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Date : 20050525

 

Dossier : T-1459-97

 

Référence : 2005 CF 744

 

Ottawa (Ontario), le 25 mai 2005

 

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DANIÈLE TREMBLAY-LAMER

 

 

ENTRE :

 

                                                     ITV TECHNOLOGIES, INC.

                                                                                                                                    demanderesse

 

                                                                            ET

 

                                                         WIC TELEVISION LTD.

                                                                                                                                      défenderesse

 

ET :

 

                                                       WIC TV AMALCO INC. et

                                         GLOBAL COMMUNICATIONS LIMITED

                                                                                                  demanderesses reconventionnelles

 

                                                                            ET

 

                                                     ITV TECHNOLOGIES, INC.

                                                                                                       défenderesse reconventionnelle

 

                                MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 


[1]               Dans l’ordonnance datée du 10 septembre 2003, la demande de radiation présentée par la demanderesse et défenderesse reconventionnelle ITV Technologies Inc. (ITV) a été rejetée avec dépens. La demande reconventionnelle présentée par la défenderesse et demanderesse reconventionnelle WIC Television Ltd./Global Communications Ltd (WIC) pour passing off (commercialisation trompeuse), contrefaçon de marque de commerce et dépréciation de l’achalandage attaché à des marques déposées a elle aussi été rejetée avec dépens.

 

[2]               ITV sollicite maintenant une ordonnance enjoignant à l’officier taxateur de lui accorder les dépens relatifs à l’instance jusqu’au 13 novembre 2002, soit la date de signification de son offre de règlement, et de doubler les dépens relatifs à l’instance qui sont postérieurs au 13 novembre 2002. Elle sollicite également une ordonnance enjoignant à l’officier taxateur d’accorder à WIC les dépens relatifs à la demande uniquement pour la période précédant :

a)         le 24 octobre 1997, soit la date de dépôt de la défense et demande reconventionnelle de WIC;

b)         le 14 novembre 1997, soit la date à laquelle WIC a jugé inacceptable la suggestion d’ITV de régler le différend en déménageant son siège social de Vancouver aux États‑Unis;

c)         le 4 mars 1998, soit la date à laquelle ITV a demandé la tenue d’une réunion en vue d’un règlement, en concédant que WIC détenait une marque de commerce pour ITV au Canada, mais en déclarant qu’il s’agissait essentiellement de déterminer s’il était possible d’utiliser cette marque de commerce pour rendre ITV.net nulle et non avenue;

d)         septembre 2000, soit la date à laquelle WIC a renoncé à ses marques de commerce ITV, indépendamment de l’issue de la demande;


e)         le 13 novembre 2002, soit la date de signification de l’offre de règlement d’ITV.

 

[3]               La présente requête vise aussi à obtenir une ordonnance portant que les dépens doivent être taxés selon le maximum de la fourchette prévue dans la colonne IV du tarif B.

 

ANALYSE

 

1. Doublement des dépens après l’offre de règlement

 

[4]               Le paragraphe 420(1) des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106 (les Règles) est libellé comme suit :


420. (1) Sauf ordonnance contraire de la Cour, le demandeur qui présente par écrit une offre de règlement qui n'est pas révoquée et qui obtient un jugement aussi avantageux ou plus avantageux que les conditions de l'offre a droit aux dépens partie-partie jusqu'à la date de signification de l'offre et, par la suite, au double de ces dépens, à l'exclusion des débours.

 

420. (1) Unless otherwise ordered by the Court, where a plaintiff makes a written offer to settle that is not revoked, and obtains a Order as favourable or more favourable than the terms of the offer to settle, the plaintiff shall be entitled to party-and-party costs to the date of service of the offer and double such costs, excluding disbursements, after that date.

 

 

 


 

[5]               Cette disposition fixe explicitement deux conditions préalables à l’adjudication du double des dépens à la partie qui a présenté une offre de règlement : l’offre doit être présentée par écrit et elle ne doit pas être révoquée (voir Halford c. Seed Hawk Inc., [2004] A.C.F. no 1541 (C.F.) (QL); Francosteel Canada Inc. c. African Cape (The), [2004] 4 C.F. 284 (C.A.F.)). En l’espèce, il n’y a aucun doute que ces deux conditions préalables ont été remplies.

 

[6]               Cette recherche d’un élément de compromis devient de plus en plus souvent un aspect explicite de la tâche qui incombe à la Cour au moment d’examiner les offres de règlement (voir Association olympique canadienne c. Olymel, société en commandite (2000), 8 C.P.R. (4th) 429 (C.F. 1re inst.); Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, [2002] A.C.F. no 566 (C.F. 1re inst..)(QL); Champion International Corp. c. Sabina (Le), [2003] A.C.F. no 64 (C.F. 1re inst.)(QL); Kirgan Holding S.A. c. Panamax Leader (Le), [2003] A.C.F. no 124 (C.F. 1re inst)(QL)). Cependant, d’un point de vue conceptuel, l’ajout de cette exigence d’un « élément de compromis » à l’analyse fondée sur l’article 420 des Règles est assez paradoxal. Par définition, il me semble qu’une offre de règlement est un compromis implicite – ni l’une ni l’autre des parties ne gagne ou ne perd ce qu’elle aurait obtenu si, au procès, elle avait entièrement gain de cause ou était déboutée.

 

[7]               C’est essentiellement ce qui, à mon avis, constituait la préoccupation sous-jacente dans les décisions susmentionnées. Une offre de règlement n’est pas vraiment une offre de règlement, c’est‑à‑dire une offre au sens de l’article 420 des Règles, si les avantages qu’elle présente sont exclusivement unilatéraux.

 

[8]               Si, par exemple, la partie qui prétend faire une offre invite en fait la partie adverse à capituler, sans faire elle-même de concessions, les avantages sont unilatéraux. L’arrêt Baker Petrolite Corp. c. Canwell Enviro-Industries Ltd., [2002] A.C.F. no 1710 (C.A.F.), en est un exemple. Dans cette affaire, le juge Strayer a conclu que l’« offre » alléguée était « à toutes fins utiles [...] une demande de capitulation complète à l’égard de l’application des droits de brevet allégués des demanderesses au regard des défenderesses ». Il a donc refusé d’accorder le double des dépens.

 

[9]               Bien qu’il se situe dans un contexte différent, l’arrêt Independent Multi-Funds Inc. c. Bank of Nova Scotia (2004), 130 A.C.W.S. (3e) 912 (C.S.J. Ont.), est aussi, selon moi, un exemple utile. Dans cette affaire, la Cour a refusé d’accorder le double des dépens en vertu de la règle ontarienne analogue à l’article 420 des Règles parce que l’offre de la défenderesse totalisait 25 000 $ alors que la demande était estimée à 17 000 000 $.

 

[10]           En résumé, je conviens qu’un élément de compromis est essentiel pour entraîner les conséquences de l’article 420 des Règles en matière de dépens. À moins toutefois que les avantages de l’offre soient, d’un point de vue pratique, tout à fait unilatéraux, on satisfait selon moi à cet élément lorsque l’offre de règlement en question est « claire et sans équivoque, c’est-à-dire qu’elle ne doit laisser à la partie adverse que l’alternative de l’accepter ou de la refuser » : Syntex Pharmaceuticals International Ltd. et al. c. Apotex Inc. (2001), 12 C.P.R. (4th) 413, à la page 416 (C.A.F.).

 

[11]           Compte tenu de ces principes, je suis convaincue qu’il convient d’accorder le double des dépens en l’espèce après l’offre de règlement qu’a faite ITV.

 

[12]           Je reconnais que l’offre n’indique pas explicitement si ITV mettra fin à ses demandes de radiation des marques de commerce, mais elle mentionne expressément que si WIC accepte de rejeter sa demande reconventionnelle, ITV demandera aussitôt l’autorisation de donner suite à l’engagement de WIC relatif aux dommages‑intérêts. Cependant, dans une ordonnance datée du 7 novembre 2002, le protonotaire Hargrave a clairement indiqué qu’une telle demande de la part d’ITV ne peut avoir lieu qu’après le jugement sur les questions soulevées dans les actes de procédure. Il s’ensuit donc qu’ITV aurait mis fin à ses demandes de radiation en vue de donner suite à l’engagement de WIC.

 

[13]           De plus, selon moi, les avantages de cette offre ne sont pas unilatéraux : en échange de l’acceptation de WIC de mettre fin à sa demande reconventionnelle pour contrefaçon d’une marque de commerce et pour passing off, ITV était disposée à renoncer à toute tentative de faire radier les marques de commerce de WIC.

 

[14]           Dans ce contexte, le simple fait que l’offre ne comportait pas de concession au sujet des dépens ne justifie pas de refuser le double des dépens comme le prévoit l’article des Règles.

 

[15]           J’accorde donc à ITV les dépens relatifs à la demande reconventionnelle jusqu’au 13 novembre 2002, et le double des dépens pour la période qui suit.

 

2. Limitation des dépens de WIC

 

[16]           Les deuxième et troisième formes de réparation que sollicite ITV dans la présente requête soulèvent la même question, soit si - et dans quelle mesure - la Cour peut modifier son ordonnance sur les dépens. Les remarques préliminaires qui suivent seront donc aussi pertinentes quant à la question de savoir s’il est possible de modifier le barème des dépens, ce dont il est question ci‑après.

 

[17]           Dans la présente action, j’ai rejeté à la fois la demande d’ITV et la demande reconventionnelle de WIC « avec dépens ». ITV souhaite maintenant limiter les dépens adjugés à WIC et, en même temps, majorer ses propres dépens en rajustant le barème applicable en vertu du tarif B. En réponse, WIC fait valoir que la Cour n’est pas habilitée à prendre l’une ou l’autre mesure sous la forme de directives spéciales données en vertu de l’article 403 des Règles parce que l’ordonnance sur les dépens a déjà été rendue. L’article 403 des Règles prévoit :

 


403.(1)   Une partie peut demander que des directives soient données à l'officier taxateur au sujet des questions visées à la règle 400 :

 

403.(1)   A party may request that directions be given to the assessment officer respecting any matter referred to in rule 400,

 

 

 

a) soit en signifiant et en déposant un avis de requête dans les 30 jours suivant le prononcé du jugement;

 

(a) by serving and filing a notice of motion within 30 days after judgment has been pronounced; or

 

 

 


b) soit par voie de requête au moment de la présentation de la requête pour jugement selon le paragraphe 394(2).

 

 

 

 

 

(b) in a motion for judgment under subsection 394(2).(2) La requête visée à l'alinéa (1)a) peut être présentée que le jugement comporte ou non une ordonnance sur les dépens.

 

(2) A motion may be brought under paragraph (1)(a) whether or not the judgment included an order concerning costs.

 

 

 

(3) La requête visée à l'alinéa (1)a) est présentée au juge ou au protonotaire qui a signé le jugement.

 

(3) A motion under paragraph (1)(a) shall be brought before the judge or prothonotary who signed the judgment.

 

 

 


 

[18]           À mon avis, le point de départ général pour trancher ces questions devrait être le suivant : à la condition que les directives spéciales concernant la taxation des dépens ne soient pas incompatibles avec l’ordonnance initiale, la Cour a le pouvoir, voire le pouvoir discrétionnaire, de faire la même chose[1]. Comme l’indiquent les commentaires du juge Rothstein dans l’arrêt Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., [2003] 2 C.F. 451, au paragraphe 3 (C.A.F.) : « une requête déposée en vertu de la règle 403 doit être considérée comme une procédure sanctionnée par la loi en vue de la modification d’un jugement ».

 


[19]           À l’évidence, certaines modifications suggérées, comme le fait de refuser entièrement les dépens à une partie après que ceux-ci lui ont déjà été adjugés, vont trop loin – elles sont tout à fait incompatibles avec l’ordonnance initiale de la Cour. Cependant, je ne vois aucune différence en principe, dans le contexte d’une requête en vue d’obtenir des directives en vertu de l’article 403 des Règles, entre le fait de limiter les dépens auxquels a droit une partie à ceux qui ont été engagés au cours d’une période donnée, le fait d’accorder des dépens majorés à une partie et le fait de rajuster le barème des dépens. La question de savoir si ces modifications doivent être considérées comme incompatibles avec l’ordonnance initiale, et outrepassent donc, à mon avis, le pouvoir discrétionnaire que confère à la Cour l’article 403 des Règles, doit être tranchée en fonction des circonstances particulières de chaque cas, et compte tenu de la spécificité de l’ordonnance initiale qui a été rendue. Comme le confirme après tout l’article 400 des Règles, les dépens sont principalement une question de nature discrétionnaire.

 

[20]           Néanmoins, je ne suis pas d’accord avec la modification que propose ITV pour limiter les dépens de WIC. Bien que WIC ait attendu plus de deux ans avant de retirer sa demande reconventionnelle visant à obtenir une injonction, la restitution, l’abandon et le transfert du nom de domaine ITV.net, elle a également proposé de procéder à l’instruction de la demande reconventionnelle seulement, limitant ainsi considérablement les questions en litige à trancher. Il y a eu un certain chevauchement entre les preuves concernant l’invalidité et celles concernant la contrefaçon, mais on aurait pu éviter des délais importants ainsi que des frais liés à ceux‑ci. Par ailleurs, même si la demande de radiation n’avait plus de raison d’être parce que WIC avait abandonné les marques de commerce en question, ITV a continué de poursuivre cette demande.

 

[21]           Dans ces circonstances, l’adjudication des dépens en faveur de WIC, relativement à la demande rejetée d’ITV, ne devrait pas se limiter aux périodes que propose ITV.

 


[22]           J’ajouterais qu’ITV se fonde à tort sur l’article 399 des Règles et sur l’arrêt Saywack c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] 3 C.F. 189 (C.A.F.). Une offre de règlement ne peut pas être considérée comme une chose que l’on découvre après un jugement et qui oblige à modifier l’ordonnance rendue par la Cour. En vertu de l’article 422 des Règles, une telle offre ne peut pas être communiquée à la Cour avant le jugement et ne constitue donc manifestement pas un événement fortuit qui justifierait l’application de l’article 399 des Règles.

 

3. Taxation des dépens selon le maximum de la fourchette prévue dans la colonne IV du tarif B

 

[23]           ITV affirme que l’affaire a soulevé de nombreuses questions à propos des droits conférés par une marque de commerce et leur lien avec les noms de domaine, ainsi que de nouvelles questions de preuve concernant l’utilisation d’Internet. De nombreux éléments de preuve documentaire et témoignages d’opinion ont été produits et plusieurs problèmes d’admissibilité ont compliqué l’affaire. Par conséquent, les dépens devraient être taxés selon le maximum de la fourchette prévue dans la colonne IV du tarif B.

 

[24]           Une fois de plus, WIC soutient que la Cour ne peut pas rajuster le barème des dépens (i.-e. applique la colonne IV plutôt que la colonne III du tarif B) à la suite d’une requête pour directives spéciales en vertu de l’article 403 des Règles. J’aimerais ajouter ce qui suit aux remarques que j’ai faites plus tôt au sujet de l’étendue du pouvoir discrétionnaire de la Cour lorsqu’une ordonnance rejetant « avec dépens » les demandes des parties a déjà été rendue.

 

[25]           WIC se fonde sur les commentaires du juge O’Keefe dans la décision Caricline Ventures Ltd. c. ZZTY Holdings Ltd., [2002] A.C.F. no. 756 (C.F. 1re inst.). Le juge O’Keefe a expliqué qu’étant donné qu’il avait décidé que la demanderesse « aurait ses frais » et qu’il n’avait pas rendu d’« ordonnance contraire », la colonne III du tarif B s’appliquait, d’après l’article 407 des Règles, ce qui fait de la colonne III le barème par défaut pour les dépens partie-partie. Le juge O’Keefe a ajouté que, dans le cadre d’une requête pour directives spéciales, la Cour n’est pas habilitée à modifier son ordonnance, ce qu’impliquerait le fait d’ordonner que les dépens soient taxés selon le maximum de la fourchette prévue dans la colonne IV.

 

[26]           Avec égards, je ne suis pas disposée à interpréter mon pouvoir discrétionnaire de manière aussi restrictive. Même si ce n’est que dans les cas exceptionnels qu’on n’applique pas la colonne III du tarif, le principe fondamental en matière de dépens, y compris dans le contexte d’une requête présentée en vertu de l’article 403 des Règles, est que la Cour a entière discrétion. C’est donc dire, selon moi, qu’à la suite d’une telle requête, la Cour a compétence pour majorer les dépens, soit au moyen d’un montant forfaitaire, soit en modifiant la colonne qui s’applique. La jurisprudence étaye cette opinion.

 


[27]           Dans l’arrêt Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., [2002] A.C.F. no 656 (C.A.F.), la Cour d’appel a rejeté l’appel, plaidé soit dit en passant par M. Edmonds (avocat représentant WIC), « avec dépens ». Par la suite, dans la même instance (Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., [2003] 2 C.F. 451 (C.A.F.)), le juge Rothstein a résumé comme suit les principes applicables à une requête présentée en vertu de l’article 403 des Règles :

 

[2]           La règle 403 prévoit ce qui suit :

 

 

403. (1) Une partie peut demander que des directives soient données à l'officier taxateur au sujet des questions visées à la règle 400 :

 

 

a) soit en signifiant et en déposant un avis de requête dans les 30 jours suivant le prononcé du jugement;

 

 

b) soit par voie de requête au moment de la présentation de la requête pour jugement selon le paragraphe 394(2).

 

 

(2) La requête visée à l'alinéa (1)a) peut être présentée que le jugement comporte ou non une ordonnance sur les dépens.

 

 

(3) La requête visée à l'alinéa (1)a) est présentée au juge ou au protonotaire qui a signé le jugement.

 

 

[3]           Une question préliminaire consiste à se demander si les mots du paragraphe 403(3) permettent au juge qui a signé le jugement de statuer sur la requête ou si c'est la formation qui a entendu l'appel qui devrait le faire. Je suis d'avis que, selon son contexte, le paragraphe 403(3) a pour objectif de permettre qu'une requête présentée en vertu de la règle 403 soit décidée par la formation de la Section d'appel qui a entendu l'appel. L'alinéa 403(1)a) prévoit qu'une requête demandant des directives peut être présentée suivant le prononcé du jugement [...]

 

 

[4]           Une requête présentée en vertu de la règle 403 demande que des directives soient données à l'officier taxateur. Rien dans cette règle n'empêche le protonotaire, le juge de la Section de première instance ou la formation de la Section d'appel d'ordonner à l'officier taxateur d’augmenter les dépens en adjugeant un montant forfaitaire. Par conséquent, selon mon interprétation, la règle 403 permet à la formation de la Section d'appel d'adjuger des dépens sous forme de montant forfaitaire comme il est demandé dans la présente requête et d’ordonner à l'officier taxateur de taxer les dépens sur cette base.

 

 

[5]           L'intimée a soutenu que 12 questions avaient été soulevées en appel et que chacune d'elles nécessitait une réponse complète. Il s’agissait de questions de fait complexes, dont le témoignage d'expert et les méthodes d'enquête. L'argumentation en appel a duré près d'une journée complète.

 

 


[6]           Je suis convaincu, dans les circonstances de l'affaire, que l'intimée devrait se voir adjuger des dépens supplémentaires. Il s'agit d'un cas de propriété intellectuelle concernant des clients avertis. Lorsque, comme en l'espèce, de nombreuses questions sont soulevées en appel et qu'elles comportent des faits complexes ainsi que des témoignages d'expert, la quantité de travail requis de la part des avocats de l’intimée justifie une augmentation des dépens. Pour ce qui est de l'argument selon lequel la complexité de l'affaire n'était pas supérieure à celle de la plupart des cas de propriété intellectuelle qui sont entendus par cette Cour, je dirai que ces affaires présentent souvent des faits complexes et qu'elles entraînent des questions difficiles.

 

 

[7]           Les dépens supplémentaires à être adjugés sont des dépens partie-partie. Ils ne dédommagent pas la partie qui a obtenu gain de cause de ses dépens avocat-client et ils ne visent pas à punir la partie déboutée pour son comportement non approprié.

 

 

[8]           Une adjudication de dépens partie-partie ne constitue pas un exercice exact. Il ne s'agit que d'une estimation du montant que la Cour juge approprié à titre de contribution aux dépens avocat-client de la partie qui a obtenu gain de cause (ou, de façon inhabituelle, à ceux de la partie déboutée). En vertu de la règle 407, lorsque les parties ne cherchent pas à obtenir des dépens supplémentaires, les dépens seront taxés conformément à la colonne III du tableau du tarif B. Même lorsque l'on demande des dépens supplémentaires, la Cour, à sa discrétion, peut conclure que les dépens adjugés selon la colonne III constituent un dédommagement suffisant quant aux dépens partie‑partie.

 

 

[9]           Cependant, l'objectif consiste à contribuer d’une manière appropriée aux dépens avocat-client et non à observer strictement la colonne III du tableau du tarif B qui, en lui-même, est arbitraire. Le paragraphe 400(1) précise que, suivant le principe premier de l'adjudication des dépens, la Cour a « entière discrétion » quant au montant des dépens. En exerçant son pouvoir discrétionnaire, la Cour peut fixer les dépens en se fondant sur le tarif B ou en s'en éloignant. La colonne III du tarif B représente une disposition applicable par défaut. Ce n'est que lorsque la Cour ne rend pas une ordonnance précise que les dépens seront taxés conformément à la colonne III du tarif B.

 

 

[10]         Par conséquent, la Cour peut, à sa discrétion, ne pas tenir compte du tarif, particulièrement lorsqu'elle est d'avis qu'une adjudication des dépens conformément au tarif n’est pas satisfaisante. En outre, le montant des dépens avocat-client, bien qu'il ne détermine pas la contribution appropriée des dépens partie-partie, peut être considéré par la Cour si cette dernière le juge approprié. Le pouvoir discrétionnaire doit être exercé avec prudence. Toutefois, on doit garder à l'esprit que l'adjudication des dépens est une question de jugement en ce qui concerne les éléments appropriés, et non un exercice comptable. [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[28]           Selon moi, on ne peut pas considérer que les commentaires soulignés du juge Rothstein signifient que la présence des mots « ne rend pas une ordonnance précise » est une condition essentielle pour pouvoir s’éloigner de la colonne III. Au contraire, même si l’appel a été rejeté « avec dépens », la Cour d’appel a ordonné une augmentation forfaitaire des dépens (voir aussi, p. ex., Halford, précité).


 

[29]           En outre, l’argument selon lequel la Cour n’est pas habilitée à entendre une requête en vue d’obtenir la majoration des dépens après qu’une ordonnance sur les dépens a été rendue a été expressément rejeté par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt CCH Canada Limitée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] A.C.F. no 1399 (C.A.F.) :

[13]         En deuxième lieu, les éditeurs précisent que, même si la Cour d'appel fédérale peut être saisie d'une demande de majoration des dépens, l'ordonnance par laquelle la Cour suprême a accordé les « dépens devant toutes les cours » ne lui permet pas d'adjuger des dépens autres que ceux qui sont prévus à la colonne III du Tarif B. Les éditeurs invoquent l'arrêt Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc. (2002), 22 C.P.R. (4th) 177, au paragraphe 9 (C.A.F.) :

 

 

En exerçant son pouvoir discrétionnaire, la Cour peut fixer les dépens en se fondant sur le tarif B ou en s'en éloignant. La colonne III du tarif B représente une disposition applicable par défaut. Ce n'est que lorsque la Cour ne rend pas une ordonnance précise que les dépens seront taxés conformément à la colonne III du tarif B.

 

 

Étant donné que la Cour suprême n'a pas rendu une ordonnance précise accordant une majoration des dépens, les éditeurs font valoir que les dépens doivent être taxés conformément à la colonne III.

 

 

[¼]

 

 

[16]         Quant au deuxième argument des éditeurs, lorsque la question des dépens est renvoyée à la Cour d'appel fédérale après un jugement dans lequel la Cour suprême octroie des dépens, la seule entrave au pouvoir discrétionnaire de la première en ce qui a trait aux dépens réside dans l'impossibilité pour elle d'exercer son pouvoir discrétionnaire d'une manière incompatible avec l'adjudication des dépens faite par la Cour suprême du Canada. Le juge Strayer a expliqué succinctement ce principe dans Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd. (1998), 85 C.P.R. (3d) 219, au paragraphe 5 (C.A.F.) :

 

 

Il va de soi que certains des pouvoirs discrétionnaires conférés par la règle 400 ne peuvent être exercés à l'égard d'une adjudication de dépens émanant de la Cour suprême du Canada. Notre Cour, par exemple, ne pourrait refuser de les adjuger ou les accorder plutôt à la partie déboutée, mais je suis d'avis que, pour donner effet à l'adjudication par la Cour suprême de dépens afférents à un jugement de notre Cour elle peut exercer tout pouvoir discrétionnaire prévu par les Règles de la Cour fédérale (1998) qui n'est pas incompatible avec cette adjudication.

 


 

[17]         À mon sens, lorsque la Cour suprême accorde les « dépens devant toutes les cours » , cette directive est neutre, c'est-à-dire que, tout en accordant des dépens, elle laisse à la Cour d'appel fédérale le soin d'en déterminer le montant. Selon cette directive, lorsque la question des dépens est renvoyée à la Cour d'appel fédérale, les dépens doivent être taxés conformément aux Règles de la Cour qui autorisent la majoration des dépens (voir les paragraphes 400(1) et (4) des Règles).

 

 

 

[30]           La même situation s’est produite dans l’arrêt Ludco Enterprises Ltd. c. Canada, [2002] A.C.F. no 1622 (C.A.F.) (QL) : la Cour suprême a accordé les « dépens à tous les paliers » et la Cour d’appel fédérale a par la suite rajusté le barème des dépens, conformément à l’article 403 des Règles.

 

[31]           Certes, les circonstances dont il est question dans les arrêts CCH et Ludco, tous deux précités, diffèrent de l’espèce en ce sens que la Cour d’appel était saisie d’une requête concernant la taxation des dépens après que la Cour suprême du Canada eut tranché le bien‑fondé de l’appel. Il me semble néanmoins que, par extension, la même logique devrait s’appliquer en l’espèce : à condition que le fait de rajuster le barème des dépens en utilisant la colonne IV plutôt que la colonne III ne soit pas considéré comme « incompatible » avec l’ordonnance de la Cour, à savoir que l’appel est rejeté « avec dépens », la Cour a donc compétence pour examiner une requête visant à obtenir de telles directives. Comme il est expliqué dans l’arrêt CCH, précité, il serait incompatible avec l’ordonnance initiale de refuser de rendre une ordonnance sur les dépens ou d’accorder ceux‑ci à l’autre partie par la suite. Mais la majoration des dépens, soit en adjugeant un montant forfaitaire soit en utilisant une colonne différente du tarif, semble cadrer avec ce qu’envisage l’article 403 des Règles.

 


[32]           Il se peut que l’adjudication des dépens sur une base procureur-client soit « incompatible » avec l’ordonnance initiale, car de telles adjudications sont réservées aux circonstances les plus rares. Cependant, bien qu’il n’ait finalement pas fait une telle adjudication, le juge Lemieux, dans la décision AB Hassle c. Apotex Inc., [2004] A.C.F. no 1910 (C.F.)(QL), a statué qu’il n’y avait aucun défaut de compétence à l’adjudication des dépens sur une base avocat-client après le rejet de la requête avec dépens.

 

[33]           La décision de la juge Layden-Stevenson dans AB Hassle et al. c. Genpharm Inc., et al., [2004] A.C.F. no 1087 (C.F.) (QL), à laquelle renvoie le juge Lemieux, étaye la même conclusion générale : à la condition qu’elle ne soit pas incompatible avec l’ordonnance initiale, une telle modification des dépens peut en théorie être accordée. La juge Layden-Stevenson, saisie d’une situation nettement différente de celle dont il est question en l’espèce et des circonstances auxquelles le juge Lemieux avait affaire, avait les mains liées par une ordonnance portant que les dépens seraient « taxés selon l’échelle ordinaire ». Par conséquent, dans cette affaire, il aurait été incompatible avec l’ordonnance de la Cour de changer la colonne du tarif qui s’appliquait.

 

[34]           Par conséquent, compte tenu de la jurisprudence examinée et de la nature générale de l’ordonnance de la Cour sur les dépens, il est loisible à la Cour de rajuster le barème des dépens. Et, selon moi, il est approprié de le faire en l’espèce. Les questions de droit et les questions de preuve concernant Internet qui étaient liées à la fois à la demande et à la demande reconventionnelle étaient nouvelles et d’une complexité similaire.

 

[35]           Les dépens accordés à WIC ainsi qu’à ITV devraient donc être taxés selon la colonne IV du tarif B.

 

                                        ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

[1]        Les dépens sont adjugés à ITV pour la demande reconventionnelle jusqu’au 13 novembre 2002 et sont doublés par la suite.

 

[2]        Les dépens adjugés à WIC et à ITV doivent être taxés selon le maximum de la fourchette prévue dans la colonne IV du tarif B.

 


 

 

   « Danièle Tremblay-Lamer » 

                     Juge

 

 

 

 


 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 

 

 

 

 



                                     COUR FÉDÉRALE

 

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-1459-97

 

INTITULÉ :                                                   ITV TECHNOLOGIES, INC.

et

WIC TELEVISION LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 3 MAI 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 25 MAI 2005

 

 

COMPARUTIONS :

 

Paul Gornall                                                      POUR LA DEMANDERESSE

 

Brian Edmonds

Barry Fraser                                                     POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Avocat – Agent de brevets et de marques

de commerce enregistré

355, rue Burrard, bureau 1820

Vancouver (Colombie-Britannique)

V6C 2G8                                                         POUR LA DEMANDERESSE

 

McCarthy Tétrault

Toronto (Ontario) et

Vancouver (Colombie-Britannique)                   POUR LA DÉFENDERESSE

 



[1] La Cour dappel fédérale a souligné, à deux reprises au moins, cette notion dincompatibilité : voir CCH Canada Limitée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] A.C.F. no 1399 (C.A.F.), et Eli Lily and Co. c. Novopharm Ltd. (1998), 85 C.P.R. (3d) 219 (C.A.F.), deux arrêts qui sont analysés et cités ci-après.


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