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Date : 20050822

Dossier : IMM-9192-04

Référence : 2005 CF 1139

Ottawa (Ontario), le 22 août 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O=REILLY

ENTRE :

AHMAD AL BADAWI SMOUDI

et RAJAA ALOUCH

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]          M. Ahmad Al Badawi Smoudi est originaire de la Syrie. Il est devenu citoyen du Paraguay après être déménagé dans ce pays en 1986. Il est d'abord venu au Canada en 1995 pour des raisons d'affaires. Il a fini par demander l'asile au Canada lorsque tant son permis de travail canadien que sa citoyenneté paraguayenne ont expiré.


[2]          Un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande de M. Smoudi, principalement parce que son comportement n'était pas celui d'une personne qui craindrait véritablement de retourner en Syrie. De plus, la Commission ne croyait pas que M. Smoudi s'était soustrait au service militaire en Syrie parce qu'il était un objecteur de conscience. M. Smoudi prétend que les conclusions de la Commission ne sont pas étayées par la preuve et il me demande d'ordonner une nouvelle audition de sa demande. Je suis d'avis qu'une nouvelle audience est nécessaire et j'accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire.

I. Question en litige

[3]          M. Smoudi prétend que les motifs de la Commission comportent un certain nombre d'erreurs. Cependant, comme j'ai conclu qu'une erreur particulière de la Commission justifiait la tenue d'une nouvelle audience, je me contenterai de répondre à la question suivante : La Commission a-t-elle omis de tenir compte du traitement que M. Smoudi pourrait subir pour s'être soustrait au service militaire?

II. Analyse

[4]          La Commission a-t-elle omis de tenir compte du traitement que M. Smoudi pourrait subir pour s'être soustrait au service militaire?

[5]          Comme je l'ai mentionné plus haut, la Commission a considéré que M. Smoudi ne s'était pas comporté comme une personne qui craignait réellement de retourner en Syrie. M. Smoudi a laissé sa citoyenneté paraguayenne expirer et a attendu la veille du jour où il devait quitter le Canada pour demander l'asile. De plus, la Commission a tiré des conclusions défavorables concernant la crédibilité des allégations de M. Smoudi selon lesquelles les autorités syriennes s'intéressaient à lui pour des raisons politiques et selon lesquelles il avait quitté la Syrie parce qu'il était un objecteur de conscience.

[6]          La Commission s'est fondée sur son analyse de la preuve pour conclure finalement que M. Smoudi n'était ni un réfugié au sens de la Convention (suivant l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27; voir l'annexe ci-jointe) ni une personne exposée au risque de traitements ou peines cruels et inusités (suivant l'article 97 de la Loi). J'estime cependant, après avoir pris connaissance des motifs de la Commission, que celle-ci n'a pas vraiment analysé la question de l'article 97. Aucune de ses autres conclusions, même si elles sont correctes, n'a trait au risque que M. Smoudi pourrait courir pour s'être soustrait au service militaire.

[7]          Je reconnais que, dans certains cas, il n'est pas nécessaire d'examiner la question de l'article 97 si des conclusions défavorables relatives à la crédibilité sont tirées relativement à l'article 96. Ce n'est cependant pas toujours le cas. Je suis d'accord avec M. le juge Edmond Blanchard quand il dit :

Il peut y avoir des cas où l'on conclut qu'un revendicateur du statut de réfugié, dont l'identité n'est pas contestée, n'est pas crédible pour ce qui est de la crainte subjective d'être persécuté, mais où les conditions dans le pays sont telles que la situation individuelle du revendicateur fait de lui une personne à protéger. Il s'ensuit qu'une conclusion défavorable en matière de crédibilité, quoique pouvant être déterminante quant à une revendication du statut de réfugié en vertu de l'article 96 de la Loi, ne le sera pas nécessairement quant à une revendication en vertu du paragraphe 97(1). (Bouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1211, [2003] A.C.F. no 1540)

[8]          La Commission a conclu clairement que M. Smoudi serait poursuivi pour s'être soustrait au service militaire. Elle a cependant considéré que M. Smoudi n'avait pas démontré qu'il recevrait une [traduction] « peine disproportionnée » pour cette infraction. En fait, M. Smoudi a indiqué dans son témoignage qu'il serait emprisonné pendant au moins cinq ans et qu'il pourrait être condamné à la peine de mort. Il ressortait de la preuve documentaire que les conditions étaient déplorables dans les prisons militaires syriennes. La Commission n'a pas fait référence à ces éléments de preuve.

[9]          À mon avis, la Commission a omis de traiter d'une question importante et de tenir compte d'éléments de preuve pertinents. Elle a aussi commis une erreur de droit en reprochant à M. Smoudi de ne pas avoir démontré que la peine qui lui serait infligée pour s'être soustrait au service militaire avait un lien avec l'un des motifs prévus par la Convention. Il n'est pas nécessaire, dans le cas de l'article 97 (contrairement à l'article 96), de démontrer que les mauvais traitements redoutés découlent d'actes de persécution fondés sur des motifs particuliers. La seule question à trancher est de savoir si le demandeur est exposé à une menace importante à sa vie ou au risque important de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités, peu importe les raisons.

[10]            Par conséquent, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. J'ai examiné la question de savoir s'il fallait ordonner une nouvelle audience au regard uniquement de la question de l'article 97, compte tenu de la nature de l'erreur commise par la Commission. La question du risque que pourrait courir M. Smoudi ne peut cependant pas être isolée complètement des autres éléments de preuve dont la Commission disposait. Par prudence, j'ordonnerai une nouvelle audition de la demande complète de M. Smoudi.

[11]            Les avocats ont demandé que je leur donne la possibilité de soumettre une question de portée générale à des fins de certification. J'examinerai toutes observations déposées à ce sujet dans les dix (10) jours suivant la date des présents motifs.

JUGEMENT

            LA COUR STATUE :

1.       La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.       Une nouvelle audience est ordonnée.

3.       Toute question de portée générale doit être proposée à des fins de certification dans les dix (10) jours suivant la date des présents motifs.

« James W. O'Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


Annexe

Loi sur l=immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

Définition de * réfugié +

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention C le réfugié C la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Personne à protéger

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes C sauf celles infligées au mépris des normes internationales C et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

Personne à protéger

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d'une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Immigration and Refugee Protection Act, S.C. 2001, c. 27

Convention refugee

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Person in need of protection

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Person in need of protection

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-9192-04

INTITULÉ :                                                                AHMAD AL BADAWI SMOUDI

                                                                                    ET AL.

                                                                                    c.         

                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                        ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 15 AOÛT 2005

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                       LE JUGE O=REILLY

DATE DES MOTIFS :                                               LE 22 AOÛT 2005

COMPARUTIONS:

Krassima Kostadinov                                                    POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

Bernard Assan                                                               POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Krassima Kostadinov                                                    POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)

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