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                                                          Date : 20020129

                                                   Dossier : IMM-3360-01

OTTAWA (Ontario), le 29 janvier 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

ENTRE :

                              LAI YUNG CHAU

                                                             demanderesse

                                    et

            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                défendeur

                                ORDONNANCE

[1]    La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                      « P. Rouleau »          

                                                                              Juge                  

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


Date : 20020129

Dossier : IMM-3360-01

Référence neutre : 2002 CFPI 107

ENTRE :

                              LAI YUNG CHAU

                                                             demanderesse

                                    et

            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                défendeur

                         MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]              La Cour statue sur une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 82.1(2) de la Loi sur l'immigration (la Loi) d'une décision en date du 22 juin 2001 par laquelle la conseillère en immigration Brenda Heal (la fonctionnaire de l'Immigration) a refusé la demande présentée par la demanderesse en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi en vue d'être dispensée des exigences du paragraphe 9(1) de la Loi au motif qu'il n'existait pas de raisons humanitaires suffisantes pour justifier l'octroi d'une dispense spéciale.

[2]             La demanderesse est une citoyenne âgée de 45 ans de la République populaire de Chine. Elle s'est enfuie de la Chine et est arrivée le 3 novembre 1992 au Canada où elle vit depuis. Elle était propriétaire d'une petite épicerie en Chine. Depuis son arrivée au Canada, elle a surtout travaillé comme brodeuse et couseuse dans l'industrie du vêtement. Elle travaille et est indépendante matériellement depuis pratiquement son arrivée au Canada.

[3]                 Elle a acheté un appartement en copropriété en juillet 1997 pour 77 500 $. Elle a contracté un prêt hypothécaire de 54 250 $ et elle a versé des cotisations à un REÉR. Le solde de son prêt hypothécaire au 30 mars 2001 s'établissait à 14 436,25 $. Tous ses biens sont au Canada. Depuis son arrivée, elle n'a pas appris l'une ou l'autre des langues officielles du Canada, bien qu'elle se soit inscrite en avril 2001 à un cours de conversation anglaise. Elle ne participe à aucune oeuvre communautaire.

[4]                 Elle n'a pas d'enfants en Chine ou au Canada. Ses parents et deux frères et soeurs résident toujours en Chine, tout comme son ex-mari. Elle n'a pas de résidence en Chine, n'est pas inscrite dans le système d'enregistrement des ménages et a divorcé de son mari en Chine le 20 juin 2000.

[5]                 Sa revendication du statut de réfugié a été refusée en juillet 1993 de même que la demande qu'elle avait présentée en vue d'être considérée comme faisant partie de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (la CDNRSRC).


[6]                 En juillet 1996, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie des immigrants visés par une mesure de renvoi à exécution différée. Après que sa demande eut été d'abord accueillie le 18 octobre 1996, elle a demandé que le cas de son mari soit étudié en même temps que le sien. Or, sa demande a finalement été rejetée le 19 août 1999 au motif que son mari de l'époque était une personne non admissible au sens du sous-alinéa 19(1)d)(ii) de la Loi. L'avocat de la demanderesse a soumis des observations à Citoyenneté et Immigration Canada (le Ministère) au sujet de la demande présentée dans la catégorie des immigrants visés par une mesure de renvoi à exécution différée et il a soumis des certificats attestant que le mari de sa cliente n'avait aucun antécédent judiciaire. Le Ministère a une fois de plus refusé la demande. La demanderesse n'a pas reçu d'autres communications écrites du Ministère au sujet de la demande qu'elle avait présentée dans la catégorie des immigrants visés par une mesure de renvoi à exécution différée.

[7]                 Le 13 septembre 2000, la demanderesse a présenté une demande en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi en invoquant des raisons d'ordre humanitaire (la demande fondée sur des raisons humanitaires). Le 18 septembre 2000, elle a été reçue en entrevue par une fonctionnaire du Ministère à qui elle a affirmé qu'elle n'avait plus de contact avec qui que ce soit en Chine, qu'elle ne communiquait que sporadiquement avec ses parents et que ses parents ne pouvaient pas l'héberger si jamais elle retournait en Chine.

[8]                 Le 9 mai 2001, la demanderesse a soumis au Ministère d'autres documents à l'appui de sa demande fondée sur des raisons humanitaires. Le Ministère n'a pas convoqué la demanderesse à une entrevue personnelle en rapport avec sa demande.

[9]                 La demande fondée sur des raisons humanitaires présentée par la demanderesse a été refusée par lettre datée du 22 juin 2001. C'est la décision qui fait l'objet de la présente demande d'autorisation et de contrôle judiciaire.

[10]            La fonctionnaire de l'Immigration saisie de la demande a rédigé un rapport à verser au dossier intitulé [TRADUCTION] « Demande fondée sur des raisons humanitaires -- Note au dossier » qui comprenait la décision motivée prise par la fonctionnaire en question au sujet du cas qui nous intéresse. Dans sa décision motivée, la fonctionnaire a fait la déclaration usuelle selon laquelle elle avait apprécié tous les facteurs portés à sa connaissance avant de décider que la demanderesse n'avait pas établi l'existence de raisons d'ordre humanitaire suffisantes pour justifier l'octroi du droit d'établissement à partir du Canada. Voici les motifs que la fonctionnaire de l'Immigration a exposés dans sa décision :

[TRADUCTION]


J'AI TENU COMPTE DE LA MESURE DANS LAQUELLE Mme CHAU AVAIT RÉUSSI À S'ÉTABLIR AU CANADA. ON PEUT S'ATTENDRE À CE QUE CEUX QUI REVENDIQUENT LE STATUT DE RÉFUGIÉ AU CANADA NE RÉUSSISSENT À S'ÉTABLIR QUE PARTIELLEMENT, ÉTANT DONNÉ QUE LE PROCESSUS D'INTÉGRATION S'ÉCHELONNE SUR PLUSIEURS ANNÉES. PENDANT CETTE PÉRIODE TRANSITOIRE, LES REVENDICATEURS DU STATUT DE RÉFUGIÉ ONT LE DROIT DE PRÉSENTER UN PERMIS DE TRAVAIL ET UN PERMIS D'ÉTUDIANT POUR POUVOIR TRAVAILLER OU ÉTUDIER AU CANADA. JE CONSTATE, À LA LECTURE DE SA DEMANDE, QUE Mme CHAU A TRAVAILLÉ PENDANT PLUSIEURS ANNÉES COMME BRODEUSE ET COUSEUSE DANS L'INDUSTRIE DU VÊTEMENT. IL EST LOUABLE QU'ELLE AIT TRAVAILLÉ ET AIT ÉTÉ AUTONOME SUR LE PLAN MATÉRIEL PENDANT LA PLUS GRANDE PARTIE DE SON SÉJOUR AU CANADA. ELLE A ÉGALEMENT DÉMONTRÉ QU'ELLE ÉTAIT CAPABLE DE BIEN GÉRER SES PROPRES FINANCES, COMME EN TÉMOIGNE LE FAIT QU'ELLE A PU ACQUÉRIR DES BIENS DEPUIS SON ARRIVÉE AU CANADA LE 3 NOVEMBRE 1992. ELLE A ACHETÉ UN IMMEUBLE EN COPROPRIÉTÉ EN JUILLET 1997 AU PRIX DE 77 500 $ ET EN MARS 2001, ELLE AVAIT RÉDUIT SON HYPOTHÈQUE DE 39 813,25 $ ET ELLE ÉTAIT EN MESURE DE VERSER DES COTISATIONS À UN REÉR. SON DOSSIER NE PERMET PAS DE PENSER QU'ELLE PARLE L'UNE OU L'AUTRE DES LANGUES OFFICIELLES DU CANADA OU QU'ELLE A EXERCÉ DES ACTIVITÉS COMMUNAUTAIRES EN FAISANT DU BÉNÉVOLAT. JE CONSTATE QU'ELLE S'EST INSCRITE EN AVRIL 2001 À UN COURS DE CONVERSATION ANGLAISE. L'INCAPACITÉ DE LA DEMANDERESSE DE S'ÉTABLIR AVEC SUCCÈS AU CANADA N'EST PAS IMPUTABLE À UNE INCAPACITÉ PROLONGÉE DE QUITTER LE CANADA, PUISQUE Mme CHAU EST TITULAIRE D'UN PASSEPORT EN RÈGLE DE LA RPC DEPUIS 1997. Mme CHAU N'A PAS DE FAMILLE AU CANADA. J'AI TENU COMPTE DE TOUS CES FACTEURS ET JE NE SUIS PAS CONVAINCUE QUE LA DEMANDERESSE S'EST SUFFISAMMENT ÉTABLIE AU CANADA POUR QUE LE REFUS DE LA DISPENSER DES EXIGENCES DU PAR. 9(1) DE LA LOI LUI CAUSERAIT DES DIFFICULTÉS DISPROPORTIONNÉES, EXCESSIVES OU INJUSTIFIÉES.

EN 1997, Mme CHAU A DEMANDÉ ET OBTENU UN NOUVEAU PASSEPORT DE LA RPC SOUS LE NUMÉRO 2689339. ELLE A ÉTÉ ÉVALUÉE POUR SON EXAMEN MÉDICAL EN OCTOBRE 2000. JE CONSTATE QUE Mme CHAU A PLUSIEURS MEMBRES DE SA FAMILLE AINSI QU'UN EX-MARI EN CHINE. AVANT DE DEMANDER LE DIVORCE, EN SEPTEMBRE 2000, Mme CHAU AVAIT GARDÉ LE CONTACT AVEC SON MARI AU COURS DES HUIT ANNÉES DE LEUR SÉPARATION ET JE CONSTATE ÉGALEMENT QU'ELLE A INCLUS SON MARI DANS LA DEMANDE QU'ELLE AVAIT PRÉSENTÉE DANS LA CATÉGORIE DES IMMIGRANTS VISÉS PAR UNE MESURE DE RENVOI À EXÉCUTION DIFFÉRÉE EN VUE D'OBTENIR LA RÉSIDENCE PERMANENTE AU CANADA JUSQU'À CE QUE CETTE DEMANDE SOIT REFUSÉE EN 1999. JE SUIS CONVAINCUE QUE LES MEMBRES DE SA FAMILLE, AINSI QUE SON EX-MARI, LUI OFFRIRONT LEUR AIDE LORSQU'ELLE RETOURNERA EN CHINE. Mme CHAU S'EST DITE D'AVIS QU'ELLE SERAIT MAINTENANT UNE IMMIGRANTE ADMISE AU CANADA PARCE QU'ELLE REMPLIT LES CONDITIONS PRESCRITES POUR ÊTRE ADMISSIBLE AU PROGRAMME DES IMMIGRANTS VISÉS PAR UNE MESURE DE RENVOI À EXÉCUTION DIFFÉRÉE MAIS QUE SA DEMANDE A ÉTÉ REFUSÉE EN 1999 EN RAISON DE LA NON-ADMISSIBILITÉ DE SON EX-MARI AU CANADA. JE COMPRENDS SA DÉCEPTION, MAIS LE REFUS D'ÊTRE CONSIDÉRÉE COMME ADMISSIBLE AU PROGRAMME DES IMMIGRANTS VISÉS PAR UNE MESURE DE RENVOI À EXÉCUTION DIFFÉRÉE NE CONSTITUE PAS UNE RAISON SUFFISANTE POUR LA DISPENSER DES EXIGENCES DU PAR. 9(1) DE LA LOI. J'AI TENU COMPTE DES CRAINTES FORMULÉES PAR Mme CHAU AU SUJET DU FAIT QU'ELLE N'EST PAS INSCRITE DANS LE SYSTÈME D'ENREGISTREMENT DES MÉNAGES ET DE SA CRAINTE DE NE PAS POUVOIR SE TROUVER DU TRAVAIL EN CHINE. CES AFFIRMATIONS NE SONT APPUYÉES PAR AUCUN DES ÉLÉMENTS D'INFORMATION OBTENUS DE L'AMBASSADE DU CANADA EN CHINE NI PAR AUCUN DES ÉLÉMENTS D'INFORMATION CONTENUS AUX ARTICLES 7 ET 8 DU RÈGLEMENT DE LA RPC RELATIF AUX CARTES D'IDENTITÉ DES RÉSIDENTS. Mme CHAU A DÉJÀ EXPLOITÉ UNE ENTREPRISE EN CHINE, ELLE A DÉVELOPPÉ DES HABILETÉS ET ELLE A ACQUIS DES BIENS AU CANADA ET TOUS CES FACTEURS L'AIDERONT LORS DE SON RETOUR EN CHINE.


J'AI TENU COMPTE DE TOUS LES FACTEURS QUI JOUENT DANS LE CAS DE LA DEMANDERESSE, TANT DE CEUX QUI PERMETTENT DE CONCLURE À L'EXISTENCE D'UN PRÉJUDICE QUE CEUX QUI NE LE PERMETTENT PAS, ET JE LES AI APPRÉCIÉS EN CONSÉQUENCE. J'AI DÉCIDÉ QU'IL N'EXISTE PAS DE RAISONS D'ORDRE HUMANITAIRE SUFFISANTES DANS LE CAS DE LA DEMANDERESSE POUR JUSTIFIER QU'ELLE SOIT EXEMPTÉE DES EXIGENCES DU PARAGRAPHE 9(1) DE LA LOI SUR L'IMMIGRATION.

[11]            La principale question en litige dans la présente demande est celle de savoir si la conclusion de la fonctionnaire de l'Immigration suivant laquelle il n'existait pas de raisons d'ordre humanitaire suffisantes pour justifier d'accorder une dispense spéciale à la demanderesse était déraisonnable, compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait. La demanderesse fait plus particulièrement valoir que :

1) La fonctionnaire de l'Immigration a fait reposer sa décision sur une conclusion de fait erronée qu'elle a tirée de façon abusive ou arbitraire lorsqu'elle a conclu que la famille et l'ex-mari de la demanderesse lui offriraient de l'aide si elle devait retourner en Chine;

2) La fonctionnaire de l'Immigration n'a pas tenu dûment compte du refus de la demande présentée par la demanderesse pour être admise dans la catégorie des immigrants visés par une mesure de renvoi à exécution différée et des circonstances entourant ce refus;

3) La fonctionnaire de l'Immigration a fondé sa décision sur des éléments de preuve qui n'étaient pas pertinents, qui étaient incomplets et qui créaient de la confusion et qui étaient censés émaner de l'ambassade du Canada en Chine.

[12]            Après avoir attentivement examiné les observations écrites des parties et le rapport versé au dossier de la fonctionnaire de l'Immigration, ainsi que la décision motivée de cette dernière, je suis d'avis que la décision qu'elle a rendue en l'espèce résiste à un examen approfondi et que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

[13]            La demanderesse affirme qu'elle s'est établie avec succès au Canada et que la fonctionnaire de l'Immigration aurait dû accepter que les facteurs relatifs à son établissement étaient suffisants pour approuver sa requête. La demanderesse soutient essentiellement, en fait, qu'il serait injuste de l'obliger à quitter le pays maintenant pour la forcer à retourner à un endroit où elle n'a plus de liens véritables. Elle s'est établie au Canada, y travaille depuis plusieurs années et a acquis des biens et une maison. Les Lignes directrices ministérielles constituent un guide utile pour déterminer comment doit être exercé le pouvoir discrétionnaire que la Loi confère au ministre et, par voie de conséquence, aux fonctionnaires chargés d'examiner les cas fondés sur des raisons d'ordre humanitaire. Les mots employés dans les Lignes directrices au sujet de l'établissement, en particulier à la section 6.2, laissent entendre qu'il est permis, mais pas impératif, de tenir compte du degré d'établissement du requérant :

Le degré d'établissement au Canada peut être un facteur à considérer dans certaines situations, en particulier dans certains des cas types visés au chapitre 8 : [...] Incapacité prolongée à quitter le Canada ayant entraîné l'établissement [...] L'établissement du demandeur jusqu'au moment de la décision CH pourra être considéré. Toutefois, il n'est pas correct d'évaluer le potentiel d'établissement du demandeur, puisque cela relève du domaine des critères d'admissibilité.

  

[14]            Les Lignes directrices IP5 prévoient à la section 6.2 les facteurs suivants dont il y a lieu de tenir compte pour décider si le demandeur s'est établi au Canada :


1) Le demandeur a-t-il fait preuve de stabilité d'emploi?

2) Est-ce qu'il y a une capacité prouvée de bonne gestion de ses propres finances?

3) Le demandeur s'est-il intégré dans la collectivité par une participation (bénévolat ou autre) dans des organismes communautaires?

4) Le demandeur a-t-il entrepris des études professionnelles, linguistiques ou autres démontrant son intégration au Canada?

5) Le demandeur et sa famille ont-ils une bonne réputation au Canada? (Par exemple, pas de violence familiale avec intervention policière, pas d'accusations au criminel).

  

[15]            La section 8.7 des Lignes directrices porte sur l'incapacité prolongée de quitter le Canada ayant entraîné l'établissement. On y trouve ce qui suit :

Une décision favorable peut être justifiée lorsque le demandeur est demeuré au Canada pendant une longue période du fait de circonstances indépendantes de sa volonté. [Les Lignes directrices évoquent des situations qui sont jugées dangereuses en raison d'une guerre civile ou d'une agitation sociale ainsi que des cas dans lesquels le Ministère suspend temporairement le renvoi dans le pays en question.] Quand la période d'incapacité de quitter le Canada du fait de circonstances indépendantes de la volonté du demandeur est d'une durée importante et qu'il existe des preuves que l'intéressé est bien établi au Canada, ces facteurs pourraient justifier une décision CH favorable. Il n'existe pas de règle stricte pour la durée du séjour au Canada. Il est toutefois admis qu'il faut plusieurs années pour établir des liens solides. Un demandeur dans cette situation pourrait avoir fait (ou non) l'objet d'une mesure de renvoi, et pourrait (ou non) être un demandeur débouté du statut de réfugié et/ou d'une demande de révision.

  

[16]            Les Lignes directrices laissent entendre qu'il n'y a lieu de considérer l'établissement comme un facteur pertinent que si le demandeur n'a pas pu quitter le Canada du fait de circonstances indépendantes de sa volonté. Les Lignes directrices ne peuvent être considérées comme exhaustives et il est évident qu'il y a d'autres circonstances que celles qui sont prévues par les Lignes directrices qui justifieraient une décision favorable. Ainsi, si une personne est demeurée illégalement au Canada pendant plusieurs années, qu'elle s'est établie sur le plan économique, qu'elle a coupé les liens avec son pays d'origine et qu'elle s'est enracinée au Canada, cette combinaison de facteurs justifierait une décision favorable. La charge qui incombe au demandeur de convaincre le fonctionnaire qu'on devrait lui accorder une dispense spéciale est plus onéreuse. Chaque cas est un cas d'espèce.

[17]            Dans le cas qui nous occupe, la fonctionnaire de l'Immigration s'est concentrée sur le degré d'établissement qu'elle a considéré comme un facteur pertinent pour se prononcer sur la demande présentée par la demanderesse sur le fondement de raisons humanitaires. Elle a conclu que, bien que l'autonomie dont la demanderesse faisait preuve était louable, son degré d'établissement au Canada n'avait rien d'exceptionnel. Par ailleurs, elle a souligné que la demanderesse n'avait ni famille ni enfants au Canada, que rien ne permettait de penser qu'elle avait appris l'une ou l'autre des langues officielles du Canada ou qu'elle s'était intégrée dans sa collectivité. Après avoir soupesé l'ensemble des facteurs dont elle disposait, la fonctionnaire de l'Immigration a conclu que la demanderesse n'avait pas fait la preuve de l'existence de raisons d'ordre humanitaire suffisantes pour justifier de lui accorder le droit d'établissement à partir du Canada. Je ne suis pas d'accord avec la demanderesse pour dire que la fonctionnaire de l'Immigration était tenue d'accorder une plus grande importance au degré d'établissement au Canada.


[18]            Qui plus est, ainsi que le juge Nadon l'a déclaré dans le jugement Tartchinska c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] F.C.J. no 373 (QL), au paragraphe 20 (C.F. 1re inst.), l'autonomie seule ne garantit pas qu'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire sera accueillie en l'absence d'autres facteurs permettant de conclure que le rejet de sa demande entraînerait des difficultés inhabituelles ou excessives. Malgré le fait qu'elle travaille honnêtement au Canada depuis plusieurs années, la demanderesse a sciemment tenté de déjouer le système lorsqu'elle a choisi de demeurer au Canada après avoir été déboutée de sa revendication du statut de réfugié et de la demande qu'elle avait présentée dans la catégorie des immigrants visés par une mesure de renvoi à exécution différée. La fonctionnaire de l'Immigration a fait remarquer à juste titre que l'établissement au Canada de la demanderesse n'était pas imputable à une incapacité prolongée de quitter le Canada.

[19]            Ainsi que le juge Pelletier l'a déclaré dans le jugement Irimie, (IMM-427-00) au paragraphe 12, le fait qu'une personne quitte des amis, et peut-être des membres de la famille, un emploi ou une résidence, de même que les coûts ou les inconvénients que comporterait le fait de devoir retourner dans son pays d'origine de la manière habituelle ne suffit pas nécessairement pour constituer un préjudice et pour justifier une décision favorable au sujet des raisons humanitaires. Le poids à accorder à des facteurs ou à des indices d'attachement déterminés relève du pouvoir discrétionnaire du fonctionnaire compétent.

[20]            La fonctionnaire de l'Immigration a également considéré comme une question distincte celle des difficultés qu'un retour en Chine causerait à la demanderesse et elle s'est dite d'avis qu'il n'y en aurait aucune.


[21]            Dans l'arrêt Baker, pour déterminer si la décision du fonctionnaire de l'Immigration était déraisonnable, le juge L'Heureux-Dubé a cité les motifs rendus par le juge Iacobucci dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, dans lequel il a déclaré, aux pages 776 et 777 :

Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s'il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve. Un exemple du premier type de défaut serait une hypothèse qui n'avait aucune assise dans la preuve ou qui allait à l'encontre de l'essentiel de la preuve. Un exemple du deuxième type de défaut serait une contradiction dans les prémisses ou encore une inférence non valable.

  

[22]            En ce qui concerne les difficultés excessives, il y a peut-être eu un malentendu. J'estime toutefois qu'il ne s'agit pas là d'une erreur fatale, étant donné que la décision de la fonctionnaire de l'Immigration n'en dépend pas. Pour qu'une présumée erreur de fait justifie notre intervention, il faut que la conclusion ait été tirée de façon arbitraire ou sans tenir compte de la preuve, et la décision doit être « fondée » sur la conclusion erronée.


[23]        Dans sa « décision motivée » , la fonctionnaire de l'Immigration a signalé la déception qu'avait causée à la demanderesse le refus de la demande qu'elle avait présentée en vue d'être considérée comme faisant partie de la catégorie des immigrants visés par une mesure de renvoi à exécution différée en raison de la non-admissibilité de son mari pour cause d'antécédents criminels. La fonctionnaire de l'Immigration a cependant conclu qu'il ne s'agissait pas d'une raison suffisante pour justifier de dispenser la demanderesse du respect des exigences du paragraphe 9(1) de la Loi.

[24]            L'argument soumis par la demanderesse au sujet de cette conclusion est mal fondé. La fonctionnaire de l'Immigration n'a pas procédé à une évaluation distincte du refus de la demande présentée par la demanderesse en vue d'être considérée comme faisant partie de la catégorie des immigrants visés par une mesure de renvoi à exécution différée et elle n'était pas tenue de le faire. Elle n'était pas non plus tenue de procéder à une évaluation distincte du risque en l'absence d'éléments de preuve complémentaires ou d'argument qu'à son retour en Chine, la demanderesse s'exposerait à des sanctions trop sévères. Elle s'est concentrée sur la décision relative à la catégorie des immigrants visés par une mesure de renvoi à exécution différée et elle a examiné les renseignements sous-jacents contenus dans la formule intitulée « Renseignements complémentaires - Cas comportant des raisons humanitaires » . Elle a bien compris la preuve soumise par la demanderesse sur ce point. Elle a tout simplement décidé de ne pas accorder beaucoup de poids à cette considération et elle a conclu qu'il s'agissait là d'un facteur insuffisant pour justifier de soustraire la demanderesse aux exigences du paragraphe 9(1) de la Loi. Elle pouvait raisonnablement tirer cette conclusion et la Cour ne devrait pas intervenir dans son appréciation de la valeur que la fonctionnaire de l'Immigration a accordée à cet élément de preuve précis.

[25]            La réparation appropriée consistait pour la demanderesse à présenter une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la fonctionnaire de l'Immigration.

[26]            À mon avis, il était tout à fait raisonnable de la part de la fonctionnaire de l'Immigration de se fier aux éléments de preuve présentés à l'audience. La demanderesse fait valoir que les éléments d'information en question ne tiennent pas compte des réalités locales ou de sa situation personnelle unique, notamment du fait qu'elle retournerait en Chine en tant que revendicatrice éconduite et qu'elle ne pourrait donc pas y travailler légalement, et du fait qu'une fois qu'elle sera rentrée en Chine, le gouvernement chinois ne la laissera plus quitter le pays. La demanderesse n'a présenté aucun élément de preuve à l'appui de ces arguments. C'était à elle qu'il incombait d'invoquer les facteurs d'ordre humanitaire qui, à son avis, existaient dans son cas, ainsi que tout élément de preuve pertinent.


[27]        La demanderesse a invoqué en l'espèce plusieurs arguments qui, tout bien considéré, ne constituent qu'une énumération de certains des inconvénients auxquels donnerait lieu l'obligation pour la demanderesse de quitter le Canada pour présenter une demande à l'étranger, ce qui constitue la procédure normale établie par le législateur. Ainsi que le juge Lemieux l'a signalé avec raison dans le jugement Mayburov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] F.C.J. No. 953 (QL), au paragraphe 39, l'inconvénient n'est pas le critère qui est prévu par les lignes directrices en ce qui concerne les difficultés excessives. Il ressort des pièces versées au dossier à l'appui de sa demande que la demanderesse pourrait fort bien être une immigrante modèle et constituer un atout précieux pour la société canadienne. Elle a démontré qu'elle était une citoyenne respectueuse de la loi, qu'elle était prête à travailler dur, qu'elle avait l'esprit d'initiative et qu'elle avait fait des économies depuis son entrée illégale au Canada. Toutefois, ce ne sont pas là des considérations qui entrent en jeu lorsqu'il s'agit de déterminer s'il existe ou non des raisons d'ordre humanitaire suffisantes pour justifier l'octroi d'une dispense spéciale. Ainsi que le juge Pelletier l'a déclaré dans le jugement Irimie, précité, au paragraphe 26 :

[...] la preuve donne à entendre que les demanderesses s'intégreraient avec succès dans la collectivitécanadienne. Malheureusement, tel n'est pas le critère. Si l'on appliquait ce critère, la procédure d'examen des demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire deviendrait un mécanisme d'examen ex post facto l'emportant sur la procédure d'examen préalable prévue par la Loi sur l'immigration et par son règlement d'application. Cela encouragerait les gens à tenter leur chance et à revendiquer le statut de réfugié en croyant que s'ils peuvent rester au Canada suffisamment longtemps pour démontrer qu'ils sont le genre de gens que le Canada recherche, ils seront autorisés àrester. La procédure applicable aux demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire n'est pas destinée à éliminer les difficultés; elle est destinée àaccorder une réparation en cas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.


[28]            Le fardeau de preuve dont la demanderesse devait s'acquitter était celui de savoir si la fonctionnaire de l'Immigration avait rendu une décision déraisonnable en refusant d'accorder à la demanderesse une dispense qui lui aurait permis de faire examiner sa demande de résidence permanente au Canada. Pour trancher cette question, le tribunal saisi d'une demande de contrôle judiciaire doit veiller à ne pas déborder le cadre de ses attributions. En l'absence d'erreur au sens juridique du terme, le tribunal ne peut pas et ne doit pas substituer son opinion à celle du fonctionnaire de l'Immigration. Le rôle du juge saisi d'une demande de contrôle judiciaire consiste à examiner la preuve soumise au fonctionnaire de l'Immigration et à décider s'il existait ou non des éléments de preuve qui justifiaient sa décision ou si le fonctionnaire de l'Immigration a rendu une décision qui allait à l'encontre de l'essentiel de la preuve. Or, je ne puis tirer une telle conclusion en l'espèce.

[29]            En conséquence, pour les motifs qui précèdent, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune des deux parties n'a recommandé la certification d'une question grave.

  

                                                                                                                                              « P. Rouleau »         

                                                                                                                                                                 Juge                 

  

OTTAWA (Ontario)

29 janvier 2002

    

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                  IMM-3360-01

  

INTITULÉ :                                            Lai Yung Chau c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

   

LIEU DE L'AUDIENCE :                   VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

  

DATE DE L'AUDIENCE :                  15 janvier 2002

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Monsieur le juge Rouleau

DATE DES MOTIFS :                       29 janvier 2002

   

COMPARUTIONS :

Dean Pietrantonio                                                              POUR LA DEMANDERESSE

  

Emilia Péch                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

  

Dean Pietrantonio                                                              POUR LA DEMANDERESSE

Vancouver (Colombie-Britannique)

Morris Rosenberg                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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