

[20]            Au début, la revendicatrice principale a maintenu qu'elle n'avait pas eu le bénéfice d'un interprète avant de signer la fiche et que l'interprète n'est venu que le lendemain pour compléter le formulaire. Par hasard, l'interprète à l'audience était celui qui était au téléphone lorsque la fiche a été remplie. Il a nié avoir signé le formulaire le lendemain tel qu'indiqué par la revendicatrice principale. Son récit était donc inexact puisqu'elle a eu le bénéfice d'un interprète avant de signer la fiche d'entrée; son procureur, à l'époque, a reconnu l'inexactitude de son témoignage durant son plaidoyer.

[21]            La procureure des demanderesses plaide que le tribunal n'a pas apprécié l'ensemble de la preuve. À l'appui, elle attire l'attention de la cour aux explications données par la revendicatrice principale lorsque confrontée pourquoi elle avait répondu « célibataire » et que son conjoint de fait l'avait laissée.


[22]            Je ne peux souscrire à ces prétentions. Je crois que le tribunal pouvait raisonnablement rejeter les explications de la revendicatrice principale. La disponibilité de l'interprète a été établie. Le témoignage de la revendicatrice sur les relations avec le père de ses enfants était confus. En réalité, ce que la procureure des demanderesses exige de cette cour est de soupeser à nouveau la preuve qui était devant le tribunal ce que je ne peux faire d'après la jurisprudence citée.

[23]            La procureure des demanderesses plaide que le tribunal a simplement outrepassé tout le témoignage de la revendicatrice principale sur le viol qu'elle a subi. Elle ajoute que son frère en avait été témoin et n'a pas témoigné.

[24]            À mon avis, le tribunal n'a commis aucune erreur qui attirerait l'intervention de la cour. Le tribunal n'a pas ignoré la preuve de la revendicatrice principale quant à son viol. Le tribunal a pris cette preuve en considération mais ne l'a pas cru. Le tribunal le dit clairement:

Given the contradictory versions between the information provided at the POE and the information detailed in the claimant's PIF, on the balance of probabilities, I do not believe that the claimant's spouse was arrested by security forces in Angola. Further, I do not believe the story of rape that the claimant alleged happened as a result of these events. Although the Chairperson's Guidelines on Gender-Based Claims were considered, given the lack of credibility findings on the related core elements of this claim, I did not find the Guidelines applicable in this case. [je souligne]

[25]            Quant au deuxième aspect sur ce point, le tribunal n'a pas refusé d'entendre le témoignage du frère de la revendicatrice principale. Bien que convoqué à la troisième audience, celui-ci était absent et son absence n'est pas expliquée.

[26]            La procureure des demanderesses prétend que le tribunal a eu tort d'exiger d'elles une corroboration documentaire considérant que l'Angola était sous le joug d'une guerre civile, que la revendicatrice principale avait perdu tout contact avec ses soeurs depuis 1992 et que ses parents avaient été tués.

[27]            À mon avis, ce qui préoccupait le tribunal n'était pas le fait qu'elle n'ait pu déposer une corroboration documentaire mais qu'elle n'a fait aucun effort pour obtenir cette documentation. Le tribunal le dit clairement:

I do not find it unreasonable to expect someone who has been in Canada for ten months prior to her hearing to have made any attempt to obtain documents to corroborate her testimony. [je souligne]

[28]            Un élément de la conclusion d'un tribunal sur le manque de crédibilité d'un revendicateur/revendicatrice peut se fonder sur l'absence d'efforts d'obtenir une corroboration documentaire. (Voir Muthiyansa c. M.C.I., [2001] F.C.T. 17 et Sinnathamby c. M.C.I., [2001] F.C.T. 473.

[29]            En dernier lieu, j'écarte la prétention de la procureure des demanderesses que le tribunal, ayant reconnu la crainte de persécution du frère de la demanderesse principale, se devait de reconnaître que les enfants avaient une crainte bien-fondée d'être persécutés.


[30]            Le tribunal n'a pas oublié ou ignoré le témoignage de la revendicatrice principale ni la preuve documentaire au sujet de ses deux filles. La revendicatrice principale craint que ses deux filles soient dispersées. Cependant, cette crainte pour ses deux enfants est reliée à la crainte qu'elle a exprimée qu'à son retour en Angola qu'elle sera arrêtée par les autorités, questionnée et tuée. Le tribunal ne l'a pas cru et, en conséquence, la crainte exprimée pour ses deux enfants est sans fondement.

[31]            Pour tous ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question d'importance générale n'a été soulevée.

                                                                                                                           « François Lemieux »

                                                                                                                                                                                                                     

                                                                                                                                              J U G E                

Ottawa (Ontario)

le 28 mars 2002


COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR: IMM-3225-01

INTITULÉ: Esperanca ROCHA QUICHINDO Clauda Tifeny QUICHINDO MOREIRA Jacira Liria QUIXINDO MOREIRA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE: MONTRÉAL, QUÉBEC

DATE DE L'AUDIENCE: LE 06 MARS 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE: DE L'HONORABLE JUGE LEMIEUX

EN DATE DU: 28 MARS 2002

COMPARUTIONS

ME EVELINE FISET LA PARTIE DEMANDERESSE

ME SHERRY RAFAI-FAR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

ME EVELINE FISET LA PARTIE DEMANDERESSE MONTRÉAL (QUÉBEC)

M. MORRIS ROSENBERG LA PARTIE DÉFENDERESSE SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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