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Date : 20040922

Dossier : DES-2-03

Référence : 2004 CF 1295

Ottawa (Ontario), le 22 septembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé

en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l'immigration

et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi)

ET le dépôt de ce certificat à la Cour fédérale du Canada

en vertu du paragraphe 77(1) et des articles 78 et 80 de la Loi

ET ERNST ZÜNDEL

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                En vertu des paragraphes 83(2) et 83(3) de la Loi, la Cour est chargée d'examiner s'il y a lieu de maintenir M. Zündel en détention.

[2]                Entre le 1er mai 2003 et le 21 janvier 2004, la Cour a entendu les témoignages présentés par les ministres en séance publique et à huis clos, ainsi que le témoignage que M. Zündel a donné en audience publique.

[3]                Après avoir évalué ces témoignages, la Cour a, le 21 janvier 2004, rendu une décision ordonnant le maintien en détention de M. Zündel.


[4]                Aux termes du paragraphe 83(2) de la Loi, la Cour est tenue, au bout de six mois, de contrôler de nouveau les motifs justifiant le maintien en détention de M. Zündel.

[5]                Suivant le paragraphe 83(3), la Cour doit ordonner le maintien en détention de l'intéressé sur preuve des ministres qu'il existe des motifs raisonnables de croire que M. Zündel constitue un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou qu'il se soustraira vraisemblablement à la procédure de renvoi. Ainsi que Me Lindsay, l'avocat de M. Zündel, l'a signalé, la véritable question est celle de savoir si la situation a changé depuis la dernière fois.

[6]                Après discussions entre les parties, il a été décidé ce printemps que M. David Stewart, un employé du Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS), pourrait témoigner au sujet des éléments présentés par les ministres.

[7]                Il a été convenu dès le départ que M. Stewart témoignerait au sujet des renseignements non classifiés et que toutes les questions posées à M. Stewart par l'avocat de M. Zündel ou par les avocats des ministres ne porteraient que sur les renseignements non classifiés.


[8]                Il ressort de la transcription de ces sept jours de débats que la Cour a dû intervenir à maintes reprises pour s'assurer qu'aucune des questions adressées au témoin ne l'amène à divulguer par inadvertance des renseignements confidentiels qui porteraient atteinte à la sécurité nationale.

[9]                L'avocat de M. Zündel et son prédécesseur ont laissé entendre à de nombreuses reprises que divers témoins comparaîtraient. À la dernière minute, l'avocat de M. Zündel a décidé de ne pas faire témoigner ces personnes.

[10]            Parmi les témoins que l'avocat de M. Zündel souhaitait faire entendre, il y a lieu de mentionner un ancien avocat de M. Zündel, qui est maintenant juge à la Cour supérieure de justice de l'Ontario, le directeur du Congrès juif canadien, un des dirigeants de B'Nai Brith Canada, un écrivain et un journaliste du Globe and Mail. Toutes ces assignations à témoigner ont été annulées à l'issue d'une audience et elles font l'objet d'une autre décision rendue le 23 juin 2004.

[11]            Dans ma décision du 21 janvier 2004, j'ai précisé que M. Zündel n'avait pas soumis d'éléments de preuve démontrant la véritable relation qu'il entretenait avec les personnes et les organismes mentionnés dans le résumé qui lui avait été soumis en mai 2003.


[12]            M. Zündel a décidé de ne pas aborder ces questions et de ne pas donner d'éclaircissements au sujet de ses rapports avec ces personnes et ces organismes. M. Zündel a plutôt choisi de démontrer qu'il est plus ou moins victime d'une vendetta de la part du SCRS et il a tenté, au moyen de diverses allégations, de démontrer que le SCRS nourrit des préjugés très défavorables à son endroit et qu'il est déterminé à l'expulser à n'importe quel prix.

[13]            L'avocat de M. Zündel a soulevé une question au sujet de la divulgation de renseignements qui porteraient atteinte à la sécurité nationale. À deux reprises, j'ai dit « risqueraient de porter atteinte à la sécurité nationale » alors que j'aurais dû dire : « porteraient atteinte à la sécurité nationale » . L'observation de Me Lindsay était effectivement juste. J'estime toutefois que son client n'a subi aucun préjudice car, pour tirer cette conclusion, j'ai toujours tenu compte du fait que les renseignements classifiés et les éléments de preuve présentés à huis clos par les ministres étaient confidentiels et que la divulgation de l'un ou l'autre de ces éléments porterait atteinte à la sécurité nationale. Certes, le choix des mots est important, mais ce qui est impératif selon l'article 78 de la Loi, c'est que le juge désigné a l'obligation de s'assurer qu'aucun des renseignements classifiés ne soit rendu public si sa divulgation porte atteinte à la sécurité nationale.


[14]            Si Me Lindsay a raison de dire que j'ai fait erreur en employant une ou deux fois le mot « risquerait » , il a tort d'affirmer que je n'ai pas appliqué le bon critère parce qu'en fait, j'ai appliqué le bon critère et j'ai examiné périodiquement les éléments de preuve recueillis à huis clos pour vérifier s'il était possible d'en communiquer une partie à M. Zündel, conformément à la Loi. Néanmoins, mon examen des renseignements et des éléments de preuve présentés à huis clos par les ministres m'amène à conclure que ces renseignements classifiés sont pertinents mais que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui.

[15]            Dans son plaidoyer, l'avocat de M. Zündel a consacré beaucoup de temps à signaler des erreurs techniques qui auraient été commises au cours de la longue procédure. À mon avis, il aurait mieux fait de consacrer son temps à présenter des éléments de preuve démontrant les véritables rapports que M. Zündel entretenait avec les personnes et organismes énumérés dans le résumé. L'avocat de M. Zündel a également passé beaucoup de temps à essayer de démontrer l'utilité pour la Cour d'entendre des observations au sujet de l'influence des organisations juives canadiennes et des pressions que ces organisations ont exercées sur les ministres à divers moments et qui se sont soldées par la signature du certificat.

[16]            Ainsi que je l'ai déjà dit dans une décision antérieure, c'est un secret de polichinelle que des organisations juives canadiennes ont exercé de fortes pressions sur les ministres et à divers niveaux du gouvernement pour que différentes mesures soient prises à l'égard de M. Zündel. Ainsi, des organisations juives canadiennes ont exercé des pressions énormes pour s'assurer que le gouvernement canadien ne laisse pas M. Zündel, qui se trouvait alors aux États-Unis, rentrer au Canada. En fait, leurs tentatives ont échoué.

[17]            Les pressions qui ont été exercées sur le gouvernement fédéral et particulièrement sur les ministres qui ont signé le certificat sont bien connues et ont été rendues publiques.


[18]            En fait, la question à laquelle il faut répondre n'est pas de savoir si des pressions ont été exercées ou non, mais plutôt si le certificat signé par les ministres est raisonnable.

[19]            Mais nous n'en sommes pas encore là. L'audience portant sur le caractère raisonnable du certificat est toujours en cours. Il n'en demeure pas moins que j'ai l'obligation de contrôler les motifs justifiant le maintien en détention.

[20]            Finalement, l'avocat de M. Zündel affirme que les éléments de preuve présentés à huis clos au sujet de M. Zündel créent un déséquilibre qui a pour effet de placer son client dans une situation intenable et de l'empêcher de répondre.

[21]            Me Lindsay explique que la Cour devrait lui permettre de poser des questions sur les éléments de preuve secrets qui constituent des renseignements classifiés et que, s'il obtient des réponses à ces questions, il lui sera plus facile de bien représenter son client.


[22]            En fait, Me Lindsay laisse entendre que, s'il n'obtient pas certaines réponses à ces questions, il lui sera très difficile, voire impossible, de formuler des arguments qui se tiennent sur le caractère raisonnable du certificat, de même que sur [traduction] « la question de la détention » . Me Lindsay a décidé de lire à haute voix ces questions lorsqu'il a présenté ses propres observations et je tiens à l'assurer dès maintenant que la Cour en tiendra compte lorsqu'elle entendra les avocats des ministres à huis clos.

[23]            La Cour d'appel fédérale a expliqué la charge de la preuve qui s'applique en cas de contrôle des motifs de la détention dans l'arrêt M.C.I. c. Thanabalasingham, [2004] A.C.F. no 15, 2004 CAF 4 :

Il incombe toujours au ministre de démontrer qu'il existe des motifs qui justifient la détention ou le maintien de la détention. Cependant, une fois que le ministre a établi prima facie qu'il y a lieu de maintenir la détention d'une personne, la personne doit présenter une certaine preuve contraire sinon elle risque d'être maintenue en détention.

[24]            Au nom des ministres, Me MacIntosh soutient à juste titre que les ministres se sont déchargés de leur fardeau : les ministres devaient démontrer qu'il existe des motifs raisonnables qui justifient le maintien de la détention de M. Zündel au sens de l'article 83 de la Loi.

[25]            Le rôle du juge désigné lors du contrôle des motifs du maintien de la détention a été expliqué par le juge Noël dans le jugement Charkaoui, [2004] 1 R.C.F. 528, [2003] A.C.F. no 1119, 2003 CF 882, au paragraphe 36 (onglet 4, recueil des sources citées par les ministres) :


Le juge désigné, à l'étape de l'étude du contrôle des motifs du mandat d'arrestation et du maintien de la détention, doit se demander s'il y a de la preuve à l'appui de la position des ministres à l'effet que l'intimé, depuis le début de sa détention, demeure un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou encore qu'il évitera la procédure ou le renvoi (voir le paragraphe 83(3) de la Loi). Je note que le législateur a utilisé le mot « ou » , ce qui crée une alternative entre l'un des motifs invoqués. Par ailleurs, le juge désigné, ayant donné la possibilité à l'intimé d'être entendu, doit se demander si la preuve présentée par celui-ci remet en question celle à l'appui du maintien de la détention, si preuve il y a. Il doit pour ce faire prendre en considération toute la preuve des parties (y incluant celle présentée en l'absence de l'intimé). Le fardeau initial repose donc sur les ministres, pouvant toutefois être transféré à l'intimé si la preuve des ministres est suffisante. Le cas échéant , l'intimé doit à son tour satisfaire le juge désigné que la détention continue n'est pas justifiée.

[26]            Une fois de plus, il est important de citer les propos que l'ancien juge en chef Thurlow a tenus dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Jolly, [1975] C.F. 216 (C.A.), où il définit la norme de preuve applicable en matière d'immigration (jugement Charkaoui, paragraphe 38) :

[...] lorsque la preuve a pour but d'établir s'il y a raisonnablement lieu de croire que le fait existe et non d'établir l'existence du fait lui-même, il me semble qu'exiger la preuve du fait lui-même et en arriver à déterminer s'il a été établi, revient à demander la preuve d'un fait différent de celui qu'il faut établir. Il me semble aussi que l'emploi dans la loi de l'expression « il y a raisonnablement lieu de croire » implique que le fait lui-même n'a pas besoin d'être établi et que la preuve qui ne parvient pas à établir le caractère subversif de l'organisation sera suffisante si elle démontre qu'il y a raisonnablement lieu de croire que cette organisation préconise le renversement par la force, etc. Dans une affaire dont la solution est incertaine, l'omission de faire cette distinction et de trancher la question précise dictée par le libellé de la loi peut expliquer la différence dans les résultats d'une enquête ou d'un appel.


[27]            Je suis d'accord avec l'avocat des ministres pour dire que, même si l'avocat de M. Zündel a exprimé son insatisfaction quant à la façon dont la preuve a été communiquée, M. Zündel a obtenu une communication adéquate en l'espèce. M. Zündel a reçu une communication complète de la preuve en conformité avec l'article 78 de la Loi. La communication était conforme aux principes de justice naturelle et d'équité. De fait, au paragraphe 20 de ma décision du 21 janvier 2004, j'ai expliqué qu'il existait, au moment de cette décision, des motifs raisonnables de croire que M. Zündel constituait un danger pour la sécurité nationale ou pour la sécurité d'autrui. J'avais alors fondé mes conclusions sur le fait que, même si M. Zündel n'avait pour ainsi dire commis aucun acte de violence grave ni ne s'était engagé personnellement à commettre des actes de cette nature, son statut au sein du mouvement en faveur de la suprématie blanche était tel que les adeptes de ce mouvement étaient incités à agir conformément à l'idéologie qu'il prône. Pour leur part, les ministres étaient d'avis que, en agissant de la sorte en qualité de dirigeant et idéologue, M. Zündel désirait que son influence se traduise par des actes de violence graves.

[28]            Après avoir examiné minutieusement les éléments de preuve qui ont été produits depuis cette même décision du 21 janvier 2004, je conclus sans hésiter que M. Zündel n'a pas présenté d'éléments de preuve démontrant qu'il n'y a pas de motifs raisonnables de croire qu'il constitue un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui.

[29]            Comme je suis convaincu que M. Zündel devrait demeurer en détention parce que les ministres ont présenté des éléments de preuve suivant lesquels il existe toujours des motifs raisonnables de croire qu'il constitue un danger pour la sécurité nationale ou pour la sécurité d'autrui, il n'est pas nécessaire de déterminer s'il se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi. D'ailleurs, aucune des parties n'a même présenté de nouvel élément de preuve à ce sujet.


O R D O N N A N C E

EN CONSÉQUENCE, LA COUR ORDONNE :

M. Zündel sera maintenu en détention en vertu du paragraphe 83(3) de la Loi jusqu'à ce que le juge désigné se prononce à nouveau sur le maintien de sa détention.

                   « Pierre Blais »                

                           Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :               DES-2-03

INTITULÉ:               AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé          en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l'immigration

et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi)

ET le dépôt de ce certificat à la Cour fédérale du Canada en vertu du paragraphe 77(1) et des articles 78 et 80 de la Loi

et Ernst Zündel

LIEU DE L'AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

DATES DE L'AUDIENCE :                        9 et 16 mai 2003

28, 29 et 30 juillet 2003

23 et 24 septembre 2003

6 et 7 novembre 2003

10 et 11 décembre 2003

22, 23, 26 et 27 janvier 2004

9, 12, 18 et 19 février 2004

13, 14, 29 et 30 avril 2004

4 et 5 mai 2004

9 juin 2004

27 juillet 2004

11 août 2004

30 et 31 août 2004

1er, 2, 14 et 16 septembre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE                

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                                  22 septembre 2004


COMPARUTIONS:

Donald MacIntosh & Pamela Larmondin    POUR LE MINISTRE

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

Murray Rodych & Toby Hoffman                               POUR LE

Service canadien du renseignement de sécurité SOLLICITEUR GÉNÉRAL

Services juridiques

Ottawa (Ontario)

Peter Lindsay & Chi-Kun Shi                                    POUR L'INTIMÉ

Avocats

Toronto (Ontario)


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