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Date : 20050324

Dossier : IMM-1631-04

Référence : 2005 CF 413

Ottawa (Ontario), le 24 mars 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

                                                            KWAN HYUNG LEE,

                                                                 MI SOOK LEE,

                                                                   YE JIN LEE,

                                                                    SU JIN LEE

                                                                et HAN NA LEE

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), relativement à la décision d'un agent d'immigration (l'agent) de refuser, le 4 février 2004, de dispenser M. Kwan Hyung Lee (le demandeur) et sa famille (collectivement, les demandeurs) de certaines exigences législatives pour des motifs d'ordre humanitaire.


LES FAITS

[2]                Le demandeur, son épouse, Mi Sook Lee, et ses trois filles, Ye Jin Lee (23 ans), Su Jin Lee (22 ans) et Han Na Lee (20 ans), sont des citoyens de la Corée. Bien que les raisons qui les ont amenés à quitter la Corée ne soient pas claires, il a été mentionné que le nom du demandeur avait été placé sur une liste noire dans ce pays à cause de ses opinions sur le moyen de réunifier la Corée du Nord et la Corée du Sud et qu'il craignait en conséquence d'être persécuté. Lui et sa famille ont donc quitté la Corée et sont arrivés à Toronto le 29 mars 1996. Depuis cette date, le demandeur a travaillé comme pasteur dans deux églises coréennes de Toronto et dans une église de Vancouver, après avoir déménagé dans cette ville avec son épouse en 1999. Ses trois filles sont demeurées à Toronto pour poursuivre leurs études.

[3]                Le visa du demandeur a été prolongé à deux reprises afin de lui permettre de demeurer au Canada et de célébrer des services religieux dans les églises baptistes coréennes où il travaillait. Le 24 janvier 2000 cependant, les autorités ont considéré que les demandeurs se trouvaient au Canada sans autorisation, leur demande de résidence permanente ayant été rejetée. Dans le but d'éviter l'expulsion, les demandeurs ont revendiqué le statut de réfugié. Leur revendication a été rejetée le 21 octobre 2001 et la demande de contrôle judiciaire de cette décision a aussi été rejetée. En décembre 2001, les demandeurs ont présenté une demande de résidence permanente pour des motifs d'ordre humanitaire.


QUESTION EN LITIGE

[4]                La Commission a-t-elle commis une erreur dans son examen de la demande présentée par le demandeur pour des motifs d'ordre humanitaire?

ANALYSE

[5]                Les demandeurs ont présenté une demande de résidence permanente pour des motifs d'ordre humanitaire, visée à l'article 25 de la Loi :


25. (1) Le ministre doit, sur demande d'un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s'il estime que des circonstances d'ordre humanitaire relatives à l'étranger -- compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché -- ou l'intérêt public le justifient.                                 

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister's own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.


[6]                Le critère que je dois appliquer dans le cadre du contrôle judiciaire d'une décision comme celle en cause en l'espèce a été énoncé dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 61 et 62 :


Le quatrième facteur mis en relief dans l'arrêt Pushpanathan vise la nature du problème en question, particulièrement s'il s'agit de droit ou de faits. La décision d'accorder une dispense fondée sur des raisons d'ordre humanitaire demande principalement l'appréciation de faits relatifs au cas d'une personne, et ne porte pas sur l'application ni sur l'interprétation de règles de droit précises. Le fait que cette décision soit de nature hautement discrétionnaire et factuelle est un facteur qui milite en faveur de la retenue.

Tous ces facteurs doivent être soupesés afin d'en arriver à la norme d'examen appropriée. Je conclus qu'on devrait faire preuve d'une retenue considérable envers les décisions d'agents d'immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l'analyse, de son rôle d'exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi. Toutefois, l'absence de clause privative, la possibilité expressément prévue d'un contrôle judiciaire par la Cour fédérale, Section de première instance, et la Cour d'appel fédérale dans certaines circonstances, ainsi que la nature individuelle plutôt que polycentrique de la décision, tendent aussi à indiquer que la norme applicable ne devrait pas en être une d'aussi grande retenue que celle du caractère « manifestement déraisonnable » . Je conclus, après avoir évalué tous ces facteurs, que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[7]                La norme de contrôle applicable étant celle de la décision raisonnable simpliciter, je rappelle les commentaires formulés par ma collègue, la juge Layden-Stevenson, dans Agot c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 436, [2003] A.C.F. no 607 :


Il est utile de rappeler certains des principes établis qui régissent les demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire. La décision du représentant du ministre en ce qui concerne une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire est une décision discrétionnaire : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (l'arrêt Baker). La norme de contrôle judiciaire applicable à ces décisions est celle de la décision raisonnable simpliciter (arrêt Baker). Dans le cas d'une demande de dispense fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, le fardeau de la preuve incombe au demandeur (Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 94, [2003] A.C.F. no 139, le juge Gibson, citant les jugements Prasad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 34 Imm.L.R. (2d) 91 (C.F. 1re inst.) et Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 36 Imm.L.R. (2d) 175 (C.F. 1re inst.)). La pondération des facteurs pertinents ne ressortit pas au tribunal appelé à contrôler l'exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3 (Suresh); Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.) (Legault)). Les lignes directrices ministérielles n'ont pas force de loi et ne lient pas le ministre et ses représentants, mais elles sont accessibles au public et la Cour suprême les a qualifiées de très utiles à la Cour (Legault). Les décisions relatives à des raisons d'ordre humanitaire doivent être motivées (Baker). Il serait excessif d'exiger des agents de révision, en tant qu'agents administratifs, qu'ils motivent leurs décisions avec autant de détails que ceux que l'on attend d'un tribunal administratif qui rend ses décisions à la suite d'audiences en règle (Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2001), 282 N.R. 394 (C.A.F.)).

[8]                En l'espèce, les visas des demandeurs avaient déjà été prolongés à deux reprises afin qu'ils puissent demeurer au Canada. Leur demande de résidence permanente avait été rejetée par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, et un autre délai leur avait été accordé pour qu'ils puissent prendre des dispositions en vue de leur départ du Canada. Au lieu de partir, ils ont revendiqué le statut de réfugié. Leur revendication a été rejetée par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, et la demande de contrôle judiciaire de cette décision a aussi été rejetée. En déposant la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire qui est en cause dans le présent contrôle judiciaire, les demandeurs semblent vouloir obtenir de façon détournée ce que le droit canadien leur refuse : le droit de demeurer au Canada (Mayburov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 953; Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 7, [2001] A.C.F. no 139).


[9]                À mon avis, l'agent n'a pas commis d'erreur lorsqu'il a indiqué que le temps passé au Canada par les demandeurs et leur établissement dans la communauté étaient des facteurs importants, mais non déterminants. Si la durée du séjour au Canada devait devenir le principal facteur dont il faut tenir compte dans le cadre de l'examen d'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, cela encouragerait les gens à tenter leur chance et à revendiquer le statut de réfugié en croyant que, s'ils peuvent rester au Canada suffisamment longtemps pour démontrer qu'ils sont le genre de gens que le Canada recherche, ils seront autorisés à rester (Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1906).

[10]            Pour ce qui est de la prétention des demandeurs selon laquelle l'agent n'a pas bien soupesé certains éléments de preuve, je répète ce que la Cour a dit dans Agot c. Canada, précité : la pondération des facteurs pertinents ne ressortit pas au tribunal appelé à contrôler l'exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel. Par conséquent, la question de la pondération relève exclusivement de l'agent d'immigration si celui-ci a examiné correctement tous les éléments de preuve. J'estime qu'en l'espèce l'agent a examiné minutieusement tous les éléments dont il disposait. Après avoir pris connaissance des prétentions des demandeurs, il a expliqué de manière appropriée pourquoi il ne les acceptait pas, par exemple dans les passages suivants :

[traduction] L'agent a reconnu l'établissement du demandeur au Canada, mais a souligné qu'il ne s'agissait pas d'un motif suffisant pour rendre une décision favorable pour des motifs d'ordre humanitaire. (Page 6 des motifs de la décision de l'agent)

Il est vrai que le départ du demandeur de l'église où il était pasteur pourrait causer des inconvénients à la paroisse et à ses membres, mais ce départ n'entraînerait pas de difficultés excessives puisque l'église avait été en mesure de poursuivre ses activités sans dirigeant entre 1993 et 1999 et elle pouvait compter sur un missionnaire retraité, deux séminaristes et de nombreuses personnes qui apportaient leur aide à ses différents groupes. (Page 5 des motifs de la décision de l'agent)

L'agent a convenu également que les filles du demandeur étaient beaucoup plus jeunes lorsqu'elles sont arrivées au Canada. Selon lui cependant, elles seraient en mesure de s'adapter vu qu'elles sont nées en Corée et ont vécu dans ce pays jusqu'en 1996. De plus, elles n'ont pas de famille au Canada, mais elles entretiennent toujours des rapports avec des membres de leur famille maternelle et paternelle vivant en Corée. En outre, elles connaissent la culture et la langue de ce pays et y sont allées à l'école. (Page 5 des motifs de la décision de l'agent)

[11]            Comme je l'ai mentionné précédemment, il incombe au demandeur de convaincre le décideur que, vu sa situation personnelle, l'obligation d'obtenir un visa d'immigrant hors du Canada en suivant la procédure normale lui causerait des difficultés (i) inhabituelles et injustifiées ou (ii) excessives.

Les difficultés que subirait le demandeur (s'il devait présenter sa demande de visa hors du Canada) doivent, dans la plupart des cas, être inhabituelles. Il s'agit, en d'autres termes, de difficultés qui ne sont pas prévues dans la Loi ou le Règlement, et les difficultés que subirait le demandeur (s'il devait présenter sa demande hors du Canada) doivent, dans la plupart des cas, découler de circonstances indépendantes de sa volonté. [...]

Dans certains cas où le demandeur ne subirait de difficultés ni inhabituelles ni injustifiées (s'il devait présenter sa demande de visa hors du Canada), il est possible de conclure à l'existence de CH en raison de difficultés considérées comme excessives pour le demandeur compte tenu de ses circonstances personnelles.

Citoyenneté et Immigration Canada, Guide sur le traitement des demandes au Canada, chapitre IP5, Demandes d'établissement présentées au Canada pour des considérations humanitaires (CH). Section 6. La décision CH. (Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1906, au paragraphe 10)

[12]            Le demandeur a eu la possibilité de présenter des observations et des éléments de preuve au soutien de ces allégations, mais il ne s'est tout simplement pas acquitté du fardeau qui lui incombait. L'agent écrit dans ses motifs :

[traduction] Dans ma lettre du 9 décembre 2003, j'ai demandé aux demandeurs de prouver que, comme ils le prétendaient, les femmes ne peuvent pas étudier en Corée, ne peuvent pas obtenir de diplôme si elles ont fait une partie de leurs études à l'étranger et n'ont aucune perspective de carrière dans ce pays. Dans ses observations du 12 janvier 2004, l'avocat des demandeurs indique que Ye Jin, Su Jin et Han Na devraient passer des examens d'admission pour entrer à l'université ou au collège en Corée et qu'elles ont le sentiment qu'elles ne pourraient pas les réussir compte tenu du fait qu'elles n'ont pas étudié dans ce pays depuis sept ans. Je comprends leur appréhension, mais j'estime qu'elle repose sur des hypothèses et non sur des faits. [...] La preuve présentée par les demandeurs ne me convainc pas que Ye Jin, Su Jin et Han Na ne pourraient pas étudier ou travailler en Corée. (Page 6 des motifs de la décision de l'agent)


[13]            Je tiens à répéter encore une fois que la Cour ne peut intervenir à la légère dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire des agents d'immigration. La décision concernant une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire doit reposer sur une analyse des faits et sur la pondération de nombreux facteurs. J'estime que l'agent a pris en considération tous les facteurs pertinents au regard des motifs d'ordre humanitaire et qu'il n'a commis aucune erreur justifiant l'intervention de la Cour.

[14]            Pour tous les motifs exposés ci-dessus, je conclus que la Commission n'a pas commis d'erreur dans son examen de la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire.

[15]            Aucune partie n'a proposé de question à des fins de certification.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

-          que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

-          qu'aucune question ne soit certifiée.

                    « Pierre Blais »               

                            Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                             IMM-1631-04

INTITULÉ :                                                            KWAN HYUNG LEE ET AL.

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :                                    LE 10 MARS 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                           LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                                           LE 24 MARS 2005

COMPARUTIONS :

Joseph Farkas                                                           POUR LES DEMANDEURS

Ansumala Juyal                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Joseph Farkas                                                           POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

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