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Date : 20040609

Dossier : IMM-2794-03

Référence : 2004 CF 836

Toronto (Ontario), le 9 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL                               

ENTRE :

                                                                   LIMIN SHEN

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision qu'a rendue Philomen M. Wright, membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 18 mars 2003, refusant à la demanderesse le statut de réfugiée au sens de la Convention et ne lui reconnaissant pas la qualité de personne à protéger.


LA NORME DE CONTRÔLE

[2]                La demande de contrôle judiciaire en cause ne remet en question que les conclusions que la Commission a tirées quant à la crédibilité et à la plausibilité. La Commission a rejeté la demande d'asile de la demanderesse parce qu'elle a conclu que la preuve qu'elle avait présentée n'était ni crédible ni plausible. La Commission a une compétence d'expert pour statuer sur les demandes d'asile et, ayant un accès direct au témoignage des témoins, elle est habituellement l'instance la mieux placée pour juger de leur crédibilité. Par conséquent, la norme de contrôle au regard de laquelle ses conclusions sur la crédibilité sont évaluées est la décision manifestement déraisonnable, comme l'a établi la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.) :

Qui, en effet, mieux que [la Commission], est en mesure de jauger la crédibilitéd'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

[3]                Conformément à la décision Bains c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1144, au paragraphe 11, avant d'annuler une conclusion tirée par la Commission sur la crédibilité, la Cour doit s'appuyer sur l'un des critères suivants :

1.          La conclusion de la Commission ne repose pas sur des motifs valables de douter de la crédibilité du demandeur;

2.          Les inférences tirées par la Commission reposent sur des conclusions d'invraisemblance que la Cour juge simplement non plausibles;

3.          La décision repose sur des conclusions qui ne sont pas étayées par la preuve;

4.          La conclusion sur la crédibilité est fondée sur une conclusion de fait tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve.


[4]                Les conclusions que la Commission tire sur la crédibilité doivent donc faire l'objet de la plus grande retenue judiciaire, et elles ne devraient être annulées que si l'un des critères que je viens d'énoncer s'applique. En ce qui concerne la crédibilité ou la plausibilité, la Cour ne devrait pas substituer son opinion à celle de la Commission sauf dans « les cas les plus manifestes » .

LES FAITS

[5]                La demanderesse est citoyenne de la République populaire de Chine et elle allègue craindre d'être persécutée du fait de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe clandestin en Chine : le Parti démocratique chinois (PDC). Elle est devenue officiellement membre de ce parti en octobre 1999 et a participé aux activités du parti telles que ses réunions politiques, l'affichage de ses feuillets et la promotion de ses slogans. Elle a aussi recruté deux nouveaux membres. En novembre 2001, certains membres du PDC ont été arrêtés à la suite d'une descente que le Bureau de la sécurité publique (BSP) a faite lors d'une réunion. Bien que la demanderesse ait été empêchée d'assister à cette réunion, un autre membre du parti lui a conseillé de se cacher parce que le BSP la cherchait. Alors qu'elle se tenait cachée, elle a appris que les agents du BSP s'étaient rendus chez elle à sa recherche et l'avaient accusée de participation à des activités antigouvernementales. Elle a affirmé dans son affidavit que, après avoir appris que le BSP avait perquisitionné chez elle et saisi certains objets, elle en est venue à la conclusion qu'elle ne pouvait pas rester en Chine et elle a pris des arrangements pour partir.


LA DÉCISION DE LA COMMISSION

[6]                La Commission a conclu que la demanderesse n'était pas crédible et a donné plusieurs motifs, notamment :        

a.          La demanderesse prétend appartenir au PDC, parti que les autorités chinoises considèrent subversif. Elle a signalédans sa preuve les mesures de sécurité que les membres du PDC prenaient pour assurer la sécurité de leurs réunions et conserver leur anonymat. En dépit de ces mesures de sécurité, la demanderesse a déclaré avoir rempli un formulaire le jour où elle s'est jointe au PDC, formulaire où paraissait son nom au complet, son âge, son adresse et son numéro de carte d'identité de résidente ainsi que le numéro de code que le parti lui avait donné. La Commission a jugé ce témoignage peu crédible parce que le fait de fournir de tels renseignements sur le formulaire risquerait de faciliter l'identification des membres du PDC et, par conséquent, de les mettre gravement en danger;

b.          La demanderesse a déclaré que son mari et son enfant, qui vivent toujours chez elle, n'ont subi aucunes représailles. Plus tard, elle a déclaré que le BSP avait perquisitionné à sa maison et avait confisqué des objets. La Commission a estimé qu'il était peu crédible, se fondant en partie sur la preuve documentaire, que le BSP se borne àperquisitionner à la maison et à confisquer des objets sans interroger le mari de la demanderesse sur l'endroit où se trouvait cette dernière ou sur les objets confisqués;


c.          Le tribunal a aussi conclu, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse « ntait vraisemblablement pas membre du PDC et que les faits que cette dernière a relatés et qui auraient pour origine son appartenance au PDC ne se sont probablement jamais produits » .

ANALYSE

Crédibilité et non-plausibilité


[7]                La principale question à analyser en l'espèce est de savoir si la demanderesse est crédible. Pour rendre une décision sur ce point, je m'appuie sur les principes énoncés dans l'arrêt Maldonado c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1980] 2 C.F. 302, à la page 305 (C.A.F.) (Maldonado), et sur ceux énoncés dans l'arrêt Rajaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. no 1271, où il a été établi clairement que la Commission doit avoir des motifs valables pour conclure que le demandeur n'est pas crédible. Les arrêts Attakora c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1989) 99 N.R. 168 (C.A.F.), et Owusu - Ansah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 8 Imm. L.R. (2d) 106 (C.A.F.), ont tous deux annulé des décisions de la Commission au motif que ce qu'elle avait conclu être invraisemblable ne l'était pas en soi. Également, dans l'arrêt Frimpong c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1980] 8 Imm. L.R. (2d) 106 (C.A.F.), la décision de la Commission a été annulée parce que fondée sur des inférences que la preuve n'étayait pas. Comme cela a été dit dans la décision Bains, la raison en est qu'une cour de révision, compte tenu de la nature des assertions qualifiées d'invraisemblables, peut être dans une situation tout aussi bonne que celle de la Commission pour juger de la véracité de ces assertions.

[8]                En l'espèce, la crédibilité de la demanderesse a été mise en doute et la Commission se devait de s'assurer que ses motifs de décision s'appuyaient sur la preuve qui lui avait été présentée. La demanderesse soutient que la Commission a fondé sa conclusion défavorable quant à sa crédibilité entièrement sur deux éléments de la preuve qu'elle a présentée que la Commission a jugés invraisemblables, soit qu'il était invraisemblable que, en raison du risque que leur identification représentait pour leur sécurité, la demanderesse et d'autres personnes aient rempli des formulaires d'adhésion pour devenir membres, et qu'il était invraisemblable que son mari n'ait eu aucun démêlé avec le BSP par suite de ses activités. La demanderesse affirme donc que la Commission a écarté les éléments restants de la preuve, éléments que la Commission avait considérés cohérents et étayés par la preuve qu'elle avait présentée.


[9]                Plus particulièrement, au paragraphe 17 de son Mémoire du droit et des points d'argument, la demanderesse soutient que, nonobstant sa décision sur les deux éléments de la preuve précédemment mentionnés, la Commission a omis de fournir une évaluation ou de faire mention du reste de la preuve détaillée qu'elle a produite au sujet de sa participation active aux activités du PDC telles que la distribution de feuillets la nuit et sa présence aux réunions, de ses affirmations quant aux buts du PDC, des précautions que le groupe prenait pour ne pas être découvert ou de l'incident qui l'a forcée à fuir la Chine, soit la descente lors d'une réunion politique et l'arrestation de membres du PDC.

CONCLUSION

[10]            Me fondant sur mon examen de la décision de la Commission, de la transcription de l'audience et des observations des parties, je suis d'avis que les conclusions de la Commission trouvaient appui sur la preuve qu'on lui avait présentée. Je suis aussi d'avis que la Commission n'a pas omis de mentionner quels éléments de preuve parmi ceux présentés elle considérait véridiques; mais, elle a décidé, comme elle le dit à la page 4 de ses motifs, en se fondant sur la prépondérance des probabilités, que la demanderesse « ntait vraisemblablement pas membre du PDC et que les faits que cette dernière a relatés et qui auraient pour origine son appartenance au PDC ne se sont probablement jamais produits » . Bien que le témoignage de la demanderesse concordait avec son Formulaire sur les renseignements personnels, la Commission a conclu qu'il ntait ni plausible ni compatible avec la preuve documentaire.


[11]            Par ailleurs, j'ai examiné l'explication que la demanderesse a donnée au soutien de son affirmation selon laquelle, pour pouvoir être membre du PDC, il fallait remplir un formulaire et fournir des renseignements personnels, en dépit du risque inhérent que cela posait pour l'anonymat des membres. Me fondant sur l'ensemble de la preuve qui m'a été présentée, je suis arrivé à la même conclusion que la Commission, soit que je trouve difficile de concilier ou, comme la Commission l'a dit, de croire que la demanderesse, en dépit de son haut niveau d'éducation et de ses capacités, ait accepté ces exigences du parti quant à une inscription par écrit en dépit du grand risque que cela représentait, et qu'elle se soit placée ainsi, elle et sa famille, dans une situation extrêmement précaire. Je conclus donc, au regard de la norme de la décision manifestement déraisonnable, que la Commission n'a pas commis d'erreur et qu'elle a rendu une décision qui tenait compte de tous les éléments de preuve qui lui avaient été présentés.

[12]            J'ai demandé aux parties si elles avaient des questions à faire certifier. Elles n'en avaient pas.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

-           La demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question n'est certifiée.

                                                                                       « Simon Noël                          

                                                                                                     Juge                                

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-2794-03

INTITULÉ :                                        LIMIN SHEN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 8 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE NOËL

DATE DES MOTIFS :                       LE 9 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Nadine Tobin               

POUR LA DEMANDERESSE

Alexis Singer                

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LEWIS & ASSOCIATES

Toronto (Ontario)                     

POUR LA DEMANDERESSE

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR


             COUR FÉDÉRALE

                                 Date : 20040609

                    Dossier : IMM-2794-03

ENTRE :

LIMIN SHEN

                                       demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                             défendeur

                                                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


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