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                                                                                                                               Date : 20050930

                                                                                                                    Dossier : IMM-1673-05

                                                                                                               Référence : 2005 CF 1327

ENTRE :

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                        ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                      Demandeur

                                                                          - et -

                                                        Marie Thérèse FOUODJI

                                                                                                                                  Défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]         Ni la défenderesse, ni son procureur, Me Jean-Phillippe Trudel, ne se sont présentés à l'audition devant moi. De plus, la défenderesse n'a déposé aucun dossier en vertu de la règle 310 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Comme je l'ai indiqué au procureur du demandeur, l'affaire est décidée en l'absence de la défenderesse et sur vue du dossier.

[2]         Il s'agit donc d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR), rendue le 24 février 2005 par le commissaire José wa Tshisungu Tshisungu, qui a maintenu le statut de « réfugié au sens de la Convention » reconnu à la défenderesse.


                                                                     * * * * * * * *

[3]         La défenderesse, Marie Thérèse Fouodji, est une citoyenne du Cameroun et la mère de six enfants : deux filles et quatre garçons.

[4]         Celle-ci, qui n'a que cinq ans dtudes, allègue avoir subi de mauvais traitements aux mains de son ex-conjoint, avoir été torturée et menacée de mort par ce denier.

[5]         Aidée par les femmes de son village et une dame qui lui a remis un passeport français et un billet d'avion pour New York, contre la somme de 2 000 $ can., la défenderesse quitte le Cameroun le 26 mars 2001 pour arriver le lendemain à New York (États-Unis).

[6]         Elle se présente à la frontière canadienne le 29 mars 2001 sans y demander le statut de réfugiée. Une fois la frontière franchie et ayant peur qu'on la prenne avec un faux passeport, elle détruit ce dernier dans l'autobus.

[7]         Le 30 mars 2001, la défenderesse demande le statut de réfugiée et déclare avoir voyagé avec un passeport français qui ne lui appartenait pas. Elle indique être née à Ebolowa (Cameroun) le 1er septembre 1967, avoir quitté son pays le 23 mars 2001 et avoir quatre enfants au lieu de six, croyant qu'elle serait refusée si elle déclarait avoir six enfants.


[8]         D'après son Formulaire de renseignements personnels (FRP), reçu par la Commission le 2 mai 2001, elle prétend craindre avec raison dtre persécutée dans son pays par son ex-conjoint du fait du groupe social particulier auquel elle appartient, celui du sexe féminin. De plus, elle prétend être une « personne à protéger » car elle est exposée au risque dtre soumise à la torture. Sa vie serait menacée et elle risquerait des traitements ou peines cruels et inusités en cas de retour dans son pays. Elle indique dans son FRP être la mère de six enfants.

[9]         Le 25 novembre 2002, la CISR en arrive à la conclusion que la défenderesse a apporté suffisamment dléments crédibles de nature à établir qu'elle est une « réfugiée au sens de la Convention » , conformément aux dispositions de l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (la Loi).

[10]       Suite à une dénonciation, Citoyenneté et Immigration Canada a procédé à une enquête. Il appert que la défenderesse a obtenu le statut de réfugiée sous une fausse identité. Sa vraie identité serait Marie-Thérèse Ndomo Ayissi, née le 5 janvier 1967. Le 31 octobre 2000, la défenderesse aurait demandé deux visas de visiteur sous cette identité, l'un pour elle-même et l'autre pour sa fille Gertrude Merveille Nga Ngoumou. Le visa obtenu n'ayant pas été utilisé, la défenderesse a déposé une deuxième demande pour elle-même le 28 novembre 2000. Le 25 décembre 2000, Marie-Thérèse Ndomo Ayissi fut admise au Canada à titre de visiteur et l'obligation de faire vérifier son départ lui fut imposée.

[11]       Un rapport d'expertise a été rédigé le 12 novembre 2002 sur deux photos de Marie-Thérèse Ndomo Ayissi contenues au dossier de visa et deux photos de Marie Thérèse Fouodji tirées de son dossier d'immigration. Les photos représentent fort probablement la même personne.


[12]       Le 23 octobre 2003, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a présenté une demande de réexamen et d'annulation de la décision du 25 novembre 2002. Il soumet que la défenderesse a fait plusieurs déclarations trompeuses devant la CISR au sujet de son nom de famille, de son lieu de naissance, de sa résidence, de son passeport et des incidents allégués, et que si la CISR avait eu connaissance des faits réels, sa décision sur la demande de statut de réfugiée de la défenderesse aurait été différente.

[13]       Le 24 février 2005, le commissaire José wa Tshisungu Tshisungu a rejeté la demande du ministre d'annuler la décision initiale de la CISR, exprimant l'avis qu'il existait un élément de preuve pertinent pour justifier cette décision initiale du tribunal prise le 25 novembre 2002.

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[14]       L'article 109 de la Loi prévoit les circonstances dans lesquelles une décision ayant accueilli une demande de réfugié peut être annulée :


   109. (1) La Section de la protection des réfugiés peut, sur demande du ministre, annuler la décision ayant accueilli la demande d'asile résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

(2) Elle peut rejeter la demande si elle estime qu'il reste suffisamment dléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l'asile.

(3) La décision portant annulation est assimilée au rejet de la demande d'asile, la décision initiale étant dès lors nulle.


109. (1) The Refugee Protection Division may, on application by the Minister, vacate a decision to allow a claim for refugee protection, if it finds that the decision was obtained as a result of directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter.

(2) The Refuge Protection Division may reject the application if it is satisfied that other sufficient evidence was considered at the time of the first determination to justify refugee protection.

(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected and the decision that led to the conferral of refugee protection is nullified.


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[15]       La CISR a rejeté la requête en annulation pour les raisons suivantes :

Premièrement, l'intimée a reconnu et expliqué le contexte dans lequel elle a été conduite à donner de faux renseignements principalement sur son identité et sur sa crainte subjective.


Deuxièmement, après avoir analysé ces éléments jugés mensongers tels qunoncés ci-dessus, le tribunal est d'avis que la preuve présentée par la requérante n'a pas réfuté la question centrale de la demande d'asile, c'est-à -dire la crainte de persécution de l'intimée en raison de son appartenance à un groupe social particulier, les femmes victimes de violence conjugale; d'autant plus que la preuve citée dans M-4 indique que le Cameroun est un état où la protection de la femme est insuffisante à cause de la préséance des traditions et coutumes sur la loi écrite.

Le tribunal est donc d'avis qu'il reste un élément de preuve pertinent pour justifier la décision initiale du tribunal prise le 25 novembre 2002.

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[16]       Le demandeur soutient que le tribunal a erré en droit, voire violéles principes dquité procédurale ou de justice naturelle ou toute autre procédure (alinéa 18.1(4)b) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7) en fournissant des motifs insuffisants ou inadéquats pour étayer sa décision. Je suis d'accord.

[17]       En l'espèce, il n'y a aucune analyse de la preuve soumise par le ministre. Les fausses représentations ou les éléments mensongers les plus importants ne sont pas énoncés. Les contradictions pourtant très substantielles ne sont pas relevées et le tribunal n'a pas soupesé la preuve ni analysé la crédibilité de la défenderesse.

[18]       Comme le souligne le demandeur, le commissaire n'a pas énoncé les motifs qui lui permettent de conclure, comme il l'a fait, que la preuve du demandeur n'a pas réfuté la question centrale à savoir la crainte de persécution de la défenderesse en raison de son groupe social, les femmes victimes de violence conjugale au Cameroun. Le tribunal n'a pas énoncé de façon claire et explicite quelle partie de ce qui reste de la preuve présentée devant le premier tribunal demeure crédible et pourquoi elle est crédible (voir Mehterian c. Canada (M.E.I.), [1992] A.C.F. no 545 (C.A.F.) (QL) et Via Rial Canada Inc. c. Office national des transports et Jean Lemonde, [2001] 2 C.F. 25 (C.A.)).


[19]       Le demandeur plaide en outre que le tribunal a erréen droit en jugeant qu'il restait en l'espèce suffisamment dléments de preuve parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale pour justifier l'asile de la défenderesse.

[20]       De fait, llément de preuve invoqué par le commissaire porte sur la situation des femmes au Cameroun en général et n'a pas rapport à la défenderesse en particulier. Sans preuve reliée à la défenderesse en particulier, la CISR ne pouvait ainsi trouver un motif pour justifier la reconnaissance du statut de réfugiée à la défenderesse. Aux termes du paragraphe 109(2) de la Loi, l'existence d'une preuve documentaire concernant la situation générale d'un pays n'est pas suffisante en soi pour justifier l'asile d'une personne (voir Annalingam c. Canada (M.C.I.), [2003] 1 C.F. 586 (C.A.), Coomaraswamy c. Canada (M.C.I.), [2002] 4 C.F. 501 (C.A.), demande d'autorisation rejetée par la Cour suprême du Canada le 9 janvier 2003 (29274) et Selvakumaran c. ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration, 2003 CF 1445).

                                                                     * * * * * * * *

[21]       Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire, renvoyée devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié différemment constituée pour reconsidération.

                                                                     

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 30 septembre 2005


                                                              COUR FÉDÉRALE

                                               AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-1673-05

INTITULÉ :                                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION c. Marie Thérèse FOUODJI

LIEU DE L'AUDIENCE :                               Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                             Le 20 septembre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                 Le juge Pinard

DATE DES MOTIFS :                                   Le 30 septembre 2005        

COMPARUTION :

Me Michel Pépin                                             POUR LE DEMANDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John H. Sims, c.r.                                           POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Jean-Phillippe Trudel                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

Sainte-Foy (Québec)


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