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                                                                                                                                            Date : 20030923

                                                                                                                                         Dossier : T-775-02

                                                                                                                            Référence : 2003 CF 1092

Entre :

                                                            LORNE JOSEPH KELLY

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                    SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

                         représentée par le MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS

                                                                                                                                               défenderesse

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD:

[1]         Il s'agit d'une requête déposée conformément à la règle 51 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, par laquelle le demandeur fait appel de la décision de la protonotaire Tabib en date du 5 août 2003 qui avait rejeté son action pour cause de retard constaté lors de l'examen de l'état de l'instance.

[2]         La Cour suprême du Canada a récemment adopté la norme de contrôle Aqua-Gem dans l'arrêt Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Line N.V., 2003 CSC 27, [2003] A.C.S. n ° 23 (QL). S'exprimant pour la Cour, le juge Bastarache écrivait, au paragraphe 18 :

Le juge des requêtes ne doit modifier l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire que dans les cas suivants : a) l'ordonnance est entachée d'une erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire sur le fondement d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits, ou b) le protonotaire a mal exercé son pouvoir discrétionnaire relativement à une question ayant une influence déterminante sur la décision finale quant au fond : Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.), le juge MacGuigan, pages 462-463. [...]


[3]         Dans la présente affaire, le demandeur n'a pas établi que l'ordonnance de la protonotaire est entachée d'une erreur flagrante, en ce sens que la protonotaire aurait exercé son pouvoir discrétionnaire sur la base d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits.

[4]         Dans sa décision, la protonotaire écrivait ce qui suit :

[traduction]

La seule raison du retard qui ait été avancée au nom du demandeur était que l'avocat du demandeur n'avait pas reçu signification de la défense de la défenderesse et qu'il ne savait donc pas que cette défense avait été déposée. L'avocat du demandeur affirme ensuite qu'il avait l'intention de présenter une requête en jugement par défaut, selon le paragraphe 210(1) des Règles de la Cour fédérale (1998), après l'expiration de douze mois suivant le dépôt de la déclaration.

La défenderesse met en doute l'affirmation du demandeur selon laquelle il n'a pas reçu la défense. À mon avis, il n'importe aucunement de savoir si le demandeur a ou non reçu la défense et si son ignorance du dépôt d'une défense est ou non justifiée. Si aucune défense n'avait été déposée, le demandeur serait quand même tenu d'expliquer pourquoi il n'a rien fait pour faire avancer l'instance au cours des douze derniers mois. L'avocat du demandeur n'a pas apporté la moindre explication des raisons pour lesquelles il a pu décider d'attendre une année complète avant de demander un jugement par défaut. Qu'une défense soit produite dans une instance ou qu'une requête en jugement par défaut soit présentée, le demandeur demeure tenu de faire avancer l'instance avec diligence. Le demandeur ne l'a pas fait et n'a aucunement expliqué son inertie. L'avocat du demandeur n'a pas non plus proposé un plan convaincant de nature à faire avancer cette instance, si ce n'est pour dire qu'il est « disposé à entreprendre l'enquête préalable dans ladite affaire et qu'il serait prêt à fixer immédiatement un calendrier » . Comme l'indique la Cour dans l'affaire Baroud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 160 F.T.R. 91 : « de simples déclarations de bonne intention et d'un désir de faire avancer l'affaire sont clairement insuffisantes » .

[5]         Je suis d'avis que la protonotaire a appliqué correctement le critère établi dans l'affaire Baroud c. Canada, [1998] A.C.F. n ° 1729 (1re inst.) (QL), au paragraphe 4, lorsqu'elle a dit que l'affaire devrait être rejetée pour cause de retard constaté lors de l'examen de l'état de l'instance. Le double critère énoncé dans l'affaire Baroud est le suivant : 1) quelles sont les raisons pour lesquelles l'affaire n'a pas été menée plus rapidement et ces raisons justifient-elles le retard? et 2) quelles mesures le demandeur propose-t-il maintenant pour faire avancer le dossier?


[6]         Par ailleurs, puisque je suis également d'avis que les conclusions de fait susmentionnées qu'a tirées la protonotaire sont justifiées par la preuve dont elle disposait, j'arrive à la conclusion que le premier volet de la norme de contrôle fixée dans l'arrêt Z.I. Pompey Industrie n'a pas été établi.

[7]         Pour rendre sa décision, la protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire sur une question essentielle pour la décision finale sur le fond, en concluant au rejet de l'action du demandeur. Je dois donc aussi me demander si la protonotaire a irrégulièrement exercé son pouvoir discrétionnaire en décidant ainsi. D'abord, la preuve soumise à la protonotaire autorise la défenderesse à dire que la défense avait été signifiée à la fois au demandeur et à son mandataire et qu'elle avait été ensuite déposée. Deuxièmement, l'affirmation selon laquelle l'avocat du demandeur entendait présenter une requête en jugement par défaut, en application du paragraphe 210(1) des Règles de la Cour fédérale (1998), après les douze mois qui ont suivi le dépôt de la déclaration, ne saurait justifier le retard, étant donné que la règle 210(1) se réfère expressément à la règle 204, qui oblige un défendeur à signifier et à déposer une défense dans un délai de trente jours après avoir reçu signification de la déclaration, si cette signification a été faite au Canada. Troisièmement, et aspect plus important, la preuve autorisait la protonotaire à dire que, en tout état de cause, le long délai d'un an n'avait pas été justifié. Comme je l'ai dit plus haut, l'avocat du demandeur ne pouvait raisonnablement s'appuyer sur le paragraphe 210(1) des Règles de la Cour fédérale (1998) pour justifier la croyance que la défenderesse avait un an pour signifier et déposer sa défense. Finalement, puisque le demandeur n'a proposé aucun plan convaincant propre à faire avancer le dossier, la protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en accord avec les propos suivants tenus dans le jugement Baroud, précité : « de simples déclarations de bonne intention et d'un désir de faire avancer l'affaire ne suffisent clairement pas » . Par conséquent, comme je suis d'avis que la protonotaire a validement exercé son pouvoir discrétionnaire, je n'entends pas exercer différemment mon propre pouvoir discrétionnaire.


[8]         Pour tous les motifs susmentionnés, l'ordonnance discrétionnaire de la protonotaire ne doit pas être modifiée, et la requête est rejetée, avec dépens.

                      « Yvon Pinard »                        

       Juge

OTTAWA (ONTARIO)

le 23 septembre 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                                 COUR FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                              T-775-02

INTITULÉ :                                             LORNE JOSEPH KELLY c. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, représentée par le MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L'AUDIENCE :                   le 17 septembre 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :     MONSIEUR LE JUGE PINARD

DATE DES MOTIFS :                          le 23 septembre 2003

COMPARUTIONS:

J. Allan Shaw                                                                             POUR LE DEMANDEUR

Karen MacDonald                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Melissa R. Cameron                                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

J. Allan Shaw Law Corporation                                               POUR LE DEMANDEUR

Alberton (Île-du-Prince-Édouard)

Singleton et Associés                                                                POUR LE DEMANDEUR

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Morris Rosenberg                                                                      POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

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