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Date : 20050526

 

Dossier : IMM-5637-04

 

Référence : 2005 CF 753

 

Toronto (Ontario), le 26 mai 2005

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

 

ENTRE :

 

                                                         DMITRY SHAPOVALOV

 

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

 

 

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                                                                                             défendeur

 

 

                                MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

CONTEXTE

 

 

 

[1]               Dmitry Shapovalov est un avocat de 32 ans, originaire de la Russie. Lui et son épouse, Assia Chapovalova, également avocate, ont un enfant canadien (né lors d’un séjour précédent). Ils attendent un deuxième enfant le 15 juin.

 

[2]               En 1998, M. Shapovalov et son épouse ont visité le Canada. En décembre 1998, ils ont soumis une demande de visas de résident permanent au Consulat de Buffalo, mais n’ont pu obtenir les visas américains pour se présenter à l’entrevue prévue aux États-Unis en juin 2000.

 

[3]               Étant donné qu’ils rentraient en Russie au moment où leurs visas de visiteurs au Canada prenaient fin, ils ont demandé que leur dossier soit transféré au bureau des visas de Moscou. Le transfert s’est fait en août 2000. Au moment du transfert de leur dossier en août 2000, on les a avisés qu’ils auraient à attendre environ 18 mois avant qu’une décision finale soit rendue.

 

[4]               En mars 2001, leur avocat a demandé, étant donné qu’ils avaient déjà été convoqués à une entrevue à Buffalo, qu’on accélère la tenue de leur entrevue à Moscou. Il semble que cette demande n’a pas porté fruit. En avril 2002, leur avocat a de nouveau écrit au Consulat pour demander que leur demande de visas soit traitée.

 

[5]               Puis la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est entrée en vigueur, ce qui obligeait les demandeurs à soumettre à nouveau leurs formulaires et à présenter un avis de DRHC sur l’emploi réservé. Le 15 mai 2003, les demandeurs avaient répondu à toutes ces exigences et ont fait parvenir leurs documents, accompagnés d’une autre demande que l’on traite leur demande avec célérité.

 

[6]               Ce n’est que le 23 juillet 2003 que le couple a été convoqué à une entrevue. Au terme de cette entrevue, ils ont obtenu une approbation de principe, on leur a donné des directives concernant les exigences médicales et on a amorcé les vérifications des antécédents. Toutefois, il a fallu attendre jusqu’en octobre 2003 avant que le Consulat leur demande de soumettre des certificats de la police russe. En janvier 2004, le demandeur a également envoyé une lettre signalant que son offre d’emploi au Canada était encore valide; Développement des ressources humaines Canada a confirmé son approbation de cette offre d’emploi en février 2004. En février, mars et mai 2004, l’avocat du demandeur a écrit à maintes reprises au Consulat, demandant une décision finale concernant le dossier.

 

[7]               Le 23 juin 2004, le demandeur a déposé une demande de mandamus. Depuis le dépôt de la demande de mandamus, plusieurs autres faits se sont produits.

 

[8]               Le 20 juillet 2004, le jour même où le bureau des visas a reçu l’avis de demande de mandamus, l’ambassade a communiqué avec le couple, l’avisant que le traitement de leur dossier était terminé, mais qu’il faudrait quelques jours pour la délivrance des visas. Leurs examens médicaux allaient bientôt devenir périmés. Ils ont choisi de subir de nouveaux examens médicaux plutôt que de se rendre au Canada à très court préavis, mais on les a assurés qu’il s’agissait d’une simple formalité. Une lettre de promesse de visa, qui leur permettrait de régler leurs affaires en Russie, leur serait envoyée sur réception des nouveaux examens médicaux. Ces examens médicaux ont eu lieu en septembre.


 

[9]               À la place, le 17 janvier 2005, on les a convoqués à une nouvelle entrevue, prévue pour le 21 février 2005, mais cette fois-ci réalisée par un agent de liaison en matière de sécurité (ALS), à cause de renseignements pouvant entraîner leur interdiction de territoire. Il n’y a pas de renseignements concrets, ni dans le dossier, ni dans les affidavits, se rapportant à la nature de cette interdiction de territoire, mais il semble que cela a trait au beau-père du demandeur, et non au couple lui-même. Il se peut qu’il faille attendre six mois pour obtenir les résultats de l’entrevue avec l’ALS, ce qui signifie qu’il est possible que ces résultats ne seront pas disponibles avant août 2005.

 

[10]           Mme Chapovalova est enceinte depuis septembre 2004 et elle veut que son enfant naisse au Canada. Cela est très peu probable, car l’audition de la présente demande a eu lieu le 24 mai, la naissance de l’enfant est prévue pour le 15 juin, et elle ne pourra faire le voyage après le 15 mai. Si l’enfant naît en Russie, il ne pourra faire le voyage au Canada avant d’avoir été ajouté à la demande et d’avoir subi un examen médical. L’examen médical de l’épouse sera périmé en septembre 2005, mais elle aurait également à soumettre un rapport médical post-partum de toute façon.

 


[11]           Durant le contre-interrogatoire de l’agent des visas, Michael Scott McCaffrey, relativement à son affidavit, l’agent des visas a déclaré que les retards dans la présente affaire étaient imputables au fait que, après l’effondrement du secteur bancaire russe en 1998, il y avait eu une augmentation énorme des demandes soumises au bureau des visas de Moscou. Il a également expliqué au cours de son contre-interrogatoire qu’il était rare que l’on recule la date d’expiration des examens médicaux au bureau des visas de Moscou, en raison de la prévalence de la tuberculose dans la région desservie par le bureau des visas.

 

ARGUMENTATION ET ANALYSE

 

[12]           Le critère régissant la délivrance d’un bref de mandamus, d’abord formulé par le juge Robertson dans l’arrêt Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.F.), conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100, a été adapté au contexte du droit de l’immigration. Dans la décision Conille c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 C.F. 33, ce critère est décrit comme suit :

 

1)         il existe une obligation légale à caractère public envers le demandeur;

2)         l’obligation doit exister envers le demandeur;

3)         il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment,

a)         le demandeur a satisfait à toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

b)         il y a eu une demande d’exécution de l’obligation, un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande, et il y a eu un refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple, un délai déraisonnable; et

4)         il n’existe aucun autre recours.

 


Il faut satisfaire à tous les volets du critère.

 

[13]           En l’espèce, le seul point en litige est de savoir si le délai dans le traitement du dossier était raisonnable. Dans la décision Conille, au paragraphe 23, la juge Tremblay-Lamer a affirmé que, afin qu’un délai soit jugé déraisonnable, trois conditions s’imposent :

1)         le délai en question a été plus long que ce que la nature du processus exige de façon prima facie;

2)         le demandeur et son conseiller juridique n’en sont pas responsables; et

3)         l’autorité responsable du délai ne l’a pas justifié de façon satisfaisante.

 

[14]            Le demandeur fait valoir que, en ne traitant pas la demande dans un délai raisonnable, l’agent des visas a en fait refusé d’exécuter l’obligation légale : Bhatnager c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 C.F. 315, au paragraphe 4; Platonov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F no 1438, au paragraphe 10.

 


[15]           Le demandeur fait valoir que les quatre années écoulées depuis le transfert du dossier à Moscou (et qui ont abouti à la présente demande de mandamus) constituent un délai déraisonnable, d’autant qu’une année presque entière s’est écoulée depuis l’entrevue au terme de laquelle les demandeurs ont obtenu l’approbation de principe. Ce délai n’est pas imputable au demandeur, mais à la négligence administrative, et il n’y a pas de justification adéquate du délai. La Cour ne devrait pas approuver un manque de diligence et permettre à un dossier de traîner sans progrès tangibles : Bouhaik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 155.

 

[16]           Le défendeur avance que le délai est raisonnable. Le demandeur a, essentiellement, repris le processus du début en demandant le transfert du dossier de Buffalo à Moscou. Puis, le 20 juillet, au lieu d’accepter un visa qui prendrait fin le 24 juillet, le demandeur a choisi de subir de nouveaux examens médicaux. Il existe une justification satisfaisante du délai, soit les mesures prises par le demandeur lui-même et le fait qu’il y a un arriéré considérable au bureau des visas de Moscou en raison d’un effondrement bancaire en Russie. Le délai n’a pas été plus long que ce que la nature du processus exige.

 

[17]           Je conviens avec le demandeur que le délai est déraisonnable en l’espèce.

 

[18]           Prima facie, le délai a été plus long que ce que la nature du processus exige. Au moment où la demande a été transférée à Moscou, le Consulat a estimé que son traitement prendrait 18 mois. Une fois cette période écoulée, aucune justification n’a été fournie pour expliquer pourquoi le traitement était plus long que prévu : Mohamed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 195 F.T.R. 137 (1re inst.), au paragraphe 16.

 


[19]           Rien dans la preuve n’indique qu’on ait affecté du personnel additionnel en vue de traiter l’arriéré considérable, ni que le Consulat ait revu son estimation du délai prévu et communiqué cette nouvelle estimation aux demandeurs. Toutefois, la preuve montre que, même si les avis de rappel concernant les dossiers en suspens sont imprimés tous les soirs, l’agent des visas ne vérifie les avis de rappel rattachés à ses dossiers qu’une fois par mois. Ainsi, il pourrait falloir attendre un mois après la date du rappel avant qu’un agent commence à prendre les mesures pertinentes, par exemple vérifier s’il a reçu les documents requis ou communiquer avec l’ALS pour s’assurer de l’état d’avancement de ses travaux. Si les agents des visas donnaient suite en temps opportun à l’information soumise par les demandeurs, un grand nombre de retards pourraient être évités.

 

[20]           Le demandeur et son avocat ne sont pas responsables du délai de traitement du dossier. Ils ont soumis toute la documentation en temps opportun et on ne peut leur reprocher ni de n’avoir pu assister à l’entrevue à Buffalo, ni d’avoir refusé l’offre de visas de courte durée qui ne leur a été présentée qu’après la demande de mandamus

 

[21]           Les notes du STIDI confirment qu’on a dicté la lettre destinée aux demandeurs le jour même où le bureau de Moscou a reçu l’avis de demande de mandamus. Je crois qu’il est clair que, si ce n’était de cet avis, on aurait continué d’ignorer le dossier et les examens médicaux n’auraient plus été valides. L’offre de visas de courte durée présentée à ce moment-là était déraisonnable et les demandeurs n’avaient aucune raison de les accepter. J’accepte également l’affidavit de l’épouse par lequel elle témoigne que, suivant le conseil d’un conseiller à l’ambassade, ils ont subi de nouveaux examens médicaux.

 

[22]           Enfin, l’autorité responsable du délai de traitement du dossier ne l’a pas justifié de façon satisfaisante. Que ce soit en réponse aux demandes de renseignements réitérées concernant l’état d’avancement du dossier, dans les notes du STIDI ou dans la correspondance, l’ambassade ne signale jamais que la demande suscite des difficultés qui justifieraient le délai ou qui fourniraient une explication précise : Bhatnager, précitée; Hanano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 257 F.T.R. 66, au paragraphe 14. 

 

[23]           La seule justification proposée par l’agent McCaffrey est l’existence d’un arriéré. Tout argument prétendant que le délai de traitement du dossier est tout simplement systémique et qu’il ne saurait être imputé au ministre est inacceptable. Un arriéré de dossiers n’est pas une excuse valable : Dragan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 4 C.F. 189, au paragraphe 58 (1re inst.); Conille, précitée; Platonov, précitée.

 

[24]           En raison des faits nouveaux survenus depuis le dépôt de la demande de mandamus, y compris l’entrevue obligatoire avec l’ALS et la grossesse de Mme Chapovalova, il y aura inévitablement d’autres retards avant qu’une décision finale ne soit rendue. Toutefois, les avocats des parties ont convenu qu’il faudrait minimiser ces retards. J’ai également suggéré à l’audience que le défendeur devrait envisager sérieusement d’exercer son pouvoir discrétionnaire de proroger la validité des certificats médicaux du couple.

 

[25]           Le demandeur a demandé les dépens afférents à la présente demande. Habituellement, les causes d’immigration ne donnent pas lieu à des dépens : Règles de la Cour fédérale en matière d’immigration et de protection des réfugiés, article 22. La Cour a par le passé statué que les délais déraisonnables constituaient un motif spécial pouvant justifier l’attribution de dépens : Platonov, précitée; Dragan, précitée. J’ai exercé mon pouvoir discrétionnaire et accordé au demandeur des dépens de 2 500 dollars.

 

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE : La demande est accueillie.

 

1.         Le défendeur traitera la demande de résidence permanente au Canada présentée par le demandeur conformément aux exigences législatives, à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et aux conditions suivantes :

 

i)          le défendeur communiquera au demandeur et à son épouse de nouvelles directives concernant les exigences médicales, dans les dix jours qui suivront la réception de l’avis de la présente ordonnance;

 

ii)         le défendeur communiquera de nouveaux formulaires médicaux dans les dix jours qui suivront l’avis du demandeur de la naissance de son enfant, prévue pour le 15 juin 2005, sous réserve de la disposition iii) ci-dessous;


iii)         le demandeur versera les droits applicables pour le traitement de la demande de résidence permanente au Canada de son enfant, soit 150 dollars, et fournira des photographies appropriées de son enfant à l’ambassade du Canada à Moscou à la suite de la naissance de son enfant;

 

iv)        le demandeur, l’épouse du demandeur et leur enfant consulteront un médecin désigné (MD) dès que les circonstances le permettront après la naissance de l’enfant;

 

v)         le défendeur traitera la demande de résidence permanente au Canada du demandeur et de sa famille et leur communiquera une décision concernant la délivrance de visas de résident permanent au plus tard le 6 septembre 2005 ou dans les 90 jours qui suivront leur consultation du MD, si cette date est postérieure, sous réserve de la disposition vi) ci-dessous;

 


vi)        si le défendeur a besoin de renseignements médicaux additionnels pour mener à bien l’évaluation médicale du demandeur ou si le demandeur doit soumettre des observations en réponse aux constatations préliminaires du défendeur concernant son interdiction de territoire pour motifs sanitaires ou l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires des personnes à sa charge, la décision finale visant la demande de résidence permanente du demandeur sera reportée, au plus tard, à 21 jours après la réception par l’ambassade du Canada à Moscou de l’avis médical final du Service de santé de l’immigration.

                                                                                                                                                           

2.         Des dépens de 2 500 dollars sont attribués au demandeur.

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


                                                             COUR FÉDÉRALE

 

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-5637-04

 

INTITULÉ :                                                   DMITRY SHAPOVALOV

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 24 MAI 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 26 MAI 2005

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stephen Green                                                  POUR LE DEMANDEUR

 

John Loncar                                                     POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                                                                           

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

 

Green and Spiegel                                            POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)                                                        

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                                          

 


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