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Date : 20030612

Dossier : T-1017-02

Référence : 2003 CFPI 737

OTTAWA (ONTARIO), le 12 juin 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

ENTRE :

                                                            CLARENCE OKEYMOW

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                                       LA NATION CRIE SAMSON et

                                                                    THERESA BULL

                                                                                                                                              défenderesses

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Clarence Okeymow (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 7 juin 2002 par laquelle la présidente de la Commission d'appel de Samson en matière électorale avait déclaré son appel irrecevable.


Les faits

[2]                 Le demandeur est membre de la Nation crie Samson (la bande) et répond aux conditions pour pouvoir être élu. Il était candidat à l'élection du conseil de bande tenue le 26 mai 2002.

[3]                 Le 27 mai 2002, le demandeur était déclaré élu présumé au 11e poste du conseil. Il y eut plusieurs recomptages au cours des jours suivants. Le 2 juin 2002, après le troisième recomptage, le demandeur était à égalité avec deux autres candidats au 12e poste du conseil.

[4]                 Après un recomptage final, le 4 juin 2002, l'un des autres candidats ex aequo fut déclaré élu au 12e poste du conseil. Le demandeur dit que sa défaite est le résultat de contradictions dans l'application de la Samson Cree Nation Election Law (la Loi électorale).

[5]                 Le demandeur a rédigé une lettre d'appel à la Commission d'appel de Samson en matière électorale (la Commission d'appel). La lettre non signée portait la date du 7 juin 2002. Ce jour-là, le demandeur a rencontré Theresa Bull, la présidente de la Commission d'appel, et l'a informée qu'il voulait faire appel du résultat de l'élection. Selon le demandeur, Mme Bull lui a dit qu'il ne pouvait faire appel parce que son « délai de sept jours était expiré » .

[6]                 Il présente cette demande pour que soit rendue une ordonnance de mandamus forçant la présidente de la Commission d'appel à recevoir et à traiter son appel en conformité avec les dispositions de la Loi électorale.

Arguments

Demandeur

[7]                 Le demandeur dit que la présidente de la Commission d'appel tire son autorité de sa nomination par le chef et le conseil et que, aux fins de la présente demande, elle était un « office fédéral » au sens de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7.

[8]                 Le demandeur dit que, en refusant de recevoir son appel le 7 juin 2002, la présidente, Theresa Bull, a agi indépendamment de la Commission d'appel et a donc outrepassé sa compétence. Subsidiairement, le demandeur dit que le refus de la présidente de recevoir son appel était manifestement déraisonnable.

[9]                 Le demandeur dit qu'il faut appliquer la méthode de la recherche de l'intention pour l'interprétation des mots « dans les sept jours qui suivent la date d'une élection selon l'article 82 de la Loi électorale » . Le demandeur soutient qu'une interprétation littérale le prive de son droit formel à un appel, puisque le résultat électoral n'a été connu qu'après l'expiration du délai de sept jours. De l'avis du demandeur, c'est là une absurdité.


Défenderesses

[10]            Les défenderesses ne s'expriment pas sur la question de savoir si la présidente de la Commission d'appel avait le pouvoir d'informer le demandeur qu'il était hors des délais. Selon la bande, puisque le demandeur n'a pas signifié à la présidente sa lettre d'appel, la présidente n'a pu décider que le délai était expiré. La présidente n'a donc rendu aucune décision que la Cour puisse réviser.

[11]            Subsidiairement, les défenderesses affirment que, si la lettre d'appel avait été signifiée à la présidente le 7 juin 2002, elle n'aurait pas été signifiée à l'intérieur du délai prévu par la Loi électorale. Les défenderesses soutiennent que les mots « date d'une élection » ou « date de l'élection » sont validement interprétés comme la date à laquelle les bulletins de vote sont déposés dans l'urne.


[12]            Les défenderesses reconnaissent que la méthode de la recherche de l'intention devrait être appliquée à l'interprétation des mots en question. Cette méthode cependant n'autorise le rejet de l'interprétation donnée d'une expression que lorsqu'il y a deux interprétations rivales et que l'une d'elles conduirait à une absurdité. Il n'y a pas de résultat absurde si le délai de dépôt d'un appel en matière électorale commence à courir avant que ne soit connu le résultat définitif de l'élection, lorsque c'est là ce que les rédacteurs de la Loi avaient à l'esprit, et, eu égard aux circonstances de cette affaire, une telle interprétation ne prive le demandeur d'aucun droit. Le demandeur a eu connaissance des irrégularités dont il voulait se plaindre, suffisamment tôt pour pouvoir faire appel dans un délai de sept jours après le jour du scrutin. Il a attendu de savoir qu'il n'avait pas été élu pour décider de faire appel. Les défenderesses s'appuient sur l'arrêt Ray c. Nateweyes, [1998] S.J. no 50 (C.B.R. Sask.), au soutien de leur interprétation de la Loi électorale, et elles affirment que, eu égard à l'ensemble de la Loi électorale, les rédacteurs de cette Loi voulaient manifestement que les mots « la date d'une élection » et « la date de l'élection » s'entendent de la date à laquelle les bulletins de vote étaient déposés dans l'urne, et non pas de la date du « résultat définitif de l'élection » ou du « résultat de l'élection » , expressions qui apparaissent ailleurs dans la Loi électorale. Les défenderesses signalent que plusieurs autres procédures régies par la Loi électorale dépendent de « la date de l'élection » , en tant que date à laquelle les bulletins de vote sont déposés dans l'urne, et que toute autre interprétation de cette expression conduirait à un résultat absurde.

Points en litige

[13]            1.         La présidente de la Commission d'appel est-elle un « office fédéral » ?

2.         Quelle est la norme de contrôle à appliquer?

3.         La présidente a-t-elle outrepassé sa compétence?


4.         La présidente a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu'elle a dit au demandeur que le délai d'appel était expiré?

Dispositions applicables

[14]            Samson Cree Nation Election Law

COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE ÉLECTORALE

78.       Au moins quatorze (14) jours consécutifs avant une assemblée de mises en candidature, le chef et le conseil de la Nation Samson nommeront, par résolution, trois (3) personnes qui formeront la Commission d'appel de Samson en matière électorale.

PRÉSIDENT

79.       Au moment d'adopter la résolution, le chef et le conseil de la Nation Samson désigneront à la charge de président l'un des membres de la Commission d'appel de Samson en matière électorale.

QUALITÉS REQUISES DES MEMBRES

80.       Toute personne nommée à la Commission d'appel de Samson en matière électorale devra avoir vingt-cinq (25) ans révolus, ne pas être membre de la Nation Samson et jouir d'une bonne réputation.


INTRODUCTION D'UN APPEL

82.       Dans un délai de sept (7) jours après la date d'une élection, tout candidat à l'élection qui a des motifs raisonnables de croire :

a)         que l'élection a été entachée d'actes de corruption;

b)         qu'une personne proposée comme candidat à l'élection était inéligible; ou

c)         qu'il y a eu un autre manquement aux usages et que ce manquement a pu modifier le résultat de l'élection

peut faire appel en signifiant au président de la Commission d'appel de Samson en matière électorale une lettre exposant sa plainte et les moyens qu'il entend faire valoir.

83.       Si l'appelant demande un recomptage, le recomptage a lieu immédiatement après le dépouillement final selon ce que prévoient les paragraphes 60 à 63; cependant, la personne qui demande le recomptage devra payer le droit requis de deux cents (200 $) dollars applicable aux appels.

84.       Dès la réception d'une lettre introduisant l'appel, accompagnée du droit requis, le président de la Commission d'appel de Samson en matière électorale informe le surveillant électoral qu'un appel a été introduit.


85.       Dès réception de cet avis, le surveillant électoral doit immédiatement transmettre au président de la Commission d'appel de Samson en matière électorale l'enveloppe renfermant tous les bulletins, la liste des électeurs éligibles et tout autre document que lui demandera le président.

86.       Dans un délai de quatorze (14) jours à compter de la date d'introduction d'un appel, la Commission d'appel de Samson en matière électorale se réunira et statuera sur la validité de la plainte.

87.       La Commission d'appel de Samson en matière électorale pourra :

a)         déclarer que la plainte n'est pas valide et rejeter l'appel;

b)         déclarer que la plainte est valide selon ce que prévoit l'alinéa 82c), mais rejeter l'appel parce que le manquement aux usages n'est pas un manquement qui aurait modifié le résultat de l'élection; ou

c)         déclarer que la plainte est valide et ordonner qu'une nouvelle élection ait lieu dans un délai de deux (2) semaines après la décision de la Commission.


88.       Si la tenue d'une nouvelle élection est ordonnée, l'élection aura lieu d'une manière conforme aux usages mentionnés dans la présente loi, sous réserve cependant des autres exigences, conditions ou directives que pourra imposer la Commission afin d'éviter une répétition du manquement reproché.

89.       Après avoir rendu sa décision, la Commission communiquera au chef et au conseil de Samson, au surveillant électoral et au plaignant les motifs écrits de sa décision, avec indication des éléments de preuve justifiant cette décision.

90.       La décision de la Commission d'appel de Samson en matière électorale est définitive et contraignante.

SIGNIFICATION À LA COMMISSION D'APPEL

103.     Les documents qui doivent être signifiés au président de la Commission d'appel de Samson en matière électorale seront signifiés en main propre ou par poste recommandée avec avis de réception.

Analyse

Y a-t-il une « décision » à réviser?


[15]            La question fondamentale que pose cette demande est de savoir si la présidente de la Commission d'appel, Mme Theresa Bull, a effectivement rendu une décision que la Cour puisse réviser, ou a agi d'une manière que la Cour puisse réviser, ou si la décision de ne pas interjeter appel a été prise par le demandeur lui-même.

[16]            La seule preuve dont je dispose sur cette question se trouve aux paragraphes 15 et 16 de l'affidavit du demandeur :

[traduction]

15.           Le 7 juin 2002, j'ai rencontré Theresa Bull à l'extérieur de Peace Hills Trust, à Hobbema (Alberta). J'avais alors la copie non signée de la lettre en ma possession, et j'ai dit à Theresa Bull, qui m'a confirmé qu'elle était membre de la Commission d'appel, que je voulais faire appel du résultat de l'élection. Elle m'a alors dit que cela n'était pas possible car mon « délai de sept jours était expiré » . Je suis informé par ma scrutatrice, Dorothy Simon, et je crois véritablement, que cette remarque est une référence à l'alinéa 82c) de la Samson Cree Nation Election Law mentionnée dans ma lettre d'appel adressée à Charles Wood, lettre dont copie est annexée comme pièce « B » du présent affidavit. L'élection a eu lieu le 27 mai 2002, mais le résultat de ma candidature n'a été décidé que le 4 juin 2002.

16.           En conséquence de la décision de Theresa Bull, selon laquelle mon « délai de sept jours était expiré » , j'ai demandé un avis juridique.

[17]            La signification d'un document selon la Loi électorale doit se faire en conformité avec le paragraphe 103, qui permet à la fois une signification en main propre et une signification par poste recommandée avec avis de réception.

[18]            Je n'ai aucune preuve que Mme Bull ait refusé d'accepter la lettre d'appel le 7 juin 2002 ou que le demandeur ait tenté de quelque façon de la lui signifier. Selon son propre témoignage, le demandeur a simplement dit à Mme Bull qu'il « voulait faire appel du résultat de l'élection » , et Mme Bull lui a dit qu'il ne le pouvait pas parce que son « délai de sept jours était expiré » .

[19]            Les événements relatés aux paragraphes 15 et 16 de l'affidavit du demandeur peuvent recevoir diverses interprétations. L'une d'elles est que Mme Bull a refusé d'accepter la signification de la lettre d'appel. Une autre est qu'elle a simplement donné au demandeur son point de vue sur ce qu'autorisait la Loi électorale, et qu'il a alors décidé d'obtenir un avis juridique au lieu de lui signifier la lettre à ce moment-là.

[20]            Eu égard aux échanges qui ont eu lieu entre le demandeur et Mme Bull, je ne crois pas qu'il soit réaliste de penser que l'une ou l'autre des parties était consciente des formalités d'une signification.

[21]            Dans une demande comme celle-ci, c'est au demandeur qu'il appartient de convaincre la Cour qu'il existe une « décision ou ordonnance d'un office fédéral » que puisse réviser la Cour. L'arrêt Mountainbell Co. c. W.T.C. Air Freight (H.K.) Ltd. (1990), 128 N.R. 75 (C.A.F.) semble constituer un précédent qui permet d'affirmer que (en conformité avec la règle 363 des Règles de la Cour fédérale) le demandeur doit déposer un affidavit établissant les faits qui n'apparaissent pas dans le dossier de la Cour et qu'une demande peut être rejetée sommairement si les faits apparaissant dans le dossier ne permettent pas de faire droit à la demande.


[22]            La bande et Mme Bull ont toutes deux choisi de ne pas réfuter la preuve exposée par le demandeur dans son affidavit. Ainsi, eu égard aux rares éléments de preuve que j'ai devant moi, je crois que l'interprétation la plus réaliste de l'échange est que, après avoir appris qu'il souhaitait faire appel, Mme Bull a informé le demandeur qu'il ne pouvait se prévaloir de la procédure d'appel parce que le délai de sept jours était expiré. Mme Bull a bien rendu une décision lorsqu'elle a dit que le demandeur ne pouvait invoquer la procédure d'appel prévue par la Loi électorale, et c'est cette décision de Mme Bull qu'il est demandé à la Cour de réviser.

La décision de la présidente est-elle une décision d'un « office fédéral » ?

[23]       Dans l'affaire Parisier c. Première nation d'Ocean Man, [1996] A.C.F. n ° 129 (QL), le juge Gibson avait fait une distinction entre les bandes coutumières, qui agissent en conformité de leur constitution, et les bandes qui tirent leurs pouvoirs de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-2. Il avait jugé qu'un agent électoral nommé par un conseil de bande en conformité avec la constitution de la bande était un « office fédéral » . Il écrivait, au paragraphe 16 :

Il est bien établi en droit qu'aux fins des demandes comme celles dont il est question en l'espèce, un conseil de bande et les personnes cherchant à exercer leur pouvoir sur les membres d'une bande indienne qui agissent en accord avec les dispositions de la Loi sur les Indiens constituent un « office fédéral » au sens donné à ce terme à l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale. Je suis persuadé que, par analogie, un agent d'élections nommé par un tel conseil de bande en accord avec la constitution de la bande constitue aussi un « office fédéral » .


[24]            La Nation crie Samson est une bande coutumière. L'article 78 de la Loi électorale prévoit que le chef et le conseil de la Bande de Samson doivent nommer les trois membres de la Commission d'appel. L'article 79 prévoit qu'ils doivent aussi désigner l'un des membres à la présidence de la Commission. Par analogie avec l'affaire Parisier, précitée, la présidente de la Commission d'appel était, dans ce contexte, un « office fédéral » , puisqu'elle représentait un organe censé exercer une autorité sur les membres d'une bande indienne, conformément à la constitution de la bande. Les défenderesses ne présentent aucun argument ni précédent donnant à entendre le contraire.

Norme de contrôle à appliquer

[25]            La Cour suprême du Canada a exposé une approche pragmatique et fonctionnelle qu'il convient d'adopter pour déterminer la norme de contrôle à appliquer à un acte administratif. Voir l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, et l'arrêt Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19. Quatre facteurs principaux doivent être pris en compte : a) l'existence d'une clause privative; b) la spécialisation de l'office; c) l'objet de la Loi en général, et de la disposition en particulier; et d) la nature du problème. Une analyse pragmatique et fonctionnelle de la décision dont je suis saisi me conduit à dire que la norme applicable est celle de la décision correcte.

Clause privative

[26]            L'article 90 de la Loi électorale prévoit que la décision de la Commission d'appel est définitive et contraignante. Ce n'est pas là une clause privative formulée vigoureusement, mais elle montre néanmoins que la bande voulait que les voies de recours soient restreintes. Cette disposition milite donc en faveur d'une retenue élevée.


Spécialisation

[27]            Dans l'affaire Première nation de Grand Rapids c. Nasikapow, [2000] A.C.F. n ° 1896, le juge Muldoon a analysé ce facteur au regard de la décision de l'agent électoral d'une bande. Au paragraphe 62, il écrivait :

L'agent électoral est désigné au cours d'une assemblée publique et ne possède pas d'expertise particulière. Il y a donc lieu de faire preuve de moins de retenue envers ses décisions.

[28]            L'article 80 de la Loi électorale requiert seulement que les membres nommés à la Commission d'appel soient âgés de 25 ans révolus, ne soient pas des membres de la Bande de Samson et jouissent d'une bonne réputation. Il n'exige pas qu'elles aient des connaissances particulières. Il en résulte une retenue moindre.

Objet de la Loi

[29]            Dans l'arrêt Pushpanathan, précité, le juge Bastarache expliquait au paragraphe 36 que les cours de justice devront montrer davantage de retenue lorsque la Loi exige « la prise en compte de nombreux intérêts simultanément et l'adoption de solutions de nature à assurer en même temps un équilibre entre les coûts et les bénéfices pour de nombreuses parties distinctes » , que lorsqu'il s'agit de dispositions qui établissent des droits entre les parties. En d'autres termes, la Cour devrait montrer davantage de retenue à l'égard d'une décision polycentrique.

[30]            Pour le juge Muldoon, dans l'affaire Grand Rapids, précitée, au paragraphe 63, ce facteur signifiait qu'il fallait se demander si « la politique électorale ne s'inspire pas de l'application de principes juridiques non limitatifs » , auquel cas une retenue moindre est exigée.

[31]            La bande a codifié dans sa Loi électorale ses coutumes et ses traditions se rapportant au choix d'un chef et d'un conseil. En d'autres termes, elle a établi le régime administratif de sa procédure électorale. Il ne semble donc pas que l'objet de la Loi électorale requiert la mise en équilibre attentive d'une diversité d'intérêts. La bande n'a pas non plus, selon les mots du juge Muldoon, imprégner les dispositions de principes juridiques non limitatifs. Cette analyse signale donc une retenue moindre.

Nature du problème

[32]            Le demandeur affirme que la présidente de la Commission d'appel a outrepassé sa compétence. Subsidiairement, il donne à entendre que la présidente a commis une erreur de droit en interprétant mal la Loi électorale. Les erreurs de compétence et les erreurs de droit requièrent l'application de la norme de la décision correcte.


[33]            Ma conclusion générale est que ces facteurs donnent à penser que c'est la norme de la décision correcte qui devrait être appliquée à la décision de la présidente selon laquelle la procédure d'appel ne pouvait pas être invoquée par le demandeur. Il existe une clause privative, qui pourrait militer en faveur de la norme de la décision raisonnable simpliciter, mais son libellé imprécis et vague ne suffit pas à mon avis à neutraliser les trois autres facteurs, qui tous militent fortement en faveur de la norme de la décision correcte. J'observe aussi que, dans l'affaire Grand Rapids, précitée, le juge Muldoon avait lui aussi conclu que la norme de la décision correcte devait s'appliquer à l'affaire dont il était saisi.

Compétence

[34]            Lorsqu'elle a décidé que le demandeur ne pouvait se prévaloir de la procédure d'appel, la présidente a-t-elle outrepassé sa compétence? Je crois que la réponse est affirmative. La Loi électorale réserve à la Commission d'appel elle-même toutes les décisions se rapportant au droit d'appel. La présidente est seulement censée recevoir l'avis d'appel. Elle est donc tenue de porter l'affaire devant la Commission d'appel en réunion plénière. La présidente ne peut décider elle-même si, d'après un ensemble de faits, un appel est possible. Elle doit soumettre l'affaire à la Commission d'appel. Il n'appartenait pas à Mme Bull de décider ce point, mais, en décidant ce point, a-t-elle privé le demandeur de ses droits si, de fait, le délai d'appel était expiré?


Le demandeur a-t-il interjeté appel en dehors des délais?

[35]            La présente demande dépend de l'interprétation qui est donnée de l'article 82 de la Loi électorale. Le demandeur préconise une recherche de l'intention lorsqu'il s'agit d'interpréter les mots « sept jours après la date d'une élection » , de telle sorte que le délai de sept jours ne devrait commencer à courir que lorsque le résultat de l'élection est devenu officiel. Il soutient qu'une interprétation qui obligerait un appelant à signifier un avis d'appel avant que le résultat de l'élection ne soit connu va à l'encontre de l'objet du mécanisme d'appel et confine à l'absurdité. Les défenderesses, quant à elles, tout en reconnaissant qu'une recherche de l'intention s'impose, soutiennent que les mots « la date d'une élection » sont clairs dans le contexte de la Loi électorale tout entière, puisque les rédacteurs ont fait une distinction entre « la date d'une élection » ou « de l'élection » , et le « résultat » ou le « résultat définitif de l'élection » .

[36]            Je reconnais avec le demandeur et les défenderesses que l'on devrait privilégier une recherche de l'intention. Dans Driedger on the Construction of Statutes, Toronto : Butterworths, 1994, nous apprenons que, pour donner effet à une recherche de l'intention, [traduction] « le sens ordinaire d'une disposition sera parfois rejeté en faveur d'une interprétation plus conforme à l'objet, dans la mesure où l'interprétation retenue est celle que les mots employés sont de nature à soutenir » . S'agissant de la présomption de non-absurdité, l'ouvrage de Driedger mentionne ce qui suit, à la page 86 :


[traduction] Lorsque les mots d'un texte législatif autorisent plus d'une interprétation, le souci d'éviter des conséquences absurdes est une bonne raison pour retenir une interprétation plutôt que l'autre. Même lorsque les mots sont clairs, le sens ordinaire peut être rejeté s'il risque de conduire à une absurdité.

[37]            En l'espèce, la recherche de l'intention de l'article 82 de la Loi électorale requiert de se demander quelles interprétations possibles le texte peut raisonnablement autoriser, et requiert de rejeter tout résultat absurde. Les deux interprétations proposées par les parties (la date à laquelle les bulletins de vote sont déposés dans l'urne, et la date à laquelle le résultat électoral devient officiel) sont toutes deux des interprétations que les mots employés peuvent raisonnablement autoriser. Le sens ordinaire des mots « date d'une élection » favorise la première interprétation, mais l'article 82 pourrait aussi englober le processus électoral tout entier, de telle sorte que le délai ne commencerait à courir que lorsque le résultat électoral est devenu officiel.


[38]            Dans l'affaire Regina ex rel. Fraser c. Tuckey, [1975] W.W.R. 191, et l'affaire Ray c. Nateweyes, [1998] S.J. no 50, la Cour du banc de la reine de la Saskatchewan se demandait si le mot « élection » signifiait le jour du scrutin ou comprenait le processus jusqu'au comptage. Ces deux précédents concernaient cependant des délais supérieurs à un mois. Ici, il s'agit de savoir si la Loi électorale devrait être interprétée d'une manière qui oblige un candidat au conseil de bande de faire appel de malversations ou de contraventions qui n'ont peut-être pas été découvertes, étant donné la brièveté du délai. À mon avis, une telle interprétation serait contraire à l'objet de la disposition, qui est d'offrir aux candidats défaits apprenant l'existence d'irrégularités un mécanisme raisonnable de révision. Il serait absurde d'obliger un candidat à déposer un avis d'appel pour le cas où il serait défait, en particulier dans le contexte actuel, où le demandeur était apparu comme le candidat vainqueur. En conséquence, l'expression « sept jours après la date d'une élection » doit s'entendre de « sept jours à compter de la date du résultat de l'élection » . Je me rends compte que la particularité d'autres dispositions de la Loi électorale pourrait nous conduire à conclure que « la date de l'élection » devait s'entendre uniquement du jour du scrutin, mais je ne puis admettre que c'était là l'intention de l'article 82, parce qu'une telle interprétation conduirait à une absurdité.

[39]            Je prends note de l'argument des défenderesses selon lequel d'autres dispositions de la Loi électorale militent en faveur de l'interprétation préconisée par les défenderesses pour les mots « la date d'une élection » , si l'on veut empêcher d'autres absurdités. La bande signale les articles 6, 12, 35, 36, 37 et 55 de la Loi électorale pour montrer que la « date de l'élection » ne peut s'entendre que du jour du scrutin. Par exemple, l'article 12 est ainsi conçu : « Tout candidat peut se retirer à tout moment jusqu'à quarante-huit (48) heures avant la date de l'élection, en déposant auprès du surveillant électoral un avis écrit de son intention en ce sens » . Selon la bande, une date autre que la date du scrutin rendrait cet article inapplicable.


[40]            Bien que plusieurs dispositions où sont employés les mots « date de l'élection » se réfèrent nécessairement à la date du scrutin, le fait d'interpréter le délai prévu par l'article 82 comme un délai commençant à courir à la date du résultat électoral n'impose pas cette même interprétation à ces autres dispositions de la Loi électorale. L'uniformité est certes importante, mais le contexte et la logique le sont tout autant. Je ne crois pas que l'interprétation préconisée par le demandeur pour l'article 82 conduirait à une interprétation absurde d'autres dispositions dans lesquelles « la date de l'élection » doit, par une recherche de l'intention, s'entendre de la date du scrutin lui-même.

Conclusion

[41]            Pour les motifs susmentionnés, cette demande de contrôle judiciaire est accueillie.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La décision de Mme Theresa Bull, présidente de la Commission d'appel en matière électorale, de ne pas autoriser le demandeur à déposer un appel selon la Samson Cree Nation Election Law est annulée;

2.         Le demandeur aura cinq jours à compter de la date de la présente ordonnance pour signifier et parfaire son appel aux termes de la Samson Cree Nation Election Law;


3.         Lorsqu'elle examinera l'appel du demandeur selon la Samson Cree Nation Election Law, la Commission d'appel en matière électorale de la Nation Samson interprétera les mots « dans un délai de sept (7) jours après la date d'une élection » , à l'article 82 de cette Loi, comme une expression signifiant « dans un délai de sept (7) jours après le résultat de l'élection à laquelle se rapporte la malversation, l'inéligibilité ou autre contravention » .

4.         Les dépens de cette demande sont adjugés au demandeur.

                                                                                       « James Russell »            

                                                                                                             Juge                     

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                    T-1017-02

INTITULÉ :                   Clarence Okeymow c. La Nation crie Samson et

Theresa Bull

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                              le 8 mai 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              Monsieur le juge Russell

DATE DES MOTIFS :                                     le 12 juin 2003

COMPARUTIONS :

M. Terence Glancy                                               pour le demandeur

M. David Rolf                                                     pour la défenderesse, la Nation crie Samson

Mme Deborah Hanly                                              pour la défenderesse, Theresa Bull

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Royal, McCrum, Duckett & Glancy                                 pour le demandeur

Edmonton (Alberta)

Parlee McLaws LLP                                            pour la défenderesse, la Nation

Edmonton (Alberta)                                              crie Samson

Hanly Law Office                                                 pour la défenderesse, Theresa Bull

Sylvan Lake (Alberta)


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